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 Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]

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Léopold Garnier-Brissac
Naturalisme pas mort !
Léopold Garnier-Brissac

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MessageSujet: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyJeu 14 Juin - 22:47

Les Folies Bergère ne sont pas un endroit recommandable, surtout lorsque l'on fait partie de la haute société. Une chance pour Léopold, il n'en faisait pas partie, et n'avait jamais eu à coeur de dorloter sa réputation de bourgeois-déshérité-fils-de-médecin. Par ailleurs, quel intérêt pour un artiste tel que lui de se priver de tout et de n'écrire rien ? Après une journée plus que productive à l'Œil d'Eboli, il prit donc la route des Folies Bergère pour s'encanailler un peu avant l'heure du souper et donner à la nuit blanche qui suivrait immanquablement de quoi rêver un peu.

Lorsque son fiacre le déposa devant l'entrée du cabaret, Léopold sortit de la poche intérieur de sa veste sa pipe déjà bourrée qu'il alluma d'un geste nonchalant avant de jeter l'allumette dans une bouche d'égout ; enfin, après avoir jeté un oeil de chaque côté de la rue pour s'assurer que personne ne faisait attention à lui, il entra dans les Folies - et dans la folie. Cet endroit était le point de convergence de tous les énergumènes de Paris, allant des cocottes danseuses aux alcooliques notoires en passant par les riches parvenus aux moeurs pas bien claires. Léopold n'était qu'un anonyme ici-bas, presque inaperçu et d'une retenue un peu comique. En effet, même si ses moeurs n'étaient pas plus claires que celles des autres hommes présents, il se faisait un point d'honneur à ne jamais tomber dans la vulgarité et se serait bien gardé de saisir à pleines mains l'arrière-train d'une chanteuse à deux sous en éclatant d'un rire gras ; il n'était tout simplement pas de genre-là.

Fumant donc paisiblement, il prit la direction du bar après avoir acheté son tiquet d'entrée, sans même s'arrêter pour saluer les demoiselles maquillées à outrance qui gloussaient en coeur devant l'entrée du cabaret. Le chemin jusqu'au comptoir était un tourbillon de plumes, de rires, de vapeurs d'alcool et de volutes de fumée embaumant l'atmosphère, la réchauffant de mille couleurs aveuglantes. Presque soulagé, il prit place sur un tabouret haut perché et posa son carnet de notes sur le comptoir craquelé ; une jeune serveuse vint alors à sa rencontre pour prendre sa commande, un sourire timide aux lèvres. Il le lui rendit, redevenant soudain charmeur.

Bonsoir mademoiselle. Une absinthe, je vous prie.

Elle acquiesça et le laissa seul pour aller préparer son verre ; la petite était visiblement nouvelle, et ne semblait pas très bien savoir où se trouvaient les bouteilles. Léopold s'en amusa un instant, puis pivota sur son tabouret pour observer la salle dans laquelle il se trouvait et la population qui l'animait avec tant d'enthousiasme. Il y a avait de tout : des riches, des pauvres, des hommes, des femmes, tous peu recommandables et enivrés de danses et de froufrous en dentelle. Notre écrivain prit son carnet de notes, et commença à griffonner ses impressions et une description de la salle tout en calant sa pipe au coin de ses lèvres ; ces brouillons seraient plus tard la base de son nouveau roman, et il s'agissait d'être le plus précis possible.

C'est alors qu'il senti quelqu'un s'approcher de lui. Il releva la tête, troublé dans sa concentration.
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Lionel Sylvande
Est devenu, a vu, vaincra
Lionel Sylvande

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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyVen 15 Juin - 7:13


Lionel Sylvande n'avait pas pour habitude de sortir dans ce genre d'endroits. Mais ces derniers temps, depuis le scandale de la cantatrice, depuis l'explosion du d'Harcourt, il se laissait aller à son vague-à-l'âme. On croirait qu'il avait envie de profiter de la vie, par un soudain sursaut. Il rendait toujours ses visites fréquentes à la Forestière, s'y comportait toujours aussi agréablement. Mais à côté de cela, il lui fallait cet air évaporé des cabarets et des bordels ... Pour s'arrêter de penser ... Alors dans ce contexte, s'égarer aux Folies Bergère ... C'était une folie parmi tant d'autres, si l'on peut dire.

Entrant, il jeta un oeil à la scène où officiait quelque vélocipédiste acrobate, intermède aux cancans et danses exotiques dont la foule était friande. Il louvoya parmi les femmes, et laissa une jolie brune le frôler, avec une souplesse et une froideur de serpent. Elle lui glissa son nom, réel ou inventé, à l'oreille - Soledad. Il paraît que les belles espagnoles sont à la mode, depuis le succès de Caroline Otero ... Il le nota dans un coin de son esprit et, après l'avoir audacieusement embrassée dans le cou, il s'avança dans la salle, cherchant une place. Il n'ose point saisir une des tables des premiers rangs, restant, au fond, effacé et timide dès lors qu'il n'était pas de public mondain à épater. En ce lieu, il voulait redevenir, un instant, le petit garçon de province qui avait découvert la beauté des femmes et le mensonge des spectacles, un soir ... Il y a si longtemps ! Il craignait aussi, n'en déplaise au public bariolé de la salle, les groupes d'étudiants, trop expansifs, les bandes d'écrivaillons à la manque, qui avaient toujours quelques francs à quémander ... Il vit alors un homme au comptoir, absorbé par ses notes. Sylvande l'observa quelques secondes : ce bonhomme lui semblait bien trop sérieux pour être un de ces artistes sans le sou qui venaient, au nom de la solidarité entre gens de scène, lui grappiller un peu de sa gloire ...

- Bonjour, Monsieur. Un Pernod, Mademoiselle !

Et recevant bientôt son verre, il le leva bien haut.

- Permettez-moi de boire à votre santé, studieux voisin ! Puis-je vous demander ce à quoi vous travaillez ?

Et il sortait une cigarette bon marché, l'oeil vaguement attiré par les froufrous de la scène ... Ah, ce que les parisiennes étaient belles, hélas ! Trois fois hélas !
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Léopold Garnier-Brissac
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyDim 17 Juin - 6:18

Au moment où Léopold releva la tête, la serveuse déposa sur le comptoir le verre d'absinthe qu'elle venait de lui préparer, déjà dilué. La boisson avait une couleur laiteuse, comme un nuage liquide qui virevoltait sur les parois cristallines du verre à pied, embaumant l'atmosphère de son odeur anisée reconnaissable entre toutes. Avant qu'il ait pu faire un geste en direction de sa boisson favorite, le nouveau venu lui adressa parole.

— Bonjour, Monsieur. Un Pernod, Mademoiselle !

Amusé - et un peu surpris, l'écrivain détailla de bas en haut le jeune homme qui avait prit place à ses côtés et qui affichait avec brio cette retenue maladroite des dandy débutants. Il cessa d'écrire, et posa sa plume sur l'arrête de son carnet en esquissant un sourire affable.

Bonsoir cher monsieur. Il hésita un instant, pesant le pour et le contre d'abandonner ses recherches de la soirée pour papoter un moment, puis désigna le tabouret haut qui était libre à sa droite. Je vous en prie, prenez place.

Le jeune homme reçu bientôt son verre, et le leva dans sa direction avec un enthousiasme peu commun qui plut à Léopold. Ce garçon avait bien dix ans de moins que lui, mais semblait bien éduqué et pas vraiment roublard. L'écrivain décida donc de lui donner une chance.

— Permettez-moi de boire à votre santé, studieux voisin ! Puis-je vous demander ce à quoi vous travaillez ?

Son sourire s'élargit. "Studieux voisin", voila une appellation qui ne pouvait que lui plaire, et il lui fit un signe de tête approbateur en levant également son verre pour trinquer avec le jeune homme.

A notre santé, dans ce cas, car je n'aime pas les traitements de faveur, lui dit-il de son habituelle voix grave, affichant toujours ce sourire amusé qui mettait si facilement en confiance ses interlocuteurs. Il tapota alors les pages de son carnet de notes du bout de son index, avant de poursuivre. Bien sûr que vous pouvez mon ami ! Je travaille sur mon prochain roman ; ces notes préparatoires serviront à en planter le décor.

Léopold bu une gorgée d'absinthe qui lui brûla délicieusement la langue, et reposa son verre d'un air satisfait. Il reporta alors son attention sur le nouveau venu.

Et vous, jeune homme, que faites-vous donc ici ? Il eu un rictus malicieux. Êtes-vous venu pour le spectacle ou pour ses spectatrices ?

Tout en parlant, il fit un geste nonchalant en direction des cocottes fardées qui cancanaient près des hommes riches et des artistes réunis autour des meilleures tables des Folies. S'il était venu pour une femme, il n'avait que l'embarras du choix ; et quoi qu'on en dise, personne ne venait jamais vraiment pour le spectacle, car ce qui se déroulait dans la salle était toujours plus palpitant.
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Lionel Sylvande
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyDim 17 Juin - 11:57

Lionel trinqua bien volontiers avec son interlocuteur. La voix chaude de celui-ci, son air affable le mirent en confiance, sans qu'il puisse dire précisément pourquoi. Il eut un sourire. Il jeta même un coup d'oeil discret sur ce carnet, intrigué ...

- Vous êtes donc écrivain ... Vous êtes-vous déjà essayé au théâtre, vous qui souhaitez planter le décor ? Ou même, a-t-on adapté votre oeuvre à la scène ou compte-t-on le faire ?

C'était après tout une pratique à la mode, depuis quelques temps ... Et les petits lecteurs mais avides spectateurs, comme Lionel, y trouvaient leur compte, pouvant faire croire qu'ils avaient lu ce qu'ils avaient simplement regardé d'un oeil distrait. Le tour était joué ! Il ajouta, aussitôt :

- Mais pardonnez-moi cette intrusion, c'est que je suis acteur. Je me trouve peut-être devant l'auteur d'une pièce future, c'est souvent la rançon du succès.

Il faut avouer qu'il n'envisagea pas que cette perspective puisse déplaire à un auteur ayant foi en la force du roman. Lui qui fréquentait avant tout les planches ... Mais il n'avait point encore répondu à la question de son aimable interlocuteur ! C'est que celle-ci l’embarrassait un peu. Ce genre de sorties n'étaient point dans ses habitudes, au fond ... Resté particulièrement solitaire et secret, Sylvande avait été épargné, pour le moins, des vicissitudes de la vie parisienne. En ces temps d'infortune, pourtant, il se surprenait à le regretter ... Mais il n'était point familier de tout cela, ne maîtrisait pas la rhétorique propre aux visiteurs habitués. Pour peu, il serait comique qu'on le prenne pour un jeune provincial fraîchement arrivé - pour l'homme qu'il était, il y a cinq ou six ans.

- Pour les deux, peut-être. J'ai un intérêt de collègue pour ces dames, quand elles sont sur scène. Par la suite ... Je regrette juste de voir, parfois, les ficelles du métier, quand elles font mine de rire à la mauvaise blague d'un client. Mais ... - Il haussa les épaules - Je suppose que c'est dans l'ordre des choses, n'est-ce pas ?

Reprenant son verre, il questionna enfin :

- Avez-vous aussi de ces regrettables habitudes de l'art - si j'ose dire - jusque dans vos sorties ?
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Léopold Garnier-Brissac
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyMar 19 Juin - 4:58

Alors que le jeune homme assis en face de lui répondait avec un enthousiasme tel qu'il semblait en avoir oublié son pernod, Léopold piocha dans la panetière que la serveuse venait de poser à côté de son verre et commença à grignoter un petit morceau de pain blanc dans l'espoir d'altérer la brûlure de l'absinthe. Il referma son carnet de notes après que son interlocuteur y ai jeté un oeil et le rangea dans sa poche, soudain mal à l'aise - il n'aimait pas montrer ses brouillons à un lecteur potentiel.

— Vous êtes donc écrivain ... Vous êtes-vous déjà essayé au théâtre, vous qui souhaitez planter le décor ? Ou même, a-t-on adapté votre oeuvre à la scène ou compte-t-on le faire ?

Que de questions ! Léonard esquissa un sourire amusé, mais son interlocuteur enchaîna aussitôt et ne lui laissa pas le temps de répondre.

— Mais pardonnez-moi cette intrusion, c'est que je suis acteur. Je me trouve peut-être devant l'auteur d'une pièce future, c'est souvent la rançon du succès.

L'écrivain leva la main comme pour inciter le jeune homme à se calmer l'esprit, puis lui répondit derrière le bord de son verre d'absinthe.

Ah, mon jeune ami, au risque de vous décevoir, je n'ai jamais écrit de pièce de théâtre. Je vais en voir avec grand plaisir, mais ce genre est par trop dénué de réel pour moi, et je n'y trouve pas mon compte en écriture.

Lorsque Léopold lui demanda finalement la raison de sa présence aux Folies, le jeune homme se tût pendant un petit moment, visiblement à la recherche d'une réponse satisfaisante. Affichant toujours un air relativement amusé et un sourire en coin, l'écrivain but une nouvelle gorgée d'absinthe tout en observant son interlocuteur d'un oeil perçant. Il avait ce je-ne-sais-quoi des provinciaux, ce côté naïf, naturel, ainsi qu'une retenue un peu fausse qui le décelait facilement. L'air ingénu était heureusement pour lui à la mode et Léopold ne lui en tint pas rigueur, n'étant lui-même pas vraiment parisien même si personne ne s'en était jamais rendu compte. Lorsque le jeune homme retrouva enfin la parole, sa réponse sembla légèrement amère.

— Pour les deux, peut-être. J'ai un intérêt de collègue pour ces dames, quand elles sont sur scène. Par la suite ... Je regrette juste de voir, parfois, les ficelles du métier, quand elles font mine de rire à la mauvaise blague d'un client. Mais ... - Il haussa les épaules - Je suppose que c'est dans l'ordre des choses, n'est-ce pas ? Avez-vous aussi de ces regrettables habitudes de l'art - si j'ose dire - jusque dans vos sorties ?

Léopold acquiesça, et s'accouda d'un geste nonchalant sur le comptoir pour mieux se tourner vers le jeune homme. Peut-être était-il temps de lui faire profiter de sa sagesse de vieux lion débonnaire, et de lui glisser, en bon littérateur, une prolepse, une ou deux métaphores et une avalanche de synonymes pour lui expliquer l'état des choses en cette fin de siècle ? Son sourire ne le quittait pas, presque énigmatique.

Vous êtes bien pessimiste. Je croyais que les acteurs aimaient tromper leur monde ; n'est-ce donc pas votre gagne-pain ? Pourtant, on dirait que ça vous attriste. Il fit une pause, rêveur. Ces actrices, de nos jours, sont la réincarnation des déesses orientales, et les côtoyer relève presque de l'Assyriologie : il faut en décrypter les signes, y mettre beaucoup de soins, des offrandes sur l'autel de leur beauté. Peu importe qu'en retour leurs rires soient faux, elles méritent bien tous nos efforts, ne croyez-vous pas ? Auprès d'elles, nous ne sommes qu'un banc de poissons amoureux d'une ribambelle d'étoiles, sans ressources, mais ô combien heureux. Croyez-en mon expérience.

Léopold désigna la multitude de scènes qui se déroulaient devant eux, les éclats de voix, les couples libertins enlacés, la musique et les plumes hors de prix. Il passa une main lasse sur ses yeux éblouis et laissa échapper un petit ricanement.

Mais je m'égare. Quant aux "regrettables habitudes de l'art", je ne vois pas très bien ce à quoi vous faites allusion ; pour moi, rien n'est jamais regrettable. La vie est trop courte pour cela. J'aurais cru qu'un acteur tel que vous serait le premier à tenter de m'en convaincre.

Léopold était d'humeur lyrique, à tout points de vue. Une fois lancé, aussi bien sur le chemin de la poésie que sur celui des femmes, rien ne pouvait plus l'arrêter. Il avait envie d'enlacer la première venue et de lui murmurer des déclarations d'amour. Ou peut-être était-ce le mélange de son après-midi à l'Oeil d'Eboli et de son verre d'absinthe fortement dosé qui le rendait si romantique ? Il n'aurait sut le dire. Néanmoins, il arrivait à garder son sérieux et il aurait été bien difficile de voir sur son visage la moindre trace d'égarement.

Mais dites-moi, quel est donc votre nom ? Je n'ai pas pour habitude de parler philosophie avec des inconnus, et je dois dire que j'en suis intrigué, lui demanda t-il d'un ton presque malicieux.

Spoiler:
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Lionel Sylvande
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyVen 22 Juin - 23:01

Lionel écouta tout ce que voulut bien lui dire le bonhomme. S'il comprenait, abstraitement, les mots qu'il utilisait, les replaçait dans leurs phrases, reconnaissait bien qu'il lui parlait français, il sentait bien qu'il n'était plus capable de comprendre ... Cela l'attrista. Il eût aimé, pourtant, ne pas avoir de regrets ... Mais il est des routes sur lesquelles on s'engage et que vous devez suivre jusqu'au bout, dussent-elles vous envoyer en enfer ... Il hochait la tête, cependant, ne laissant pas venir au jour ses tourments. Un soir, un jour peut-être ... Il attendait quelque événement qui était dans l'ordre des choses, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de redouter malgré tout. Et il souhaitait se griser en attendant, sans y parvenir tout à fait - comme un condamné qui voudrait savourer sa dernière cigarette avant de monter sur l'échafaud, sans pour autant réussir à détacher son regard de la lame de la Veuve ... Son interlocuteur avait bien raison de parler de dissimulation. Sylvande se voulait léger et gai, en accord avec son environnement, lorsqu'il était préoccupé et grave. Il dissimulait assez bien son trouble, sans pour autant réussir à souscrire à l'atmosphère si particulière du lieu. Alors il passait pour naïf - pourquoi pas, après tout, le personnage lui avait longtemps collé à la peau ... ? Il répliqua donc, rendant à son voisin son sourire :

- Vous avez totalement raison, j'ai encore beaucoup à apprendre. En vérité, je suis à Paris depuis des années, mais avec le travail, je n'ai jamais profité de la vie parisienne, à proprement parler ... Bien du temps perdu, à ignorer tout cela ... !, plaisanta-t-il, apparemment léger.

On pouvait se demander ce qu'entendait un acteur, quand il parlait de travail. Sylvande était-il de ces artistes élaborant lentement leur personnage, cherchant une attitude ou une intonation pendant des heures, devant leur propre image ... ? Mais il reprit tout aussitôt, répondant poliment à la question de son interlocuteur. Il y avait un temps pour les fantaisies et un autre pour le savoir-vivre :

- C'est étrange tout de même, on nous apprend dès notre plus jeune âge à ne rien entreprendre sans une présentation en bonne et dûe forme. Personnellement, j'ai toujours tendance à vouloir l'oublier.

Il lui présenta sa main, sans pitié pour le pauvre petit pain qui devrait sans doute être délaissé.

- Si vous ne me connaissez point, c'est que vous n'allez pas encore assez au Théâtre, si j'ose dire ! Je suis Lionel Sylvande, j'officie pour l'heure au théâtre d'Art. Mais à qui ai-je l'honneur ? A un réaliste, j'imagine, vous qui souhaitez de la réalité sur les planches ...

Querelle d'école ? Peut-être ... A la mention de réalisme, son regard s'était allumé d'un éclat bizarre, pas vraiment agressif, mais assurément passionné.

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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyLun 25 Juin - 20:57

Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] 26662810
Auguste Roche était à peine sorti de l'hopital, point encore vaillant sur ses jambes, que cela lui était tombé dessus. Ce matin-là, plein d'honnêtes et de moins honnêtes parisiens s'étaient précipités au commissariat, une revue d'artistes à la main. D'autres, plus audacieux, s'étaient ensuite présentés avec un texte recopié, ou un souvenir plus ou moins vaillant de ce qu'on leur avait lu - ou raconté.

- Littérature ! avait jeté René, avec un haussement d'épaules.

Mais il semblerait que c'était de littérature dont on devrait s'occuper en ce jour. Une brigade fut rapidement envoyée chez l'homme que le texte désignait - mais la porte était close. On interrogea partout, on prit acte de ses habitudes et de ses lieux d'élection. Il était introuvable.

- Doit-on lancer un avis, commissaire ? avait demandé René au bout d'une journée de recherches infructueuses.

- Non, les parisiens sont déjà trop excités par tout ça. Toujours tenir la foule à l'écart de ces histoires-là ... avait répliqué Auguste. Cherchons.

Et puis à force de chercher, cela paya. Une dame bien comme il faut confessa avec horreur avoir vu M. Sylvande se diriger vers les Folies, le regard vague ... Cet homme était donc fou ?!

Peu après, le cabaret fut envahi par les livrées noires des policiers. Autour, on crut d'abord à une descente des Moeurs et, sans comprendre, les fille s'éclipsaient déjà, ou se rachetaient une conduite, dissimulant leur gorge trop offerte aux regards. Mais Roche et ses hommes n'eurent pas un regard pour le public de l'endroit. Ils se dirigèrent vers le comptoir, entourèrent nos deux hommes. Difficile de dire si M. Garnier-Brissac eut le temps de donner son nom à son interlocuteur - mais c'est sans doute souhaitable ... La voix puissante d'Auguste Roche retentit, faisant cesser la musique, brisant l'atmosphère vive et joyeuse du cabaret :

- Monsieur Lionel Sylande, vous êtes en état d'arrestation.

Et René avait déjà posé sa main sur l'épaule du jeune homme, comme pour le dissuader de tenter quoi que ce soit ...
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MessageSujet: Re: Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE]   Une folie parmi tant d'autres. [LIBRE] EmptyMar 2 Oct - 3:43


Le contact d'une main glacée sur son épaule, quelques mots, un vertige. L'air affable de Lionel Sylvande laissa place, un instant, à une expression d'intense panique ... Il regarda alentours - on se retournait déjà vers les agents de la Sûreté, curieux. Il songea tout de suite aux échos qu'il avait eus de l'affaire du Renard et ne voulut point répéter l'histoire. Il se leva, lentement, sans aucun geste superflu et adressa un pauvre sourire à son interlocuteur.

- Finissez mon Pernod si vous le voulez. Je crains que nous n'ayons point l'occasion de terminer cette conversation ...

Un coup de chapeau et, fort de cet aveu, Sylvande se rendit, sans héroïsme ni fanfare. Il avait donné son petit bout de vie pour une cause qu'il croyait bonne. Et puis il avait attendu que le couperet tombe. Cela avait plus tardé que Lionel n'avait prévu. Et malgré tout, cela arrivait trop tôt. Toujours trop tôt.
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