En partant du cabaret, fâché, il avait pris une voiture pour se rendre plus rapidement au jardin. Il espérait grandement en réalité que ce bout de papier soit un indice utile, c'est à dire, qui le conduirait à une piste concrète, car pour ce qui était de passer du bon temps dans son lieu fétiche, on venait de lui en priver le droit.
Mécontent de ce constant, il souhaitait vaguement, par ailleurs, que l'amère inconnue n'avait eu que l'ébauche d'une idée et non pas la résolution du problème. Pourvu, oui, qu'elle n'ait pas eu en esprit la capacité de visualiser mentalement l'agencement des lettres et la réponse qui était ainsi délivrée. Mais dans le même temps, avec le même goût d'imprécis, une pensée pour contredire une telle audace. Allons, Ludwig, les femmes ne peuvent pas produire un processus d'une si brillante technicité, même si, parfois, certaines peuvent surprendre... On ne savait pas également quel était vraiment le fond de sa pensée lorsqu'elle avait demandé un crayon : elle aurait peut-être fait fausse route. Très bien, très bien.

Passant les grilles, traversant par le côté l'imposant jardin qui s'offrait à lui, il descendit les quelques marches qui le séparait de sa destination. Le temps n'étant pas désagréable, un certain nombre de bourgeois s'y pavanaient, jouant les amoureux ou pour les plus jeunes, les marins zélés. L'eau docilement se ridait après les passages de ces frégates naines.

Toute cette occupation, du reste, rendait aisée la recherche ; du moins, plus facile qu'au Chat Noir. Elke marchait autour du bassin, scrutant, comme à l'affût de quelque chose - convaincu par ailleurs qu'il valait mieux procéder ouvertement que de paraître suspect par trop d'égards. Il semblait en tout cas véritablement concentré, comme pour chasser loin de sa conscience la médiocrité à laquelle un jeune homme de son rang se voyait réduit.

Ah que oui, les femmes étaient surprenantes ! Lorsque le message s'était éclairé sous son crayon, Lise avait eu un sourire de victoire et elle avait laissé échapper un « Stupide animal ! » réjoui. Quelle chance, tout de même, que le message fût resté coincé bien au chaud dans son gant... Aussitôt, elle s'était remise en route. Arrivée à destination, elle tourna lentement autour de la fontaine, observant avec amusement les enfants - et les adultes - qui faisaient naviguer leurs petits navires, n'hésitant pas à mouiller leurs menottes dans cette eau glaciale... Ils en avaient les doigts tout rouges, les mignons ! Perdue dans sa contemplation toute maternelle, elle ne repéra qu'assez tard ce petit jeune homme affairé, à quelques pas seulement... « Encore lui ?! »

Il y avait peut-être encore une chance de lui échapper, s'il ne l'avait pas vue... Elle détourna la tête et s'apprêta à poursuivre ses recherches un peu plus loin.

Les dernières vapeurs d’alcool convainquirent Yann de prendre un fiacre pour foncer aux Jardins du Luxembourg avant que celui-ci ne ferme ou que la nuit tombe.
Il lui restait a peu prêt 4 francs dans la bourse. Suffisant pour l’aller, pensa-t-il. Pour le retour, il verrait.
Il héla donc un fiacre et arriva à peine une demi-heure plus tard devant les Jardins.

Bien qu’il aimait beaucoup ce parc dans lequel il était allé une ou deux fois, il ne prit nullement le temps d’admirer ses arbres centenaires ou l’harmonie des grandes allées mais couru directement jusqu’à la fontaine.

Là, il s’assit contre son rebord pour récupérer et commencer son observation. Il se faisait tard, peu de gens étaient encore là. Les familles semblaient se préparer à partir. Yann vit un homme plutôt chétif et tiré à quatre épingles qui semblait chercher quelque chose et qu’il lui sembla reconnaître. Peut-être un concurrent, pensa-t-il… Il n’en était pas gêné le moins du monde et décida de se mettre de ce pas à la recherche d’un nouvel indice. Il lui semblait clair que le seul endroit où les petits papiers pouvaient être cachés étaient les interstices des pierres. Il se lança donc dans le tour de la fontaine, accroupi, en examinant ceux-ci et en passant sa main dessus afin de sentir l’éventuelle présence d’un morceau de papier…

Un sourire se dessina à la lecture, charmantes lignes : Elke n'avait que peu de goût pour la littérature, mais l'extrait lui fut plaisant, certainement par le sujet qu'il traitait. Mais il apparaissait clairement que sa petite promenade n'était qu'un égarement nécessaire, il ne trouverait rien ici qui lui soit utile immédiatement. Tout spéculatif qu'il était, il ne lâcha pas des yeux son maigre butin et se dirigea lentement vers la sortie. Là il fit demander un autre fiacre, réticent quelque peu à se rendre où l'on voulait le mener. Tout ceci n'était qu'un jeu... qu'un simple jeu...

