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 Au bonheur des dames [Libre]

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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
Eugénie Landreau

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MessageSujet: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyJeu 19 Avr - 9:57

    C'était si beau qu'Eugénie en aurait pleuré. Elle, la vagabonde devenue domestique dans une école, voilà qu'elle se trouvait dans un des grands magasins de Paris ! Bouche bée, elle regardait les lampes ouvragées avec leurs lueurs éclatantes, les tissus qui semblaient dégringoler depuis les balcons, sur les murs, un océan de richesse, de couleurs. Heureusement que le concierge avait noté scrupuleusement les denrées à acheter, sans quoi Eugénie aurait voulu tout prendre. Elle n'avait guère d'argent sur elle, mais c'était bien plus que tout ce qu'elle avait pu tenir dans ses poches sur ces dernières années. La femme vérifiait même plusieurs fois que l'argent était là, bien calé au fond de la poche de sa nouvelle robe. Robe grossière de domestique mais si belle à ses yeux, avec son odeur de propre. Et que dire de la chaleur de la chambre de bonne, de l'épaisseur des murs. Eugénie était une Cendrillon vivant heureuse dans son palais. Alors, évidemment, elle voulait pas décevoir le concierge – homme un peu rustre mais qui avait sourit devant les efforts d'Eugénie – et surtout le prêtre Carpentier qui l'avait sorti de la misère.

    — Puis-je aider madame ?

    Ça la surprenait encore Eugénie qu'on lui donne du « madame », elle qui avait été La Fêlée, Ninie. Y en a qui l'appelaient encore ainsi dans la rue, et ça fleurait la nostalgie. Quand elle avait des pièces en plus sur son salaire, elle en donnait à ses anciens compagnons d'infortunes. Elle oubliait pas que tous n'avaient pas eu sa chance.

    Toute docile, Eugénie salua l'employée qui était venue vers elle. Jolie fille que la tenue du magasin rendait encore plus belle, elle semblait venir d'un autre monde.

    — Il me faudrait du fil, assez solide pour repriser des tenues d'écoliers. (Les garçons ruinaient l'école avec leurs fonds de culottes toujours troués, sans compter la boue et dieu sait encore ce qu'ils faisaient avec !) Des aiguilles, des boutons...

    L'employée, sourire aux lèvres comme l'exigeait l'emploi, mena Eugénie dans les rayons parmi les femmes qui s'écriaient devant la splendeur d'un tissu, la perfection d'un gant, le charme d'un chapeau. Pendant que les hommes œuvraient pour ramener l'argent à la chaumière, les épouses allaient renchérir sur les derniers colifichets et nul doute qu'elles repartiraient les bras pleins et la mine réjouie. Eugénie tâchait de suivre parmi cette masse mais une cohue, agrémentée d'un cri « Un nouvel arrivage mes chères ! », poussa Eugénie loin de l'employée, la noya au sein de femmes parfumées, couvertes de rubans. Voilà que la Noiraude se faisait engloutir par des bourgeoises qui voulaient se ruer les premières sur un nouveau produit, tout juste mis en rayon. Ah le charme des soldes avant l'heure !
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Emeline Le Roux
La fille du capitaine
Emeline Le Roux

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMar 24 Avr - 10:39

    Dans la pénombre d’un boudoir, Emeline était assise auprès de la fenêtre, perdue dans ses songes.

    – M’dame?
    – Oui Clara, qu’est-ce qu’il y a?
    – Euh... c’est que..., dit-elle hésitante.

    Emeline se leva alors et s’approcha de sa domestique d’un pas si léger qu’on aurait cru qu’elle ne touchait pas au sol. Elle lui sourit avant de prendre ses mains dans les siennes.

    – Allez, dites-moi...
    – J’ai pu de tissus pour ramancher vo’tenues comme vous l’avez demandé. J’vais aller en chercher d’autres au magasin.
    – Ah... Non, laissez. Je vais m’en charger. Il est plus que temps que je rafraichisse ma garde-robe, dit-elle en soulevant les pans de sa robe. Je suis curieuse de voir les nouveaux arrivages.
    – Ça c’est une ben bonne idée m’dame. Pis ça va vous faire voir du monde en plus! Vous d’vez vraiment vous ennuyer toute seule ici, non?
    – Ah chère Clara, j’apprécie votre clairvoyance... , dit-elle, un sourire mesquin sur les lèvres.

    Sur ces mots, elle alla revêtir sa capeline de vison, ses gants puis un chapeau muni d’une voilette – c’était encore frisquet dehors – avant de passer le pas de la porte. Évidement, l’ensemble était plutôt sombre, voir sinistre, comme il ce doit.

