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 [Intrigue] Soleil cou coupé

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Elke von Herzfänger
Un jour je serais, le meilleur dandy, je moustach'rai sans répit
Elke von Herzfänger

Messages : 358

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 26 Juil - 21:47

"Alors, comme ça, on a de l'ambition ?
On cherche à se créer une réputation ?
Pourtant, le milieu mondain ne vous intéresse pas.
C'est au grand Laforge que vous voulez emboîter le pas ?

Ne faites pas confiance aux Prussiens,
Ils nous le rendent bien !"


Elke n'eut pas le temps de ciller que l'énergumène était déjà loin, sautillant gaiment. Qui était-il ? Le garçon, intrigué, fronça les sourcils alors qu'il portait le café à ses lèvres.
« Laffe* ! » Jura t-il en français à l'adresse de l'incivil qui avait osé le faire payer pour ce jus de chaussette. Quitte à boire froid, il eût bien mieux préféré de l'orgeat ! Du reste - du juron -, il n'avait aucune espèce d'idée de ce qu'il pouvait signifier, mais il l'avait entendu lors d'une de ces excursions dans les sombres ruelles de Paris. Il était lui même assez convaincu de la consonance allemande du terme, persuadé de l'avoir déjà ouï en son pays, et souriait doucement à l'idée que les petites gens de France aient dans leur vocabulaire des termes de sa langue natale.

Sur la place, le temps passait inexorablement et pourtant, on ne s'affairait point. Il semblait à Ludwig en avoir entendu autrement ; l'on aurait dû installer l'ôte vie à lame aiguisée. Par ailleurs, la foule toute entière semblait impatiente, quoique d'aucuns conversaient allègrement et avec entrain. Trop harassé ce soir par ses sentiments et l'expérience désagréable des diverses déceptions de la journée, le garçon essayait de chasser ces mauvaises pensées en se laissant aller à écouter ces palabres bariolées. Ici, on se plaignait du retard - il y avait donc bien un problème -, là un jeune homme essoufflé présentait ses excuses ; Elke inclina le chef en sa direction, ce faciès lui paru familier, mais il n'arriva point à le retrouver l'endroit où il aurait pu l'avoir aperçu. Par contre, l'homme à qui il s'adressait n'était autre que Jules Spéret, qu'il avait rencontré il y a peu chez de Souzay. Toujours aussi excentrique, il arborait aujourd'hui un complet zinzolin qui, même dans la nuit, se démarquait de toute la populace tout de noir vêtue. Cela égaya un moment notre petit dandy qui, sans le savoir, se laissait pénétrer insidieusement du rayonnement de cet homme, fasciné sans vouloir l'admettre de ses audaces variées. Il continua néanmoins son chemin d'écoute. A quelques pas de lui, on parlait de choses étranges, de "paʀalipɔmεn - qu'était-ce que cela ? -, et des corrections que monsieur Renan avait apporté à cet égard, dans son ouvrage 6 ans plus tôt, n'est-ce pas !" "Tout à fait, tout à fait mon cher, quel débat passionnant que ce dénombrement !" - d'inutiles et vides vanités ! Voilà qu'une voix attira notre pauvre girouette. Il reconnu la femme mendiante qu'il avait aidé au d'Harcourt. Il ne l'avait point revu, il n'arrivait toujours pas à savoir si elle était domestique ou simplement errante mais, alors qu'il voulait l'approchait - car son discours semblait être celui d'une âme compatissante -, il s'aperçut qu'elle était accompagnée. Que de bien curieux personnages ici présents ce soir...

Cet attroupement n'était pas des plus agréables, songeait-il. Assez peu habitué aux marées de gens, Elke se sentait fort peu à son aise, c'était comme si cette vague d'homme et d'âme s'apprêtait à l'ensevelir dans de profondes eaux desquelles il ne saurait s'extirper. C'est ce moment que choisit un quidam pour le bousculer sans ménagement. Verdammt ! L'allemand serra vivement sa canne, comme un moyen de contenir son énervement, sa fatigue et son agitation. Il s'épousseta et remis correctement ses vêtements. Maudite foule, il était nettement plus habitué aux mondanités, tout ce bas peuple qui lui marchait sur les pieds l'exhortait à patience. Seul, reclus et ne voulant aucunement changer d'état, Elke sentait tout de même sur son échine un frisson pesant. Il se retourna enfin pour apercevoir le malotru qui lui donnait cette désagréable impression et tomba sur un grand dadais qui semblait fort peu aimable. L'homme était droit, le regard froid comme le marbre ; un œil d'acier, songea t-il, et qui ne semblait pas vouloir le quitter des yeux. Que lui voulait-il ?


________________________
Bien sûr, je poursuis mes obligations et vous propose en paralipomènes cette délicieuse définition.
*Laffe : en argot français, "soupe" (Virmaître, 1894).
Fun fact, le mot existe bel et bien en allemand, et veut dire "Dandy" : D
*très amusée de la coïncidence.* Le terme est péjoratif, néanmoins.

[HRP] C.A : afin d'outrageusement placer les mots, j'ai gagé que Jules, qui semble fort aimer le violet, s'était habillé dans cette couleur. J'espère que cela ne pose pas problème : D [/HRP]


Dernière édition par Elke Von Herzfänger le Ven 27 Juil - 21:16, édité 4 fois
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Jules Spéret
La perfection n'existe que dans mon miroir
Jules Spéret

Messages : 93

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyVen 27 Juil - 3:37

Athys.

Il s'était bien dit que sans cet impuissant de l'encrier, la fête n'aurait pas été complète. Il s'était bien dit qu'il était anormal qu'il ne l'eût pas encore croisé. Maintenant, ça, c'était fait.

Conscients de leur animosité réciproque, les deux hommes n'échangèrent qu'un bonsoir de pure (dis)courtoisie, chacun souhaitant intérieurement à l'autre de passer une nuit horrible - ou du moins, tel était le cas de Jules, qui ne pouvait vraiment pas supporter cet importun de vaudevilliste, avec ses manières et ses attitudes de vedette. Comme si tout lui était dû. Dommage que son talent n'était pas à la hauteur de ses prétentions.

D'ailleurs, le voilà qui s'en prenait à un Normand rouquin. Si Spéret haussa les épaules dans un premier temps, connaissant trop la lâcheté du vaudevilliste pour s'en offusquer, il ne put s'empêcher de sourire en coin à la réplique de l'étranger. L'occasion d'en rajouter un peu était trop belle pour qu'il la laissât passer.

" Excellent article, au passage ", rajouta simplement l'éditeur, pendant que le rouquin s'écartait un peu et sortait un cahier à dessin, croquant rapidement la place encore déserte. D'ailleurs, parlant de place déserte, ça semblait fort nerveux, par ici... Étrange... Bah ! un contretemps, sans doute, une bagatelle ! Pas de quoi s'inquiéter.

Ce qui inquiétait un peu plus notre éditeur, c'était l'absence de Maximilien Debongure. Il lui semblait bien ne l'avoir vu nulle part dans l'assistance... Ce n'était pourtant pas trop son genre, d'arriver en retard ! Il n'avait plus qu'à espérer que le jeune homme...

... Lui tombât dans les bras, à bout de souffle. Décidément, Debongure était toujours là quand on pensait à lui. En retard, cette fois-ci (mais pouvait-il vraiment le lui reprocher, alors que lui-même était en retard à quasiment tous ses rendez-vous, hormis rendez-vous professionnels ? Disons que oui), mais présent tout de même. Et, au fond, il n'avait en effet pas raté grand chose. Spéret se contenta de le sermonner pour la forme :

" Allons, Debongure, remettez-vous ! Voilà qui peut arriver. Veillez simplement à ne pas prendre de mauvaises habitudes... "

Puis, après un instant :

" Vous prendrez bien un café, dites-moi ? ", fit-il en s'apprêtant à apostropher un vendeur ambulant qui passait entre les rangs.


Spoiler:
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Jane McCillian
Âme de Lillian Russell
Jane McCillian

Messages : 108

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyMar 31 Juil - 1:26

Jane ne savait plus exactement s’il était tôt ou tard. Elle ne savait plus rien, à vrai dire. Après la mort d’Emile, elle avait appris l’exécution à venir du Renard… Elle n’avait cessé de penser à lui depuis leur rencontre, ce soir de Février, elle avait suivi toute l’affaire depuis l’attentat du D’Harcourt et puis, un matin, l’annonce du verdict. Elle avait été forcé de prendre un petit remontant. Pour ne pas s’évanouir, pour ne pas perdre la face.

Et voilà, le fameux jour était arrivé, celui qu’elle redoutait. Elle n’avait pas eu de nouvelles de Renaud, et était presque certaine qu’il l’avait oublié. Mais elle tenait à être présente car si elle n’avait pas pu faire ses adieux à son cousin, elle voulait au moins les faire à ce camarade d’une soirée, qui lui avait réchauffé le cœur et ouvert les yeux. Et puis bon, cela faisait un bon moment qu’elle n’avait pas mis le nez dehors…

Il y avait déjà foule lorsqu’elle arriva, mais elle était menue et n’eut aucun mal à se faufiler. De son emplacement, elle avait une vue complète de la place. La guillotine était dans sa ligne de mire.

Jane mit un certain temps avant de capter le murmure et l’agitation grandissante de la foule. Ici et là s’échangeaient des « il se passe quelque chose » et des « pas normal tout ça ». Les « où sont-ils donc passés ses foutus criminels » commençaient à se faire entendre également. Jane attendit, et pria intérieurement pour que le cours des choses soit bousculé.
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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Pierrot Lunaire

Messages : 2896

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyMer 1 Aoû - 13:08

M. de Lonsay, M. Debongure et M. Spéret

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Alfred11
M. Athys foudroya du regard ses contempteurs. Il était déjà devenu écarlate - assez du moins pour qu'on s'en rendît compte, même dans l'obscurité - mais ce fut pire encore lorsque M. Spéret s'en mêla. Il plissa ses petits yeux et répliqua, avec toute la maîtrise dont il était capable :

- M. Spéret, vous savez comment ces choses-là fonctionnent. Mon art est méprisé par la plupart de vos lecteurs et par vous-même mais il plaît aux gens respectables qui veulent s'amuser avant le souper. Trouvez cela peu glorieux si vous voulez mais gardez à l'esprit que je ne m'aventure pas chez vous, moi ...

Simple logique de territoires ... Bien que l'idée d'intégrer un littérateur ridicule façon M. Spéret, habillé de jaune canari et féru d'art dans sa prochaine pièce serait un bon ressort comique ...
Il nota l'idée dans un coin de sa tête, tandis que le petit journaliste à la botte de Spéret arriva et que ce dernier lui offrit aimablement un café. Athys, lui, ajustait son gilet, qui remontait un peu dans un faux-pli fort disgracieux : que les vêtements d'aujourd'hui étaient raides et mal faits ! Cependant, le silence se fit bientôt parmi les journalistes ... Tout observateur aurait sans doute vu un homme se pencher et glisser quelque chose à M. Debongure, mais bien heureux fut celui qui réussit à l'entendre ! Pendant ce temps, l'on s'affairait ...



Le couple Ainsworth

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Madame10
La jeune femme rousse sembla visiblement vexée que M. Ainsworth s'interposât entre elle et sa voisine. Quoi ! Elle était pas assez bien pour avoir l'droit d'être debout à côté d'eun' dame, c'était ça ? Elle ne dit rien cependant - Céleste avait l'habitude de ce genre d'attitude ... Elle se promit tout de même de se rappeler le nom de ce Monsieur lorsqu'elle l'entendit, dans la bouche d'une vénérée bourgeoise qui s'avançait vers eux :

- Monsieur et Madame Ainsworth ! Alors, vous aussi ... ?

Marie-Gilbert Pentois se faufila, le chapeau de travers, vers le couple. Elle adressa un petit sourire en coin à Catharina, mais salua Monsieur en premier, comme il se doit.



M. von Herzfänger

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Bazill10
Cet homme, il est clair que vous ne l'aviez jamais vu jusqu'à maintenant. Tout, depuis sa mise impeccable, son complet à la coupe parfaite, sans faux pli, jusqu'à son maintien, digne et empesé et son regard clair et glacé derrière le monocle ... Tout chez lui semblait étranger au monde alentours ; sa présence même semblait presque absurde, au beau milieu d'une foule par trop bigarrée. Pourquoi vous regardait-il ? Il semblait intrigué par votre mise, rendu curieux par votre air juvénile. Il se décida soudain à aller vers vous, et vous demanda d'un air impassible :

- Vous êtes un jeune homme bien sous tous rapports - il affirmait cela avec un air d'autorité, qui n'admettait pas la réplique - et pourtant je ne vous ai jamais rencontré. D'où venez-vous, Monsieur ?
Il demanda cela avec beaucoup d'amabilité, mais son visage restait froid, presque sans expression. L'heure semblait venue où le jeune homme issu de la campagne rencontrait le plus pur élégant parisien.


Eugénie Landreau

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Lelune10
Gaspard était parfois appelé le Luneux, pour son caractère aléatoire, ses élégies grotesques des soirs d'ivresse et son air bizarroïde de vieux traîne-savate des Faubourgs. Il l'aimait bien, Ninie, sans trop d'arrière-pensée - avait-il encore l'âge pour ces bêtises-là ... Frappant le sol avec son bien-aimé parapluie, il marmonna, en réponse à sa question ... Elle fut sans doute la seule à l'entendre. Puis c'est d'une voix plus douce qu'il reprit :

- T'es vraiment pas comme les autres, y'en a qui aiment le spectacle. Moi j'trouve que ça a pas d'bon sens, ils pourraient s'en occuper dans la prison.

C'était pas si bête, à y bien penser ... Mais pourquoi était-il venu, alors ... ?
- Mais bon, j'suis quand même curieux. Puis l'attentat c'était pas rien ... Comme quoi qu'y a des violents et des mauvais partout, même chez les riches ...

Il pensait lui faire plaisir, en disant cela : après tout, il ignorait cette promenade de nuit, de la brasserie à l'église, qui avait réuni pour quelques heures Lionel Sylvande et sa petite protégée ...



M. Nuvolari & le Zozio

Auprès de vous se pressait une foule diverse et variée ... A vos côtés, se faufilant à son tour et n'appréciant point la promiscuité, s'installa un homme raide et grave, la soixantaine entamée, des favoris bien fournis. Étrangement, son visage vous rappelait quelque chose ... Où donc l'aviez-vous déjà vu ... ? A Garnier, sans nul doute, mais le souvenir était lointain ... Un regard sur ses longues mains vous rafraîchit la mémoire : il vous semblait que c'était un vieux musicien, dont vous n'aviez pas connu les années de carrière ... Il avait l'oeil tendu vers la guillotine, que l'on montait rapidement, et il ne semblait pas vous avoir remarqué. Mais lorsque le musicien volatile fut bousculé, auprès de lui, il se tourna en lançant un regard sévère.

- Du calme, ici ! furent les seuls mots qu'il prononça. Mais l'oiseau chanteur, lui, était déjà bien loin ...



Jane

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Mascar10
Mascarille était un homme naturellement curieux. Aussi s'était-il précipité sur la place de la Roquette, à minuit sonnantes, pour voir le mieux possible la dernière expression de Lionel Sylvande, et peut-être même entendre ses derniers mots. Le Renard, quant à lui, lui semblait un anarchiste plus classique et l'intéressait moins, il faut avouer - quand bien même il lui reconnaissait un certain panache. Mascarille s'était donc faufilé vers l'avant du parterre, depuis bien longtemps, bien dissimulé sous un manteau léger et un chapeau à larges bords ... Il observait alentours, notant dans un coin de son esprit tout ce qu'il pouvait surprendre. Il sortit cependant de sa réserve lorsqu'il vit la jeune Mc Cillian s'approcher, visiblement anxieuse. Le talent d'actrice de la petite et le fait qu'elle soit sa collègue l'intéressaient peu, mais il savait bien des choses, et il brûlait d'inspecter de plus près ce minois éploré et ses secrets. Il aborda la jeune femme, presqu'aussitôt :
- Miss Mc Cillian, vous ici ! Venez donc, vous verrez mieux !

Et il allait à elle, l'air empressé, un triste sourire aux lèvres.

- Seriez-vous si intriguée par l'exécution à la française pour venir ici ... ? Vous n'avez pas peur que ce soit un peu trop dur ?

Et s'il guettait sa réaction avec impatience, son oeil semblait briller d'une attention aimable et d'une certaine inquiétude.



Tout le monde

Les bruits de marteau sur le bois résonnaient dans la place. On observait. C'était étrange, de se dire que ce tas de bois amené par charrette, déchargé sans cérémonie, était l'instrument de mort de la République ... Le temps passait. Les agents semblaient encore nerveux, en outre, et les allers-retours entre l'extérieur et la prison se multipliaient. Que se passait-il ... ? Soudain, M. Renaudot s'avança vers la foule et annonça d'une voix forte, tandis que l'on érigeait toujours :

- Renaud Berger ne sera pas exécuté ce matin. Il a demandé la grâce du président de la République dans la nuit et nous attendrons que le verdict de M. Félix Faure nous soit parvenu ! Lionel Sylvande sera bel et bien guillotiné ce matin dans ...

Il consulta sa montre.

- Une heure. Je vous prie de garder votre calme sinon nous évacuerons la Place.

Il avait presque crié les derniers mots. Les mieux placés protestèrent, les autres demandèrent ce qui avait été dit, faute d'avoir pu bien entendre. Dans tous les cas, M. Renaudot avait bel et bien terminé : il eut un hochement de tête satisfait et retourna auprès de la porte de la Prison. Mais alors que la nouvelle se répandait, que les protestations et les murmures allaient bon train, quelques gouttes d'eau commencèrent à tomber, timidement ... Elle s'intensifièrent, et nos spectateurs reçurent bientôt sur la tête une belle pluie d'été. Les arbres de la Place en abritaient certains mais tout de même, c'était peu confortable ... Serez-vous assez curieux ou assez aguerri pour supporter la dernière heure d'attente sous la pluie ... ?

Citation :
La Note de la Modération RP : pas de lancer de dés sur ce tour, laissez juste aller votre imagination, et n'oubliez pas les MPs reçus !
Pour ceux qui arrivent après le tour de Modération RP, votre personnage aura sans doute eu le bon sens de se munir d'un parapluie ... Wink Bon jeu à tous


Dernière édition par Pierrot Lunaire le Ven 31 Aoû - 21:20, édité 1 fois
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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
Eugénie Landreau

Messages : 243

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 2 Aoû - 10:15

    La phrase de Gaspard serra un peu le coeur de la Ninie. Lui donnait-il de faux espoirs, ou était-ce elle qui voulait croire que la tête qui serait pas coupée serait une tête connue ? Elle préféra ne rien dire, finissant la tasse de café que Gaspard n'avait pas pris. Elle en avait besoin pour tenir - l'attente serait longue.

    — C'serait plus propre en prison pis moins d'problèmes...

    Et on ne verrait pas le regard hagard des hommes aux abois, de la bête traquée que l'on va saigner devant une cohorte de bêtes dont le sang monterait à la tête. Pas sûr qu'Eugénie tiendrait quand la lame tombera et que les cris résonneront au sein des crachats et des insultes.

    La pluie tombait fine et drue, mouillant ses habits. Dans quelques heures ils seraient tous trempés à grandes eaux. A croire que la vieille Paris pleurait par avance les morts du jour.

    — Dis Gaspard, faudrait ouvrir ton parapluie. Même avec d'trous on sera plus au sec, t'crois pas ?

    En attendant que le vieux bougre se démène avec son bien, Eugénie ajouta :

    — Z'avaient peut-être d'bonnes raisons mais vrai... y a eu des innocents morts et ça c'triste.

    Il y eut alors un mouvement dans la foule, des murmures - certains même partirent. Une annonce avait été faite mais Eugénie se trouvait trop loin pour avoir pu entendre. Ce n'est qu'en tapotant l'épaule d'une femme en face d'elle qu'elle apprit la nouvelle.

    — L'Berger s'en tire à bon compte 'fin pour l'moment. Mais on aura l'autre, on s'ra pas venu pour rien.

    Eugénie étrangla un cri, tâcha de le refouler pour demander à cette dame pas mieux lotie qu'elle.

    — Dans combien de temps... ?
    — Une heure.

    Une heure. Une heure à attendre avant que tout soit fini. Elle devait tenir. Eugénie remercia la femme d'une voix blanche, retourna sous le parapluie désormais ouvert. Une heure. Et elle aurait voulu retarder le temps.
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Antoine "Le Zozio" Viret
Si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois
Antoine

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 2 Aoû - 10:46

Juste avant de pouvoir s'avancer, notre pauvre oiseau se fit bousculer par (il le reconnut) le concierge italien de l'Eden. Heureusement, la cafetière ne cracha pas son contenu. Le Zozio se retourna vers le maladroit...

- Du calme, ici !

... et croisa un regard sévère qu'il reconnut. Notre drôle d'oiseau glissa quelques paroles à l'oreille de l'ancien musicien, avant de se précipiter vers l'avant. Sa réaction, notre vagabond ne l'attendit pas. Il n'en avait cure.
Le spectacle continuait.

Le Zozio put se rapprocher au plus près de la guillotine. La foule grondait toujours, les policiers étaient agités. Une scène intéressante se déroulait là. Cela fit sourire notre bonhomme. Décidément, les rebondissements étaient légions, aujourd'hui ! Quel merveilleuse journée !

Un homme le héla pour du café. Il s'agissait de Jules Spéret, le directeur de la Revue Mauve, en personne. Celui-là même à qui on devait ce fabuleux spectacle ! Le Zozio se demanda lequel des hommes au côté du personnage était le jeune scriboui...euh, journaliste, qui avait réussi l'exploit d'obtenir la fameuse lettre.

Quand l'éditeur demanda un café pour le jeune homme à ses côtés, notre vagabond se dit que ce devait être lui, le héros. Il prit grand soin à le servir, avec même un sourire en prime (... à défaut d'une boisson chaude).
Une fois le journaliste servi, M.Spéret commanda un café, pour lui cette fois-ci. Puis un autre.

Pendant que le Zozio servait ce deuxième café d'affilé, l'agent Renaudot fit son discours.
Notre chanteur se retint de justesse de rire devant un tel mensonge grossier. Le tremblement réprimé ne rendait pas le service facile, le café manquant à plusieurs reprises d'être verser en dehors de la tasse.
Pour contenir son hilarité, il se décida plutôt à chantonner :

"Une tête à couper
Vient bien à manquer
Mais ce n'est pas de Berger
Dont je veux parler !"

Au moins ne restait-il qu'une heure à attendre avant de voir le vaniteux décapité.
M.Spéret voulut payer le café, mais le Zozio refusa.
"La foule vous doit déjà beaucoup !" dit-il, avant de repartir gaiement... et rapidement.

La pluie d'été commença, le Zozio rajusta son haut-de-forme usé. Cela lui importait peu d'être mouillé, il avait l'habitude de l'humidité des Catacombes. Notre vagabond se prit cependant à penser que c'était Dieu, lui-même, qui pleurait de rire. Vain rempart qu'un chapeau face aux larmes divines !


Dernière édition par Le Zozio le Lun 13 Aoû - 7:23, édité 1 fois
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Anne-Marie Forestier
Crème aux champignons
Anne-Marie Forestier

Messages : 114

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyVen 3 Aoû - 2:49

Anne-Marie était de très mauvaise humeur ce matin-là. Le jour n’était pas encore levé mais elle devait comme tout Paris se rendre à l’exécution publique ! Quelle horreur ! Elle avait renvoyé très violemment Aliénor lorsque timidement et délicatement cette dernière vint la réveiller. Elle jeta un regard sévère par la fenêtre, il manquait plus que ça, la pluie tombait à fines gouttes mouillant peu à peu la rue poussiéreuse. Elle se laissa lourdement retomber sur son lit conjugal. Son mari était déjà levé au vue de la place vide près d’elle. Et sa voix qui retentit au bas de l’escalier confirmait bien sa constatation.

« Dépêchez-vous Annie, nous sommes déjà bien en retard. La place est déjà pleine à craquer à n’en pas douter et ils sont sûrement en train de monter la guillotine. »

Anne-Marie ne prit même pas la peine de répondre et se contenta de pousser un léger grognement en s’asseyant sur le bord de son lit, la tête entre les mains. Son mari était tout excité à aller à cette exécution, cela faisait des années qu’il n’y en avait pas eu, et qui sait quand il y en aurait une autre, répétait-il sans discontinuer depuis deux semaines. Il était bien rare qu’on le voyait si impatient et entrain pour une activité, il était plutôt du genre éteint et sans grand intérêt habituellement. Et ce comportement nouveau agaçait la Forestière au plus haut point. Alors parfois, pour faire retombait sa joie, elle lui rappelait brutalement, qu’un des condamnés était un invité régulier chez eux et que s’il y montrait trop de joie les gens se méfieraient de lui et de la famille. Cela ne le calmait malheureusement pour quelques heures et puis sans s’en rendre compte, il recommençait à en parler.

Anne-Marie prit ainsi plaisir à prendre tout son temps pour se préparer. Et elle entendait de temps en temps la voix grave de son mari qui lui criait de plus en plus fort de se presser. Bientôt, il monta la voir d’un air déconfit. Cela la fit sourire. Il le prit très mal et redescendit en faisant claquer bruyamment ses chaussures sur le bois grinçant de l’escalier. Mais si Anne-Marie prenait tant de temps, c’était aussi parce qu’elle ne voulait pas vraiment y aller, elle se disait que plus tard elle y serait, moins on parlerait de sa position vis-à-vis de Lionel et cela la rassurait un peu.

Au bout d’une bonne heure, elle finit par descendre. Elle avait choisit des vêtements plutôt sobres et confortable. Prenant le parapluie que lui tendait Aliénor, elle se dirigea vers l’entrée sans même jeter un regard à son homme qui s’était assis sur une causeuse en l’attendant. Avec mesquinerie, elle déclara tout en continuant de marcher :

« Et bien, que faites-vous donc ? Je croyais que vous étiez pressé ! »


Remarque totalement inutile bien sûr, puisque dés son apparition, il s’était immédiatement levé pour la rejoindre.

Comme prévu, la place de la Roquette à leur arrivée était déjà bondée. Mais, leur statut bien évidemment le réservait une place de choix. Ils se faufilèrent ainsi jusqu’à leur place, bravant la foule bien bruyante. Des rumeurs leur parvinrent très vite. Seul Lionel allait être exécuté ce jour. Cela agaça un peu plus Anne-Marie, cela annonçait pour elle une seconde exécution et deux autres semaines de sa vie à supporter les exclamations de son mari. Mais une meilleure nouvelle lui parvint bientôt, l’attente ne durerait approximativement qu’une heure. Bien, très bien… Pourvu que l’exécution aussi soit rapide, qu’elle puisse rentrer chez elle et retourner à ses affaires.
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Jean de Fréneuse
J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
Jean de Fréneuse

Messages : 305

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyVen 3 Aoû - 3:53

Il hésita jusqu'au bout. Il songea à passer la nuit à la Reine blanche, aux Folies ou au Moulin Rouge ... Même à la passer chez lui, dans la solitude, à écrire ses mémoires (chiche !), gérer ses affaires ou même à dormir, bêtement et simplement, jusqu'à midi ... Mais il lui fallut se rendre à l'évidence : cela le hantait malgré tout. Il avait déjà vu une exécution, il y avait bien ... Quatre ou cinq ans de là. Il en était sorti avec un vague dégoût et un mince filet d'angoisse, lorsqu'il s'était demandé si la tête tranchée vivait encore, quelques secondes, alors qu'elle tombait dans le panier rempli de sciure ... Juste assez pour prendre conscience que ... Il en frissonnait encore, à se poser la question. Vers trois heures du matin, il prit enfin sa décision. Il alla réveiller François qui se présenta, très digne mais maussade sous son bonnet de nuit. Il se prépara, lentement, avec la même raideur grave que les embaumeurs qui soignent la mise des défunts pour la veillée funèbre - comme pour une dernière réception. François s'impatientait, avide de sommeil, indifférent. Il se hasarda tout de même à demander, d'une voix pâteuse :

- Qui allez-vous voir mourir, Monsieur ? Celui de l'Opéra ou l'autre ?

Jean haussa les épaules : le premier lui avait ravi un ami, l'autre lui avait coûté une jambe. Cela s'équilibrait assez bien ...

- Les deux, François, j'en ai peur ...

Il prit sa canne dans l'antichambre et l'éternelle redingote noire. Et le tuyau de poêle sur la tête, il sortit.

- Tiens, il pleut ...

François lui apporta un parapluie. Fréneuse sourit tristement : " Hé bien, je ne puis même plus offrir mon bras à une femme, si c'est pas le début de la fin, ça, François ... !", l'invita à regagner son lit et s'avança, lentement, voûté sur la canne, jusqu'au boulevard Saint-Germain où il prit un fiacre. Il arriva bien tard, place de la Roquette, et la foule était bien dense. Il se fraya un chemin, jouant des coudes - canne et parapluie à l'appui - jusqu'à se ménager une place confortable, et puis il chercha alentours un visage connu. Jules Spéret, dans le carré prévu pour la Presse, semblait rayonner ; la Forestière, en bonne place, jetait des regards agacés alentours. Nulle trace de la duchesse de Lambresac mais Jean crut reconnaître son plus fidèle ami, non loin, avec (quelle ironie !) l'allemand qui sillonnait Paris depuis maintenant quelques mois. Il leur adressa un signe de tête. Il n'entendit pas tout de suite que seul Lionel Sylvande paierait son dû à la République, à l'aube. Il attendait simplement sous la pluie, comme tout le monde, grave, éteint, solennel comme il ne fut jamais.
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptySam 4 Aoû - 6:23

Fulgenzio Nuvolari, concierge

C'était long. Pas tellement divertissant ou poignant non plus. Les gens conversaient trop fort. On se bousculait sans même esquisser la moindre excuse. Une chaleur des plus accablantes étreignaient ceux qui se morfondaient au milieu de l'attroupement. Et dieu que Fulgenzio détestait être coincé dans une foule constamment grandissante. Cet inconfort en valait-il la chandelle ? Probablement pas, personne ne le verrait ici, et le lendemain, il retournerait être exploité par le directeur de l'Éden-Théâtre. « Renaud... arrivera pas. Annoncer... foule. » qu'il entendit alors qu'il tentait de fuir la masse grouillante. Venait-il de mettre la main sur une exclusivité qui le rendrait lui-même, temporairement mais quand même, exclusif ? Était-ce là une opportunité qui lui permettrait de faire croire aux autres qu'il possédait un grand éventail de contacts et de sources ? Était-ce là une chance trop flagrante ? Eh bien, oui. Il se retourna partiellement, prit quelques secondes pour appréhender le chaos du regard et murmura à un acteur qu'il crut avoir identifié. « Renaud Berger ne sera pas décapité ce soir. Je le sais de source sûre. » qu'il murmura d'un ton faux.

Il répéta l'opération à quelques reprises, avec des quidams plus ou moins mondains et des artistes plus ou moins notoires. Justement, un quelqu'un qu'il crut reconnaître entra en scène. Cet homme, cette chevelure grisâtre, ces favoris hirsutes, ces doigts interminables, ce regard austère. Qui était-il exactement ? Il n'en savait rien, mais voulut lui aussi le mettre au courant de la bonne-nouvelle. « Du calme, ici ! » lança l'inconnu après être bousculé. « Oh monsieur ! Pardonnez ce malheureux, mais le cou de Renaud Berger demeurera intouchable ce matin. On dit qu'il ne sera pas étêté ! » Un étincelle de surprise perça la façade de fer que formait le regard impassible de l'homme. Et à peine quelques secondes plus tard, on annonça en effet que le très criminalisé Berger ne serait pas guillotiné. Fulgenzio parut fier d'avoir su avant les autres. Être au courant n'était pas désagréable.

Mais alors une fine pluie se mit à arroser les rues de Paris, avant de s'intensifier. N'ayant pas sur lui ni parapluie ni manteau, mais seulement les habits plus ou moins imposés par la direction de l'Éden-Théâtre, il se recula un peu. Alors qu'il se détachait de la foule, il cessa net de marcher. Devant une vingtaine de personnes, il se mit à parler : assez bas pour faire croire aux autres qu'il parlait à son voisin, mais assez haut pour que les environs l'entendent bien. « J'ai surpris une conversation entre les autorités. Il paraîtrait que Sylvande s'est évadé de sa détention et qu'il maraude en ce moment dans les rues de Paris. S'ils ne le retrouvent pas, tous ces gens se seront déplacés pour rien, et le terroriste du Garnier sera libre. » Était-ce stupide, complètement absurde et irresponsable de mentir d'une telle façon; de propager de telles balivernes ? Certes. Mais que ne ferait-il pas pour un peu d'attention et de considération ? Peu de choses, semblait-il.
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyMar 7 Aoû - 10:18

[Editable, en particulier pour Le Zozio en cas de désaccord. Désolée pour la longueur =/]

__

Kolin Olčeska, ex-directeur de théâtre

Le Débi’Thé faisait partie de ces débits de boisson à l’air cocasse, dont l’on ne peut s’empêcher de fixer les couleurs criardes, les décorations surprenantes et les tables trop rapprochées à chaque fois qu’on passe devant, mais dans lesquels on entre guère que parce que l’on connaît déjà, parce qu’on nous l’a conseillé, ou parce que c’est le seul ouvert à des heures incongrues – de trois à six heures le matin, par exemple. Ce n’était pourtant pas tout à fait ces raisons qui avaient conduit Kolin à s’y attabler : c’était plutôt par naïveté.

La Débi’Thé, de par son nom et ses tentures d’inspiration oriental – il ne manquait que la splendeur des étoffes indiennes, n’était pas tout à fait avenant, mais paraissait gentillet et simple. Comment une décoration éclectique et foisonnante peut-elle donner une impression de sobriété ? Probablement parce que le mot « Thé » était joliment mis en valeur sur l’enseigne, avec des lettres rouges cerclées d’ocre. Kolin ne mit guère de temps à se rendre compte que le Débi’Thé n’avait plus grand-chose à voir avec le salon de Thé qui l’avait précédé ici, et qui lui avait légué les murs colorés et les tentures que l’on découvrait décharnées, en s’approchant un peu. L’entrée de Kolin ne passa pas inaperçue. Des yeux s’accrochèrent à lui, à sa tenue, inondés d’une curiosité avide. De fait, on ne devait pas voir souvent entrer ce genre de bonhomme dans pareil endroit. Il parvint à calmer les esprits en agissant avec un très grand naturel – et en s’abstenant de commander un thé. Attitude fort à propos, car on n’avait pas vendu de thé ici depuis une petite dizaine d’année. Engageant la conversation avec le tenancier, il apprit bientôt pour le « Thé » de l’enseigne resplendissait tant.
« Ben, c’est que pour pas payer trop le p’tit gars qui nous l’a fait, on avait gardé le mot « Thé » de l’ancienne devanture. Sauf qu’il était là depuis d’ja un paquet de temps. Il a fini par tomber, c’tait l’automne dernier, avec la pluie, tout ça. Donc on a demandé au Ptit Gars de le refaire. ‘L’est moins usé qu’le reste, du coup. »

L’avantage du Débi’Thé, ce soir là, c’est qu’il était bien placé : Rue de Belfort, soit à deux pas de la Place de la Roquette. Si bien qu’avant vingt-trois heures, le tenancier commença à s’impatienter, priant avec fermeté les clients de vider les lieux ; c’est qu’il avait un spectacle à aller voir. Mais les clients n’avaient pas l’habitude d’être mis à la porte à une heure pareille – la plupart comptait d’ailleurs attendre ici, au chaud et devant un bon verre, que vienne une heure plus décente pour aller se faufiler sur la place – à l’image de Kolin, donc. Comme les clients ronchonnaient, et que le tenancier, pour son malheur petit et grêle, ne parvenait pas à les mettre hors de son débit, ce dernier sortit, remontant ses manches, et disparut durant une dizaine de minutes. Lorsqu’il revint, il était accompagné d’un grand gaillard, qui devait faire au moins le double de sa taille, et le triple de sa largeur. Sans un mot, de ses larges mains, celui-ci saisit les cols des clients, les uns après les autres, les pressant les uns contre les autres, avant de les conduire vers la porte, les trainant à moitié à côté de lui. La razzia n’avait prit que quelques secondes, durant lesquelles un sourire mi-satisfait, mi-inquiet s’était dessiné sur le visage du tenancier. Kolin avait échappé à la rafle pour une raison assez obscure – mais probablement était-ce sa tenue : on n’employait pas un homme vêtu de cette manière par le col. Cela étant dit, le dramaturge ne se fit pas prier pour regagner la sortie, impuissant à empêcher la collision qui fit rentrer son coude dans les côtes d’un des ouvriers qu’on venait de trainer comme un vieux draps, qui râlait d’une voix rauque, mécontent d’être ainsi forcé à s’en aller sur une seule jambe, et serrant encore entre ses doigts le verre qu’il avait emporté, et qui s’était à demi-renversé sur ses compagnons d’infortune.

Kolin, bousculé par le Débi’Thé et ce qui s’y était passé, par les gens qui commençaient à envahir les rues, n’eut pas le courage, comme il se l’était promis, de se poster dès minuit sur la place. Au lieu de quoi, il héla un fiacre, et lui demanda de rejoindre la rue Saint-Marc, d’où il rejoignit l’Opéra qui s’apprêtait à se venger illustrement sans même le savoir. Il avançait tête baissée, assez lentement, évitant de regarder les quelques passants qu’il croisait. Il lui semblait que l’endroit était vide – comme si tout le monde était parti se réfugier dans le onzième arrondissement. C’était faux, bien sûr. Mais le simple fait de savoir qu’on allait bientôt y monter la guillotine suffisait à donner à tous les passants des airs de fantômes égarés. Il ne leva les yeux qu’une fois en face de l’Opéra. Il faisait plus sombre qu’à l’ordinaire – mais de nouveau, ça n’était peut-être qu’une impression. Deux autres personnes regardaient l’Opéra – et en dépit de sa curiosité, Kolin se garda bien de les étudier. Il se concentra sur les murs éteints et fatigués, chagrins de ne plus être le centre de l’animation. Kolin s’imagina jouer sur les planches de l’Opéra de Paris. Il se voyait le Prométhée d’Eschyle, et sentait le sang de Thémis frémir sous sa peau.

« O, divin éther, vents à l’aile rapide, sources des fleuves, sourire innombrable des flots marins .. »

Il avait chuchoté sans s’en rendre compte. Il sentait les respirations de la foule, les frémissements des tissus, le craquement des planches alors qu’il faisait un pas, la présence rassurante des lourds rideaux, des décors, des acteurs. Et puis, soudain, il était au premier balcon. Sur scène, une jeune fille, encore une enfant, s’était fait Alès, l’héroïne dissimulée d’un Matin de Sonate. Il faisait jouer les doigts de sa main gauche sur l’accoudoir de son siège, comme il en avait l’habitude. Dans sa nuque, les battements du dramaturge qui voit ses mots prononcés par les lèvres du personnage, qui voit la réalité dépasser ses écrits, et la pièce se construire, avec lui et loin de lui, dans un splendeur enivrante. Enfin, Alès s’évanouie, et il se vit accueillir les Grands de Paris dans son théâtre. Il leur présentait en quelques mots les pièces qu’il avait programmé pour la saison, évoquait ses découvertes, les nouveaux talents, et précisait à voix basse les occasions à ne pas manquer.

Il ouvrit brutalement les yeux, se faisant violence pour s’extraire de ses rêveries rudérales, que les ruines de l’Opéra et de sa fulgurante carrière, arrosées de la plus pure nostalgie, suscitaient avec une douloureuse précision dans son esprit embrumé. Il mit encore de longues minutes à s’extraire de ce monde qu’on avait esquissé, et dans lequel il s’était jeté, lui donnant une réalité foudroyante. Il avait intimé au fiacre de l’attendre, mais il ne le retrouva pas ; à vrai dire, il n’était pas tout à fait sûr d’être dans la rue Saint Marc. Mais il n’était pas exclu non plus que le fiacre ait filé – cela faisait un peu moins de trois heures qu’il l’avait quitté. Il marcha encore de longues minutes avant d’en trouver un autre, qui le raccompagna devant le Débi’Thé. Pourquoi il se dirigeait vers la place de l’exécution ? Kolin aurait été bien en peine de le dire. C’est seulement en se retrouvant baigné par la foule qu’il comprit ce qu’il était venu chercher : de l’humanité, malsaine s’il le fallait, mais des gens et des réactions, des comportements, des sentiments, des mots. Il regardait avidement autour de lui, tenta de s’approcher, grimaça au contact des corps contre lui. Certains n’osaient trop le bousculer – encore cette tenue. Il écoutait toutes les voix qui l’entouraient, se battant avec ses propres idées, cherchant à se prouver qu’il n’était pas venu uniquement pour voir celui qui avait détruit l’Opéra. Il était si occupé avec ses pensées qu’il bouscula un homme qui sautillait en fredonnant, renversant du café à la ronde. Ennuyé, il lui présenta de sincères excuses, avec sa voix chaleureuse et son accent tchèque :

« Je vous en prie, excusez ma maladresse ! Je vous offrirai volontiers un café pour vous dédommager mais … serait-ce vraiment approprié ? »

Il sourit légèrement, soulignant l’ironie de sa remarque, sans trop oser toutefois.
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Antoine "Le Zozio" Viret
Si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyMer 8 Aoû - 22:55

Ah non, non, non, pas encore !
Après le concierge italien, voilà maintenant qu'un mondain praguois le bousculait encore ! Qu'est-ce qu'ils avaient tous, ces étrangers, à rentrer dans d'honnêtes vol...euh vendeurs de café froid ?
De plus, cette fois, le café s'était vraiment renversé ! Alors que notre bonhomme s'était tellement évertué à sauver le contenu de sa cafetière depuis le début !
Quelques femmes reçurent sur leur jupon de grosses éclaboussures indélébiles, mais heureusement, tout à leur impatience, elles crurent que c'était seulement la pluie.
Le Zozio allait s'éloigner avant qu'elles ne se rendent compte de leur erreur...

« Je vous en prie, excusez ma maladresse ! Je vous offrirai volontiers un café pour vous dédommager mais … serait-ce vraiment approprié ? »

... mais les excuses du mondain, prononcées avec cet accent atypique, attirèrent l'attention sur eux.
Les regards furieux et les protestations de la part des tâchées commencèrent à gronder contre notre chanteur.
Le Zozio attrapa le... metteur en scène ? éditeur ? dramaturge ? notre homme ne savait plus trop, il avait encore un manque d'informations à ce sujet. Bref ! Il attrapa le Praguois par le bras sans ménagement, l'entraînant avec lui le plus loin possible des femmes enragées.
En d'autres circonstances, notre drôle d'oiseau aurait laissé ce riche se débrouiller, mais l'ironie de sa réponse et la chaleur de sa voix avait rendu notre Zozio clément, et l'avait pousser à le sauver.
Le vagabond avait l'habitude de trouver les ouvertures dans les foules les plus denses, mais ce n'était pas le cas du boul... du gentilhomme qu'il devait traîner. L'avancée se fit plus lente qu'à l'accoutumée, mais ils arrivèrent tout de même à destination. Soit là où le Zozio se ravitaillait en café.

"M'sieur, dit-il à la manière de la rue, j'crois ben qu'un café, ça s'ffira pas à remplacer mon gagne-pain ! Un café contre une caf'tière, vous pensez ! En plus, j'viens d'vous sauver ! 'Sont tous enragés c'matin, avec c't'histoire d'exécution ! S'vous m'rembourser, là, maintenant, on s'ra quitte !"

Et le prix qu'il lui demanda était tout à fait honnête ! Le Zozio ne précisa seulement pas que c'était juste le double de ce qu'il aurait pu gagner.

La cafetière de nouveau pleine (de café brûlant, cela changeait un peu), notre chanteur de rue se retourna vers le mondain. Un dernier élan de générosité, en honneur de ce fabuleux jour !

"S'vous voulez, M'sieur, j'vous amène sans problème près d'la Veuve ! C'pas compliqué, en fait, c'pas tant surveillé qu'ça ! Même qu'vouz s'riez près des journaleux ! Mais faut qu'vous arriviez à m'suivre, j'vous attendrais pas !"

On ne pouvait que le prendre au sérieux sur ce point... A peine avait-il fini sa tirade qu'il était reparti à toute vitesse, fendant la foule avec aisance. Il vaut mieux se dépêcher, on ne voit déjà plus que son chapeau...

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 9 Aoû - 8:40

Kolin Olčeska, ex-directeur de théâtre

Crapahuter ainsi n’était plus de son âge – il n’était pas bien vieux, mais se glisser ainsi dans la foule nécessitait un entrainement rigoureux, continu, régulier. Il peina à s’arrêter lorsque le garçon qui l’avait empoigné conclut sa course : heureusement, il n’y avait plus de café à renverser. Il regardait, relativement incrédule, le gamin qui prétendait l’avoir sauvé. Il repensa assez brutalement aux dames que le café avait éclaboussé, et se sentir soudain affreusement gêné de les avoir laissées là sans cérémonie. Il se sentait fuyard et se mit à regarder tout autour de lui avec frénésie, effrayé à l’idée que l’une des victimes vienne lui réclamer réparation – non seulement pour l’accident, mais également pour la fuite devant ses responsabilités. Lorsque le « cafetier » lui demanda réparation, il s’exécuta sans trop y faire attention – après tout, il n’avait aucune idée du prix d’un café à Paris - ajoutant à la somme demandée un petit pourboire – qui s’élevait tout de même au quart de la somme demandée.*
Il oublia cependant très rapidement les mécontent(e)s qu’il croyait menaçant(e)s lorsqu’il entendit la proposition du « cafetier ». Il n’eût guère le temps d’y songer, comme il aimait à le faire, avant de donner une réponse réfléchie. La proposition était trop tentante, et le temps qu’elle fasse son chemin dans ses neurones encore patauds, le gamin était déjà loin. Il se glissa tant bien que mal dans la foule, se retenant de justesse de s’arrêter dès les premiers pas pour opposer ses excuses aux ronchonnements de ces gens. Il se concentra sur le chapeau qui dansait, bien loin devant lui, et pris la décision qui sauva sa loge pour le spectacle : il se fraya un chemin à la force des épaules, tâchant de garder la tête basse, une main sur le mouchoir qu’il avait sortit, le plaquant contre la partie inférieur de son visage : les insultes montèrent derrière lui, mais il se garda bien de se retourner : les chances qu’on l’air reconnu étaient minimes, voire extrêmement faibles, et il ne devait pas laisser filer le cafetier. Il releva la tête un bref instant, pour vérifier, et constata – à sa grande satisfaction et son grand soulagement – que le chapeau n’était pas très loin devant. Il obliqua à droite, ferma ses tympans aux râles et aux injures qui lui pleuvaient dessus – en plus de la bruine qui avait entreprit de se glisser dans son col, et lui glaçait la nuque. Les injures s’apaisaient assez rapidement : le public amassé là avait bien d’autres préoccupations.

Il fût violemment arrêté … par la corde qui séparait le public de l’espace réservé aux journalistes. Il n’y avait que deux rangées de personnes devant lui. N’ayant pu faire que cette constatation, il sentit qu’on le saisissait par les épaules d’une poigne ferme – mais c’était une habitude, d’empoigner les gens comme ça, ce soir ?

« Hé la, Monsieur ! Cette section est réservée ! Pas de carton, pas d’entrée. Et si vous vous acharnez, y’a encore de la place là-dedans ! »

L’Agent désigna du menton les murs de la prison. Kolin s’octroya quelques secondes pour apaiser sa respiration, et, levant les mains pour marquer son innocence, tenta de s’expliquer. Derrière son accent et son ton chaleureux, les tremblements de sa voix disparaissaient fort à propos.

« Veuillez avoir l’amabilité de m’excuser, Monsieur. C’est une regrettable méprise … Je ne cherchais en aucun cas à contrevenir à vos ordres, j’ai simplement été quelque peu … bousculé. »

Le chapeau avait disparu. Les regards des journalistes s’étaient tournés vers lui – voilà quelque chose qu’il aurait préféré éviter.

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Dernière édition par Kolin Olčeska le Mer 15 Aoû - 6:37, édité 1 fois
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Catharina de Fréneuse
L'enfant reconnaît sa mère à son sourire.
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 9 Aoû - 9:52

Voir Madame Pentois arriver parmi la foule me fit chaud au cœur. Je me détachai de mon mari, comme une libérée et jouai du coude pour rejoindre la dame. L’époux, presque vexé, croisa les bras mais ne manqua pas de saluer Marie-gilbert d’un signe de tête, froid. Un sourire se dessina sur mes lèvres, le premier depuis des lustres, à vrai dire. Mes mains attrapèrent les siennes, comme si je craignais que la foule m’emporta avec elle pour m’écraser entre ces gens de basse vie. « Oui, bien sûr ! » Je jetai un regard sur le côté, ce regard qui voulait dire que plus lui que moi tenait à être sur la Place de la Roquette ce matin. À quelques pas, Monsieur était resté le coup tendu, attendant la moindre nouvelle sur l’exécution qui, selon lui, se faisait ridiculement attendre. Pour ma part, qu’il y ait un mort ou non, ça ne me faisait rien.

Je me permis de replacer le chapeau de Madame et le remis bien droit, alors que celui-ci avait été tout particulièrement secoué par la brusquerie de la foule. Alors que je baissai les yeux du chapeau, j’entendis quelques murmures. « Avez-vous entendu, Madame ? » Je tournai la tête, distraite, et tentai de savoir d’où la source de ces affirmations venait. Je fronçai les sourcils, contrariée, presque paniquée. « Un homme, là… À l’instant, il vient de dire que… » Je fis quelques pas sur moi-même, mais ne vit que des personnes quelconque. « …Dans le faubourg, un carnage ! » J’hochai la tête, comme pour appuyer mes dires, tout en m’assurant que mon mari ne s’était pas trop fait poussé par la foule, je ne voulais pas me retrouver seule, après tout et aussi, il me traiterait sûrement d’épouse sénile, si je lui disais ça, à lui. « …Rassurez-moi, Marie-Gilbert… Je souffre de démence, n’est-ce pas ? » Un poseur de bombe qui s’échappe ! Pour sûr, s’il voulait faire exploser le plus de personnes possible, il n’aurait qu’à jeter une jolie bombe dans la foule. Je n’étais pas très douée, avec ces histoires de crimes, à vrai dire, il était encore étonnant que le nom de Renaud Berger ait évoqué un souvenir à mes oreilles.

Puis, surprise par un homme de la foule, je contournai Madame pour me dissimuler derrière elle, craintive. « Pardonnez-moi, Madame, mon amour des foules se manifeste, visiblement. » Malgré ces maigres excuses, je ne bougeai pas de ma « cachette ».
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyDim 12 Aoû - 22:57

Décidément, on n'arrêterait pas Alfred Athys dans son élan de plaintes aussi âcres que rogues. Malheureusement. Lui enfoncer son chapeau melon d'Angleterre (le vaudeville ou l'objet, au choix) dans la gorge aurait volontiers fait partie des projets immédiats de l'éditeur, si cette image n'avait justement pas été digne d'un ressort comique vaudevillesque. Et comme Jules Spéret ne tenait pas vraiment (vraiment pas, dirions-nous même) à s'abaisser au niveau de son vis-à-vis aussi illustre et imposant que méprisable, il était bien contraint de s'abstenir, malgré qu'il en ait. Il n'était pas un Alfred Athys, lui, et cela se voyait on ne peut mieux : chacun des deux hommes étaient digne de figurer avec "avantage" (si l'on peut parler ainsi) dans l'une des oeuvres de leur milieu. Après tout, Athys n'était-il pas l'archétype même de l'écrivain, celui que les bonnes gens de Paris couvrent d'honneurs et dont la fatuité pallie l'incompétence fondamentale, dont le ventre cache le vide absolu de la personne ?

" Et je doute m'aventurer un jour chez vous, au milieu de vos gens respectables, en effet... Quoique, ce pourrait être d'un certain... comique de circonstance, dirons-nous ? "

C'est que ce pauvre Athys était si prévisible, avec sa subtilité pachydermique ! L'éditeur l'aurait vu venir du Nouveau Monde que c'eût été pareil. Il ne s'opposait pas à l'idée, cela dit : passer pour ridicule aux yeux des gens ridicules, n'était-ce pas un bon moyen de se mettre en valeur aux yeux des gens respectables ? Après tout, l'on reconnaissait le génie à la coalition des imbéciles qu'il suscite autour de lui... Non pas qu'il ait la prétention de se prendre pour un génie, d'ailleurs. Il se contentait de dénicher et de publier des auteurs talentueux voire géniaux. Nuance.

Se détournant d'Alfred Athys, Jules Spéret accueillit à bras ouverts un Maximilien un peu en retard, lui fit servir un café, s'en offrit un également, y trempa les lèvres, commença par faire la moue - pouah ! mais qu'est-ce donc que ça ? -, puis sourit bien largement. Après tout, n'était-ce pas ça, les joies du reportage ? Le café du bohème lambda ? Allez, il fallait en profiter !

Il savourait ce premier café tout en discutant avec ses collègues, lorsqu'il sentit une ou deux gouttes lui tomber sur le nez, tomber dans son café, tomber à ses pieds. Et zut ! Voilà qu'il pleuvait, maintenant... Avait-il un parapluie sur lui ? Non. Bah ! L'exécution aurait lieu bientôt, après tout ! Pas besoin de se plaindre du temps, on ressemblerait trop à l'autre vaudevilliste ou à quelque gros bourgeois ridicule du même tonneau... L'éditeur s'en accommoderait bien, de la pluie ! Il n'était pas en fer, que diable !

Quelques instants seulement s'étaient écoulés que déjà, la tasse de café était vide. Qu'à cela ne tienne ! L'éditeur s'en fit resservir un deuxième, tandis qu'il gardait les yeux rivés sur la guillotine que l'on montait - et sur le carnet à croquis de Maximilien Debongure, s'assurant que le jeune homme faisait on ne peut mieux son travail. Il vit un policier monter sur l'estrade et annoncer tout de go que Renaud Berger avait demandé la grâce du président de la République. Et qu'on ne l'exécuterait pas ce matin.

Ah ça ! C'était trop fort ! Intolérable ! On n'allait tout de même pas vous ôter une exécution comme ça, au dernier moment ? Invraisemblable ! Ah ! Il avait bien choisi son moment pour demander la grâce du président, l'anarchiste !

" Merde ! " laissa-t-il échapper sans veiller à la politesse - de toute manière, il ne choquerait pas trop les journaleux de service... sauf peut-être quelques provinciaux guindés, mais ceux-là, il s'en moquait, et sauf Athys, mais lui n'était pas journaliste. Ah, et peut-être quelques faux journalistes, aussi, mais ça... Ils avaient voulu être au premier rang, ils assumaient les conséquences de leurs actes ! comme entendre des propos grossiers, par exemple.

Et l'éditeur put constater que si tout le monde ne jurait pas aussi outrageusement que lui, bien des assistants n'en pensaient pas moins. Celui qui semblait prendre les choses à la légère était le cafetier, qui chantonnait un petit air où il était question d'une tête manquante. L'éditeur prit une pièce dans sa poche et voulut s'en servir pour payer l'étrange garçon, duquel il comptait bien tenir quelques informations supplémentaires : "Qu'entendez-vous donc par là ? " Mais las ! le garçon avait déjà pris la poudre d'escampette, refusant même le payement sous prétexte que la foule lui devait déjà trop.

Hein ?
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Elke von Herzfänger
Un jour je serais, le meilleur dandy, je moustach'rai sans répit
Elke von Herzfänger

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyLun 13 Aoû - 7:10

- Vous êtes un jeune homme bien sous tous rapports et pourtant je ne vous ai jamais rencontré. D'où venez-vous, Monsieur ?

L’homme lui avait adressé la parole profitant que le garçon se soit retourné et leur regard croisé. Alors que l’allemand se sentait important et se réjouissait mentalement, un désagrément vint s’ajouter – comme s’il n’y en avait pas eu suffisamment jusqu’alors – sous la forme d’une goutte de pluie qui s’éclata sur son front lisse et innocent. Bien sûr, il ne manquait que la pluie… assez maligne pour arriver à toucher la peau du jeune dandy alors qu’il était coiffé de son plus bel haut de forme. Sûrement une vile alliance avec le vent… Il essuya la goutte de son index ganté et, comme s’il avait fallu l’intervention d’un miracle dilué sous forme liquide, il trouva une réponse convenable à donner au gentleman qu’il avait suffisamment fait attendre :
« Monsieur, vous me flattez. En réalité, je été loin de Paris longtemps. » Il marqua une pause intentionnelle : « Un deuil de famille m’a tenu loin de la capitale pour des mois et des mois. Mais je vous laisse les détails, je ne veux pas être impoli. Je m’appelle Elke von Herzfänger, Monsieur, heureux de vous rencontrer. A qui ai-je l’honneur ? » Conclu-t-il en présentant sa main à l’inconnu avec son plus beau sourire et, bien évidemment, toute la mondanité dont il était capable.

Au loin, il entendait avec satisfaction que Renaud Berger ne serait pas exécuté mais que la fête aurait bien lieu. Il allait enfin pouvoir assister à une mise à mort, et ce n’était pas celle de son favori.
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Charles-Armand de Lonsay
Dandynosaure
Charles-Armand de Lonsay

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyLun 13 Aoû - 7:55

Pendant tout ce temps, le vicomte n’avait guère bougé que les doigts et la tête, très occupé qu’il était à croquer les étapes de la construction de l’échafaud. Bien qu’il ne fût pas le plus grand dessinateur de Paris et que sa perspective ne fût pas des meilleures – comment pourrait-elle l’être, à quatre heures du matin, lorsque l’obscurité voile tout ? -, il pouvait bien tirer une petite fierté bien légitime des quelques dessins qu’il avait jusqu’alors réalisés avec un bout de crayon et quelques feuilles de calepin. Sans doute Léon de *** serait-il ravi de constater que son "ami", bien que contraint et forcé plus qu'autre chose, s'était attelé à la tâche avec application.

Il soignait ainsi la perspective de son quatrième croquis, lorsqu'un policier monta sur l'estrade. Le premier réflexe du vicomte, ou plutôt de Louis Géricourt, fut de mémoriser rapidement ses traits pour le reproduire sur le papier, ne prêtant au départ pas trop attention à ce que le policier en question racontait. Quelques mots qui frappèrent son oreille suffirent cependant à lui faire progressivement relever les yeux de son carnet, d'abord pour mieux prendre note de la dégaine du policier - ou pour faire semblant de le faire -, puis pour hausser les sourcils d'un air interloqué.

Comment ça, il n'y aurait qu'un mort ?

Le vicomte ne pensait certes pas à l'opinion de ses lecteurs fictifs du Soir d'Alençon, auxquels un deuxième corps ne manquerait certes pas. Il pensait à ce que dirait Léon de *** de ce retournement de situation imprévu, surtout que le demandeur de grâce était précisément l'anarchiste, celui dont la mort serait sans doute la plus spectaculaire ! Quoique, celle de l'acteur pouvait bien se montrer intéressante aussi... Il pensait aussi et surtout à la réaction de la foule, à la perspective d'avoir un criminel à nouveau en liberté, à la possibilité de voir réitérer l'attentat du d'Harcourt, si jamais la grâce était accordée par M. le président et que le criminel parvenait à s'échapper *... Que de joyeuses perspectives, en somme ! Tenant d'une main cahier et crayon, il rajusta sa cravate - une cravate nouée à l'actuelle, en plus, pas sa lavallière habituelle... -, frissonna un peu, sentit une goutte de sueur lui glisser le long de la tempe. Il avait comme un drôle de pressentiment...

Comme pour confirmer ses craintes, quelques gouttes bien froides tombèrent sur son carnet, laissant une petite trace d'eau sur le papier. Notre journaliste prétendu, craignant de gâcher ses beaux dessins, rangea vite fait son carnet dans la poche intérieure de son manteau de laine - au moins, la pluie mettrait un certain temps à le tremper tout à fait - et déploya le parapluie qu'il avait eu la bonne idée d'emmener avec lui, estimant sans doute qu'un journaliste normand devait bien être doté de ce genre d'accessoires... Alors qu'il tâchait de le maintenir tout en employant encore son carnet à dessin, un exercice quelque peu périlleux pour un plumitif néophyte, il entendit la foule gronder un peu dans son dos, bien plus qu'il ne l'aurait souhaité. Lui-même ne put retenir quelques jurons agacés - plus pour faire illusion qu'autre chose. Son esprit était un peu ailleurs.

En effet, de quelques gouttes d'eau plus ou moins inoffensives, on était passé désormais à une belle et lourde pluie d'été, qui ne manquerait pas de noyer la place si on la laissait faire. Or, l'exécution était dans une heure, un peu moins maintenant, etle vicomte n'avait pas du tout l'habitude de rester dehors comme ça ! Comme il regrettait sa voiture fermée, le confort de sa chambre, et combien il regrettait de s'être lancé dans cette aventure ! C'était un coup à tomber malade, à n'en point douter... Voilà qui gâcherait bien sa villégiature prochaine ! Ah ! maudit Léon ! Il se ferait un véritable plaisir de lui annoncer que l'événement qu'il attendait tant avait été amputé de moitié, tiens !

Et c'est en ressassant ces agréables pensées que le vicomte de Lonsay passa les minutes suivantes, les gouttes de pluie succédant aux gouttes de pluie, les tentatives de croquis succédant aux tentatives de croquis sur des feuilles humides et qui ne tarderaient certes pas à gondoler tout à fait.

La peste soit de Léon de *** !

Citation :
* Techniquement très difficile à l'époque, vu le fonctionnement des prisons, mais le vicomte est sans doute un peu paranoïaque... et ne connaît pas le fonctionnement de la prison en détail, accessoirement.
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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Pierrot Lunaire

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyLun 13 Aoû - 12:58

Eugénie Landreau

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Lelune10
Gaspard s'exécuta de bonne grâce et ouvrit, non sans fierté, son fidèle parapluie qui l'accompagnait de jour en jour ... Ah pour sûr qu'il était important, tout d'un coup, avec son noble objet ! Sa joie retomba un peu quand il vit Ninie mal à l'aise. Il chercha des yeux ce qui pouvait bien l'ennuyer. Elle semblait appréhender quelque chose, mais lui, pauvre bonhomme, comprenait pas de quoi il s'agissait.

- Ess'qu'elles te gênent, les Madame ? On peut partir, si tu préfères ... Mais en même temps, ça pass'ra vite, là.

Surtout quand on avait le Luneux pour compagnon ! Gaspard s'apprêtait déjà à lui donner des nouvelles de la rue mais il remarqua les regards envieux des dames vers son parapluie. Lui vint alors une idée :
- On s'abaisse à monnayer not' trésor ou on les nargue, ces dabuches ? Je roule pas sur l'or, mais ça m'f'rait bien rigoler qu'on pavane devant ces poulettes toutes mouillées ...

Il leur adressa un grand sourire puis, se tournant vers Ninie, il reprit la conversation. Il lui parla du temps, lui demanda de ses nouvelles, la poussa à lui parler de sa nouvelle place ... Puis, alors que la foule se clairsemait un peu, il s'exclama, bien heureux :

- Les bourgeois ont pas l'courage d'leur curiosité, tu vois ! On avance un peu ? Si t'a peur d'voir, tu t'cacheras sous le parapluie, et je te raconterai ...

Et il lui offrit son bras, galant, sous son feutre déformé.


~ * ~

M. Nuvolari

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 M_le_p10
Répandre cette triste rumeur ne semblait pas une bonne idée. M. Nuvolari parvint certes à recueillir l'attention autour de lui - assez pour ne pas remarquer que le vieil homme devint blanc comme un linge, lorsque le vagabond au café lui glissa quelque chose à l'oreille. Une dame bien portante s'exclama d'une voix de crécerelle :

- Oh mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! Qu'ess'qui va nous arriver ? Il a raison, on va tous mouriiiir, on va tous mou ... !

Elle fut interrompue par la gifle magistrale que lui appliqua l'homme qui se tenait à ses côtés..

- Mais te vas t'taire, la Marie, au lieu de répéter les premières fouilles que t'as entendu ? J'vas t'ramener à la maison, moi, tu va voir c'que tu vas prendre si te continues à beugler comme ça !
La Marie se tut, craintive, étouffant ses sanglots. Son raffut avait cependant alerté l'agent qui surveillait la zone. Plus cela venait, plus il tendait l'oreille. Preste, il demanda à son collègue de s'approcher et passa sous les cordes. Sans un regard pour le couple malheureux, il s'approcha de M. Nuvolari.

- Vous allez me suivre, Monsieur. L'ivresse publique est un délit. Je vous conseille de garder le silence.

Et, digne dans son uniforme, il s'adressa à la foule, d'une voix rauque :

- Lionel Sylvande sera bel et bien exécuté dans une heure. M. Renaudot assiste aux préparatifs en ce moment-même, et nous pouvons témoigner de sa présence.

M. Nuvolari termina sa soirée dans une cellule de dégrisement. Il sera relâché à huit heures du matin, bien après la décapitation. Pendant ce temps, l'homme aux favoris en avait profité pour disparaître ...

~ * ~

Madame Ainsworth

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Madame10
Madame Pentois sourit quand son amie réajusta son chapeau. Son sourire s'évanouit bien vite, cependant, lorsque Madame Ainsworth lui fit part de ses craintes. Elle chercha alentours l'imbécile qui avait répandu cette rumeur. Madame Pentois émit même un claquement de langue réprobateur, secouant la tête - et son chapeau vacilla dangereusement ... Se tournant vers sa timide amie qui se cachait un peu derrière elle, elle répondit d'une voix douce :

- Allons, ne faites pas la folle. Ces gens-là racontent n'importe quoi, nous ne risquons rien ... Et voyez, toutes les forces de police de Paris sont là ou presque, on pourrait difficilement s'attaquer à nous !

L'arrestation d'un fauteur de troubles par un agent, non loin de là, vint confirmer ses dires. Elle ajouta, triomphante :
- Ah, vous voyez ? Qu'est-ce que je vous disais ? Un agité pas très loin de nous vient de se faire arrêter ... Ne vous inquiétez donc pas, ma chère, dans une heure, tout sera fini, et vous pourrez rentrer tranquillement chez vous pour bientôt retrouver vos enfants.

Mais la pluie s'invita à son tour ... Heureusement, Madame Pentois dégaina un parapluie d'on-ne-sait-où et le proposa à Madame Ainsworth. Tandis qu'elle s'exécutait, un vieil homme, raide dans son costume, les favoris broussailleux, s'était approché, visiblement gêné par l'agité que l'on emmenait au loin. Très pâle, renfrogné, il murmura :

- Sales voyous, vagabonds à la manque ... C'est plus calme, ici ...

Et il demeura, sans plus mot dire, l'oeil fixé sur la porte de la Roquette, tandis que la pluie s'intensifiait ...



~ * ~

Monsieur de Lonsay, Messieurs Spéret & Debongure, Monsieur Olceska, le Zozio

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Alfred11
M. Athys eut une moue dédaigneuse et haussa les épaules lorsque son interlocuteur parla de comique de situation. Il fatiguait un peu : rester immobile de façon aussi prolongée n'était pas dans ses habitudes ... Il garda le silence quelques temps, scrutant les alentours. Il écarquilla les yeux lorsqu'on fit l'annonce officielle et entendit distinctement le juron de son voisin ...

- Pour une fois, Monsieur, nous sommes d'accord ...

Il frissonna cependant dans son gilet, maugréa contre le temps (que voulez-vous, c'est le personnage !) et prit tout de même son mal en patience ... Il tenait trop à voir l'exécution. Cependant, un homme se brisa contre le rempart d'agents qui séparait la zone de presse du reste de la foule. M. Athys regarda ce nouvel élément perturbateur avec attention. Il sembla hésiter un instant ... Puis il s'adressa à l'agent qui retenait M. Olceska.

- Vous êtes un philistin, mon petit Monsieur, vous adresser comme cela à l'ancien directeur du Théâtre National de Prague ! - Et, lui glissant très discrètement quelques francs, il lui glissa : Laissez-donc passer mon collègue, je vous en serais reconnaissant.

L'agent s'adoucit alors et laissa passer furtivement l'intéressé, non sans déclencher quelques protestations alentours. Mais les récriminations se calmèrent bientôt, comme dessins à la craie lavés par la pluie ... Athys salua son nouveau compagnon - " Bonjour, M. Olceska, je suis surpris de voir que vous n'aviez pas pris vos dispositions ... " - et l'attente recommença, entre conversations inintéressantes et silences pesants.


~ * ~

M. von Herzfänger

[Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 Bazill10
Notre élégant examinait son interlocuteur avec étonnement. L'accent sembla le surprendre un temps, mais il n'en dit rien. Ce qui l'étonnait davantage, c'était l'explication que ce maladroit jeune homme avait tenté de lui servir. M. Hasard secoua la tête et répondit tout de go, presque sec :

- Monsieur, ne vous justifiez pas. Il est clair que si je ne vous ai jamais vu, c'est parce que vous n'êtes pas de la même société que moi.

Il lui serra cependant la main, furtivement.

- Je me suis tout d'abord demandé si vous étiez juif, mais vous n'avez pas leur physionomie. Vous venez de Bavière, n'est-ce pas ? La famille de Madame de Lambresac avait une maison là-bas, autrefois ... Elle la vendit après 1870, à un vulgaire industriel qui avait la folie des grandeurs ...
Il s'arrêta un instant, songeur, presque triste ... Puis il reprit, avec sérieux :

- Mon nom a bien peu d'importance. Sachez simplement que je viens pour rendre compte de ce grossier spectacle à des gens qui ne s'abaisseront pas à le voir. Je ne sais moi-même que leur décrire ... Que leur diriez-vous, de cette interminable nuit ... ?

La pluie qui tombait, fine et fraîche, et gouttait sur le rebord de son chapeau ne semblait point le déranger outre mesure ...


~ * ~

Tout le monde

Cette dernière heure d'attente fut horriblement longue, il fallait bien l'avouer. Certains, découragés par le temps qui se gâtait, quittèrent même la place, et la foule évoluait, toujours mouvante ... Sans doute eûtes-vous l'occasion d'avancer un peu, pour mieux voir ... Les conversations se raréfiaient, peu à peu, comme si la foule faisait silence en sentant la Mort approcher. La pluie, peu avant quatre heures, s'arrêta à son tour. Les minutes s'écoulaient, avec une lenteur effroyable et le temps semblait avoir suspendu son vol. Mais bientôt quatre heures sonnèrent, à une église voisine. On s'agita. Mais personne ne bougeait encore ... L'on attendit, l'on s'indigna. M. Renaudot s'avança de nouveau et lança, fermement :

- Le condamné à mort arrivera incessamment sous peu, je vous demande de garder votre calme..

Puis il se posta de nouveau devant la porte, les yeux au ciel, comme s'il attendait quelque chose. Un jour timide commençait à poindre et baignait la place d'une lumière plus douce ... Les dalles mouillées brillèrent faiblement, éclairées par l'aurore. C'est alors qu'un lourd grincement se fit entendre ... Les portes de la Grande Roquette s'ouvraient.

Citation :
Note de la Modération RP ~ Cela vous semble un peu tôt pour le lever du soleil ? C'est normal, nous sommes aujourd'hui décalés de deux heures par rapport à l'heure solaire (en été), ce qui n'était pas le cas à l'époque. Lionel Sylvande prend le relai, il est fortement conseillé d'attendre son post avant de répondre. Et n'hésitez pas à utiliser le sujet d'organisation si vous avez des questions !
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Lionel Sylvande
Est devenu, a vu, vaincra
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyMar 14 Aoû - 6:14



Trois heures. Une femme est venue, pâle, en grand deuil et elle m'a renvoyé l'image de ma mort future. Qu'est-ce que j'ai bien pu lui dire ... ? J'ai joué, je crois, j'ai ramassé les gravas de ma dignité - ils jonchent la cellule, comme après une explosion ... Je me suis coupé aux éclats. Il me semble avoir déjà oublié ce qu'elle a dit. Rien n'est clair. Les heures me semblent aussi vagues qu'elles l'étaient avant une première. J'avais l'impression d'avoir tout oublié, jusqu'au texte que j'avais appris et répété pendant des semaines. Et sur scène, cela revenait, comme si le corps savait ce qui lui restait à faire et prenait tranquillement le relai ... Aujourd'hui, je sais pas ce qu'il en sera. Plus de texte à réciter, plus de faux-semblants à maintenir, plus de jeu ni d'applaudissements. Plus rien, il n'y a plus rien.

J'ai attendu, j'ai tourné de long en large dans ma cellule, j'ai voulu vivre, j'ai voulu mourir - tout de suite ! - sans attendre, j'ai pensé, bêtement, à fuir ... Mais pour aller où et à quoi bon ... ? Ma vie n'est qu'une longue - trop longue - capitulation. Trop faible, trop fragile, j'ai épuisé mes forces dans une bataille trop lourde pour moi et me suis laissé prendre, doucement, parcelles par parcelles, aux tentations extérieures. Je ressemble à ces hommes domestiqués des colonies, ces forces de la nature, d'esprit bien simple, qui se sont laissés acheter et se sont endormis, comme de grands fauves qu'on a gavés. Je suis un homme stupide, je suis un animal de foire.

Trois heures, le temps n'avance plus. J'ai entendu les trois coups sonner à l'horloge. Ils sonnent encore ... Cinq minutes ont passé, scandées par ma respiration - hâtive, oppressée. Dans deux heures, tout sera fini. Je l'ai imaginée tant de fois, cette scène et pourtant ... Cela me terrorise toujours autant. Dans un heure, l'aumônier viendra. J'ai pas voulu prier Dieu pour mon salut. Point de salut pour les gens comme moi. La perspective de l'enfer m'aurait pourtant fait moins peur que ce néant qui me cerne déjà ... A chaque pas, il me semble que je vais tomber ... La porte grince - cliquetis de clés. Je lève la tête. Encore ? Il n'est pas l'heure. La petite tête pâle de l’aumônier apparaît, dans l'entrebaillement. Il n'est pas l'heure ...

- Mon fils, l'heure est avancée. Voulez-vous faire la paix avec Dieu ?

Un frisson me glace. Je porte la main à la petite croix qui pend toujours, lamentable, à mon poignet. C'était la dernière abdication, celle qui empêchait toutes les autres. Je serre les poings, secoue la tête, doucement ... J'ai perdu ma violence, j'ai perdu ma rage. Ce prêtre et ses grands yeux clairs, son air désolé de carton-pâte, sa petite sincérité gentillette, je lui parle avec douceur alors que j'ai toujours haï les gens d'église. Je me fais l'effet d'un saint martyre, orgueilleux la veille, et qui pardonne - grandeur christique - à la vie décevante, aux voyous, aux larrons ... J'ai vu le mal ailleurs.

- Non, mon Père, nous sommes brouillés depuis trop longtemps.

Il proteste, arguant qu'il n'est jamais trop tard, et que seule la sincérité ... J'ai haussé les épaules et me suis levé. J'ai posé ma main sur son bras, comme pour le rassurer. J'ai serré fort, comme pour me préserver d'une chute.

- Allons-y, mon père. Votre présence me rassure, mais c'est parce que je vois l'homme et non Dieu. Cessez de me parler de l'après, y'en a que ça rassure, moi c'est le contraire ... Et il y a de la cruauté à parler de ça à un homme qu'on prive de messe, n'est-ce pas ... ? Mais restez avec moi, si vous le voulez bien ... Cela me fera du bien.

Fort de cet aveu, j'ai suivi les pas de l'homme en noir, bercé par le froissement de la lourde étoffe de la soutane. Ca me rappelle le bruissement des jupons de cette femme, qui était venue - que tout cela me semble loin ... J'entre dans une pièce blanche, minuscule, on m'indique une petite chaise de paille. On me tend de l'eau pour me rafraîchir - on ébauche une toilette funèbre, mais grossière erreur, le défunt est encore en vie ... Puis je sens un contact froid sur mon crâne ... Je vois des mèches de cheveux tomber devant moi. On me rase. C'est quand j'ai senti ce contact froid, inhumain sur mon crâne que j'ai compris. Je ne mangerai plus, je ne parlerai plus à un ami - quel ami ... ? -, ne fumerai plus que la cigarette du condamné à mort, ne toucherai plus jamais une femme ... J'ai repensé, dans un frisson, à l'anisé que j'avais bu, en toute insouciance, au cabaret, le soir de l'arrestation. Et je me suis demandé, pitoyablement, ce que ça aurait changé si j'avais su que c'était mon dernier verre ... Question stupide. Un coup de ciseau déchire ma chemise,

- Une cigarette ?

Je sursaute presque. Je cherche des yeux celui qui a proposé - je ne sais pas qui a parlé. Répondre dans le vague, l'oeil au large :

- 'Pas de refus.

Et ils me laissent avec le prêtre, dans une petite cour aux murs trop hauts - un carré de ciel, où deux oiseaux planent ; mauvaise augure. Le père fait les cent pas, l'air presque aussi inquiet que moi. Je passe la main, machinalement, sur mon crâne nu. J'essaie de m'imaginer, rasé, l'oeil cave ... Je sais plus qui je suis. Je fais durer la cigarette. Soudain, des gouttes froides me tombent sur le crâne, je lève les yeux. Le ciel s'est assombri. Pleuvra-t-il pendant ... ? Bientôt la cigarette est jetée - tas de cendre. Je l'écrase, machinalement, du bout du pied. Dernière étincelles, tristes et froides, étouffées dans la cour aveugle. On vient me chercher ... Je presse le bras du prêtre, je serre les dents. Mais je ne pleure pas et je reste, lucide et ferme - ... autant que je le peux. C'est mon dernier orgueil, plus dérisoire encore que les autres. La croix de la Noiraude pend à mon poignet, je sens le lacet sur ma peau, les petits coups du crucifix alors que je marche ... Mon esprit oscille selon ce rythme-là, ivre, malade ...

- Vous avez peur ?

- Oui.

~ * ~

J'ai avoué mes crimes, mes croyances, mes faiblesses. Qu'importe le reste. On m'emmène encore. Des gardes m'entourent. L'aumônier réitère sa demande, je secoue seulement la tête, mécaniquement ... La grand'porte s'ouvre, dans une lenteur effroyable. Il fait jour, la pluie s'est arrêtée. Je vois, droit devant moi, la guillotine.

- Eh bien, c'est donc fini ...

C'est un murmure qui m'échappe, comme un sanglot trop longtemps retenu. Dans mon ventre, une douleur sourde, sourde ... Et puis, pendant que j'avance, je vois la foule. Je reconnais des visages - celui d'Athys, de Spéret, de la Forestière ... Des yeux sévères, haineux, curieux - des yeux qui veulent rien dire. Je reste sans voix. Berger, qu'on a exécuté avant moi a dû dire les grandes choses, je prends pour tout bagage un silence inexorable ... On m'arrête devant la guillottine. Je n'arrive pas à m'empêcher de jeter un oeil au panier d'osier, ouvert, où repose déjà un corps ... Il est vide.

- Où est Berger ?

- Pas exécuté ce soir, il a fini par demander sa grâce.

- Quoi ?!

J'ai un arrière-goût amer dans la gorge. Lui qui semblait s'en f**** de tout, qui s'était lancé, à corps perdu, plus que moi-même, dans une cause en laquelle il croyait - ... plus que moi-même ? - il avait donc renâclé ... ? Mon corps s'affaisse un peu, je perds le contrôle. Je dois être bien laid à voir ... plus encore que lorsque Madame Le Roux a visité ma cellule - est-elle là, cachée parmi tous ces visages ... ? Et puis une pensée m'envahit, avec sa triste ironie.

- Je suis redevenu le clou du spectacle, n'est-ce pas ... ?

Et un rire, un pauvre et léger petit rire, qui tient du sanglot - et les larmes y sont, hélas - me submerge. Je mourrai donc avec le sourire des aliénés ... ? Le bourreau me pousse, avec douceur, vers la planche de bois. On m'y attache, avec des gestes qui tremblent. Pas de dernier mot - en demande-t-on, à un anarchiste ... ? Je crie pour la forme - Vive l'Anarchie ! - parce que c'est dans mon esprit qu'elle s'est installée, l'anarchie ... Renversement de toutes les valeurs ! Renaud sera content, j'ai fait le travail pour lui. On me bascule - vertige. Je suis allongé sur le ventre, les cordes me pincent. Je laisse glisser le lacet de la petite croix de bois et la dissimule dans ma paume ... Je serre le poing. Pincement de la fenêtre sur la peau du cou. C'est fini, n'est-ce pas, c'est bien fini ... ? Je pense au regret - je n'ai pas le temps d'en avoir - aux visages entraperçus ... Dans ma ligne de mire, les copeaux du panier ... Je serre la croix, de plus en plus fort. Elle me fait mal. Je ne les vois plus, alentours, mais je les entends. Le temps a ralenti sa course. Fin de l'histoire, dernières mesures de musique. Et je quitterai la scène sans salut ni rappel. J'ai peur. Je sens le bourreau s'approcher, il tend sans doute la main - j'ai peur, mais je ne dirai rien. Silence ! Le silence, c'est là tout ce qu'il reste ... De l'art, de mes rêves, des mes illusions. Rien n'a de sens. Je croyais pouvoir, j'ai mal cru. Et je suis la victime expiatoire du Rien ... Faire la peau de Dieu, faire la paix avec moi-même - si seulement ... Non, il n'y a plus rien. Rideau.

Noir, sciure. Bruit vague d'un petit objet de bois que le main a laissé échapper. Noir.

Soleil cherche futur.

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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
Eugénie Landreau

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 16 Aoû - 11:34


    Gaspard savait ramener un peu de soleil parmi la grisaille de Paris - il régnait comme une douce chaleur sous le parapluie. Celle de la pure amitié, de l'entraide entre désœuvrés de la vie. Ninie se forçait à sourire pour ne pas inquiéter le vieil homme. Elle devait cacher ses blessures, garder la tête haute.

    — J'crois pas qu'elles nous donnerait un sou, t'vois. Autant s'la jouer prince.

    Maigre boutade contre la société mais c'était mieux que rien. C'était sa manière à Ninie de se rebeller contre cette société qui allait lyncher un ange de bonté. Pour sûr elle connaissait pas assez Sylvande, mais de ce qu'elle en avait vu c'était pas un mauvais bougre. Y méritait pas cette mort en public, honteuse.

    Alors qu'elle suivait Gaspard qui traçait un sillage dans la foule avec son parapluie, Eugénie repensa aux derniers mots de Sylvande. Lancés un soir sur le parvis de Notre-Dame.

    Paris mange ceux qui ne sont pas assez forts pour elle, il faudra se battre !

    Est-ce que cela avait été une réplique anarchiste ? Eugénie l'avait accueilli comme une promesse de renouveau - et sa vie avait alors bien changé. Aurait-elle pu sauver cette âme si elle avait rattrapé Sylvande, si elle lui avait parlé, avait joué le rôle de confesseur ? Avec des "si" l'on mettait Paris en bouteille.

    La foule bruissa, chercha à se taire - l'on criait "chut !" comme lorsqu'un spectacle allait bientôt débuter et que les rideaux se levaient. Et quel spectacle ! Il en tira des larmes à Eugénie qui plaqua ses mains sur sa bouche pour ne pas crier. Sylvande n'était plus qu'un spectre au regard perdu, à la mine blanche - un mort sorti de la tombe.

    J'dois regarder. J'le dois.

    Sans cette litanie Eugénie serait déjà repartie loin de tout cet enfer, des regards avides de sang qui se tendaient vers la Veuve. Elle devait regarder jusqu'au bout pour ne pas oublier cet homme, pour lui rendre hommage. Pour jouer le rôle de famille car, Eugénie le sentait, ce garçon allait mourir seul si elle ne l'accompagnait pas.

    Un éclat vif. Le bruit de la lame qui s'abat. La curée cria, heureuse de voir le sang, de voir la tête finir dans le panier.

    Eugénie elle pleurait. En silence, les larmes coulaient. Elle n'avait pas détourné le regard. Elle voulut avancer - pour quoi ? Elle ne savait pas elle-même. Serrer un corps sans vie, embrasser des lèvres froides, courir pour offrir son cou à la Veuve ? Ses sabots cognèrent contre les pavés deux fois avant qu'elle ne tombe. Trop d'émotions avaient étreint son coeur, elle ne pouvait plus se lever. Elle n'était même plus consciente. Les femmes sont si fragiles et si promptes à tomber dans les vapes.


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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 16 Aoû - 11:51

L'instant fatidique était arrivé.

Le condamné arrivait. Cris de la foule. Cris de haine, cris de vengeance, cris de tristesse, aussi... Était-ce vraiment une liesse populaire ? Non. C'était une exécution. Et la surexcitation qui allait avec. Louis Géricourt tendit le cou pour mieux voir l'arrivant, pour saisir ses traits angoissés. Les traits de l'acteur qu'il avait été autrefois, il les connaissait... Ceux de l'homme, bien moins.

Quelques coups de crayon esquissèrent le visage du condamné. Les traits étaient flous, la page était gondolée. Qu'importe. L'heure n'était pas au crayonnage. Léon de *** se contenterait de ça. Le condamné était installé, la tête sur le billot. Sa peur se sentait à des lieues. Elle galvanisait la foule. Le monde criait à mort.

Une fraction de seconde suffit. Un éclair, un bruit. Et une horrible odeur, de celle qui vous prend aux tripes et vous retourne le coeur. Le sang qui empeste, le sang qui ruisselle. Le peuple qui crie. Le vicomte eut un haut-le-coeur, tâcha de rester flegmatique. L'odeur, peste ! L'odeur, encore et encore...

Et cette tête, dans ce panier de sciure. Les traits relâchés, sereins, qui contrastent si fort avec l'expression du visage si peu de temps avant. Nouveau croquis, à côté du précédent. Traits précis, par contraste. L'odeur qui disparaît, balayée par l'aurore. Matin d'exécution. Un temps. La foule se calme. Les derniers coups de crayon, la pointe qui casse à la fin. Le dessin inachevé.

Changement de crayon. Dernier crayonnage, celui de la foule autour de la guillotine. Bref, imprécis, esquissé. Pas besoin de plus.

Le cahier retrouva l'abri de la poche.
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Catharina de Fréneuse
L'enfant reconnaît sa mère à son sourire.
Catharina de Fréneuse

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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyJeu 16 Aoû - 15:14

La réponse de Marie-Gilbert me fit réfléchir : Si tous les policiers étaient ici, qui donc surveillait Paris ? Mis à part une poignée de policiers frustrés de ne pas pouvoir assister à l’exécution, il ne devait pas y avoir grand force de l’ordre autre part que sur la Place de la Roquette. Le moment idéal pour commettre un crime et disparaitre comme la brise ! Je soupirai, Madame avait sans doute raison, pourquoi me sentais-je besoin de m’inquiéter ? Peut-être qu’un de mes bambins avait trébuché et pleurait toutes les larmes de son corps en serrant son petit genou meurtri et que je le ressentais jusqu’ici, la faute serait donc à l’instinct maternel. Je me demandai néanmoins ce qui était le pire : La prunelle de mes yeux qui pleure ou un criminel en liberté ? La réponse était facile, mais loin d’être rationnelle.

