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 Une bonne conscience est une fête continuelle.

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Jean de Fréneuse
J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
Jean de Fréneuse

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MessageSujet: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyLun 17 Déc - 23:32

Si la nouvelle des fiançailles de leur fils avait d'abord réjouit le coeur de M. et Mme de Fréneuse, leur soulagement fut de courte durée. Dès qu'il fut question de l'heureuse élue - de l'objet de ses pensées ainsi que l'avait dit, avec une délectation naïve, la douce Rosamonde de Fréneuse - la liesse retomba aussitôt. Charles de Fréneuse, roide dans son habit, avait jaugé son fils d'un oeil clair et perçant.

- C'est une plaisanterie, j'espère.

Du ton de l'affirmation la plus péremptoire. Jean ne se démonta point, cependant : en choisissant ainsi, il savait qu'il partait en croisade, et l'idée que cela participait de son mythe personnel lui facilitait grandement la tâche.

- Eh bien non, justement. Mais vous devriez être contents, puisque j'ai enfin écouté vos conseils ? Si avec ça, on reproche encore aux de Fréneuse d'être passéistes !

Nombreux furent les arguments allégués pour que Jean renonçât à son projet. Religion, convenances, bon sens, honneur, tout y passa. Mais le fils fut inflexible, alléguant toujours cette ultime réponse :

- Ne point tenir sa parole serait un déshonneur.

C'était l'un des multiples principes que M. de Fréneuse père lui avait inculqués, formulé en ses termes. Charles voulut parler de nuances, de cas particuliers, mais à la rigueur paternelle, le fils opposa cette même inflexibilité qu'il avait tant crainte - qu'il craignait tant, peut-être. Son père finit par perdre patience, les larmes de Rosamonde venant souligner d'un tragique bienvenu les remontrances envers le fils prodigue. Qu'importe : ce combat-là devrait se mener, coûte que coûte. Il fut bientôt convenu que la fiancée serait reçue un midi, en toute convivialité, au repas dominical qui réunissait les parents et leurs deux fils. Et Catharina von Reutersvärd reçut l'invitation par l'intermédiaire même de son fiancé, qui passait chaque soir lui donner son bonjour, agrémenté de quelques fleurs.

- Madame, vous êtes conviée ce dimanche à rencontrer votre belle-famille. Me ferez-vous l'honneur d'y venir ? Je ne vous cache pas que mes proches parents sont des gens assez bizarres et qu'ils ont pu prendre en mauvaise part le choix que j'ai fait de vous demander en mariage. - Et en lui prenant la main : - Mais je promets, ma chère, d'être à vos côtés et de remplir la basse besogne d'avocat. Vous n'aurez à vous défendre de rien.

C'était là sans doute la dernière épreuve, celle qui scellerait leur union ou briserait des voeux trop fragiles. Vinrent quelques recommandations sur la tenue attendue, la conduite à tenir, l'heure à laquelle se présenter, etc. :

- Ne vous mettez point en frais et venez en robe de jour - prenez peut-être la plus jolie, mais vous n'êtes pas une femme à qui convient - ou plaît - le clinquant. Si Madame Pentois accepte de vous accompagner jusqu'à la maison, cela serait un gage de votre bonne conduite ... quand bien même je sais bien, moi, que vous êtes sans reproche ! Essayez de ne pas tenir trop rigueur des sottises de mon frère. Je ferai en sorte qu'il ne vous importune pas cette fois-ci. Enfin ... Il va sans dire qu'il faudra laisser vos enfants ici pour cette fois ...

Et sans doute pour toutes les autres, mais était-ce le moment de le dire ... ?

- Puis-je compter sur vous ? Alors dimanche à onze heures ?

Il disparut, avec un léger baise-main - où les lèvres, selon ce qui convient, n'effleuraient pas même la main - une fois tout convenu. Et dimanche, peu avant onze heures, après le culte dominical, alors que les effluves d'un repas copieux embaumaient les couloirs, la famille de Fréneuse attendait la fameuse fiancée.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyMar 18 Déc - 5:59

Ce serait la première fois que je rencontrerais des "beaux-parents". Ceux de mon précédents mari étant décédés, je n'avais jamais eu à en confronter aucun. Avec une réticence que je n'avais pas dissimulée, j'avais accepté de "lui faire l'honneur de venir".
Le dimanche venu, je sortis plusieurs robes dites "de jour" et les étalai sur mon lit, ne sachant pas laquelle choisir. Elles étaient un peu simple, mais Lise savait les rendre très jolies, malgré tout. Hansel qui roulait sur le même lit, posa ses petites mains sur la robe qui lui plaisait le plus. Je vins pour la prendre, mais ma fille, plus opposée à l'idée d'un remariage, s'interposa « Pas celle-là ! » Je la regardai, mais ne m'arrêtai pas dans mon geste et commençai à passer la robe à l'aide de la femme de chambre que Marie-Gilbert m'avait assignée, quelques moins plus tôt. « N'y allez pas, mère ! » Sa petite voix d'enfant était presque suppliante, elle sauta sur ses pieds avant de se rapprocher de moi. La domestique commença à poser les épingles sur le tissu pour l'ajuster à mon corps et Gardenia entreprit de lui tourner autour, pour la déconcentrer. « Il est vieux ! Il ne sait point marcher ! » Je soupirai et l'arrêtai en posant une main douce -et beaucoup trop conciliante- sur son épaule. « Il n'est pas vieux, il est même plus jeune que moi. » Elle fronça les sourcils, contrariée. Elle savait déjà tout ça. La bonne dit les derniers ajustement dans mes cheveux, sous l'oeil sévère de l'enfant qui la jaugeait avec mépris. C'était une complice ! Je pris la fillette contre moi, elle se débattit un peu. « Je sais que ton père te manque. » Elle eut une moue boudeuse et répliqua vivement « Il va nous jeter dehors, parce qu'on est pas ses enfants ! » Même si j'étais qu'avec son caractère, elle s'en sortirait très bien dehors, je tentai de la calmer « Ridicule petite ! