En découvrant le nom du ramoneur honnête dans La Revue Mauve, Lise avait ouvert de grands yeux. Et puis un sourire avait éclairé son visage. Bien, très bien ! Ce jeune homme avait décidément de l'avenir, il faudrait le surveiller de près. ... Et puis la seconde manche était déjà lancée. Lise épluchait les journaux, un crayon à la main, en se mordillant les lèvres. Parfois elle entourait ce qui lui semblait être un indice, puis biffait, soupirait, abandonnait... Il y avait tant d'articles dans ces satanés canards ! A un moment, Victor était entré sans se faire annoncer, et l'avait surprise en pleine recherche. Lise avait été furieuse, évidemment. Elle s'était levée d'un bond, avait tempêté. Le notaire, un peu surpris de l'attaque, avait déposé les fleurs qu'il apportait sur l'accoudoir du sofa, avec un air de héron vexé que Lise ne lui connaissait pas. Puis il avait soulevé un journal entre deux doigts, l'avait observé, avait froncé les sourcils mais n'avait rien dit. Ils s'étaient quittés fâchés.

En poussant la porte du cabaret, Lise fut prise d'une hésitation. Elle vérifia fébrilement que sa voilette était bien baissée, et pénétra dans les lieux. Relevant un peu la tête, elle adopta une démarche détachée pour aller s'installer à une table, le cœur battant. Elle se sentait peu à sa place, mais l'expérience lui plaisait, l'excitait. Elle chassa l'image de Victor Champmézières de sa tête et se mit à observer autour d'elle.

Quoiqu’il n’ait eu matériellement le temps de jouer les chercheurs d’or, Ludwig n’avait pas manqué de suivre les rebondissements et les diverses circonvolutions de ceux qui s’était prêté au jeu, comme une façon de satisfaire sa curiosité assoiffée et morbide, ou peut-être, d’éprouver quelque consolation par procuration.

Et voyant qu’il y avait bel et bien eu un gagnant, le jeune garçon vit son intérêt redoubler. Ce genre de farce grotesque, qui vous fait dépenser en argent ou en énergie - ce qui parfois revient au même - en faisant miroiter au loin une récompense artificielle, rendait l’allemand passablement sceptique. Or, on pouvait gagner. La chose était donc à considérer avec plus de sérieux, peut-être.

Il continuait donc à éplucher les journaux mais dans une optique différente que de briller à la face du monde - bien que d’aucuns pourraient répondre que la pécule clinquante est une autre forme de scintillement - et quoique l’indice lui semblât trop aisé pour être le bon, il se rendit tout de même au Chat Noir. Il se consolait en pensant que le cas échéant, il pourrait tout de même passer un agréable moment dans cet endroit qui lui était devenu familier*.

Il poussa la porte de l’établissement et se rendit directement au comptoir. Il embrassa du regard la salle l’espace de ces quelques enjambées et aperçut des habitués par-ci, des nouvelles têtes par-là, et notamment une jeune femme bien apprêtée qui semblait mal à l’aise d’être en ces lieux.

Bien. Il salua le tenancier et commanda une absinthe.

[HRP][*Comme j’expliquerai dans l’évolution du perso, quand j’aurais le temps de la poster : 3][/HRP]

Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout lorsqu'il n'y est pas. Lise méditait ces paroles pleines de sagesse. Le cabaret semblait vivre comme à l'ordinaire, sans l'agitation fébrile qui entourait la chasse au trésor. Rien n'indiquait - surtout pas le bon sens - que le jeu se déroulait là. D'ailleurs on n'allait pas tarder à venir lui demander ce qu'elle prendrait, et elle allait se trouver bien embarrassée. Elle regarda sur les tables autour d'elle, tâchant de voir ce qui se buvait là, en fut effrayée. Elle n'allait tout de même pas commander une absinthe ?! Tandis que son esprit s'embrouillait dans ces considérations, son regard tomba sur un bout de papier qui traînait, juste là sous la table voisine. En même temps, le lieu n'était pas spécialement reluisant. Rien n'indiquait que ce papier était digne d'intérêt. Rien du t... oh ciel, le garçon qui se dirigeait vers elle ! Et qu'allait-elle répondre ?

Ni une, ni deux, Lise se glissa souplement sous la table, récupéra le papier un peu gras, le glissa dans son gant, se redressa mine de rien, se retrouva face au garçon (« Je vous remercie, mais cette odeur d’alcool me soulève l’estomac ! »), lui sourit, et sortit dignement.

Après tout, si les chats portaient des moufles, ils n'attraperaient pas de souris.

Spoiler:

Le temps de se retourner pour scruter la salle à nouveau, l'inconnue franchissait déjà la porte. Un sentiment d'impuissance le saisit, mêlé à un regret vif et soudain : il s'apprêtait justement à aller l'aborder et voilà qu'elle s'envolait au loin ! Il lui semblait pourtant avoir déjà vu ce visage, mais il aucun lien auquel il puisse rattacher cette impression. Sûrement faisait-il fausse route et pourtant...
Mais elle ne devait guère être loin, pouvait-on espérer. Et, et la chasse...? Elke fouilla ses poches et paya son dû. Tant pis, son désir était trop impétueux pour qu'il l'abandonna à cette douce liqueur fleurie. Néanmoins, avant de s'en aller tout à fait, la jeune fille pourrait peut-être lui servir...

"Diable ce bel sexe," lança t-il au tenancier "a t-on à peine le temps de l'apercevoir qu'il s'enfuit. L'avez-vous vue ? Il fallait pourtant que je lui parle ! Je vous laisse la monnaie, Monsieur, en vous souhaitant un bonne journée !"

Et sur le prétexte de la chercher, il fit un rapide tour de la bâtisse dans l'espoir d'y trouver également un indice ; il fut prompt néanmoins, il ne fallait pas risquer de ne plus trouver la jeune femme...

Mais nippe ! et comme la pêche avait été mauvaise dans la salle, il avait accouru au dehors. Une chance ; le voyant arriver, c'est elle qui l'aborda :

« Monsieur ? » Eh bien, voilà qui facilitait la tâche.

« Madame. »
Puis, après une seconde : « Vous fûtes si prompt au départ. Je... pourtant je jurai de vous connaître déjà. Nous sommes-nous déjà connu dans quelque endroit ? Oh, pardonnez cette mémoire qui défaillit, peut-être elle reviendra tantôt. Mais vous avez goûté à rien, pourtant la bâtisse est ravissant et propose du bon vin. Voulez-vous m'accompagner ? Certes un verre solitaire nous dévore à l'intérieur, mais un verre avec une bonne compagnie, c'est charmant. »

Spoiler:

Un fourmillement surpris et délicieux se propagea dans le cerveau de Lise. Les Parisiens étaient si guindés, d'habitude ! Surtout envers une dame de son âge... Fallait-il venir fréquenter ces lieux douteux pour tomber sur des jeunes gens audacieux ? Le chuintant accent de l'Est et les maladresses de langage accentuaient le charme de l'instant. La dernière phrase du jeune homme resta pourtant en suspens dans l'air. Le temps que Lise, incrédule, voulût bien croire à l'improbable jeu de mots. Alors, elle ne put se retenir de rire. Puis, toujours amusée, elle répondit : « Monsieur, je ne crois pas vous connaître. Mais je voudrais récompenser votre hardiesse... Aborder une inconnue en lui parlant de parasite intestinal, il fallait oser ! Voilà qui vous fera gagner votre pari, à coup sûr. J'espère que vous avez joué gros... »

Et, sans rancune, elle lui offrit sa main pour qu'il l'amenât à l'intérieur.
Ô voilette, heureux artifice qui permettait de céder avec plaisir à l'inconvenance !

De parasite intestinal ?... Plait-il ? L'allemand fut confus des propos de l'inconnue mais puisqu'il semblait l'avoir convaincue..! Il afficha un sourire triomphant et de circonstance, et alors qu'elle signait de son geste qu'elle acceptait son invitation, il lui donna le bras et l'accompagna à l'intérieur du Chat Noir, pour leur seconde entrée.

Et quelle entrée les attendaient donc...

Quel accueil, en effet ! Les cabarets de Montmartre avaient chacun leur originalité, chacun leur bizarrerie : on buvait parmi les figures grotesques dans le cabaret de l'Enfer, parmi les nuages d'ouate au Ciel, son voisin, on se faisait cordialement insulter par le grand Bruant au Mirliton ... et au Chat Noir, on vous servait avec une déférence qui confinait à l'absurde. En ce jour, pourtant, M. Salis était absent et l'art de la flatterie en pâtissait. Un de ses cousins, neveu par alliance ou beau-frère par anticipation (qui sait ?) le remplaçait pourtant et demeurait, fidèle au poste. Le manque d'habitude et une certaine timidité naturelle expliquait cependant que nos deux visiteurs du jour n'aient pas encore expérimenté la politesse légendaire des employés du Chat noir. A ce propos, M. *** nourrissait même un intense sentiment de déception et lorsqu'il les vit partir, il se maudit : hélas, trois fois hélas ! il n'avait point fait honneur au célèbre et excentrique Rodolphe Salis, et la honte serait bientôt sur lui ... C'est pourquoi, M. *** pensa à un miracle lorsque ses deux clients réapparurent : une belle occasion de se racheter, en vérité ! C'est avec fébrilité qu'il souligna leur entrée d'une voix de stentor :

- Oyez oyez, gentes dames et damoisiaus, que ce jour soit béni trente-six fois car notre seuil fut franchi de nouveau par la mystérieuse belle masquée, souveraine de quelque lointaine contrée, et par M. von Kartoffel, prince de l'est aux goûts raffinés !

Et les quelques buveurs d'absinthe et artistes qui somnolaient là applaudirent à tout rompre, comme réveillés par cet appel.

Si c'était un pari, il était très bon. Très, très bon. Le cabaret s'était métamorphosé à leur seconde entrée, et l'accueil extravagant qu'on leur réserva stupéfia Lise. Le plaisir qu'elle ressentait un instant auparavant s'était mué en une surprise mêlée de colère. Jamais, au grand jamais, elle n'avait été témoin - ni encore moins actrice - d'une telle pitrerie ! Derrière son masque, il est probable qu'elle rougit. Elle aurait dû, sans doute, mettre une gifle à l'étranger aux yeux verts (elle le tenait évidemment pour responsable de tout ce qui arrivait, lui qui l'avait amenée dans ce piège) et tourner les talons dignement. Mais c'était mal la connaître... Alors que la salve d'applaudissements retentissait, elle se tourna vers celui qui lui donnait toujours le bras, et lui glissa à l'oreille :

« Je ne sais ce que nous réservent vos amis, mais croyez bien que je ne me laisserai jamais ridiculiser contre mon gré. Oh non, je préfère encore collaborer ! »

Et par défi, enhardie par son anonymat, elle eut un geste souverain d'actrice pour saluer son public.

Il va sans dire que Ludwig fut enchanté de cet accueil, bien plus conforme à ce qu’il avait l’habitude de goûter à chaque fois qu’il venait siroter une absinthe ; veuillez croire, chères lectrices, que c’est bel et bien sa connaissance de la condition de Salis qui lui a donné l’étourderie nécessaire pour ne pas se rendre compte, la première fois, qu’il n’avait pas été reçu comme il se doit (!)…

Quant à sa compagne, elle parlait tout à l’heure de pari et remettait maintenant à jour sa pensée, manifestement convaincue de quelque tour de passe-passe. Sans s’en préoccuper, Elke à sa suite salua son public, satisfait. Sous ses yeux, cette audience spontanée et impromptue, enthousiasmée véritablement comme s’il était de quelque importance. Le baume aux joues et le cœur à chaud, il se targua même d’une seconde révérence, plus dramatiquement exagérée encore, entraînant avec lui la belle mystérieuse.

Puis le rideau tomba enfin. Ils s’installèrent cependant que l’allemand commandait une nouvelle absinthe et « le plus raffiné de votre vin, pour la demoiselle. » Se tournant vers elle :

« Mais je dois admettre, Mademoiselle, que je suis étonné. Vous n’êtes pas, c’est évident, des gens qui sont attirés par ce beau monde de Montmartre. Vers quelle aventure courrez-vous ? »

Spoiler:

Voyant la dame se décontenancer un instant, M. *** ne se tint plus de joie : la réputation du Cabaret était sauvée ! En outre, la réaction de la dame ne manquait pas d'être amusante. M. *** applaudit à son tour. Les deux clients allèrent ensuite s'installer, et M. von Kartoffel commanda d'un air bon prince une deuxième absinthe et leur vin le plus ... raffiné ? M. *** fronça les sourcils. Assurément, il devait leur rester quelques bons Bordeaux dans la cave mais on les réservait habituellement pour le jeudi soir ... Cependant, il s'exécuta et vint servir à Mademoiselle un verre de Bordeaux. A vrai dire, ils n'avaient pas de vin blanc, préféré de ces dames - mais est-ce que les vraies dames buvaient du vin en pleine journée, hein ?! - Et que soit versé le vin en divines libations pour Madame ! Qui, assurément - nous l'espérons - a mangé il y a peu, car il est corsé. Et pour Monsieur, je ne citerai que cette histoire qui prouve bien la divinité de Dieu, en ce qu'il dit aux hommes de prendre le nectar afin de pouvoir garder l'absinthe... Et il déposa le verre de vin, rond, rouge et généreux, et le verre à absinthe, anguleux, au fond jaunâtre, côte à côte. Singulière antithèse. Entre eux deux, le pichet d'eau semblait un ambassardeur et le sucre, posé sur la cuillère d'argent ouvragée, d'innocents spectateurs. Toujours aussi obséquieux, M. *** ajouta :

- Ne prenez point garde aux hurluberlus qui pourraient apparaître en ces jours, chers clients. Nous participons à une petite animation artistique, mais le calme devrait revenir bientôt. Et nous n'accueillerons plus que des majestés comme vous !

Et il ponctua cette dernière phrase d'un rictus ironique.

Ce n’était peut-être pas un pari, finalement. Son oriental compagnon, quoique visiblement enchanté, ne semblait pas de mèche avec le tartuffe. Un peu perplexe, Lise se laissa entraîner vers une table et assista, médusée, à l’échange qui suivit. On lui commandait du vin ? Mais pour qui la prenait-on, à la fin ? Et en divines libations, encore… Une curieuse amertume s’empara de Lise. Ce lieu était un théâtre : dans un décor de théâtre, un tenancier de théâtre accueillait théâtralement des souverains de théâtre… On les appelait « majestés » avec une dérision non dissimulée… On la traitait comme une reine avant de lui servir du vin rouge comme à la dernière femme du peuple… Un raffinement de carton-pâte.

Et, au fond, l’amertume de Lise ne venait-elle pas de ce qu’elle se reconnaissait dans cette comédie ? Elle, la fille de domestiques qui rêvait à la noblesse ? Et, déjà, l’infâme mot de « parvenue » lui venait à l’esprit. Etait-elle l’une de ces parvenues qui se traînaient jusque dans les cercles les plus distingués, échouant presqu'imperceptiblement à faire passer leur vulgarité pour une spontanéité aimable ? Etait-elle l'une de ces majestés de carton-pâte ?

Blessée par ses propres réflexions, elle en avait oublié son compagnon et considérait son verre avec un peu de dégoût. Moment de silence qui ne lui était pas habituel, loin s’en faut. Sans conviction, elle se saisit du pichet d’eau pour couper le breuvage. La robe grenat s’éclaircit lentement…

Oh, et puis… flûte ! A cette question qui la hantait, Edmond n’avait-il pas répondu un jour, chassant gaiement toute inquiétude :

« Parvenue ? Mais ma chère, voilà un mot banal, et des cours injure favorite, lorsqu’auprès des grands noms s’élève un grand mérite ! »

Alors, un peu rassérénée, elle prit son verre et le porta délicatement à ses lèvres, soulevant de l’autre main sa voilette qui laissa voir, le temps d’une gorgée… Un menton, une bouche, peut-être même l’empreinte du doigt de l’ange*.

Puis, le reposant :

« Qui vous dit, Monsieur, que vous avez affaire à une demoiselle ? Les dames qui dissimulent leurs traits ne veulent-elles pas cacher au monde quelque chagrin, quelque ride que le temps aurait laissée ? »

Spoiler:

Hélas ! Ludwig était bien conscient de l’audace qu’il avait à passer une telle commande, mais il fut déçu tout de même de constater qu’on lui apporta un rouge qui, bien que la couleur fut belle… n’était hélas, pas le blanc qu’il espérait lorsqu’il avait parlé de raffinement. L’air contrit de sa compagne ne l’aida pas plus, mais pour s’éviter le désagrément d’une déception, Elke prit le contrepied et, sans même y songer, le parti de la provocation pure et dure.

Il troubla son absinthe et en bu une gorgée. Il scruta les changements de sa voisine, qui prenait manifestement son temps pour donner la réplique. Hélas, mille fois hélas, la voilette faisait parfaite illusion et cachait à la perception de Ludwig l’exactitude des expressions de l’inconnue, les laissant, elles aussi, parfaitement inconnaissable. Mais lorsqu’elle but à son tour, le garçon put distinguer sinon jusqu’à l’aile de son nez, du moins ses lèvres. Il les trouva agréable à ses yeux. Délicates et pincées, elles se posèrent sur la courbe du verre, en épousèrent les rondeurs. En vain encore, Elke essaya de rattacher cette esquisse dévoilée de corps à quelque visage qu’il aurait connu.

« Qui vous dit, Monsieur, » dit-elle, « que vous avez affaire à une demoiselle ? Les dames qui dissimulent leurs traits ne veulent-elles pas cacher au monde quelque chagrin, quelque ride que le temps aurait laissée ? »

A son tour, il prit son temps. Il porta à nouveau son verre à ses lèvres. Mais au moment de le reposer, schisme déchirant ces mouvances circulaires, l’étrangeté du sous-boc qu’on lui avait présenté se dévoila au regard perçant et clair. Il l’attrapa aussitôt, le sourcil arqué et le retourna. Un papier. Il le lut, le reposa, et posa ses yeux dans les yeux de la belle, tentant de percé son mystère.

Une réplique se prépare, s’expérimente et se polisse : lorsqu’elle glisse hors des lèvres c’est un ouvrage que l’on offre.

« Votre cœur vous a guidé ici. Lui n’a pas pris les rides, il faut croire. Mais si vous permettez, vous voulez peut-être me révéler que vous avez encore un âme jeune, je trouvé ici un singulier élément. »

Il lui tendit sans plus attendre le papier sur lequel était écrit un étrange code. Voici ce qu’on pouvait y lire :

[check tes mps]

« Peut-être vous savez qu’il est organisé dans Paris un chasse du trésor… Que dites-vous, et si cela était un indice ? Jouons un peu, déchiffrons-le. » Appuya-t-il d’un sourire qu’il sembla destiner pourtant plus à la fortune qu’à sa compagne.

Voilà, il la prenait pour une vieille peau, à présent. Lise eut un petit rire. Envolée, l’amertume ! Elle se laissait reconquérir par le piquant de la situation. D’autant plus que… « Un chasse du… ? Oh ! Oh… oui, bien sûr, j’en ai entendu parler. » Et elle prit le papier qu’il lui tendait, interloquée. Ainsi donc, son jeune compagnon était sur la même piste qu’elle ? Ainsi donc… c’était peut-être l’endroit ? Elle songea immédiatement au papier qu’elle avait ramassé quelques instants auparavant. Ciel, il lui était complètement sorti de l’esprit celui-là ! Elle s’était dégantée pour boire, naturellement, et avait glissé les gants dans sa poche. Et si le papier était tombé ? Et si ce n’était pas un indice, tout simplement ? Elle fut prise de l’envie de vérifier sur le champ, mais s’en garda bien.

« Eh bien, cela n’a pas l’air simple, votre histoire… »

Un regard vers les yeux verts la décida. Après tout, si elle avait commencé à jouer, c’était avant tout pour… se distraire, précisément ! N’est-ce pas ? Alors pourquoi se priver d’un partenaire de jeu ? L'idée avait de quoi séduire.

Elle posa le papier sur la table, entre eux deux, et pointant du doigt quelques signes, lui soumit une première idée… Puis une deuxième. Mais aucune ne la convainquait vraiment.

« Ah vous avez mal choisi votre coéquipière, Monsieur ! Malgré toute l'expérience due à mon grand âge – elle appuya sur ces mots avec ironie –, je suis loin d’être experte dans le domaine du déchiffrage ! »

Alors qu'il lui avait fait part du code, elle lui soumettait ses impressions et il tentait d'accommoder ces nouvelles hypothèses avec celles qui naissaient brutalement dans la matière pensante de son cerveau. Mais cela n'était pas concluant. Probablement exaspérée, l'inconnue sembla devoir légitimer le peu d'efficacité de son aide.

« Ah vous avez mal choisi votre coéquipière, Monsieur ! Malgré toute l'expérience due à mon grand âge, je suis loin d’être experte dans le domaine du déchiffrage ! »

Il sourit, assez franchement.

« Allons Madame, il serait bien malheureux que nous soyons déjà parvenu à bout de ce code ! Où serait le plaisir d'un accomplissement ? » Buvant pour se donner contenance : « Et puis, regardez, ils disent le sens ne pas convenu, peut-être il faut lire à l'envers... »

Néanmoins, ce qu'il ne fallait pas, dans cette affaire, c'était perdre l'autre penchant de la balance ; relevant les yeux en même temps qu'il redressait le buste, il revint à son interlocutrice :

« Mais assurément, Madame, le plus profond des mystères, je l'ai en face de moi. » Il affrontait son regard, faisait le poseur. L'inconnue était venue avant lui, mais quand il l'avait aperçue, elle n'avait rien à sa table. Du reste, sa parure et son attitude prouvaient qu'elle n'était pas ici chez elle ; or que pouvez bien faire d'autre une femme du monde - et sans compagnie autre que sa voilette - si ce n'était jouer aux chercheurs d'or elle aussi.
Il fit galoper ses doigts sur la table. Avait-elle déjà trouvé des indices ?

« En tous les cas, vous avez la expertise dans ce domaine là... Qu'avez-vous à cacher ? » Demanda t-il finalement, l'air grave.