"Rue Lamarck, je vous prie."

Yann vit le chic petit homme s’éloigner de la fontaine. C’est là qu’il se rappela où il l’avait croisé : moins d’une heure avant, au Chat Noir ! Il avait claqué la porte du cabaret en partant ! Il en était à présent sûr, c’était bien un concurrent dans la chasse au trésor ! Peut-être même aurait-il dû le suivre ? Non, la chasse, selon lui, venait de commencer et il n’était pas encore assez proche du but pour tenter une action désespérée…

Il se remit donc à la recherche d’un indice. De manière un peu plus pressée, car il ne voulait pas perdre trop de terrain sur le fameux bonhomme. Il continua a explorer le tour de la fontaine, en regardant inlassablement les interstices des pierres. Coté extérieur, puis coté eau. D’ailleurs, il se mouilla quelques fois la main en cherchant, mais ne s’en souciait guère. Son esprit était accaparé par l’investigation qu’il menait.

Il ne remarqua même pas la dame qui s’était mise à chercher comme lui autour de la fontaine.

Une fois le tour de la fontaine effectué, il se mettrait à chercher plus loin, du côté des bancs, des chaises, des massifs de fleurs, tout le parc y passerait ! Yann n’avait plus qu’un but en tête à ce moment là : l’indice. Il le lui fallait !

Les gens commençaient à rejoindre les sorties. Yann, qui relevait la tête de temps en temps, s’en apercevait et cela ne fit qu’accroître son impatience ! Il essayait néanmoins de se raisonner :

Du calme, restons méthodiques, restons concentrés… J’ai fait toute la fontaine, passons aux bancs et chaises autour…

Yann n’y avait pas pensé au départ mais finalement il trouva dans ses bancs et chaises plein de coins et recoins où cacher de petits indices… Peut-être que quelque chose pouvait même avoir été collé sous l’assise d’un banc ! Yann ne lâchait pas le morceau !

Zoran était d'humeur sombre, ce soir. Il avait laissé au camp gitan une femme malade et épuisée, et il devait aller jouer du crincrin dans les cafés du coin toute la nuit durant, pour regagner le camp au petit matin, les membres rompus, la tête lourde des cris et des chansons qu'il aurait entendus toute la nuit... Pour tromper son vague-à-l'âme, il entra par une petite porte du jardin du Luxembourg. - Monsieur, le jardin ferme bientôt ! s'écria un gardien. Zoran lui jeta un regard indifférent. - Fais qu'passer, j'traverse, pour ainsi dire... Et en effet, il passa, grande ombre noire, le cercueil du violon dans la main. Il arriva bientôt à la fontaine, qui disparaissait doucement dans la pénombre ... Il remarqua alors un jeune homme qui examinait méthodiquement les bancs alentours ... Curieux et avide d'oublier ses problèmes, il commença à tourner autour de ce curieux bonhomme. Puis il lâcha de sa voix traînante, dardant sur Le Guélec un oeil flamboyant :

- T'as perdu queq' chose, garçon ? Ca va fermer 'sais, va falloir l'récupérer d'main ...

Justement, était-ce le moment de perdre quelques précieuses minutes à discuter avec un curieux de passage... ?

Yann sentit une présence autour de lui. Il leva la tête. Dans la lumière déclinante de ce soir de printemps, il vit un grand homme, barbu et hirsute, vêtu sombrement avec un chapeau élimé. Cette vision, non seulement le sorti d’un coup de sa recherche, mais en plus, l’effraya ! Il avait entendu parler d’histoires de femmes disparues à Paris et son esprit, pour une fois bien rapide, avait fait le rapprochement (justifié ?) entre les crimes et cet homme, mi croque-mort, mi pirate !

Yann balbutia : « Comment euh ? Pardon ? Oui j’ai perdu quelque chose… Demain ? Euh non, impossible, je dois le retrouver sinon… »

Yann abandonna le banc qu’il examinait et continua sur le suivant, préférant s’éloigner de l’inquiétant barbu, vérifiant de temps en temps, par prudence, qu’il ne s’approchait pas de lui.

Allez vite, si ça ferme, c'en est fini des 5000 francs !

Entre divers objets trouvé, Yann trouve finalement quelque chose qui semblait ressembler à un indice utile ! Une petite illustration d'une oeuvre d'art. Il eut une hésitation : devait il trouver dans quel musée celle-ci pouvait-être exposée ou bien devait il chercher quel lieu cette oeuvre pouvait représenter ?

Ayant trouvé sa réponse, il se leva et vit à nouveau l'homme grand et funeste qui lui avait parlé l'instant d'avant. Pressé par sa quête et sa peur, il courut vers la sortie sans un mot pour le tzigane !