    Emeline marchait prestement et bien vite, la façade du magasin se dressa devant elle. Elle ne se souvenait pas la dernière fois qu’elle y avait mis les pieds. Hésitante, elle regarda derrière elle, puis, presque à contrecœur, ouvrit la porte qui la séparait de cette mondanité effervescente. D’ailleurs, le brouhaha se fit si intense pour son ouï qu’elle en plissait les yeux de douleur. Une fois le choc passé, elle releva la tête, souleva sa voilette et balaya la pièce d’un regard inquiet. L'ambiance était étouffante. Il y avait là plus de tissus qu’il n’en faudrait pour revêtir toute la population indigente de Paris – 2 fois. Elle soupira. Non loin, quelques bourgeoises bien nanties jacassaient comme des pies autour d’un chapeau pour le moins excentrique. À sa gauche, deux femmes bien portantes se disputaient quant à elles quelques mètres de ce tissu exotique, toujours en quantité limitée, bien entendu. Elle fut soulagée que toutes ses femmes fussent trop absorbées par leurs captivantes discussions pour remarquer son arrivée, elle dont la toilette faisait tache d’encre dans ce décor si coloré.

    Elle se dirigea vers l’allée la moins surpeuplée quand une voix stridente s’écria : « Un nouvel arrivage mes chères! ». Prise d’assaut par un troupeau hystérique, Emeline fut projetée contre les étalages, accrochant au passage une dame qui se trouvait là. Alors que sa chute fut amortie par des mètres de tissus moelleux, la dame qu’elle bouscula se retrouva au sol. Confuse, Emeline se précipita vers elle pour l’aider à se relever.

    « Oh, madame! Est-ce que vous allez bien? »

    Elle s’était accroupie à ses côtés et la regardait, l’air inquiet. Elle remarqua les blessures cicatrisées sur sa peau et dans son énervement, elle crut en être la cause.

    « Je ne voulais pas, oh, je suis tellement désolée...! »




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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
Eugénie Landreau

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyJeu 26 Avr - 10:35

    Toute cette ferveur, c'était à croire que toutes ces femmes s'étaient acoquinées du tissu tout juste mis en rayon comme d'un amant. Les cris poussés ressemblaient, au iota près, à ceux d'une amante qui recevait son aimé dans un creux d’alcôve et en subissait les embrassades passionnées.

    Eugénie finissait par croire qu'elle allait finir étouffée, quand le corps d'une femme la bouscula, l'éloignant du flot. Perdant son équilibre, la pauvre femme tomba lourdement sur les fesses. La scène était des plus funambulesque ! Eugénie, assise à même le sol, ses jupes ayant récolté la poussière amenée par de multiples souliers sur le parquet, des mèches folles sorties de ses cheveux noués. Il y avait quelque souvenir de la Fêlée dans cette posture.

    « Oh, madame! Est-ce que vous allez bien? »

    La voix tira Eugénie du choc où l'avait plongé la chute. Pourtant elle en avait connu bien des pires - l'attentat au café pour ne citer que lui. Abrutie encore, la femme hocha la tête face à cette dame d'haute parure qui venait s'enquérir de son état. L'état d'une domestique ! Cette dame devait être bien bonne. Ses pairs l'auraient dédaigné, ou sommé de sortir de leur auguste chemin. Les excuses de la dame finirent par donner à Eugénie l'énergie de répliquer.

    — C'est rien m'dame, z'êtes pas cause d'ces cabochons. Vous devriez pas vous z'agenouillez, c'est pas très propre.

    D'ailleurs Eugénie se leva, faisant fi de la douleur dans son fessier, voulant pas que la dame reste là à attraper la poussière. La foule s'était calmée, les femmes se languissant auprès des étals, se frottant presque aux tissus. Quel décadence ! Mais Eugénie aurait sûrement fait pareil. Quoi de mieux que de caresser de la soie, en sentir le contact, quand vous avez connu que la dure laine ?

    — Suis désolé de profiter de vous, mais... z'auriez où ils rangent les boutons ? J'devais y être menée mais je crois que l'employée s'est perdue.

    Nulle trace de la guide d'Eugénie, comme volatilisée dans les airs. Les autres étaient bien trop occupées derrière leurs comptoirs à répondre aux demandes, ranger les articles. Il y avait même un calendrier qui, à moitié suspendu, se balançait derrière une pyramide de rubans.

    Citation :
    Cabochon (Rossignol, 1901): Coup ou blessure.


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Emeline Le Roux
La fille du capitaine
Emeline Le Roux

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyVen 1 Juin - 7:39

Joues rougissantes, Emeline arrêta son regard penaud sur la tenue empoussiérée de la dame et ses cheveux en bataille. Clairement, de simples excuses ne seraient pas suffisantes, et ce même si la malheureuse ne lui fit aucun reproche. Madame Le Roux tenait sincèrement à réparer le tort qu’elle lui avait causé – peut importe ce que cette dame en pensait. Elle poussa tout de même un soupir de soulagement quand elle lui apprit que ses blessures étaient présentes bien avant leur malencontreuse collision. Malgré tout, elles étaient pour le moins inquiétantes… sauf qu’elle aurait été très mal venue de l’interroger sur leur origine.

Cette dame, un peu plus âgée qu’elle, semblait provenir d’un milieu pour le moins modeste : elle était sans doute simple domestique. Pourtant, cela n’empêcha pas Emeline de lui tendre la main sans hésitation pour l’aider à se lever – mais si cela s’avéra parfaitement inutile. Si elle s’inquiétait de l’état de la mise de cette inconnue, l’état de la sienne, souillée elle aussi par le sol poussiéreux, ne la préoccupait pas le moins du monde.

Tout ce brouhaha lui fit presque oublier la raison pour laquelle elle était venue ici. Madame Le Roux, qui ne portait plus le corset aussi ajusté qu’elle l’aurait dû, avait de plus en plus de difficulté à revêtir ses anciennes tenues. Il n’y avait plus de doute, elle avait pris du poids, tellement que de simples ajustements ne suffisaient plus : il lui fallait de nouvelles robes. La situation n’était pas trop embêtante puisque de toute façon, depuis l’attentat de l’Opéra, elle ne sortait pratiquement plus, délaissant ses activités mondaines. On ne pouvait donc pas avoir remarqué… mais à vrai dire, elle appréhendait beaucoup que de fourbes clabauderies soient impétueusement propagées. Elle ne savait pas ce qui lui arrivait. Elle ne comprenait pas… même si bien honnêtement, elle soupçonnait bien quelque chose. Elle préférait croire qu’il ne s’agissait pas de cela. Mais de quoi d’autre aurait-il bien pu s’agir! Emeline, dont les nausées se faisaient de plus en plus fréquentes, ne se nourrissait plus que de bouillon – et encore. Elle n’aurait pas dû prendre autant de poids! C’était impossible!

— Suis désolé de profiter de vous, mais... z'auriez où ils rangent les boutons ? J'devais y être menée mais je crois que l'employée s'est perdue.

Elle sortit enfin de sa torpeur et lui répondit prestement :

« Profitez de moi! Mais que dites-vous là? C’est moi qui suis en tort. Vous pouvez me demander ce que vous voulez… Et je vous dois une robe d’ailleurs. Ceci est non négociable », dit-elle en pointant la jupe qui, ayant encaissé tout le choc, n’en était pas sortie indemne.

Elle lui sourit et sans lui permettre de répliquer elle rajouta :

« Par contre, je dois vous avouer que cela fait une éternité que je n’ai point mis les pieds ici… mais nous pouvons partir à la recherche de ces boutons ensemble si vous voulez. Ça me permettra de faire un tour de l’inventaire… Mais je vous préviens, je ne sors pas d’ici tant que vous ne vous êtes pas choisi une nouvelle tenue. C’est le moins que je puisse faire. Je vous prie d’accepter cette maigre consolation pour tout le mal que je vous ai causé. »
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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptySam 2 Juin - 10:09

    Fi de calembredaines ! Eugénie n'eut pas le temps de prononcer un mot que la dame lui proposait - non la forçait à accepter d'avoir une nouvelle robe. La surprise fit ouvrir la bouche à Eugénie en un "O" parfait, qu'elle tâcha de rapidement cacher derrière sa main. Après un travail tombé du ciel, voilà qu'elle allait avoir une robe ! La chance avait décidément tourner en sa faveur depuis quelques temps.

    — Je... J'vous remercie beaucoup m'dame. Vraiment je sais pas comment vous remercier. Dès que nous aurons trouvé mes boutons, je vous aiderais dans vos recherches. C'le moins qu'je puisse faire.

    Et les voilà, deux inconnues marchant de concert pour trouver des boutons au sein de cet immense magasin. Après plusieurs rayons traversés et autant d'escaliers montés et descendus au sein d'une foule toujours nombreuses, les boutons s'offrirent à leurs regards, étincelants sous les éclairages d'une telle lueur qu'ils étaient devenus adamantins. L'achat fut rapide, Eugénie trouvant rapidement les boutons correspondant à ses recherches que le vendeur lui tendit dans une petite pochette.

    — Bien. Je vais vous aider, z'avez besoin de nouvelles robes ? Parce que le petit, l'a l'air de vouloir faire sa place.

    Pour accentuer son propos, Eugénie avait tendu sa main vers le ventre légèrement rebondi d'Emeline qui tendait le tissu. Ce n'était pas encore une rondeur de plusieurs mois, mais Eugénie le sentait. Instinct de femme peut-être.

    — 'Fin désolé, je m'occupe de c'qui me regarde pas. Au fait, moi c'est Eugénie. C'sera plus simple de me causer si vous savez mon nom.

    Libre à la dame de donner le sien. Eugénie était gênée d'avoir parler d'enfant, elle qui n'avait jamais réussi à en avoir. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé, mais jamais la graine n'avait germée.

    Alentour, la foule ne désemplissait pas. Il allait falloir encore marcher en crabe pour espérer atteindre les autres rayons.
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Emeline Le Roux
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyJeu 14 Juin - 6:19

    D’un air satisfait, Emeline accompagna la charmante inconnue dans les dédales du magasin à la recherche des fameux boutons. La chose fut plus ardue qu’il n’y paraissait. À force de monter et descendre les escaliers, d’arpenter les allées en esquivant au passage quelques dames replètes, sa respiration et son pouls s’accéléra. Finalement, au bout d’une rangée, dans un étalage ordonné, se trouvaient les boutons miroitant comme des diamants sous les lampes. Les mains sur les hanches, Emeline tâchait de reprendre son souffle tandis que la dame farfouillait pour mettre la main sur ses boutons et compléter ses achats avec le commerçant.

    Elle avait encore le souffle court quand la dame se retourna vers elle en tendant la main vers son ventre. S’étouffant presque, elle porta une main à sa bouche et l’autre sur son ventre, comme pour le soustraire aux regards indiscrets.

    « Mais quelle idée falote! »

    Elle ne put retenir un rire nerveux, presque disgracieux. Son visage anadyomènes prit rapidement la couleur du cinabre, si bien qu’elle détourna le regard et s’attarda à une pile d’étoffes de piètre qualité qui se trouvait à ses côtés, faisant mine de les examiner très attentivement. Pourtant, ses mains tremblaient et ça se voyait. Ça n’allait pas du tout. Elle écoutait ce qu’Eugénie lui disait, mais elle ne réagissait plus. C’est à ce moment qu’une odeur nidoreuse – parvenant dont ne sait où – monta à ses narines, lui donnant la nausée. Elle chercha des yeux un endroit où s’assoir et trouva un petit tabouret qui traînait dans un coin, à l’écart. Précautionneuse, elle s’y assit, la tête basse.

    « Je… je… Vous… vous croyez vraiment que… c’est ce qui m’arrive? », dit-elle d’une petite voix chevrotante.

    La détresse et la peur transcendaient tout son être recourbé dont les épaules tressaillaient. Elle avait l’air d’une enfant terrorisée par les monstres qui se cachaient sous son lit. Elle releva enfin la tête vers Eugénie, les yeux larmoyants.
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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMer 20 Juin - 9:59

    Eugénie ne s'était pas attendue à ce que sa remarque fasse un tel effet sur la dame. Une futur naissance devait amener le bonheur, être vécue comme un nouveau miracle divin, et non causer les larmes. Peut-être la future mère était-elle sujette à une attaque nerveuse. Les femmes enceintes étaient connues pour avoir des sautes d'humeur, les nerfs à fleur de peau.

    « Je… je… Vous… vous croyez vraiment que… c’est ce qui m’arrive ? »

    Que devait-elle dire ? Si seulement elle avait tenu sa langue, la pauvre femme ne se serait pas mise dans un tel état. La chaleur étouffante du magasin, la promiscuité de la foule, ne devaient pas l'aider à se remettre d'aplomb.

    — J'en sais trop rien. Faudrait voir un médecin. Lui y saura.

    Toujours se reposer sur les hommes de science pour ce genre de questions. En Normandie, dans son village, Eugénie aurait mené la femme à une de ces matrones qui avait porté une douzaine de marmots dans le tiroir, et en avait sorti le triple du corps de leurs compagnes. Mais n'en connaissant aucune dans Paris, elle ne pouvait pas le faire.

    L'état d'Emeline avait néanmoins attiré l'attention d'un employé qui avait amené un chiffon humide, qu'Eugénie tapota sur le front et les joues d'Emeline. Il ne manquerait plus qu'elle tombe dans les pommes.

    — Madame devrait prendre l'air, suggéra l'employé.

    Eugénie hocha la tête, assura qu'elle allait pouvoir se débrouiller. Prenant Emeline sous le bras, elle poussa cette dernière à se lever, et à se diriger vers une des innombrables portes du magasin. L'air frais des rues de Paris fouetta les jupes des dames, ainsi que leurs visages couverts de sueur - c'est qu'il faisait une chaleur à l'intérieur, un vrai four !

    — Vous voulez marcher un peu ? ça vous ferait du bien.
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Emeline Le Roux
La fille du capitaine
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyLun 25 Juin - 8:33

Son cœur battait toujours la chamade quand une employée eut enfin la présence d’esprit de lui porter secours, elle qui était – faut-il le préciser – dans un état lamentable. Un linge humide pour la ramener à la raison, cela ne pouvait lui faire que du bien. Eugénie, loin de se laisser impressionner par les tourments d’Emeline, prit la situation en charge avec tact et discernement. Décidément, Emeline n’aurait pu tomber sur une personne plus à même de la ramener sur terre.

L’idée de sortir enfin au grand air la fit se redresser sur son tabouret. Voilà qui était une excellente idée. En effet, vêtu de cette longue robe noire qui lui couvrait tout le corps et ce corset, par définition toujours trop ajusté, Emeline suffoquait. Elle se laissa prendre par Eugénie qui la guida vers la sortie du magasin, la supportant du mieux qu’elle le pouvait. Le vent frais qui s’engouffra sous sa jupe la fit frissonner. C’était un vrai soulagement. Comme si cela n’était pas suffisant, elle se rafraichit à l’aide de son éventail qu’elle trainait toujours avec elle. Ses idées semblaient plus claires à présent. Elle se tourna vers Eugénie, cette dame secourable et dévouée, et lui prit la main.

« Oh, madame... euh, Eugénie... je vous remercie pour nous avoir fait sortir de cette véritable fournaise où, vous l’aurez remarqué, j’étouffais littéralement. D’ailleurs, la chaleur a, semble-t-il, grandement affecté ma pensée et je vous offre mes excuses pour mon comportement pour le moins... inusité. »

Sans répondre à sa question, elle leva son bras devant elle pour lui indiquer la direction à suivre.

« Je dois vous confier quelque chose. Je suis fort mécontente à vrai dire. Je n’ai pu vous offrir cette robe que je vous dois. Compte tenu de la gentillesse dont vous avez fait preuve, n’ayez crainte que cette dette sera honorée dans les plus brefs délais. »

Son expression était figée, le regard vide. Elle cherchait le mot juste, en vain; il valait mieux se taire dans ce cas. Alors qu’elle repassait en boucle les événements qui venaient tout juste de se dérouler, Emeline s’arrêta brusquement avant de reprendre sa marche nonchalamment.

« Avez-vous des enfants, Eugénie? »

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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyDim 1 Juil - 10:48

    La dame se portait mieux, c'était là le plus important. Mais elle ne démordait pas de l'idée de lui offrir une robe, et cette volonté intransigeante faisait sourire Eugénie. C'était adorable, presque enfantin. Là encore la chance lui avait souri - elle n'était pas tombée sur une dame prétentieuse mais une personne des plus généreuses. Son mari devait se plaindre des dépenses de son épouse.

    Elles reprenaient ainsi le chemin des grands magasins quand Emeline pilla net, faisant claquer ses talons sur les pavés.

    « Avez-vous des enfants, Eugénie? »

    C'était le couteau à ne pas enfoncer dans le coeur de la Noiraude, mais qu'en savait cette grande dame ? Eugénie porta pourtant la main à son coeur, comme si une lame venait de s'y planter. Elle en sentait presque la douleur. Sa main glissa sur son ventre - vide de toute vie.

    — Non m'dame, ça a jamais pris... 'Fin j'veux dire, jamais eu de p'tits.

    Pudique Eugénie avait baissé les yeux. Ne pas avoir d'enfants demeurait sa grande honte - une femme devait enfanter, engendrer la vie, poursuivre la descendance. Avec un enfant elle aurait pu passer le cap de la mort de son époux, elle aurait un peu de lui à travers les yeux du fils ou le visage de la fille. Mais il ne lui avait rien laissé, rien qu'un grand vide.

    — Désolé j'aime pas trop en parler. Si nous allions voir c'te robe ? Puis si ça vous dérange pas m'dame, j'pourrais connaitre vot'nom. Que si j'vous perds dans l'magasin, j'puisse vous appeler.

    Tentative malhabile de changer de conversation, mais au moins cela aurait le mérite de ne plus parler d'enfants pendant quelques temps. Puis la dame ne semblait pas être du genre à s'offusquer à la simple idée d'entendre son nom prononcé par une fille du peuple.
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Clarisse de Miomandre
Maîtresse d'esthète
Clarisse de Miomandre

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMer 30 Jan - 13:03

Si la perte d’un amant avait obligé certaines demi-mondaines à moins dépenser pour préserver le portefeuille, Clarisse de Miomandre, elle, demeurait égale à elle-même et s’en était allée aux grands magasins. Petite bourse en main, chapeau bien placé et vêtements toujours décalés par rapport aux épouses respectables –mais subtilement-, la femme avait quitté son luxueux appartement avec la ferme intention de revenir avec quelques morceaux de tissus en plus !

« Perte » était un très grand mot, l’homme entretenant la dépravée n’était pas mort, comme on pouvait l’entendre. Ils s’étaient plutôt séparés dans une froide entente. C’est que Monsieur n’avait pas trop apprécié ces élans démonstratifs avec l’éditeur Spéret. Clarisse avait, avec peut-être un peu trop de flegme, tenté de démentir les ragots, mais l’amant n’avait pas su digérer. Bon, ce n’était pas trop grave, la femme était pleine de ressources et surtout, encore pleine d’argent.

Alors qu’elle marchait d’un pas digne vers les grands magasins, elle aperçut au loin deux femmes, dont l’une semblait toute pleine de malaise, l’autre plus pauvre. La maladive fut rejointe par une consœur et emportée un peu plus loin, sans doute retournait-elle chez elle pour reprendre des forces. Observant la scène, Clarisse se rapprochait, calme, de l’entrée.


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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyVen 1 Fév - 8:33

    Oubliés robe et rêve de porter une belle parure ! Madame Le Roux se remettait avec peine de ses vertiges qu'une amie, la reconnaissant, vint vers elle pour demander des nouvelles. La voyant dans un tel état, la sage amie décida que Madame Le Roux se devait de rentrer chez elle prendre le lit. Eugénie se joignit à l'inconnue pour faire taire les supplications d'Emeline : du repos, du repos et encore du repos ! La promesse de la robe fut répétée, un papier avec l'adresse du foyer Le Roux laissé à Eugénie avant que, bras dessus bras dessous, les deux femmes ne repartent vers le logis.

    — Ma foi, quelle aventure. C'est que ces magasins, c'est un vrai enfer !

    Se rendant compte qu'elle avait parlé tout haut - qui plus est devant une nouvelle inconnue - Eugénie remballa papier et paroles. Elle n'avait plus rien à faire au magasin, toutes ces courses étaient terminées. Vérifiant ses poches, le constat fut alarmant. Il lui manquait un bien ! Sûrement perdu dans la cohue ! C'est qu'on avançait dans ce magasin à la va comme je te pousse, et que vogue la galère !

    — Mon sachet d'aiguilles et de fils ! J'avais amené l'prix tout juste, y me reste pas assez pour les racheter ! Ou alors un 'tit voleur m'a plumé ! Oh non !

    Sentant le regard insistant de la femme sur elle, Eugénie se retourna. Toute rouge et tremblante de colère, elle serrait les poings. Partagée entre la honte d'avoir manqué à son devoir et la colère d'avoir perdu son bien, Eugénie tournait toute sa fureur envers les gens, envers le monde. Elle aidait une dame et voilà comment on la récompensait !

    — Qu'est-ce qu'voulez ? Hm ? Z'avez pas meilleur spectacle à voir ?

    Elle n'y était pour rien la dame, mais voilà Ninie était colère. Et quand Ninie était fâchée, c'était pas beau à voir !
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Clarisse de Miomandre
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMer 10 Avr - 1:54

Clarisse, sur la route des Grands Magasins, refit le tour de ce qu’elle désirait acheter, prenant soin d’exclure toutes les folies dispensables… Ah ! Pas si dispensables que ça, la demi-mondaine avait le besoin insatiable de dépenser l’argent de son amant, en nouvelle robe ainsi qu’en bijoux ! Quand on a commencé sa vie comme petite filles vêtue de guenilles, on développe rapidement le gout du luxe et l’habitude des belles choses.

