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| Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Lettre mystérieuse Lun 3 Oct - 6:01 | |
| Cyrille avait été on ne peut plus surpris en recevant une étrange lettre parfumée de la main de M. Michu. Il avait eu un regard étrange et plissé en la remettant au jeune prêtre. C'était vrai qu'il en recevait peu, et encore moins des aussi jolies au premier abord. Il fallait dire que peu de ses connaissances pouvaient se permettre d'écrire dans une enveloppe violette. Et c'était de toute évidence, quelqu'un qui le connaissait lui mais qu'il ne connaissait pas qui souhaitait le voir. Une femme surement, du grand monde en plus pour se permettre cet extra. Souhaitait-elle une confession? C'est ce que laissait entendre le mot. C'était étrange qu'on aille le chercher d'aussi loin pour cela...mais si on avait besoin de lui, il irait.
Il était parti assez longtemps en avance, mis en garde par le frère Jacques des problèmes de circulation dans la capitale. Il était descendu de son perchoir un sourire sur les lèvres au petit matin. La capitale s'éveillait lentement, ouvriers allant à l'usine, vendeurs de journaux, ferrailleurs. Tout ce beau monde s'activait dans les rues crasseusse du quartier. L'air était froid, ses yeux pleuraient, mais il ne quittait pas sa mine enjouée. Il devait marcher un peu pour aller jusqu'à la station de tramways la plus proche où il trouva une foule entassée cherchant à entrer dans le véhicule tiré par des chevaux. Il ne vit pas les regards intrigués de certains sur son habit noir et blanc, préférant observer à droite à gauche la foule qui l'entourait. Tout le monde avait réussi à monter dans le tramway même si certains s'étaient retrouvés sur le toit par manque de place. Le trajet aurait pu être désagréable, la condition d'homme saint de Cyrille ne lui épargnant ni la promiscuité avec les autres, ni la chaleur moite et étouffante qui s'échappait de cette masse humaine, mais le jeune homme avait réussi à avoir une place debout près de la fenêtre. Ainsi, il avait pu observer à loisir le tout Paris qui défilait devant ses yeux, une main sur la fenêtre froide, le nez presque collé dessus.
Le voyage en tram dura un certain temps, surement rallongé par un incident sans gravité qui était survenu sur les rails. Il arriva à la gare la plus lointaine où il pouvait s'arrêter avant de trouver un autre moyen de transport, un omnibus allant un peu plus loin à l'ouest. Il l'attendit, observant le plan gravé qui se trouvait aussi dans la lettre. L'omnibus arriva. Il y avait peu de monde qui allait dans la même direction que lui. La différence avec l'endroit d'où il était sorti était impressionnante. Il regarda Paris s'effacer peu à peu pour laisser renaître la campagne alentour. Il fut déposé sur la route et continua son chemin à pied, dans son manteau aux manches larges.
Finalement, il vit le village...ou tout du moins, celui qui devait se trouver là selon le plan. Il pressa le pas, craignant d'arriver en retard. La chapelle fut rapidement trouvée, accueillant les visiteurs avant qu'ils ne rentrent dans le village. L'horloge lui disait qu'il n'était pas en retard, en avance même. Le frère fut soulagé. Au moins, la dame n'aura pas attendu à cause de lui. Il resta à hésiter quelques instants avant de rentrer dans la chapelle, ignorant si le rendez-vous était à l'intérieur ou sur le parvis. Ses membres engourdis fut la seule raison pour laquelle il poussa la porte pour rentrer. Il trempa ses doigts dans le bénitier avant de se signer en rentrant dans le bâtiment. Il ne restait plus qu'à attendre sa mystérieuse correspondante, l'air penaud, presque gêné. Si seulement il pouvait être sûr qu'il ne la ferait pas attendre dehors. |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Mer 5 Oct - 10:57 | |
| | Madame de *** avait mauvaise mine, ces temps-ci. Quand elle allait dans le monde, quand elle recevait, elle avait gardé ses airs de dame comme il faut – mais au fond d’elle, la mécanique était brisée. Quand elle se regardait dans le miroir de sa coiffeuse, seule, enfin seule, elle voyait son regard trouble et quelques rides de mécontentement qui troublaient son beau visage. Elle avait essayé d’évoquer ce qui la mécontentait alentours, mais les incompréhensions du monde ont leurs cruautés … Croyant avec ferveur, elle s’était donc tout naturellement tournée vers la religion, mais comme toute autre chose, celle-ci lui sembla corrompue par la société qu’elle fréquentait, où l’on devait dissimuler le moindre sentiment qui nous anime ... Exténuée d’être irréprochable, elle était allée chez sa bonne amie, Mme Genlas, pieuse personne qui saurait lui recommander quelque retraite bien dissimulée. Mais si Mme de *** pensait déjà aux silences ponctués de prières et de sons de cloche d’un couvent de |
campagne, Mme Genlas lui recommanda autre chose. C’est sous les conseils de cette respectable douairière, donatrice à ses heures, que Madame de *** avait envoyé ce billet insensé à un prêtre que l’on disait de sincère croyance et de haute moralité. Lui au moins, espérait-elle, n’irait point à de coupables pensées, en recevant une missive signée d’une main de femme … ~ * ~ Madame de *** se présenta en retard. Elle parut, sortie de n’importe où – nul bruit de voiture ni de chevaux : seul son petit pas nerveux sur les dalles mal fixées de la chapelle annonça son arrivée. Vous vous retournez sans doute vers elle, frère Carpentier, avide d’en savoir plus sur cette mystérieuse inconnue ? Les indices sont rares, malheureusement – Madame de *** porte une voilette. Ainsi, dans l'ombre des vitraux, ses traits semblent comme effacés, et elle ressemble à une esquisse de tableau, vivante mais insaisissable. Habillée de sombre – la pénombre du lien vous empêche de déterminer si c’est là du noir, couleur de deuil, ou une de ces étoffes foncées qui vont si bien aux peaux blanches – grande, digne, elle vous salue d’un signe imperceptible de la tête. Puis du ton où l’on commande, où l’on exige ainsi que les gens de sa classe, elle rompt le silence : - Mon père, je vous ai écrit car il est bien difficile de trouver personne honnête en ce monde … J’ai besoin de parler à une âme pure, à un regard qui ne juge point. Si vous me condamnez, je veux que ce soit selon la morale des évangiles, et point selon les exigences de la société du siècle.S’approchant, elle vous tend une main gantée de noir - poignet cerclé de perles. - Puis-je compter sur votre discrétion ? Respecterez-vous ce contrat initial ?Sa voix a quelque chose d'impérieux et ses yeux noirs brillent, derrière la voilette. |
| | | Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Jeu 6 Oct - 2:08 | |
| L'heure était passée mais la mystérieuse inconnue n'était toujours pas arrivée. Y avait-il eu un problème? Cyrille s’apprêtait à aller regarder dehors, priant pour le bien-être de celle qu'il attendait, lorsque claquèrent des chaussures sur le sol de la chapelle. Le prêtre se retourna pour voir une ombre diaphane. Il n'y avait pas que la lettre qui était mystérieuse: la femme portait un voile sombre qui empêchait ses traits, qu'il supposait fins, de se dévoiler entièrement, les flouant en partie. Le prêtre remarqua le sombre de sa robe. Portait-elle la mort de son mari? Le jeune prêtre rendit son salut de manière aussi discrète qu'il lui avait été donné. Cette femme n'était pas de celle qu'il fréquentait habituellement. A vrai dire, elle venait d'un milieu qu'il n'avait jamais pu qu'entrapercevoir de loin, comme il l'avait supposé en recevant sa lettre. Elle lui semblait distante, éphémère. Sa voix était celle de ceux d'en haut, il n'y était pas habitué...Il voulu répondre et ouvrit la bouche, bégayant. Il ne savait comment recevoir les paroles de la mystérieuse inconnue, aussi son regard, parsemé de gêne, d'incompréhension et de douceur semblait à la fois chercher et fuir à tout prix celui de son interlocutrice
"Ma...madame, je...ne suis qu'un petit prêtre vous savez...je ne veux pas que vous vous fassiez de mauvaises idées à mon sujet...et que vous soyez déçue."
Ses doigts se mêlaient et s'entremêlaient dans une danse étrange. La gorge sèche, il avala sa salive. Il reprit doucement regardant le damier du sol. Il avait l'impression d'avoir involontairement monté une farce grossière à cette pauvre femme, et il en était diablement gêné. Comment avait-elle eu vent d'une telle rumeur?
"Vous cherchez un Saint...je...je ne peux vous offrir qu'un homme. "
Elle lui offrit une main élégante et un poignet enserré de perles blanches qui contrastaient avec son habit. Il hésita un instant avant de venir la saisir délicatement.
"Je...J'agirais au mieux selon la volonté de Dieu et des Saintes-écritures Madame."
Pour la première fois, son regard doux s'était complètement planté dans les yeux brillants de la dame, pendant quelques secondes, avant de repartir regarder autour, comme si il s'en voulait de cette intrusion forcée de quelques instants. |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Dim 9 Oct - 3:01 | |
| | Madame de *** le vit s’embarrasser avec un sentiment de triomphe et de conquête. Cela se décela-t-il, dans l’infime redressement de son buste, le mouvement de ses mains – le sourire vague qui se dessinait à peine derrière le voile … ? Elle demeura un instant près de vous, tandis que vous effleuriez sa main, sous le cuir fin des gants : vous avez peut-être remarqué, frère Carpentier, sa haute stature, sa silhouette un peu longue. Elle est grande, trop mince, elle est digne, orgueilleuse. Mais cela vous aide-t-il, vous qui ne la connaissez pas ?
Après votre réponse, après votre geste, Madame de *** eut un mouvement volontaire de la tête – comme une façon de faire sentir une dernière fois son joug, avant de s’abandonner à un homme qu’elle jugeait bien digne de confiance. Elle scella enfin le pacte par ces mots : |
- Votre humilité ne fait que confirmer ce que l’on m’a dit de vous. J’en connais, des prêtres qui se disent au-dessus des hommes … L’orgueil mène à la chute, c’est tout ce que je puis dire.
Elle retira sa main d’un geste léger et arpenta les dalles de la chapelle. Pas une ombre, pas un chat. Et c’est d’une voix plus sourde qu’elle reprit :
- J’en sais quelque chose, Monsieur …
Et se tournant de nouveau vers lui, dans un frisson de taffetas, un effroi de perles – image charmante et triste de toutes les vanités humaines, qu’elle dit abandonner et dont elle semble pourtant le vivant symbole :
- Je ne veux point une confession dans les formes. Je n’ai point besoin des appareils, des grilles, des portes que l’on claque sur les secrets … C’est en cette chapelle que je fus baptisée, qu’on m’apprit mes premières prières, je veux que l’on y entende ce que j’ai à dire.
Elle eut un moment de silence et reprit, sans prendre état d’une possible réponse, d’une éventuelle objection :
- Ce voile figure assez bien la grille du confessionnal. Cela me suffit.
Elle eut un geste brusque, et vous voyez qu’elle avait saisi, déjà, le dossier d’une petite chaise … Mais elle s'est ravisée et demeure, à présent, dans l'attente de votre invitation. Il lui est difficile, semble-t-il, de vous laisser les rênes, mais cette renonciation, cette tête baissée, presqu’honteuse, cette vanité qui s’offre sur un plateau vous sont autant d’occasion de mener la danse, si vous le souhaitez ...
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| | | Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Sam 15 Oct - 1:49 | |
| Cyrille s'obliga à recevoir ce dernier compliment dans un mouvement de tête respectueux. Il ne lui avait pas été donné de croiser ce genre de prêtre. Peut-être était-ce un mal propre aux grandes villes que celui là? Ou bien cette grande dame n'avait pas eu de chance. Elle s'éloigna de quelques pas dans la chapelle, suivie du regard par Cyrille tant qu'elle ne pouvait pas le voir. Ce même regard qui sembla s'écarquiller dans un mélange de tristesse et de douleur lorsque pour la première et courte fois elle lui dévoila sa faiblesse et sa souffrance. Quel passé pouvait réussir à briser sa gangue de dignité et de grandeur? Le prêtre avait l'impression étrange que les aveux qu'il allait recevoir ne lui apprendraient pas tout. Il regarda cette femme qui semblait si forte et qui se devait de garder cette image avec compassion. Elle lui avoua son souhait de ne pas se confesser dans un confessionnal. Cette envie n'étonna pas le prêtre. L'un dans l'autre, la confession restait devant Dieu. "Nous...ferons comme vous souhaitez que nous fassions Madame. Si...cela vous suffit..."Il inclina légèrement la tête. Cyrille remarqua que la dame semblait attendre avant de s'asseoir. Elle l'attendait lui? Il ouvrit la bouche en faisant des yeux ronds. Elle ne devait pas se contraindre de quoi que ce soit. N'étaient-ils pas égaux devant le seigneur? "Je...non non, asseyez vous, asseyez vous Madame. Je...je ne veux pas que vous restiez debout."Il sembla esquisser un geste en direction de la femme, comme pour l'aider à s'asseoir mais se résigna au dernier moment. Retenue pastorale nécessaire. Il tira lui même une chaise une fois que la femme fut installée, lui jetant de rapides coup d'oeil en coin comme pour s'assurer qu'elle ne s'était pas évaporée entre temps, et s'installa en face d'elle. Il eut un léger sourire gêné et maladroit mais se redressa du mieux qu'il put. Le voila devenu la voix de Dieu. Son ministre. Son juge. Il se racla la gorge, prêt à dire les phrases rituelles, resta un instant la bouche entrouverte et... "Vous...souhaitez - vous que nous gardions la formalité ou quel...quelque chose de plus simple?"Il sembla se perdre dans ses paroles en disant ça, légèrement rosissant. Il devait avoir l'air fat devant cette grande dame, et ce qui est pire l'agacer et lui faire perdre son temps. Il avala sa salive à l'idée de gêner la femme par son comportement, fuyant son regard. - Spoiler:
Si tu veux que j'aille plus loin, dis moi, je changerais
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| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Dim 16 Oct - 6:03 | |
| | Madame de *** s’exécuta et prit place en silence. Quand le frère Carpentier lui demanda ce qu’elle souhaitait, elle étouffa un léger rire. On pouvait se demander ce qu’elle était venue chercher là – elle-même ne semblait pas bien le savoir. Et faisant volte-face, revenant sur ce qu’elle venait de dire, elle répliqua, tout aussitôt :
- Mon père, je crois que je me suis fourvoyée en vous parlant de confessionnal. Je cherche … Disons moins une bénédiction qu’une discussion avec quelqu’un qui croit aux saints préceptes de notre Église. Pourriez-vous être, pour un jour – pour plus de temps peut-être – un directeur de conscience, comme avaient les dames du temps jadis, vous voyez ?
Elle lissa le tissu de sa jupe, avec application. Puis, après une grande inspiration : |
- Je crois que j’ai fauté, mon père, et que le Ciel déroule quelque horreur pour punir ma vanité. Savez-vous ce qui arrive, en ce moment ? En avez-vous entendu parler, depuis vos pieux retranchements ? J’ai …
Elle déglutit, leva les yeux vers les petites ogives de la vieille chapelle. Reprit, avec moins d’assurance :
- Savez-vous comme on vit, dans le monde ? Imaginez-vous ces bassesses, ces hypocrisies, ces convoitises qui apparaissent, dans tous les regards ? J’ai toujours essayé, mon père, de préserver la moralité autour de moi, mais … Mais je doute, à présent. Cette violence qui a ébranlé ce monde m’a touchée, moi aussi … N’est-elle pas un moyen, méprisable en apparence, de nous avertir ... ?
Dans un soupir, elle sortit un mouchoir qu’elle passa doucement sous ses yeux, derrière le voile. Tandis qu’elle soulevait ce dernier avec précaution, une mèche blonde détachée de sa coiffe a peut-être accroché votre regard.
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| | | Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Dim 23 Oct - 2:01 | |
| Cyrille se stoppa en entendant le rire cristallin de la femme. Avait-il commis un impair? Sa main posée sur son genoux serra le tissu de sa toge et il regarda la jeune femme avec inquiétude. Mais cette dernière n'était pas outrée, n'était pas gênée. Et au final, elle ne souhaitait pas de confession, mais une simple discussion. Peut-être que cette révélation soulagea un peu le coeur du prêtre, tout du moins, sa main se décontracta.
"Bien sûr Madame, ce sera avec un grand plaisir..."
Il s'inclina légèrement, attendant que la femme ouvre son âme au servant de Dieu. Il jouait nerveusement avec sa croix, dans un réflexe. Bien que le poids de la confession ai été ôté, il n'en restait pas moins qu'il devait rester alerte pour aider la dame.
"Me parlez-vous de l'attentat Madame? Quelle faute pourriez-vous avoir fait qui vous a amené à penser que vous pouviez en être la cause?"
Il la regarda avec ses grands yeux noirs, interrogatif, inquiet. Il n'imaginait pas qu'une personne aussi pieuse puisse fauter volontairement.
"J'ignore tout du monde dont vous me parlez Madame...et ce que vous m'en dites n'est pas réjouissant, même si je dois avouer que j'ai du mal à y croire."Il sembla s'empourprer un instant, se rendant surement compte qu'il remettait en question la parole d'une grande dame. "Non...non pas que je pense que vous me mentiez Madame, mais...enfin..."
Il avala sa salive, baissant le regard, un prêtre n'aurait pas dû réagir comme ça, il le savait. Il tenta de se ressaisir, la dame avait fait appel à lui, et il n'avait pas l'impression de lui avoir apporté beaucoup.
"Com...comment cette violence a fini par vous atteindre Madame? De quoi pensez vous qu'elle souhaite nous avertir?"
Les langueur qui transparaissait de sa personne maintenant le touchait énormément. Tellement, que pendant une fraction de seconde, il sembla amorcer un geste vers la mèche dorée qui s'était échappée du carcan noir pour la remettre en place. Mais il se stoppa rapidement. Un prêtre était un prêtre, et il devait agir en tant que tel. |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Mar 1 Nov - 12:39 | |
| | Cependant, Madame de *** ne perçut point le geste du frère Carpentier. Elle n’écoutait que le flot de paroles qu’il déroulait et qui ne délivrait point encore l’élixir tant désiré. Elle remua sur sa chaise, doucement ; ses mains se nouèrent.
- Oh Monsieur, elle touche les gens comme moi, je le sais. Quand on va dans le monde, quand on loue sa loge à l’année au spectacle, on ne peut que se sentir concerné par ce qui est arrivé, n’est-ce pas ? Alors moi ou une autre, n’est-ce pas la même chose ?
Elle se leva et ce fut elle qui, soudain, saisit la main de ce prêtre, oubliant le fossé réel qui s’étendait et s’étendrait toujours entre eux, et comme cherchant un repère à qui se raccrocher : | - Pensez-vous que notre genre de vie soit blâmable ? Nous n’avons rien pris à qui que ce soit, je fais mes dons aux œuvres de charité, je fais mes prières et pense à Dieu et à la Vierge, chaque jour …Mais reprenant contenance, elle retira sa main tout aussitôt, baissa la tête et s’éloigna en silence – c'est alors qu'une mince feuille de papier, pliée en deux, s’échappa de ses voilures, sans qu’on pût comprendre où elle la tenait cachée. - Mais il y a quelque chose, n’est-ce pas, qui ne tourne pas rond en ce monde ? Dites-moi !Madame de *** vous tourne le dos, frère Carpentier, et ne semble pas avoir remarqué que la mince feuille lui a échappé. |
| | | Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Dim 6 Nov - 10:08 | |
| Cyrille hocha la tête doucement. Il songea qu'elle aurait très bien pu faire partie des victimes de l'autre soir et qu'elle le savait. Avoir conscience que sa propre vie aurait pu prendre fin devait être difficile à accepter. Son regard se posa sur la voilette noir.
"Vous avez raison." Puis il marqua une pause avant de reprendre. "Eti...étiez vous là?"
La question n'aurait pas dû être posée, il le savait. Mais il voulait savoir. Il avait l'impression que si jamais c'était le cas, elle pourrait être libérée d'un poids. Mais sans doute se trompait-il. En tout cas, il n'eut pas vraiment l'occasion de vraiment réfléchir là dessus, il sentit le cuir des gants serrer ses propres mains. Le rouge sembla lui monter aux joues et son étonnement le l'empêcha pas de compresser doucement les doigts de la dame.
"Madame..."
Elle retira sa main, et il accompagna le geste doucement. Il était étonné de ses questionnements. Ils étaient inhabituels pour lui. Il prit quelques instants pour réfléchir à la question qu'elle lui avait posé.
"Je..."
Il savait très bien que parmi ses élèves, peu réussiraient à s'en sortir. A bien manger, ne pas trop se fatiguer, ne pas connaître de mort trop tôt. Il était conscient de sa chance personnelle.
"Oui."Il marqua une pause, peut-être pour se rendre compte lui même de ce qu'il venait de dire et ce que cela impliquait. Il se leva à sa suite et remarqua le papier qui été tombé des vêtements de la femme. Il le ramassa avant d'aller se placer derrière la dame.
"Mais vous n'êtes en rien coupable Madame. Votre seul tord...est celui d'avoir eu de la chance."
Il posa une main chaleureuse sur l'épaule de celle qui se confiait à lui.
"Continuez...à agir droitement selon la volonté du Seigneur. Pour le salut des autres." Sa voix finit presque dans un murmure. "Vous faites déjà beaucoup." |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Dim 13 Nov - 12:14 | |
| | Elle hocha doucement la tête lorsqu’il lui dit qu’elle n’était pas coupable – c’était au fond ce qu’elle cherchait à entendre ; malgré ses protestations d’honnêteté et sa piété sincère. Elle cherchait, faible femme qu’elle était, un réconfort. Elle ne le trouvait pas tout à fait, dans cette gentillesse ignorante, cette hésitation devant un monde mal connu, mais la tentative avait son prix … Elle frissonna quand il posa la main sur son épaule, s’offusqua un peu … Mais laissa faire. Les méthodes du frère Carpentier, sa soumission naïve, son dogmatisme tranquille étaient autant de choses nouvelles, et elle ressentait le désagrément un peu fasciné que l’on a devant des coutumes étrangères.
"Vous faites déjà beaucoup."
Elle opina du chef de nouveau, sans se retourner. Et c’est d’une voix plus basse qu’elle répondit, mal à propos : |
- J’y étais et je n’ai rien eu. Mais j’ai fui dans la cohue, sans un regard derrière moi, et je me demande si feu mon mari n’aurait pas, s’il avait été là, eu une conduite plus honorable … Vous nous direz, Monsieur, que nous pauvres femmes n’avons que peu de choses à donner, que nos forces sont chancelantes, toujours, et que nous sommes trop guidées par nos cœurs. Pourtant …
Elle eut une hésitation.
- Je ne suis pas sûre d’avoir fait assez. J’ai eu peur de mourir, j’ai abandonné les miens, et plusieurs sont morts sans un regard. Je fais semblant d’être forte, Monsieur, mais je ne serais pas étonnée que l’on criât …
Pendant qu’elle parlait, vos yeux, frère Cyrille, se sont peut-être posés sur le papier plié grossièrement que vous tenez encore. Par transparence, un mot vous saute aux hauts parmi les autres : il a été écrit en majuscules, et la plume qui le traça était tellement rageuse, qu’elle a fatigué le papier à cet endroit. Ce mot, qui vous frappe en cet instant, n’est autre que …
- Vengeance … Vous comprenez ?
Ses épaules s’affaissèrent, et elle sortit son mouchoir pour essuyer, peut-être, de silencieuses larmes.
A présent, « VENGEANCE » semblait résonner dans l’église comme un écho infernal, venu des plus sombres recoins du cœur des hommes. Qu’avait donc pu rêver cette femme, quels cauchemars l'avaient donc rattrapée ? Peut-être qu’un peu de curiosité vous amènerait à mieux comprendre cette étrange figure qui ne se révèle qu’à moitié ... ? |
| | | Cyrille CarpentierExercice de piété à l'usage des Écoles
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Mar 22 Nov - 0:19 | |
| La pauvre femme se torturait d'avoir survécu à l'attentat en fuyant sans un regard en arrière. Cyrille était tout aussi bouleversé que si il avait été présent à voir l'explosion et les flammes consumer le bâtiment petit à petit. Il affermit sa prise sur l'épaule de la dame, sans s'être rendu compte du tressautement qu'il avait engendré la première fois.
"Vous n'êtes pas faites pour supporter la violence de certains hommes, mais pour aimer. Cette honte qui vous prend alors que vous n'êtes en rien responsable, n'est-ce pas la preuve que vous êtes meilleure que celui qui a posé cette bombe ou ceux n'éprouveraient ni remord ni regrets? Votre repentance vous honore. "
Cyrille baissa alors les yeux un instant sur le papier. Et là, il vit par transparence un mot rageur, violent. Vengeance. Poussé par la concordance avec les paroles de la mystérieuse femme, et mût par une peur quasi-divine, il ouvrit le papier doucement. Il craignait que par son ignorance il ne provoque le décès d'un autre. Voila sa crainte en vérité. |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse Mar 22 Nov - 9:32 | |
| | « A tous ceux qui ont crié victoire en pliant l’échine devant les puissants ; à tous ceux qui ont fait fi de ce qui s’est passé à l’Opéra et continuent à mener leur vie de vice et de provocation ; à tous ceux qui marchent encore la tête haute sur des sols jonchés de cadavres … A tous ceux-là, nous crions VENGEANCE ! L’heure est venue : Paris tremblera – mieux, Paris explosera sous les cris de ceux que l’on a trop longtemps écrasés. S’il faut plus de victimes, cela se fera. Et cela commencera par vous. »
Maintes fois, la feuille a été pliée, dépliée, repliée rageusement, nerveusement ou craintivement , et le papier commence à faiblir au niveau des plis. Il est d’un blanc un peu jauni – comme une feuille de mauvaise facture qui faiblit trop vite. Les lettres formées dessus sont vives, enlevées – tremblantes de rage ... ou de peur. Les majuscules ont été tracées d’un geste un peu abrupt, et les P ont une drôle de boucle, sur le bas … |
Mais Madame de *** dodelinait de la tête, doucement, et se retournait déjà. Elle n'a pas encore vu le papier que vous tenez entre vos mains - l'émotion, le reflet du voile, l'obscurité, un reste de larmes dans les yeux, qui sait ? Lui rendrez-vous cette missive ? La laisserez-vous tomber, subrepticement, qu'elle croit l'avoir perdue ... Ou garderez-vous cette feuille blanche, ce petit papier qui n'a l'air de rien, mais qui suinte assez de haine à lui seul pour faire trembler les cœurs ?
- Il faudra en faire un exemple, de ceux qui ont fait ça. Sans en faire des martyres. Je n’ose vous le dire, mon Père … mais j’espère, j’espère vraiment qu’ils seront punis à la mesure de leur crime …
Et ses mains gantées, si fines, si douces, s’étaient resserrées, comme autour d’une gorge invisible. N’était-ce pas aussi un appel à la vengeance, moins criard, mais tout aussi fort ? Quel est le pêcheur, dans un monde voué au crime ? |
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| Sujet: Re: Lettre mystérieuse | |
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