« Oh, vous savez, Marie-Gilbert, ce n’est qu’un agité parmi tant d’autres… » La pluie ne me gênait pas, mais je me glissai tout de même sous le parapluie de mon amie. Levant les yeux au ciel, je scrutai l’étendue grisâtre à la recherche du moindre signe d’orage qui approchait, de tonnerre qui s’apprêtait à vrombir. Dieu seul savait à quel point je détestais cela, les bruits assourdissants du ciel. Spontanément, à l’approche du vieil homme refrogné, je me postai de l’autre côté de Madame Pentois. Sans doute allais-je jouer ce manège jusqu’à ce que la foule se calme. Plus loin, je voyais me mari qui s’était plus ou moins rapproché de la guillotine, les yeux rivés dessus, alors qu’il pestait comme le Diable contre cette satanée pluie.

Désintéressée, voilà ce que j’étais. Je trouvais inutile d’accaparer mes pensées avec un inconnu qui allait mourir, mais le pire était sans doute les commentaires désobligeants qu’on lui faisait, à cet inconnu. À y repenser, quel chanceux, cet homme ! Libéré de ces bêtes parisiennes qui le scruteraient jusqu’à ce que sa tête roule dans le panier, libéré des maladies, de la faim ! Lionel Sylvande, celui qui restera encré dans les souvenirs comme celui qui a fait exploser un opéra en pleine représentation ! « Ah ! Tous ces bruits, c’est… Horrible ! » Je portai mes mains à mes oreilles, la foule devenait beaucoup trop bruyante pour ma frêle nature. Je levai le visage et regardai le criminel se pencher sur le coupe-tête, flou. L’on bougea, là-bas, flou. La lame oblique tomba, d’un coup, flou. La fatigue me fit lâche un bâillement –au mauvais moment, il fallait l’avouer- et je rebaissai les yeux pour jouer avec le bout de mes gants. C’était fait. La tête, immobile, dans le panier.
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptySam 18 Aoû - 22:04

Jean était arrivé trop tard pour entendre l'annonce qui avait été faite au sujet de Renaud Berger. Il avait senti la foule légèrement nerveuse, mais attribua cela au mauvais temps et à la lassitude de l'attente. Il prit son mal en patience. Et puis l'heure arriva. La porte de la Roquette s'ouvrit, lentement, et Jean put voir distinctement - il bénit alors sa haute stature et sa bonne vue - Lionel Sylvande sortir de la prison. Il avisa ses voisins :

- Dites-moi, Berger passe après ? Je croyais que c'était l'inverse.

- Non, Monsieur, Berger, il viendra pas. Il a demandé grâce, qu'ils ont dit. Elle sera sûrement refusée, mais ça lui fait un sursis.

- Ah, c'est embêtant, ça ... Merci, Monsieur.

- Pourquoi embêtant ?

- Mais parce que c'était celui que je voulais voir ...

L'homme eut l'air interloqué, chercha quoi répondre mais se ravisa parce que Sylvande approchait. Et au fond, le bonhomme avait raison d'être assez surpris : Berger ou Sylvande ... Tous deux avaient bouleversé pour une part la vie parisienne - et celle de Fréneuse. Jean avait simplement mis de côté, pour un temps, la tristesse de l'ami perdu, parce qu'il avait lui-même frôlé la mort. Et cette opportunité lui avait été offerte par un homme qu'il avait eu l'heur de rencontrer la veille ... Hasard malheureux de la vie de noctambule, tout à fait symbolique, à en croire Gabriel. Mais à présent qu'il se trouvait là, en place et point trop mal placé, Jean regarda l'acteur, pâle, émacié, la tête nue - méconnaissable - qui s'était avancé vers le billot. Quelque chose dans son regard, lui rappela alors cette fameuse représentation du huit février, où Jean l'avait trouvé si mauvais. Il y avait quelque chose qui n'allait pas ce soir-là, mais il n'aurait jamais songé que c'était l'attentat à faire qui préoccupait ainsi notre homme. Jean n'avait jamais douté de la culpabilité de Lionel Sylvande mais cette pensée le glaça : Sylvande était sur scène, tout le monde le savait. Mais cela impliquait qu'il y eût complice ... Beaucoup se dirent, sans doute, que ce ne pouvait être que Berger, mais Fréneuse connaissait trop l'Opéra pour croire qu'un gars de ce genre eût pu se faufiler jusqu'à la salle sans attirer le moindre soupçon. Quand les habitués en venaient à reconnaître les machinistes qu'ils croisaient, sur le chemin du Foyer ... Le bourreau s'apprêtait à faire tomber le couperet, cependant. Jean reporta son regard sur la petite place. Quelques secondes. La tête tomba. Autour de lui, on resta globalement calme. Certains crièrent, bien sûr, mais la plupart garda le silence, un temps. Sylvande ne méritait plus la haine : il avait désormais payé sa dette.

- C'était vraiment une drôle d'histoire ...

Et c'était tout ce que cela lui inspirait ... Il jeta un regard alentours, ennuyé - ne derait-il pas être autrement ému ... ! - et remarqua, à quelques pas de lui, la femme aux enfants qu'il avait rencontrée, lorsqu'il avait tenté une évasion depuis sa chambre de malade jusqu'au Jardin des Plantes. Elle détournait les yeux, jouait avec ses gants ... Elle semblait mal à l'aise mais, surtout, impatiente de partir. Jean sourit faiblement : cette image le flattait. Cette presqu'inconnue lui sembla l'image de sa propre insensibilité. C'était horrible à dire, mais il n'en voulait même pas à Sylvande pour son acte, qui lui avait pourtant tant coûté ... Tout cela lui était devenu tragiquement indifférent.
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyVen 24 Aoû - 2:52

Parfois, force était d'admettre que M. Alfred Athys pouvait avoir son utilité. Certes pas pour manifester son assentiment - bien que celui-ci fût très rare -, mais pour repérer les personnes intéressantes... La remontrance qu'il fit à l'agent ne put manquer de faire sourire Jules (un philistin ! Rien que cela ! Eh bien, mais c'est qu'il ne mâchait pas ses mots, monsieur Athys !), mais l'invite qu'il fit également à un autre personnage ne fut pas sans l'intéresser... Ainsi donc, le monsieur à la barbiche était l'ancien directeur du théâtre national de Prague... Intéressant... L'éditeur nota dans un petit coin de sa tête le nom du personnage ainsi que ses traits généraux. Ce genre de relations pouvait toujours avoir son petit intérêt.

Mais bien vite, l'éditeur reporta toute son attention sur l'échafaud. À côté de lui, il voyait Maximilien Debongure prendre des notes. Parfait. La Revue mauve ne faisait certes pas dans le journalisme d'ordinaire, d'autant plus que cette fois-ci, contrairement à la précédente, tout ce que Paris comptait de plumitifs était au taquet, mais tout de même, dans un souci de boucler la boucle... Et puis, Sylvande avait travaillé au Théâtre d'Art... Autant de bonnes raisons de parler de son exécution dans la revue. Et puis, qui sait si Debongure ne dénicherait pas quelque scoop ? Après tout, il était doué pour ça...

Jules Spéret assista au reste de l'exécution droit comme un i, bien calme comparé à tous ces journalistes qui prenaient notes sur notes pour être sûrs de ne rien oublier et qui, ce faisant, rataient la moitié du spectacle. Lui ne prenait pas de notes. Il regardait Sylvande poser la tête sur le billot, le bourreau actionner la guillotine, la lame briller dans le soleil naissant avant de s'écraser avec un bruit sourd contre le cou du condamné. La tête se détache d'un coup, tombe dans le panier de sciure. Le sang gicle, l'odeur ferrugineuse est atroce. L'éditeur, surmontant un haut-le-coeur dû à cette odeur qui prend aux tripes, regarda la tête dans le panier. Les traits apaisés, la tête intacte. Il avait eu de la chance. Le visage de Sylvande resterait beau dans la mort.
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Antoine "Le Zozio" Viret
Si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptySam 25 Aoû - 0:41

Le Praguois réussit à se trouver une place dans l'espace réservé aux journalistes. Bien joué ! Le Zozio en fut presque heureux pour lui (... même s'il devait avouer que le voir emmener par un policier aurait été plus divertissant).

"Le condamné à mort arrivera incessamment sous peu, je vous demande de garder votre calme.."

Le rideau se lève avec le soleil, et voilà enfin le protagoniste de la pièce entrer en scène ! Le divertissement pouvait commencer !
...
Mais...
Le crâne rasé, le teint blanc, le visage amaigri par les jours passés en prison, l'acteur était devenu... un inconnu.
Un célèbre inconnu montant sur les planches.

Qu'était-il advenu de l'arrogant ?

Ce rire désespéré, ces larmes emportant ses derniers rêves...

Qu'était-il advenu de l'hautain que le Zozio méprisait tant ?

"Vive l'Anarchie !", ce cri qui ne convainquait pas même son auteur...

Qu'était-il advenu de Lionel Sylvande ?

Tête baissé pour le salut du public.
Bruit sourd du rideau tombant sur scène.
Rouge fin.


La foule commençait à quitter la place, permettant au Zozio de s'éloigner rapidement. Plongé dans ses pensées, les mouvements rapides du vagabond tenaient plus des réflexes que de la dextérité.

Ce n'était pas ce qu'il attendait.
Il aurait voulu le voir droit, vaniteux, fat, comme il l'avait toujours été. Le voir assumer ses actes avec fierté, la tête haute. Pouvoir au moins sourire de le voir écourter. S'amuser comme tous ces autres gens venus au spectacle !
Ce n'était décidément pas ce qu'il attendait.

Le cours de ses pensées s'arrêta quand il aperçut Eugénie évanouie. Gaspard la tenait dans ses bras et tentait de la ranimer, mais la manœuvre n'était pas aisée puisqu'il n'avait pas lâcher son parapluie. Notre petit homme courut à leur secours. Il passa un bras sous les épaules d'Eugénie et, avec l'aide de Gaspard, ils l'emmenèrent à l'écart de la foule, attendant qu'elle se remette d'elle-même ou qu'une bonne âme consente à leur donner des sels.
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Maximilien Debongure
Futur pélago !
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MessageSujet: Re: [Intrigue] Soleil cou coupé   [Intrigue] Soleil cou coupé - Page 2 EmptyDim 26 Aoû - 10:46

Le jeune journaliste n’avait guère écouté les conversations qui se menaient aux alentours. Il avait bien reconnu M. Athys, mais leur dernière entrevue n’avait rien donné. Et puis, ce bonhomme-là s’intéressait aux gens de la haute, pas aux journaleux dans son genre.

Il avait pris quelques notes, pour se donner une contenance mais surtout réfléchir aux cachotteries de son voisin. Il ne connaissait pas le jeune homme qui lui avait murmuré à l’oreille qu’un grave accident avait eu lieu non loin d’ici, et que le condamné n’arriverait jamais. Il était sûrement lui aussi journaliste, mais ça n’était pas certain. Finalement, il avait décidé d’attendre encore un peu, de boire un café pour s’éveiller l’esprit et s’arrondir les yeux. Il avait eu raison : Lionel Sylvande avait fini par être annoncé et amené sur la place. Ca n’était pas la première exécution à laquelle il assistait mais il ne lui était jamais arrivé de se sentir concerné. Il vit apparaître un homme qui avait été décidé à semer le chaos et il se demanda qui avait raison : la société, de le punir, ou lui, de vouloir anéantir cette société soi-disant bien fondée. Sans broncher, car c’est inconvenant et même humiliant pour un homme de tourner de l’œil ou exprimer quelque pitié lors d’une exécution, il observa Lionel, il observa le bourreau, la guillotine et assista à la rencontre des trois. Comme attendu, Sylvande perdit sa tête dans la bagarre. Il y eut comme un instant de flottement avant que celle-ci ne touche le sol. Mais lorsque ce fut le cas, Maximilien bondit pour s’extirper de la foule : une autre information l’attendait ailleurs, un autre spectacle beaucoup plus actuel. Désormais Sylvande n’était plus de ce monde et par conséquent n’avait plus rien à apporter à Maximilien, c’était ainsi que devait raisonner un bon journaliste et le jeune homme se sentait en devenir un.

Il courut, perdit plusieurs fois son haleine autant que son chemin. Un accident, c’était un foutu accident qu’il cherchait.
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