La femme fronça les sourcils devant l’inconnue noiraude toute désespérée d’avoir perdu son fil et tout. Elle se retint de sourire pour montrer un certain amusement : Intérieurement, elle se sentait soulager de ne plus avoir ce genre de soucis. La petite prit même des couleurs, plus qu’en colère contre cette horrible perte. Clarisse, dans toute sa supériorité et sa désagréable personne, répondit, plutôt neutre :

« Non, non. Il y a pas meilleur spectacle à voir. »

Méchante et cruelle demi-mondaine. Des années et des années de haine concentrées envers les autres filles inférieures qui faisait surface. Mais cette femme-là, qu’est-ce qu’elle n’avait pas l’air de celles qui fréquentaient les pervers de la haute ! Et elle lui rappelait un peu sa sœur, sa mère, celles qui ne vivaient pas dans l’excès et l’abus. Clarisse soupira, passa une main sur sa tempe et ajouta :

« Y vous manque quoi ? »
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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMar 16 Avr - 10:21

    Oh quelle horrible femme ! Eugénie venait là de tomber de Charybde en Scylla. Quittant une femme compatissante et aimable, elle tombait sur une prétentieuse qui la surplombait de toute sa hauteur. Eugénie n'était nullement violente, ni vulgaire, mais une telle attitude avait de quoi vous changer, et transformer un agneau en molosse.

    « Y vous manque quoi ? »

    Curiosité malsaine, envie de rabaisser la petite servante qu'elle était ? Eugénie ne savait pas, mais sa langue fut plus rapide que sa pensée.

    — Du fil et des aiguilles, pour recoudre des vêtements d'écoliers.

    Ce qui supposait du fil et des aiguilles solides, au détriment de toute autre qualité. Oh, l'inconnue devait rire. Avec ses airs de grande dame, elle ne devait pas connaitre la nécessité de repriser ses vêtements. Elle devait mener le tout à une couturière qui s'en occupait à sa place. Imaginer Clarisse essayer d'utiliser une aiguille en se piquant le doigt fit sourire Eugénie. Que Dieu lui pardonne sa malice !

    — Mais en quoi cela vous importe ? vous pensez me les acheter peut-être ?

    Si c'était le cas, la chance lui souriait encore une fois.

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Clarisse de Miomandre
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyLun 29 Avr - 13:21

Seigneur ! Des vêtements d’écoliers ! La petites noiraudes était-elle cousettes ou travaillait-elle dans une école ? Clarisse ne pouvait le dire, mais la simple idée de devoir côtoyer ou mesurer des petits démons agités la refroidissait. Brr, qu’est-ce qu’elle détestait les enfants. Elle était bien heureuse de ne pas en avoir, d’ailleurs ! Le souvenir d’une autre fille, dans sa jeunesse, qui avait du utiliser les grands et dangereux moyens lui revint à l’esprit. Bien sûr, elle avait réussi à avorter ! Mais ce fut bien la dernière chose qu’elle fit.

« Cela ne m’importe pas le moins du monde… »

Elle prit une inspiration et leva les yeux au ciel. Clarisse aussi avait déjà eu des problèmes d’argents –assez souvent même- et ça ne lui ferait pas de tord d’aider son prochain de temps à autre. L’heureuse chanceuse se trouvait juste devant ses yeux.

« …Montrez-moi ça, je vais voir ce que je peux faire. »

La demi-mondaine s’avança et obliqua vers les portes. Malgré son offre plutôt douteuse, elle demeurait hautaine. Elle avait une image à préserver, oh !
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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMar 30 Avr - 3:44

    Cette femme semblait vivre comme dans une pièce de théâtre. Ses gestes semblaient tous exagérés, calculés. Pas le genre de femmes à qui Eugénie donnerait sa confiance, tout en elle sonnait bien trop faux. Ce visage n'était qu'un masque, et que se cachait-il derrière ? Eugénie ne préférait pas savoir.

    Contre toute attente, cette femme voulait l'aider. Eugénie la suivit sans trop y croire, se demandant ce que cette charité cachait là. Sans nul doute, la femme voudrait une aide en échange, ce ne devait pas être là un acte gratuit. Eugénie s'en voulait de penser si mal, mais après tout, toutes les personnes qu'elles croisaient n'étaient pas toutes blanches. Au sein d'un troupeau, il y a toujours un mouton noir.

    La foule au sein du magasin était toujours aussi dense. Mais au passage de Clarisse, elle semblait se diviser telle la Mer Rouge devant Moïse. Eugénie se glissait dans le sillage, heureuse de ne pas être bousculée. Les deux femmes finirent par arriver au comptoir.

    — M'dame z'êtes pas obligée... J'veux dire, ça va vous faire des dépenses...

    Elle le pensait sincèrement l'Eugénie, soudaine reprise d'une envie de faire le bien, de ne point gêner. Mais si la dame insistait, elle ne dirait pas non. Elle devait avouer que cela l'arrangerait si quelqu'un lui achetait ce fil et ces boutons. Elle en avait bien besoin.

    Spoiler:
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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyVen 24 Mai - 1:37

La vie entière de Clarisse de Miomandre était remplie de masques. Un masque doux pour monsieur là, un masque sévère pour monsieur ici. Le nom qu’elle déclinait à qui voulait l’entendre n’était même pas le vrai. Sa vieille mère, bonne femme qui se complaisait par ses moyens financiers limités et n’osait à peine parler de sa demi-mondaine de fille persistait à l’appeler Claire et à croire naïvement qu’elle finirait par trouver un époux et se ranger. Hélas, dans ce monde, on n’épouse pas sa maitresse.

Clarisse suivit la jeune femme au travers les grands magasins. La demi-mondaine posa ses mains de précieuse sur le comptoir et regarda les étalages devant. Alors qu’elle observa, elle pensa que, si elle ne c’était pas faite pousser dans la rue étant plus jeune, elle serait là, aujourd’hui, à recoudre des bas de pantalons, dans la misère et la pauvreté. Une grimace se dessina sur son visage mais disparut rapidement lorsque la noiraude lui retira toutes obligations.

« Oui, j’sais. Aujourd’hui j’ai décidé d’être gentille avec quelqu’un et c’est tombé sur toi. »

Elle tourna sur elle-même, fort ennuyée par le contenu des étalages –ça ne brillait même pas !- et fit un signe de main n’importe comment pour dire à la jeune femme de reprendre ce dont elle avait besoin. Sortant sa bourse et quelques sous, Clarisse les lui glissa, marmonnant pour elle-même :

« Dire que ma sœur fait ça de ses journées… »

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptySam 25 Mai - 10:15

Eugénie laissa passer le tutoiement avec une petite grimace qui marquait assez combien ces familiarités impromptues ne lui plaisaient guère. Elle aurait accepté un tel comportement d'une personne plus âgée, mais sûrement pas d'une demoiselle. Enfin, mieux valait ne pas contrarier sa bienfaitrice. Eugénie commanda ses biens à la vendeuse qui fouilla dans ses tiroirs avant de les disposer sur le comptoir.

« Dire que ma sœur fait ça de ses journées… »

Eugénie avait intercepté la phrase sans le vouloir, en se penchant pour vérifier que les boutons étaient bien ceux qu'elle avait demandé. Laissant la femme payer, elle prit sa commande et attendit qu'elles se soient éloignées des clientes pour parler.

— Savez, c'est pas le plus beau métier du monde mais il est honnête. C'est-y pas l'principal ?

Enfin cette femme devait préférer vivre dans la soie, plutôt que s'abimer les mains. Eugénie aurait bien voulu connaitre cette soeur; avec elle, elle se serait probablement bien entendu.

— M'dame, j'dois vous remercier. Si je peux faire que'quechose...

Voilà une proposition à éviter, parfois.

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MessageSujet: Re: Au bonheur des dames [Libre]   Au bonheur des dames [Libre] EmptyMer 19 Juin - 11:52

Il arrivait parfois que Clarisse oublie la plus naturelle des politesses : le vouvoiement.  Parfois, la phrase se disait mieux à la seconde personne et, sans réfléchir, la demi-mondaine la lançait comme elle lui venait à l’esprit, brute.  Clarisse paya sans broncher, peu soucieuse du prix que lui couterait quelques boutons et du fil.  Ce n’était pas comme si elle y avait mis le prix d’une garde-robe en soie ou d’une argenterie couteuse, après tout…  

Clarisse jeta un coup d’œil curieux à la bonne femme.  Un métier honnête ? Le principal ?  Elle parut presque surprise, sourcil levé.  Mademoiselle de Miomandre, demi-mondaine fortunée, ne s’imaginait pas avec un emploi honnête qui rapportait peu.  Après avoir gouté au luxe et être devenue capricieuse, il lui était inconcevable de passer ses journées à raccommoder des boutons pour petits garçons.  Dans la crainte de choquer l’ouvrière, Clarisse agita la main et répliqua :

« Oui, oui ! Bien sûr, vous avez raison ! »

Puis elle mima un sourire.  Finalement, elle haussa les épaules et, s’apprêtant à repartir. 

« Allez donc coudre tous ces boutons, plutôt ! »

Et se retint, très fort, d’échapper « Ce n’est pas comme si vous aviez de quoi me remercier… », histoire de ne pas fâcher la Ninie.  Sur ces mots, elle salua la bonne dame et s’éclipsa dans les grands magasins, les jolies robes l’attendaient ! 
 
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