Pamina
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| Sujet: On pense que les rêves sont fait pour se réaliser Mer 14 Déc - 12:36 | |
| Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage. Marek Halter Hé bien il est l'heure de voter... Pour votre rêve préféré, celui qui vous a amusé, horrifié, qui a correctement fait tinter la corde onirique en vous, à vous de juger. Pour laisser un semblant d'anonymat, j'ai pris la liberté de masquer les prénoms par des "[......]" pour ne pas dénaturer vos textes ! Et ai ajouté de petits titres histoire que vous ne vous mélangiez pas avec seulement des numéros. Numéro 1 - Elle danse, bien repassée- Spoiler:
Elle dansait au milieu des papiers gras, des cornets de frites à deux sous, des chiffons. Elle dansait comme un petit rat de l'Opéra, le pied nu, la taille nouée dans une robe à haillons. Petite Cendrillon des faubourgs. Elle dansait, virevoltait et sous ses pieds le pavé se fit velours. Le contact en était si doux qu'il faisait songer à de délicieuses caresses. Les faubourgs s'étaient faits demeure chiche, nid douillet d'un bourgeois cossu.
L'escalier montrait ses rampes ouvragées, ses marches taillées qu'[......] grimpa sur la pointe des pieds. Toujours dansante, frôlant le sol et la rampe tel un fantôme de fumée. Un rai de soleil fit briller la poignée de la porte. [......] y posa sa main, poussa la porte qui s'ouvrit sans un bruit. Dans la chambre un berceau. Toujours sautillante, elle s'en approcha, se pencha sur l'enfant qui y dormait paisiblement. Sa main toucha celle minuscule du bambin, marraine fée des faubourgs qui surveille son jeune filleul.
- [......] !
Confuse, elle relèva la tête, croise le regard - doux ? - d'une bourgeoise.
- N'en faites pas trop ma petite. Vous allez vous épuiser à tant surveiller François.
[......] ne comprenait pas, regarda ses pieds. Qui n'étaient plus nus. Sa robe, propre et bien repassée, sur laquelle reposait un tablier blanc finement ouvragé. Des habits d'employée de maison.
Elle voulut poser une question à la femme mais celle-ci n'était plus là. [......] sortit de la pièce, se retrouva dans un couloir cerné de milles portes. Qu'elle ouvrit, découvrant des scènes où elle se voyait élevant François devenu petit garçon, puis jeune adolescent. Voyant le lien se tisser entre eux, proche de celui existant entre une mère et son fils.
Les portes se succédaient, tout autant que les scènes et les rires qui les accompagnaient. Eugénie entendait qu'on prononçait son nom. Elle courut vers la voix sans savoir si c'était celle d'un homme ou d'une femme. Son pied heurta quelque chose, elle trébucha alors que sa main se tendait vers une silhouette. Grande, imposante, rassurante.
Le froid du pavé la réveilla, couchée qu'elle était dans les faubourgs de Paris. Numéro 2 - Alice et la fin des haricots- Spoiler:
"Suivez donc ce Lièvre, là-bas, si vous n'avez rien de mieux à faire, monsieur. Vous voyez bien que je suis occupé." C'est ce que me dit monsieur le Chat, très élégant dans son costume trois-pièces, avant de reprendre son journal. Je me retournais donc pour mieux observer celui qu'il me désignait. "Ce lièvre possède une pelure rose, m'entendis-je constater. - Comme tous les lièvres, monsieur, me répondit le Chat d'un ton égal, sans lever les yeux de sa lecture. - Il porte un beau costume, lui aussi. - Comme tous les gentilshommes, monsieur. - Mais vous ne pouvez être des gentilshommes, vous êtes des animaux ! - Comme tous les Hommes, monsieur." Sur ces mots, monsieur le Chat me tourna le dos en même temps que la page de son journal.
Je m'approchais donc de monsieur le Lièvre. Madame la Tortue, toujours pressée pour faire ses courses, passa devant moi et le dépassa aisément. "Bonjour, monsieur le Lièvre ! l'interpellai-je. Où allez-vous donc d'un pas si tranquille ? - Oh, il s'avère que c'est l'anniversaire de ma cousine. Je suis en avance, très en avance. De deux semaines, pour être précis. Donc, je prends mon temps. Après tout, rien ne sert de courir, n'est-ce pas ? - Comme c'est gentil à vous de ne pas arriver trop tardivement ! Permettez-moi donc de vous accompagner le long du chemin."
Ainsi, nous marchâmes. C'était l'hiver, il faisait une chaleur étouffante. "Quel jolie boutonnière vous avez à votre pantalon ! s'exclama soudain monsieur le Lièvre. Mais votre rose est fanée. - Ce n'est pas une rose, mais une courgette, lui assurais-je. - En effet, c'est une drôle de carotte. - Puisque je vous dis que c'est une marguerite ! - Ceci est très clairement une clémentine, et je ne vois pas l'intérêt de partager ma promenade avec un Homme qui ne sait voir la différence ! Je ne vous salue pas, monsieur !" Et le Lièvre parti, me laissant sur le chemin.
Un petit Mouton, tout mignon, tout blanc, tout rond, s'approcha de moi. "Dessine-moi un Homme, me demanda-t-il - Tu as oublié la politesse, jeune Mouton. Pas de dessin pour toi !" Dans une volonté de vengeance puérile, le petit Mouton me poussa dans la paille ! Alors, mû par une soudaine envie, je me mis à rouler dedans en criant "Je suis un Paon ! Je suis le roi des Paons ! Brossez-moi les plumes, maintenant !"
Un Poulet passa à ce moment-là. Il dégaina son arme, un cèleri très aiguisé. Je m'exclamai : "Oh mon dieu, les carottes sont cuites !" Et monsieur le Poulet, de répondre : " Pour toi, c'est la fin des haricots !"
Numéro 3 - Rouge Opium- Spoiler:
La lampe est rouge – rouge d’absolu. Autour de lui, volutes élégiaques et titubements gracieux : des silhouettes vaguent ... Il fait chaud et lourd et les fumées serpentent doucement autour des pieds de chaise. Elles susurrent dans une langue étrange, mais il croit comprendre – c’est quelque chose de chuintant et de lointain, vieux rêve de Chine aux soies diaprées d’abondance ... Puis une femme est là-bas qui danse, lentement –ses breloques aux chevilles font un bruit sourd et lointain. C’est une Indienne, c’est une chinoise – c’est une Javanaise, c’est une femme et toutes les femmes à la fois. Silencieuse, tordant sa taille comme un serpent, elle ouvre une porte, au fond de la pièce sombre … La porte est une ruelle et il avance.
Dehors, il fait froid et il resserre son manteau ; son vieux manteau rapiécé qui n’est pas le sien … ce n’est pourtant que du vent qu’il saisit entre ses paumes – du vent et des morceaux de papiers qui volètent, dans l’avenue déserte. Il remue les doigts, maladroitement, et cela craque comme des sourires d’affamés. Il est immobile et pourtant quelque chose en lui avance - la ruelle sale a grandi et des fiacres se bousculent sur les trottoirs … Il fait nuit rouge, et il manque de se faire renverser par un cheval de rage … Veut reculer, détourne le regard ; comment expliquer au cocher la regrettable erreur qui l’a poussé sur son chemin … ? Mais c’est la langue des fumées qui s’échappe de ses lèvres, un vieux souffle rauque porté par les vents d’ouest … L’homme hoche la tête, stupidement – il ne comprend pas ! il ne comprend pas ! – et fouette sa bête … Le flot reprend son cours, dans un étrange vacarme … Le choc des sabots sur les pavés, les gémissements de la boue que l’on éplore …
Il lui prend l’envie de retrouver la pièce rouge, la lampe familière, la femme qui serpente – ô rêve familier !
Il revient sur ses pas.
La porte est close.
Et le jour qui passe entre les persiennes lui brûle les paupières. Numéro 4 - Le théatre aux bandits- Spoiler:
La grand-porte claqua solennellement. Il ne se retourna pas. Le théâtre était plongé dans l’obscurité et seul le marbre des colonnes, dressées et menaçantes, ressortait de cette noirceur. Le silence d’abord. Il se trouvait seul au milieu du grand hall. Là-haut tout était noir. En bas tout était sombre. Comment était-il arrivé-là ? Le silence encore. Il observa ses mains et ne les vit pas, recouvertes qu’elles étaient de gant d’une noirceur profonde. Un bruissement, peut-être…Il se retourna. Non. Rien que la grand-porte, close et imposante. Il n’y avait plus de poignet à cette immense porte. Le théâtre semblait être une caverne, un lieu dont en soi, un endroit indépendant. Comme si la vie n’existait pas au-dehors. Son cœur se serra, ses souvenirs s’estompèrent…Quelle vie ? L’impression qu’il n’y avait rien eu avant ce moment précis. Comment était-il arrivé là ? Parce qu’il venait d’apparaître là, c’est tout ! Il grimpa les escaliers, deux à deux, puis quatre à quatre. De grandes enjambées qu’il ne sentait pas. Volait-il ? Peut-être. Les escaliers s’achevèrent. Et encore le même hall. Il se retourna, voulut redescendre. Mais redescendre où ? Il était au rez-de-chaussée, dans le grand hall et ses colonnes de marbre. Tout à coup la musique. Cette musique venue de la tombe. Le théâtre valsa, tournoya. Il tourna avec lui, emporté par cette danse nocturne et macabre. Les murs se dilatèrent. Les colonnes levèrent les bras au ciel. Le ciel ? Quel ciel ? Il n’y avait guère que cette voûte majestueuse et sombre. Il valsa, jusqu’à en perdre la tête. Il eut le vertige, mais ne l’avait-il pas depuis toujours ? La musique encore. Il se précipita vers les portes de la grande salle. Ses mains gantées les poussèrent avec vigueur. Le rideau frôla son visage. Les voix redoublèrent d’intensité. La salle était éclairée. Les fauteuils observaient la scène d’un œil attentif. Les voix se baladaient, lui caressaient l’oreille puis repartaient de nouveau, emplissant la salle du sol au plafond, d’une porte à l’autre. Enfin l’apaisement. La musique marqua un temps d’arrêt. Lui continua sa course. La scène s’éloignait à mesure qu’il approchait. A chaque clignement d’œil, le comédien disparaissait pour mieux revenir. Une voix maintenant. Un cri de femme. Le cri était à ses oreilles mais la femme était loin. La femme ? Quelle femme ? Il n’y avait loin de lui que ce comédien mâle, avec les yeux exorbités d’un vieillard et la bouche alerte d’un effaré. Ses ballerines lui allaient bien. Il ne cessa de courir, et atteignit enfin la scène. Un éclat. Un éclatement. Des mots volèrent par milliers, des phrases vinrent blesser le comédien au visage. Les voyelles mirent feu aux sièges en velours. Les consonnes brisèrent le plafond pourtant solide. « Une bombe ! Une bombe ! » Cria-t-il sans ouvrir la bouche. Il se précipita. Où ? Nulle part à vrai dire. Il se trouva dans le hall, essoufflé, les poumons en feu. En vrai feu. Il toussa. La foule se retourna. Homme, femme, corbeau, colonne, sièges, parapluie, canne, boutons de manchettes…La foule quoi ! Il se sentit regardé, se retourna pour tomber nez à nez avec la même foule. Il fallait partir, qu’attendaient-ils tous ? Et le criminel ? Sûrement évadé ou mêlé à la foule. Inaperçu, incognito. Le comédien de tout à l’heure pointa du doigt quelqu’un. Un fugitif ! Il courait à contre-sens, s’échappaient par les coulisses. Il le poursuivit. La foule disparut peu à peu, à mesure que ses souliers frappaient le sol. Bientôt il n’y eut plus personne. Il continua cependant de courir. Que poursuivait-il ? Qui ? Il n’y avait personne dans ce théâtre ! Les coulisses serpentaient. Il se perdait. Non ! Le hall l’accueillit, de nouveau essoufflé. Il avait chaud aux mains, ne portaient plus ses gants. Un homme, au milieu du hall. Le criminel, il le reconnut. « Vous ! » s’écria-t-il. L’homme ne se retourna pas. Il portait des gants noirs. Il accéléra le pas. Le criminel gravit les escaliers. Deux à deux puis quatre à quatre. Arrivé au sommet, le coupable se retourna et n’aperçut plus l’escalier. Il se retourna et n’aperçut plus l’escalier. Personne ne le suivait, il ne poursuivait personne. Il était le coupable et le poursuivant. Numéro 5 - Nooon !- Spoiler:
Ses yeux sont ouverts, il fixe le plafond. Il doit garder les yeux ouverts, encore. Il entend sa respiration, est-il totalement réveillé cette fois? Dehors, il fait encore nuit, mais le ciel est illuminé par les tirs de feu d'artifices explosifs. Ils sont encore là. Il va falloir qu'ils se battent encore et encore pour leur liberté. Il se lève, caressant sa longue moustache nattée au passage. Les Romains ne passeront pas cette fois, Haro! Puisse le Golconde venir les sauver encore une fois! Il se saisit de Griffon, son porte-plume porte-bonheur et s'engage dans l'escalier descendant à toute vitesse, son arme sous le bras.
Une fois arrivé en tout en haut de la Cathédrale, il remarque l'agitation qui parcoure les rues de la ville. Les romains s'avancent, détruisant peu à peu la cité. Un nouveau feu d'artifice file à côté de la Dame de Pierre, manque de la toucher et explose à quelques mètres de la plateforme où le fier guerrier est posté., faisant voler le chapeau haute-forme qu'il avait jusqu'à présent. Un si beau chapeau.
Pourquoi cette guerre inutile? C'est la question qu'il se pose tandis qu'il s'avance sur le parvis, esquivant les bras boueux de la Seine qui se sont déversés avec l'avancée de l'envahisseur. Il doit faire quelque chose, délivrer la Grande Colombe. Ca arrêtera cette effusion de sang inutile. Au moment même où cette pensée le traverse, il voit un artifice meurtrier foncer vers de jeunes gens masqués qui meurent dans un râle théâtral "To quoque mi Fili!". Son coeur se serre, mais il ne peut plus rien faire mis à part agir de sa plume et de son verbe. Il s'avance vers le Romain barbare et l'attaque les larmes aux yeux. Ne demandant que le pardon, aussitôt le Romain laisse tomber son costume et fait apparaître une moustache et une barbe fournie sur son visage.
Le guerrier à la plume continue son chemin, il s'approche de l'endroit où la Colombe se trouve. Une petite musique qu'il connait bien se fait alors entendre. Tout heureux, il tourne la tête, la confiserie de Lille avec sa devanture dorée et ses manèges en sucre, il est sauvé. Le bonheur des enfants, la joie des grands-parents! Il se précipite vers ce havre de paix pour le protéger, lui et ses habitants, mais avant d'atteindre l'entrée, une belle bleue entre subitement dans le magasin, détruisant tout dans une explosion colorée de sang et de chair. Détruit, il ne peut avoir qu'une réaction, tombant les genoux sur le sol gelé, il tend la main en avant et met le reste de sont énergie dans un cri du fond des âges.
"NOon! Pas les BonBons!"
Avant de se laisser tomber la tête sur le sol. Numéro 6 - Des pièces vides- Spoiler:
Cela commence toujours par le ciel. Un ciel de tourmente, violacé, sépia, lardé de ces nuages d'orage crochus et tourbillonnants. Ils vont toujours trop vite, s'impriment dans le ciel comme des surexpositions sur daguerréotypes. Le ciel se tord, enfle, gonfle, mais ne s'ouvre jamais - ne douche jamais la maison qui lance son toit vers lui, désespérément. C'est un souvenir aberrant. Il n'a jamais connu cet endroit. Il a existé, il ne l'a jamais cherché. On lui en a parlé - depuis tout petit, inévitablement, il en rêve. Comme un havre distordu, la mémoire morte de quelqu'un d'autre. C'est un endroit de vieux contes, un foyer dont il ne connaît pas la chaleur de l'âtre et la beauté modeste des bois et des meubles. Il les imagine, alors, offre aux pièces de trop grands plafonds, découpés de ci dans les belles moulures des immeubles parisiens, de là dans le plafonds à poutrelles des maisons rustiques de Picardie, il colle des fenêtres qui n'existent pas, des motifs à la cheminée, un nombre de pièce difficilement constant. Et puis il y a le jardin, court et sombre comme dans un crépuscule, où poussent de gentils poireaux et des topinambours, et les petits-pois viennent d'être cueillis, et il lui semble qu'il aurait du croiser sa mère sur le chemin, qu'elle est probablement rentrée depuis lors. Que l'odeur chaude et aimante qui semble lui parvenir, frêle esquif dans la ouate molle des rêves, provient d'une bonne soupe, que l'on lui servira dans un vieux bol familier - et il s'imagine celui plein de gruau, prêté par Marieke lorsqu'il était petit, pour qu'il se réchauffe. Il a juste raté sa mère, alors il rentre chez lui. Et les pièces sont des fantômes. Vides. Avec ces vieux parquets de misère qui nous écorchent les pieds, avec aux murs de grandes fleurs de moisissure. C'est à présent cette vieille chambre au plafond bas, son premier vrai logement, qui se déroule sous ses yeux, puante, humide, glacée. Plus d'odeur de soupe, plus trace des ors de l’âtre crépitant, juste de vieux jouets en bois, grappillés et écaillés, qui traînent dans un coin, et des traces de mains d'enfant dans la poussière d'un temps silencieux. Et puis l'orage se déclare, enfin - lourd et gras et craquant comme le corps d'un bateau en bois. Et il se serre contre lui-même, dans ses beaux draps de coton brodé, et le corps tranquille de sa femme à son flanc n’apaise pas ses hantises de solitudes - après tout, elle rêve, elle aussi. Numéro 7 - La Meute- Spoiler:
Cela commençait toujours de la même façon. J'étais dans le jardin, un jardin qui était censé être le notre mais qui ne lui ressemblait pas, devant une maison étrange que je reconnaissais pour mienne. La lumière était très forte, et j'entendais mon père me héler depuis l'intérieur. Je tentais de courir le rejoindre, mais mes jambes étaient comme gaînées de plomb, alourdissant mes pas. Il me semblait toujours que c'était au terme d'un effort herculéen que je parvenais à me désengluer de ma place et que je poussais la porte de la maison.
Il y faisait obscur. Trop. Le seuil lumineux disparaissait derrière moi sans que j'y prenne garde. Une unique bougie luisait dans la pièce, dans les mains de mon père. Elle peignait sur son visage une fresque d'ombres fantasmagoriques qui me firent reculer. L'homme sourit.
- Et bien mon fils ! Viendras-tu ?
Il se détournait et entamait l’ascension d'un escalier immense, aux marches inégales et dénué de rambarde. L'obscurité autour de lui était si dense qu'elle semblait solide. Elle reculait un peu, repoussée par la faible lueur de la chandelle, mais c'était pour mieux se masser autour de moi, épaisse, mouvante. Vivante. Je voulais dire à mon père que mes jambes étaient lourdes, trop lourdes, et qu'il marchait vite, et qu'il me laissait derrière, et que j'avais peur mais ma voix ne m'obéissait pas. La flamme vacillante s'éloignait lentement. Je rassemblais les brisures de mon courage, et marche après marche, pas après pas, je me hissais à la suite de mon père, les ténèbres sur mes talons. Elles ressemblaient des chiens féroces, grondants et menaçants, guettant l'occasion de mordre. Je savais que si je n'y prenais pas garde, cette meute de mâtins me dévorerait. Certaines marches étaient hautes, à tel point que je devais m'aider de mes bras pour les franchir.
- Hâte-toi , mon fils !
Je serre les dents, luttant contre la toile d'araignée qui semble m'engluer, rendant pénible chaque geste. Je me hisse enfin au dernier palier. Il n'y a rien après. Que le vide, le noir, et mon père avec sa bougie dans la main et son sourire. Il a des dents de loup. Il souffle la bougie. La nuit m'enveloppe aussitôt. Je tends la main, recherchant le visage de mon père. Mes doigts rencontrent le mufle écumant d'un chien, babines retroussées.
Et la meute se jette sur moi. Numéro 8 - Il est une femme- Spoiler:
Elle avançait, lentement, pas à pas, et sa robe ne faisait aucun son en frôlant le sol rêche. Elle... Elle, oui... Car cette nuit là, [......] était une femme. Mais cela ne la dérangeait pas. Au contraire, rien ne lui avait jamais paru plus naturel. Elle avançait donc, impassible, comme ces saintes qu’on voit sur les vitraux des églises, et qui jamais ne sourient ni ne vous dévisagent. Il y avait des gens, pourtant, des hommes, tout autour d’elle, qui eux la fixaient, et avaient d’elle des envies peu avouables. Elle autorisa alors un sourire à se dessiner sur sa face impassible : il fallait les comprendre. Elle savait son corps si désirable, si riche de sensualités et d’attraits. A un moment, ils se jetteraient sur elle, sans plus de retenue, sans considération pour sa sainteté manifeste. Elle pensait cela calmement, sans émotion, sans crainte. Le paquetage sur son dos, qui, quand elle était homme, la faisait tant souffrir, ce poids horrible qui l’avait année après année plié en deux, courbé, incliné, la tête en avant comme pour le préparer au plongeon ultime et au tombeau, ce même paquetage, maintenant, elle le portait sans faiblir, et il semblait à vrai dire bien léger au regard de la tristesse qui sans raison emplissait son coeur, une tristesse acerbe, violente, qui lui secouait le coeur, lui retournait les entrailles, qui, surtout, lui étreignait la gorge et le cou avec une violence qu’elle ne pouvait pas expliquer. Elle continuait à marcher. Toujours, de nouveaux visages apparaissaient autour d’elle, des corps serrés, toujours plus proches d’elle, toujours plus pressants. Elle porta son attention sur son propre corps, et remarqua que les battements de son coeur s’accélérait. Comme elle avait du mal à respirer ! Et comme cela lui était indifférent... Jamais elle n’avait été aussi calme que dans cette marche funeste, jamais l’effroi n’avait si peu éprouvé son esprit, et jamais pourtant son corps n’avait montré tant de signes de panique. Et puis, soudain, elle trébucha. Il n’y avait plus de sol sous ses pieds. Ils se balançaient dans le vide, et la pression autour de son cou croissait à chaque seconde. Elle ne respirait plus. Son corps si sensuel se balançait maintenant comme une chose molle, répugnante. Elle courait, pourtant, très vite maintenant. Car elle savait. S’ils l’attrapaient, s’ils l’enfermaient, ils ne se contenteraient pas de prendre son corps. Ils détruiraient en même temps toute possibilité de retour. Mais la corde autour de son cou l’empêchait d’avancer. Elle ne comprit pas. Elle vit seulement les hommes, pâles, fins, transparents comme des vers, se jeter sur elle. Et là-bas, seul, le bourreau l’observait, sa tête déplumée brillait au soleil de minuit. N’était-ce pas [......] ? Ah, l’infâme ! La tête retomba brusquement sur la poitrine, qui n’était plus tourmentée.
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