Elle rit, assez franchement. Quel enfant ! Quel enfant, décidément ! Voilà qui l'amusait diablement, si elle pouvait se permettre l'expression. Lorsqu'elle cessa de rire, un court instant de silence précéda sa réponse, pendant lequel elle fixait un regard presque affectueux sur son jeune compagnon. « Ce que j'ai à cacher ? Hé, Monsieur, vous croyez bien qu'aucun être sensé ne répondrait à cette question ! Et de la part d'un inconnu... ! » Elle souleva son verre et prit une petite gorgée, lentement. « D'ailleurs, reprit-elle ensuite avec malice, il serait bien malheureux que vous soyez déjà parvenu à bout de ce mystère, n'est-ce pas ? ... Mais puisque vous m'êtes de galante compagnie, je vais tout de même vous confier un secret. »

Elle se pencha vers lui, s'apprêtant apparemment à lui faire une confidence à mi-voix.

« Je suis probablement autant reine que vous êtes prince... mais l'incognito du peuple est aussi respectable que celui d'une souveraine en voyage*. »

Se redressant d'un mouvement vif :

« Et maintenant, soyez gentil et cherchons ensemble la clé de ce mystère-ci, voulez-vous ? » Elle tapotait le papier. « Vous parliez de lire à l'envers ? Voilà une riche idée, essayons ! »

Ils essayèrent beaucoup de choses, bredouillant des séries de lettres incompréhensibles qui faisaient rire Lise de temps à autre. Tout à coup, elle remarqua :

« Nous avons négligé la première indication... Ne croyez-vous pas que nous devrions... ? Oh, j'ai une idée. Mais il me faut un crayon ! Avez-vous un crayon ? Mon royaume pour un crayon ! » plaida-t-elle avec un certain talent d'actrice, décidément friande de citations.

Spoiler:

Elke manqua de rougir devant telle femme. Il était habitué à ne côtoyer ce versant de l'espèce que d'assez loin et sous l'instigation de règles bienséantes qui les faisaient se tenir correctement. En réalité, le garçon était encore si facilement décontenancé ; au moindre soufflet s'effondrait le château de cartes. Or le sentiment de vulnérabilité qui le saisit alors conduisit naturellement à le déséquilibrer ; il avait l’œil encore trop jeune pour apprécier les justes distances et la jambe trop faible pour retenir la chute, et alors qu'il ne s'agitait en lui que l'impression de ce désarroi, il ne pu goûter la subtile saveur d'un équilibre qu'on met à mal. Un jour, sans nul doute, sa main serait plus habile, mais à cet instant-là, il fut piqué au vif et s'irrita au lieu de s'enjouer. Et si c'était l'anonymat qu'il fallait blâmer pour une conduite du genre, comme elle semblait le signifier, il fut pris de l'envie de lui arracher son masque sur le champ. Mais qu'aurait-il seulement découvert alors...

" J'ignorais que le femmes ont des idées... Voilà une bien heureuse nouvelle. " Il se laissa aller en arrière sur la chaise, pour appuyer sa réplique. " Mais très bien. " Pétri d'une certaine hauteur, il interpela un garçon qui passait par-là : " Monsieur, voudrez-vous bien apporter un crayon à cette table, et aussi de quoi déjeuner pour Madame, je crois l'alcool lui monte à l'esprit. "

Puis retournant gravement à l'inconnue : " Voilà, vous allez pouvoir faire des preuves... "

Mais, mais... mais ! Quel rustre, quel goujat, quel stupide animal ! Sans la pudique et diplomatique voilette, Monsieur le prince de l'Est aux goûts raffinés (quelle blague !) eût probablement succombé (au sens propre, naturellement) sous le regard glacial de Lise. Un ange passa et considéra la scène avec inquiétude ; la tension palpable n'annonçait rien de bon. Sans doute le serveur pouvait-il la sentir, lui aussi, car il n'était nul besoin d'être créature céleste pour cela. Lise rassembla ses jupes avec dignité, se leva avec élégance et s'adressa à l'autre avec hauteur : « Monsieur, vous êtes un rustre. » Pignouf ! « Un goujat. » Maroufle ! « Un stupide animal. » Pedzouille ! ... « Adieu, Monsieur. » Choucroutmann !

Et, sans un regard en arrière, abandonnant là Prince de l'Est, verre de vin et personnel de l'établissement, elle se dirigea vers la porte et la franchit avec détermination. La fierté d'une femme est toujours celle d'une reine.

Spoiler:

Et la porte claqua sur sa joue qui rougit cette fois-ci, naturellement. Ludwig serra le poing, fort, et le serveur déposa devant lui une corbeille de pain et un crayon. Ils n’échangèrent aucun regard, et l’allemand fixait la porte avec force. Après un court instant immobile, la conscience lui revint, et la vie avec. Sa bouche se tordit en une succession assez délicieuse de moues improbables, comme en compensation du déchaînement intérieur qui faisait violence en lui.

Il but d’un trait ce qui lui restait d’absinthe et attrapa le crayon. Comme s’il avait besoin d’aide ! Comme s’il avait besoin d’elle, non mais. Bien sûr qu’il avait trouvé la réponse ! Qu’est-ce qu’elle avait aussi, à s’emporter. Ça ne sait donc pas jouer, une femme… Il se rappelait pourtant…
Non, chasser ça de la conscience : ce n’était pas important… Voilà, d’abord cette lettre et puis l’autre. Sens non conventionnel… Successivement, l'une après l'autre, en carré, le code se décoda. Il froissa le papier et le mit dans sa poche.
Elle aurait été capable de ça, Madame ! Ah, elle en a des bien bonnes. Son regard tomba sur le verre de vin, abandonné lui aussi. Non conventionnel... Non, il était l’auteur de suffisamment d’éclat pour aujourd’hui, il laissa la monnaie pour leur commande et s’en alla. Et la porte claqua sur ses pas.

Yann le Guélec n'était pas vraiment inconnu au Chat Noir ! Il avait, plus d'une fois fait la fermeture du cabaret, discutant parfois avec le pianiste d'un soir, parfois avec une vieille fille en manque d'amour, parfois encore avec le barman qui était de fermeture ou parfois même avec le patron, bien que, le succès aidant, il n'apparaissait plus très souvent, et encore moins pour faire la fermeture et ramasser les derniers soiffards !

Mais ce soir là, Yann n'avait pas prévu de se coucher tard. Il voulait juste l'indice. Celui dont pas mal de gens parlaient, celui qui pourrait lui permettre de prendre quelques vacances bien méritées, ou de passer plus de temps ici même et dans d'autres lieux qu'il affectionnait la nuit tombée. Il se savait en retard dans la chasse au trésor. En effet, il n'avait eu vent de cette histoire que par l'un de ses collègues qui lui avait dit que des indices se cachaient dans l'Entre-Midi. Par chance, l'une de ses tribulations nocturnes le mena dans un bar où un exemplaire était en libre service. Il y découvrit, un article faisant presque explicitement référence à son cabaret préféré !

Ainsi il se dirigea d'un pas décidé à la rencontre du barman qu'il salua d'un clin d'oeil complice et il lui demanda sans détour (ou presque) l'indice : "Chef, serre moi le dernier cocktail à la mode, celui dont tout le monde parle à Paris !" Son grand sourire devait finir de l'amadouer, pensait-il !

M. *** assista, assez intrigué, à la dispute entre nos deux arrivistes ... Pour peu, il y serait allé de son p'tit commentaire, avec les pilliers de bar ! Mais l'arrivée d'un jeune homme plus familier retint toute son attention, et c'est avec emphase que M. *** souligna cette nouvelle entrée : - Jarnicottonbleu ! Si c'est pas notre noble hère breton au manteau d'hermine et aux pieds ailés ! Peu inspiré, mais allez flatter des paysans, vous ... M. *** répondit à la commande avec un zèle exemplaire. C'est qu'il aimait bien qu'on l'appelle "chef", le bonhomme ... - Et un Whisky stone fence pour notre buveur de cidre ! Et il glissa au nouveau visiteur, l'air complice :

- Tu viens pas pour la chasse, toi, au moins ?

Que voulez-vous répondre à ça... ?

"Ah ah ah, sacré Henri ! Toujours le mot pour rire ! Figure toi que l'air breton, est bien plus respirable que l'air parisien !"

Visiblement, Henri, le barman, n'avait pas compris son allusion à la chasse au trésor, puisqu'il lui servait un véritable cocktail ! Mais ce cocktail avait l'air tellement bon que Yann oublia l'état de sa bourse et but une gorgée du doux breuvage.

"Dieu qu'c'est bon ! Y a comme un p'tit goût d'ma Bretagne là d'dans !"

La chasse, bien sûr qu'il venait pour ça... mais maintenant qu'Henri le lui demandait, l'air de dire "tu viens pas m'emmerder avec la chasse par hasard ?", il ne savait pas s'il devait lui avouer plus explicitement le but de sa visite.

A ce moment là, une femme passablement énervée sortit du bar en claquant la porte. Il en profita pour détourner la conversation. "Dis donc Henri, c'est comme ça que tu tiens ton coupe-gorge ?" Mais dès qu'il eut prononcé ces mots, il fût assailli d'un affreux doute : avait-il parlé trop fort ? La femme ne s'était-elle pas disputée avec quelqu'un encore présent ?

Il enchaîna donc rapidement pour faire de nouveau diversion ! "Tu sais Henri, tout le monde n'est pas Crésus, et moi, 5000F, ca m'permettrait de venir te voir tous les soirs ! Ce serait pas formidable ?!" Sur ces mots il leva son verre et en but cette fois une bonne lampée !
"Comment tu dis qu'ça s'appelle ça ? Whisky stone fence ? Drôle de nom ! Pourvu que j'm'en rappelle !"
Le cocktail commençait à faire son effet…

M. *** mit quelques précieuses secondes avant de saisir la plaisanterie de son nouveau client - l'éclat du départ de la princesse masquée et de son galant goujat avait un peu trop retenu son attention. Finalement, il s'esclaffa un peu trop démonstrativement. - C'plutôt toi qu'a toujours le mot pour rire, va ! J'ai pas l'talent d'M'sieur Salis pour faire rigoler les visiteurs. Et c'était vrai, hélas, mais il fallait dire que M. Henri débutait dans le métier ... Cependant, son air sombre le quitta bien vite, car Yann eut le mot qu'il fallait. M. Henri applaudit même, assez théâtralement, la réponse du jeune homme. - Ca c'est d'la résolution ! Tant qu'ça t'donne pas des envies d'bourgeois, hein ! Les grands restaurants, c'est assez ennuyeux, ça vaut pas les cocktails et les sandwiches qu'on vous prépare avec amour. Et, embrassant le café d'un geste, il ajouta :

- J'ai pas l'droit d't'aider, quand bien même j'voudrais bien. Les indices sont là que'que part, te reste plus qu'à chercher. Et moi, pendant c'temps-là, j'tiens le coupe-gorge, comme tu dis.

Au piano, un drôle de bonhomme s'était installé et égrenait quelques notes...

« T’inquiètes pas mon Henri, j’ai pas d’goûts d’luxe pour la boustifaille ! Pis tant qu’on est bien accueilli ici, j’partirais pas ! »

Il marqua une pause pour finir son verre

« Allez à plus tard chef ! Le devoir m'appelle ! »

Le rire d’Henri et son cocktail mirent Yann d’excellente humeur. Il se décida à aller fouiller tous les recoins de son bar chéri. Bien qu’un œil averti ait pu trouver le Chat Noir un peu trop clinquant voire de mauvais goût, Yann en était toujours aussi émerveillé. Ces dorures, ces velours rougeoyants, ces tableaux, ces crucifix et ces icônes, Yann ne s’en laissait pas et les redécouvrait ainsi de plus prêt !

Passant minutieusement entre chaque table et offrant quelques bons mots pour leurs occupants, il découvrit encore quelques éléments du décor qu’il ne connaissait pas. S’accroupissant même de temps en temps, prétextant un objet perdu, il vit le beau carrelage, ses détails, ses petites fissures…

Il se dirigea ensuite vers le piano. Il n’avait pas remarqué le pianiste et son jeu lors de son arrivée ni au moment où il commençait ses recherches, mais là, la proximité aidant, il s’arrêta un instant pour écouter. Yann n’avait pas souvent l’occasion d’écouter de la musique. C’était d’ailleurs uniquement ici même, au Chat Noir, que cela arrivait. Plus habitué aux chansonniers, à leurs airs gais et leurs paroles drôles, Yann fût happé par la mélancolie du morceau joué par le pianiste et perdit d’un coup toute sa volubilité. Debout, à coté du piano, il attendit la fin du mouvement, se délectant des notes, des harmonies, des nuances que les doigts du pianiste lui transmettaient. Lorsque le piano se tût, il s’approcha doucement et voulu remercier le pianiste pour ce moment de grâce mais il n’osa lui parler, ne sachant quels mots employer, lui qui était plus à l’aise dans la plaisanterie que dans les conversations sérieuses. Yann voulu reculer et se retourner pour continuer ses minutieuses recherches mais, dans ce mouvement, il poussa une chaise qui grinça et heurta finalement une table, dans un bruit sec de claquement. Yann trébucha et tomba presque à la renverse ! Heureux d’avoir causé ce brouhaha entre 2 morceaux, il n’en fût pas moins gêné car le cabaret était d’autant plus silencieux !

Spoiler: