Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: J’ai tant rêvé, j’ai tant rêvé que je ne suis plus d’ici. Mar 27 Déc - 6:21 | |
| Après un premier tour de votes, difficile de dégager une préférence claire entre nos différents rêves. Nous avons donc sélectionné les propositions qui avaient reçu le plus de votes et vous les présentons à nouveau. Votez pour votre préféré parmi ces textes : Numéro 1 - Le théatre aux bandits- Spoiler:
La grand-porte claqua solennellement. Il ne se retourna pas. Le théâtre était plongé dans l’obscurité et seul le marbre des colonnes, dressées et menaçantes, ressortait de cette noirceur. Le silence d’abord. Il se trouvait seul au milieu du grand hall. Là-haut tout était noir. En bas tout était sombre. Comment était-il arrivé-là ? Le silence encore. Il observa ses mains et ne les vit pas, recouvertes qu’elles étaient de gant d’une noirceur profonde. Un bruissement, peut-être…Il se retourna. Non. Rien que la grand-porte, close et imposante. Il n’y avait plus de poignet à cette immense porte. Le théâtre semblait être une caverne, un lieu dont en soi, un endroit indépendant. Comme si la vie n’existait pas au-dehors. Son cœur se serra, ses souvenirs s’estompèrent…Quelle vie ? L’impression qu’il n’y avait rien eu avant ce moment précis. Comment était-il arrivé là ? Parce qu’il venait d’apparaître là, c’est tout ! Il grimpa les escaliers, deux à deux, puis quatre à quatre. De grandes enjambées qu’il ne sentait pas. Volait-il ? Peut-être. Les escaliers s’achevèrent. Et encore le même hall. Il se retourna, voulut redescendre. Mais redescendre où ? Il était au rez-de-chaussée, dans le grand hall et ses colonnes de marbre. Tout à coup la musique. Cette musique venue de la tombe. Le théâtre valsa, tournoya. Il tourna avec lui, emporté par cette danse nocturne et macabre. Les murs se dilatèrent. Les colonnes levèrent les bras au ciel. Le ciel ? Quel ciel ? Il n’y avait guère que cette voûte majestueuse et sombre. Il valsa, jusqu’à en perdre la tête. Il eut le vertige, mais ne l’avait-il pas depuis toujours ? La musique encore. Il se précipita vers les portes de la grande salle. Ses mains gantées les poussèrent avec vigueur. Le rideau frôla son visage. Les voix redoublèrent d’intensité. La salle était éclairée. Les fauteuils observaient la scène d’un œil attentif. Les voix se baladaient, lui caressaient l’oreille puis repartaient de nouveau, emplissant la salle du sol au plafond, d’une porte à l’autre. Enfin l’apaisement. La musique marqua un temps d’arrêt. Lui continua sa course. La scène s’éloignait à mesure qu’il approchait. A chaque clignement d’œil, le comédien disparaissait pour mieux revenir. Une voix maintenant. Un cri de femme. Le cri était à ses oreilles mais la femme était loin. La femme ? Quelle femme ? Il n’y avait loin de lui que ce comédien mâle, avec les yeux exorbités d’un vieillard et la bouche alerte d’un effaré. Ses ballerines lui allaient bien. Il ne cessa de courir, et atteignit enfin la scène. Un éclat. Un éclatement. Des mots volèrent par milliers, des phrases vinrent blesser le comédien au visage. Les voyelles mirent feu aux sièges en velours. Les consonnes brisèrent le plafond pourtant solide. « Une bombe ! Une bombe ! » Cria-t-il sans ouvrir la bouche. Il se précipita. Où ? Nulle part à vrai dire. Il se trouva dans le hall, essoufflé, les poumons en feu. En vrai feu. Il toussa. La foule se retourna. Homme, femme, corbeau, colonne, sièges, parapluie, canne, boutons de manchettes…La foule quoi ! Il se sentit regardé, se retourna pour tomber nez à nez avec la même foule. Il fallait partir, qu’attendaient-ils tous ? Et le criminel ? Sûrement évadé ou mêlé à la foule. Inaperçu, incognito. Le comédien de tout à l’heure pointa du doigt quelqu’un. Un fugitif ! Il courait à contre-sens, s’échappaient par les coulisses. Il le poursuivit. La foule disparut peu à peu, à mesure que ses souliers frappaient le sol. Bientôt il n’y eut plus personne. Il continua cependant de courir. Que poursuivait-il ? Qui ? Il n’y avait personne dans ce théâtre ! Les coulisses serpentaient. Il se perdait. Non ! Le hall l’accueillit, de nouveau essoufflé. Il avait chaud aux mains, ne portaient plus ses gants. Un homme, au milieu du hall. Le criminel, il le reconnut. « Vous ! » s’écria-t-il. L’homme ne se retourna pas. Il portait des gants noirs. Il accéléra le pas. Le criminel gravit les escaliers. Deux à deux puis quatre à quatre. Arrivé au sommet, le coupable se retourna et n’aperçut plus l’escalier. Il se retourna et n’aperçut plus l’escalier. Personne ne le suivait, il ne poursuivait personne. Il était le coupable et le poursuivant. Numéro 2 - Nooon !- Spoiler:
Ses yeux sont ouverts, il fixe le plafond. Il doit garder les yeux ouverts, encore. Il entend sa respiration, est-il totalement réveillé cette fois? Dehors, il fait encore nuit, mais le ciel est illuminé par les tirs de feu d'artifices explosifs. Ils sont encore là. Il va falloir qu'ils se battent encore et encore pour leur liberté. Il se lève, caressant sa longue moustache nattée au passage. Les Romains ne passeront pas cette fois, Haro! Puisse le Golconde venir les sauver encore une fois! Il se saisit de Griffon, son porte-plume porte-bonheur et s'engage dans l'escalier descendant à toute vitesse, son arme sous le bras.
Une fois arrivé en tout en haut de la Cathédrale, il remarque l'agitation qui parcoure les rues de la ville. Les romains s'avancent, détruisant peu à peu la cité. Un nouveau feu d'artifice file à côté de la Dame de Pierre, manque de la toucher et explose à quelques mètres de la plateforme où le fier guerrier est posté., faisant voler le chapeau haute-forme qu'il avait jusqu'à présent. Un si beau chapeau.
Pourquoi cette guerre inutile? C'est la question qu'il se pose tandis qu'il s'avance sur le parvis, esquivant les bras boueux de la Seine qui se sont déversés avec l'avancée de l'envahisseur. Il doit faire quelque chose, délivrer la Grande Colombe. Ca arrêtera cette effusion de sang inutile. Au moment même où cette pensée le traverse, il voit un artifice meurtrier foncer vers de jeunes gens masqués qui meurent dans un râle théâtral "To quoque mi Fili!". Son coeur se serre, mais il ne peut plus rien faire mis à part agir de sa plume et de son verbe. Il s'avance vers le Romain barbare et l'attaque les larmes aux yeux. Ne demandant que le pardon, aussitôt le Romain laisse tomber son costume et fait apparaître une moustache et une barbe fournie sur son visage.
Le guerrier à la plume continue son chemin, il s'approche de l'endroit où la Colombe se trouve. Une petite musique qu'il connait bien se fait alors entendre. Tout heureux, il tourne la tête, la confiserie de Lille avec sa devanture dorée et ses manèges en sucre, il est sauvé. Le bonheur des enfants, la joie des grands-parents! Il se précipite vers ce havre de paix pour le protéger, lui et ses habitants, mais avant d'atteindre l'entrée, une belle bleue entre subitement dans le magasin, détruisant tout dans une explosion colorée de sang et de chair. Détruit, il ne peut avoir qu'une réaction, tombant les genoux sur le sol gelé, il tend la main en avant et met le reste de sont énergie dans un cri du fond des âges.
"NOon! Pas les BonBons!"
Avant de se laisser tomber la tête sur le sol. Numéro 3 - Des pièces vides- Spoiler:
Cela commence toujours par le ciel. Un ciel de tourmente, violacé, sépia, lardé de ces nuages d'orage crochus et tourbillonnants. Ils vont toujours trop vite, s'impriment dans le ciel comme des surexpositions sur daguerréotypes. Le ciel se tord, enfle, gonfle, mais ne s'ouvre jamais - ne douche jamais la maison qui lance son toit vers lui, désespérément. C'est un souvenir aberrant. Il n'a jamais connu cet endroit. Il a existé, il ne l'a jamais cherché. On lui en a parlé - depuis tout petit, inévitablement, il en rêve. Comme un havre distordu, la mémoire morte de quelqu'un d'autre. C'est un endroit de vieux contes, un foyer dont il ne connaît pas la chaleur de l'âtre et la beauté modeste des bois et des meubles. Il les imagine, alors, offre aux pièces de trop grands plafonds, découpés de ci dans les belles moulures des immeubles parisiens, de là dans le plafonds à poutrelles des maisons rustiques de Picardie, il colle des fenêtres qui n'existent pas, des motifs à la cheminée, un nombre de pièce difficilement constant. Et puis il y a le jardin, court et sombre comme dans un crépuscule, où poussent de gentils poireaux et des topinambours, et les petits-pois viennent d'être cueillis, et il lui semble qu'il aurait du croiser sa mère sur le chemin, qu'elle est probablement rentrée depuis lors. Que l'odeur chaude et aimante qui semble lui parvenir, frêle esquif dans la ouate molle des rêves, provient d'une bonne soupe, que l'on lui servira dans un vieux bol familier - et il s'imagine celui plein de gruau, prêté par Marieke lorsqu'il était petit, pour qu'il se réchauffe. Il a juste raté sa mère, alors il rentre chez lui. Et les pièces sont des fantômes. Vides. Avec ces vieux parquets de misère qui nous écorchent les pieds, avec aux murs de grandes fleurs de moisissure. C'est à présent cette vieille chambre au plafond bas, son premier vrai logement, qui se déroule sous ses yeux, puante, humide, glacée. Plus d'odeur de soupe, plus trace des ors de l’âtre crépitant, juste de vieux jouets en bois, grappillés et écaillés, qui traînent dans un coin, et des traces de mains d'enfant dans la poussière d'un temps silencieux. Et puis l'orage se déclare, enfin - lourd et gras et craquant comme le corps d'un bateau en bois. Et il se serre contre lui-même, dans ses beaux draps de coton brodé, et le corps tranquille de sa femme à son flanc n’apaise pas ses hantises de solitudes - après tout, elle rêve, elle aussi. Numéro 4 - La Meute- Spoiler:
Cela commençait toujours de la même façon. J'étais dans le jardin, un jardin qui était censé être le notre mais qui ne lui ressemblait pas, devant une maison étrange que je reconnaissais pour mienne. La lumière était très forte, et j'entendais mon père me héler depuis l'intérieur. Je tentais de courir le rejoindre, mais mes jambes étaient comme gaînées de plomb, alourdissant mes pas. Il me semblait toujours que c'était au terme d'un effort herculéen que je parvenais à me désengluer de ma place et que je poussais la porte de la maison.
Il y faisait obscur. Trop. Le seuil lumineux disparaissait derrière moi sans que j'y prenne garde. Une unique bougie luisait dans la pièce, dans les mains de mon père. Elle peignait sur son visage une fresque d'ombres fantasmagoriques qui me firent reculer. L'homme sourit.
- Et bien mon fils ! Viendras-tu ?
Il se détournait et entamait l’ascension d'un escalier immense, aux marches inégales et dénué de rambarde. L'obscurité autour de lui était si dense qu'elle semblait solide. Elle reculait un peu, repoussée par la faible lueur de la chandelle, mais c'était pour mieux se masser autour de moi, épaisse, mouvante. Vivante. Je voulais dire à mon père que mes jambes étaient lourdes, trop lourdes, et qu'il marchait vite, et qu'il me laissait derrière, et que j'avais peur mais ma voix ne m'obéissait pas. La flamme vacillante s'éloignait lentement. Je rassemblais les brisures de mon courage, et marche après marche, pas après pas, je me hissais à la suite de mon père, les ténèbres sur mes talons. Elles ressemblaient des chiens féroces, grondants et menaçants, guettant l'occasion de mordre. Je savais que si je n'y prenais pas garde, cette meute de mâtins me dévorerait. Certaines marches étaient hautes, à tel point que je devais m'aider de mes bras pour les franchir.
- Hâte-toi , mon fils !
Je serre les dents, luttant contre la toile d'araignée qui semble m'engluer, rendant pénible chaque geste. Je me hisse enfin au dernier palier. Il n'y a rien après. Que le vide, le noir, et mon père avec sa bougie dans la main et son sourire. Il a des dents de loup. Il souffle la bougie. La nuit m'enveloppe aussitôt. Je tends la main, recherchant le visage de mon père. Mes doigts rencontrent le mufle écumant d'un chien, babines retroussées.
Et la meute se jette sur moi.
J'en profite pour féliciter tout le monde, j'ai été particulièrement surprise par la qualité des textes envoyés, et j'avoue avoir moi-même eu beaucoup de mal à voter. Bonne chance aux rêveurs encore en lice !
Dernière édition par Pierrot Lunaire le Sam 14 Jan - 5:54, édité 2 fois |
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Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: J’ai tant rêvé, j’ai tant rêvé que je ne suis plus d’ici. Mar 10 Jan - 12:54 | |
| Nous vous les avions annoncées, les voici ! Tout d'abord, je vous remercie tous pour vos participations : la difficulté qu'il y a eu pour trancher en faveur d'un rêve, la nécessité d'organiser deux manches plaident en votre faveur ! Toutes mes félicitations, donc, à Eugénie, à Émile et à Harold pour avoir proposé leur songe ! :) J'en arrive à présent à nos finalistes : - A la troisième place ex aequo, Cyrille Carpentier et Daniel Laforge. Tous deux reçoivent un petit objet symbolique (qui sera indiqué dans leur boîte aux lettres pour plus de commodités : hop et hop). Il est bien sûr possible de creuser à leur sujet en jeu, mais ce sont des objets un peu inutiles, et qui n'apportent ni gloire, ni indices. C'est du symbolique, comme les rêves !
- A la deuxième place, Maximilien Debongure. Comme nous l'avons déjà pris en charge dans le cadre de l'intrigue, nous avons décidé de faire plutôt un petit cadeau à Jane, son double-compte. Elle trouvera une page très élogieuse à son sujet dans la Revue mauve (voir la revue de presse).
- Enfin, avec 4 votes, c'est le rêve d'Evariste Delacroix qui a remporté la mise. Sa récompense sera ... Un rêve, envoyé par la Modération RP par message privé, et qui sera sans doute porteur d'un message ... Patience, Evariste, les rêves fonctionnent selon une temporalité différente de la nôtre ! Et couchez-vous plus tôt, ces derniers soirs !
J'espère sincèrement que ces petits présents vous auront fait plaisir et que vous avez tous appréciés de participer à ce petit jeu. Rêveusement, - Spoiler:
Tous les rêves sont encore consultables ici. Le sujet sera conservé dans la partie pérenne des archives.
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