L'immeuble de style architectural est une bâtisse pimpante et lumineuse, elle comprend un rez-de-chaussée avec deux appartements et un étage avec deux autres. Du perron, on fait face à une porte d'entrée à double battant qui donne au rez-de-chaussée, on emprunte l'escalier central et au palier, on tourne à droite, la deuxième porte donne l'accès sur un vestibule qui offre à gauche une cuisine aménagée. A droite, la salle à manger, le salon-bibliothèque avec cheminée. Le sol est en parquet de chêne dans l'entrée, le couloir et les pièces de réception. La cuisine en sol carrelé.

A l'étage, un palier conduisant sur la gauche à trois chambres avec cheminée, le sol recouvert d'un parquet de chêne. La première chambre avec balcon est celle d'isabella, les deux autres pour les visiteurs. Voila en quelques lignes l'appartement de la jeune femme.

Le soleil amoureusement vient caresser les murs de teintes crèmes de la chambre d'Isabella avant de délicatement effleurer son visage. Les mirettes s'ouvrent doucement, une délicieuse odeur titille ses narines et elle sourit lorsque ses yeux sont attirés vers le balcon parsemé de roses.
Elle se redresse et s'étire avec allégresse satisfaite de ce doux parfum floral, alors que ses cheveux tombent en cascade le long de son dos. Les pieds sont chaussés, la robe de chambre est enfilée et la main est machinalement passée dans les cheveux pour les ramener sur le côté pendant qu'elle pénètre dans la salle de bain ou elle se glisse dans une eau fumante et parfumée qu'elle savoure.
A la sortie de la salle de bain, sa robe et accessoires sont posés sur le grand lit par Charlotte. Elle l'aide tout d'abord à revêtir une longue chemise par dessus laquelle elle ferme un corset de dentelle puis un cache-corset. Isabella enfile ensuite un pantalon au bas de dentelles, une tournure, un jupon et enfin sa robe de teinte mauve. Face au miroir de sa coiffeuse, elle enjolive ses traits et atouts, se coiffe d'un élégant chapeau de plumes et orne son cou d'un collier de perles avant de s'asperger d'un parfum légèrement fruité et discret.
Les azurs sont jovialement posés sur sa femme de chambre qui lui présente son ombrelle avec amusement. Les deux jeunes femmes étaient proches malgré leur différence de classe sociale.

-Merci Charlotte, je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi, je te ferais un petit cadeau. Tu l'as bien mérité. Un ravissant sourire lui est adressé alors que les gants de dentelles sont passés avant de prendre l'objet si aimablement tendu.

-Dit à Monsieur Dujardin que je n'aurais pas besoin de la berline aujourd'hui. Un peu de marche me fera le plus grand bien. Ca sera tout ma douce charlotte, merci. Isabella laisse Charlotte quitter la chambre avant de se mirer une dernière fois. Bien mise, satisfaite, elle quitte gaiement l'immeuble.

Yann Le Guélec, à l’occasion d’une sortie précédente, avait découvert le quartier du Théâtre d’Art. Et il l’avait apprécié. Les beaux immeubles, les rues propres, les dames aux toilettes soignées, tout cela n’était pas de son monde mais il aimait y passer, en touriste. Il humait cet air de bien être, de plénitude. Loin de la saleté de Belleville, ou de Marcadet, loin de l’agitation de Montmartre, notre jeune breton marchait le nez en l’air, regardant un balcon ici, un arbre là…

C’est ainsi qu’il ne vit pas sortir du bel immeuble cette jeune femme répondant au doux prénom d’Isabella et qu’il la bouscula bien malgré lui. Il rougit alors de sa bévue et s’exclama :

Oh excusez-moi Madame ! Je suis désolé, j’espère que je n’vous ai pas fait mal ?

Yann avait, certes, ses habits du dimanche et son beau chapeau melon. Mais ceux-ci, malgré tout, ne tromperaient certainement pas mademoiselle Cantel sur les origines modestes du jeune homme. Cela étant, avec le ciel bleu et le soleil estival, Yann avait le cœur léger et voyant que la jeune femme n’avait rien, il affichait un large et sincère sourire qui, peut-être, encouragerait la demoiselle à le pardonner de sa terrible inattention !

Mais, alors qu'il attendait la réponse, il se dit qu'il avait déjà vu ce visage quelque part... Était-elle une cliente de la menuiserie ? L'avait-il croisé au Chat Noir ou dans un autre cabaret ? L'avait-il vu au théâtre du Grand Guignol l'autre soir ? Yann ne savait plus...

Spoiler:

La jeune femme était radieuse, la journée s'annonçait ensoleillée et l'air caressait chaudement sa douce peau crème qu'elle se plaisait à abriter sous son ombrelle. Il serait inconvenant pour elle de se présenter dans un magasin les joues cramoisies sous les coups du soleil. Le regard ambulant et le sourire suspendu aux lèvres, Isabella est comme un oiseau qui découvre la liberté pour la première fois, car il s'agissait bien d'une liberté pour la jeune femme.

Depuis qu'elle n'était plus sous le coup d'une quelconque autorité parentale, elle se voulait active et indépendante et libre de toute volonté propre. Elle venait à peine de quitter sa rue, si perdue dans ses songes qu'elle ne remarque pas l'homme qui lui fait face et c'est son ombrelle qui subi le revers de son imprudence.

Diantre!!

Le visage est découvert et la surprise se lit sur le minois de la jeune femme. Bien sûr, elle n'en prend pas ombrage. Elle sait fort bien qu'elle est la cause de cette rencontre hasardeuse, bien que tumultueuse. Une contenance est de mise et avec grâce, elle se baisse pour ramasser son ombrelle avant de retrouver une nouvelle contenance en face de son interlocuteur.

Ne vous excusez pas Monsieur, je suis la seule fautive, j'avais l'esprit ailleurs.

Un ravissant sourire orne légèrement ses lèvres et les mirettes se font discrètement observatrices. Isabella n'a pas de mal à reconnaitre chez son interlocuteur, une âme de modeste condition, même si convenablement vêtu. Peu lui importe, elle n'y attache pas vraiment une grande importance. De plus le visage de cet homme ne semble pas lui être inconnu, il est vrai qu'elle se laissait facilement tenter par les sorties de groupes dans des lieux tout aussi guindés que simplistes. Peut-être l'avait elle croisé lors d'une sortie qui sait.

J'espère que votre journée ne sera pas marquée par cette fâcheuse interruption à votre promenade? J'en serais fortement embarrassée si il devait en être question et je vous présente d'avance mes plus sincères excuses.

Les délicates lèvres s'étirent doucement et le regard se fait rieur.

Les  parisiennes sont bien surprenantes

Certaines sont hautaines bien que de basse condition tandis que certaines sont gentilles et prévenantes bien qu’appartenant à la haute bourgeoisie.

La jeune fille semblait appartenir à la deuxième catégorie.

Yann, qui n’en avait donc pas besoin, insista tout de même pour prendre la responsabilité de l’accident :

Je suis au moins autant fautif que vous, je marchais la tête en l’air pour admirer cet immeuble et ces belles fleurs sur le balcon !
…
Et ne vous inquiétez pas, ma journée commence bien : ce n’est pas tous les jours qu’on croise une belle âme comme la votre !

Puis notre breton pensa qu’il serait vraiment trop dommage de laisser ainsi filer la demoiselle…

Mais excusez-moi, ne nous sommes nous pas déjà vu quelque part ? Il me semble que votre visage m’est familier… Laissez-moi réfléchir… Ca y est, j’y suis ! Vous étiez au Théâtre d'Art l'autre soir… Je visitais les lieux et je vous ai aperçu alors que vous sembliez attendre l’ouverture des portes…

La jeune femme opine légèrement du chef quand son interlocuteur parle des immeubles et en particulier du sien se trouvant en face, un sourire égaye son visage.

Les torts sont partagés dans ce cas Monsieur, il est certain que Paris a su nous charmer. La vilaine.

Le rire se fait cristallin et la main gantée est posée sur le ventre pour contenir son rire. Puis celui-ci disparait au compliment de l'inconnu et le sérieux est de mise, Isabella n'était en rien friande de compliments, mais elle appréciait tout de même qu'il se réfère à sa personnalité plutôt qu'à son physique. Elle était lasse de ces sottises dont l'accablent certains hommes. Un regard en coin et un sourire taquin à l'attention de son interlocuteur, Isabella renchérit.

C'est le charme de Paris, il me rend bienveillante. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que je fais ma bonne action du jour, simplement que je n'aime guère les débordements d'humeur surtout en cette agréable journée.

Les orbes soutiennent son regard, ce qui est peu conventionnel pour une jeune femme de son rang, mais Isabella aime à bousculer les convenances et à en rire par la suite, sans toutefois oublier d'où elle vient. A la question posée, les azurs s'illuminent!

C'est cela, oh merci. Je savais bien votre visage connu par ma délurée personne. Je crois vous y avoir aperçu aussi, mais je ne suis pas restée malheureusement et je le regrette encore aujourd'hui. Comment était la pièce?

Réalisant soudainement que les présentations n'avaient pas été faites, honteusement Isabella rectifie sa maladresse.

Pardonnez moi, je ne me suis point présentée, quelle manque de politesse. Cantel, Mademoiselle Cantel, Monsieur...?

En profite pour l'inviter à en faire de même.

Lorsque la jeune femme ria, Le Guélec fût assez surpris et développa son idée.

Vous savez, c’n’est pas un compliment anodin. Les gens, par ici, sont plutôt … froids ! Ça me fait bien plaisir de pouvoir bavarder simplement avec quelqu’un comme vous ! Et si c’est grâce à Paris, je bénis Paris ! Aaah, c’que j’aime me promener sur les grands boulevards… Et puis il y a Montmartre si près d’ici, vous connaissez ? Quel beau quartier n’est-ce pas ?

La discussion était tellement animée qu’ils en oublièrent les présentations. Heureusement Mademoiselle Cantel rattrapa cette bévue. Yann répondit :

Yann Le Guélec ! Enchanté de faire votre connaissance mademoiselle Cantel ! En fait, moi non plus je n’ai pas pu assister à la pièce, j’étais en pleine chasse au trésor en réalité… Enfin, un ami à moi (Yann croisa discrètement les doigts en disant cela) m’a dit qu’elle était très bien !

Et même si la jeune femme était « délurée » Yann n’osa lui proposer de faire ne serait-ce qu’une promenade en sa compagnie. Même s’il le regrettait, les conventions étaient ancrées en lui et le rang supérieur de la demoiselle le gênait. Ce serait-elle braquée s’il lui avait proposé une ballade ou un café ? Il valait mieux ne pas gâcher cette belle journée...

Le regard se fait rieur et les lèvres s'étirent doucement.

Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la froideur des Parisiens et particulièrement des bien-nés. Mais il y a des exceptions, même le plus aisé a aussi besoin des autres et si l'on est téméraire, il est tout à fait possible de découvrir des gens de coeur et non de glace. Enfin, je me perds dans ce flot de paroles.

Sourire angélique, écoute attentive, la délicate bouche est de nouveau ouverte et la voix se fait joyeuse et mélodieuse.

Je vous rejoins dans ce constat, ce quartier m'a toujours fasciné avec les musées, les artistes que nous pouvons regarder à l'oeuvre, les salles de spectacles. Peut-être nous y croiserons nous à nouveau qui sait et cette fois, j'aurai plaisir à vous quérir un peu de votre temps.

Un regard circulaire sur la rue vide et une prise de conscience sur le véritable but de sa sortie, Isabella clôture poliment cette agréable échange.

Bien Monsieur Le Guélec, j'ai pris plaisir à échanger avec vous, mais je me dois de vous quitter. Laissez moi néanmoins vous souhaiter une excellente journée et surtout attention à ne pas être une nouvelle fois victime de vos songes. J'en ferai de même.

Les lèvres s'ornent d'un sourire policé et l'attente de la réaction de Monsieur Le Guélec est prise avant de se décider à reprendre sa marche.

La quiétude était décidément de mise ce jour là : un petit accident sans conséquence sous le soleil de printemps. Une discussion pleine de politesse. Des sujets de fond survolés dans un accord parfait. Et puis une séparation toute aussi agréable, avec même un espoir de lendemain…

Le Guélec trouva cela bizarre. Trop parfait peut-être… En tout cas il n’osa rompre le charme et la salua à son tour.

Avec plaisir, je serais bien content de bavarder un peu plus avec vous ! Je regrette à peine de vous avoir bousculé ! Bonne journée Mademoiselle Cantel !

Puis, alors qu’elle commençait à s’éloigner, Yann eut une réaction étrange. Il nota dans un coin de sa tête l’adresse de la jeune femme avant de continuer sa route tout sourire. Se sentait-il l’âme d’un Cyrano de Bergerac ?

La journée avait été agréable et la jeune Isabella revenait lentement sur ses pas, un paquet en main. C'est Charlotte qui sera contente, Isabella avait fait des folies pour sa douce amie: un pendantif et un châle de soie. La jeune femme était autant dépensière que généreuse et elle regrettait juste le manque de temps de Charlotte pour l'accompagner.

La clé est tournée et la porte est prestement ouverte, seules elles étaient dans l'immeuble. Isabella se voulait alors libre de sa bonne humeur et de son dynamisme légendaire. Derrière cette porte, il n y avait plus de Mademoiselle Cantel, plus de convenances, rien que deux jeunes femmes qui s'étaient liées d'une amitié sincère et profonde.
Les marches sont montées en grandes enjambées et la sonnette est sollicitée pour l'apparition de sa soeur de coeur à l'ouverture de la porte.

Ma douce Charlotte.

Isabella s'empresse d'entrer en souriant à une Charlotte déjà à ranger son ombrelle, ses gants et son châpeau. Isabella cache le paquet derrière elle et les mirettes brûlent d'excitation.

Je vous sens joyeuse Mademoiselle Isabella, une agréable journée?

Un silence voulu, un sourire contenu, puis Isabella se pousse, puis le paquet est tendu.

Chose promise! Ce paquet est pour toi.

Isabella prend la main de Charlotte et toutes deux pénètrent dans le salon ou le canapé est rapidement occupé.

Enfin Mademoiselle Isabella que se passe-t-il? Qu'est ce?

Ne t'avais je pas promis un cadeau avant ma sortie? Tu sais que je tiens toujours mes promesses. J'espère juste que cela te plaira.

Une risette à son attention, un étirement, Isabella se lève doucement.

Je vais me rafraichir un peu, tu me diras ce que tu en penses à mon retour. D'accord?

Oui Mademoiselle, vous êtes si bonne avec moi, je ne sais comment vous remercier.

Isabella se contente de sourire, une lueur peut se lire dans ses yeux dont elle en détenait seule la teneur. Mais c'était grâce à Charlotte que cette sombre lueur prenait souvent fin et alors qu'elle tourne déjà le dos à celle-ci, elle ne peut s'empêcher de rectifier un point.

C'est moi qui doit te remercier Charlotte, je n'imagine même pas ce que je deviendrai sans toi. Léger sourire marqué par une pointe de tristesse, Isabella quitte le salon.

La nuit était tombée, le calme était revenue dans l'appartement et comme tous les soirs, Isabella se laissait porter par la douceur de ses mélodies qu'elle se plaisait à faire naitre par le biais de son violon. Debout au milieu du salon, elle laisse son coeur et ses sentiments guider sa main.

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Il était difficile pour elle de vivre ce manque de famille, de vivre cet isolement, elle se sentait comme un oiseau dans une cage dorée, un oiseau qui attendait patiemment que les barreaux cèdent pour pouvoir s'envoler haut très haut et ne jamais revenir. Vivre, on pouvait voir cette étincelle dans ses azurs, cet amour pour la vie. Oui enfin vivre et connaitre pour la première fois de sa vie, le bonheur de la liberté.

Mais que dis je? Aurais je perdu la tête? Isabella maitrise toi enfin...ce n'est qu'un rêve.

Mademoiselle Isabella...

La tête est délicatement tournée et les mirettes se posent  en douceur sur Charlotte, un regard éteint la fixe, comme cherchant la plus infime des lumières en elle pour renaitre. Puis la magie s'opère... Un sourire nait des douces lèvres d'isabella.

Oui ma douce Charlotte?

Votre bain est prêt, désirez vous autre chose Mademoiselle?

Non Charlotte, merci et bonne nuit. Oui Isabella avait souhaité que Charlotte réside avec elle, elle n'aurait jamais supporté sa vie sinon. Elle ferme les yeux et retourne à sa mélodie.

Une envie de voyager avait germé dans la petite tête d'isabella durant la nuit et c'est à l'aube qu'elle se presse pour faire ses bagages en vue de prendre le prochain train dont la destination lui était encore totalement inconnue.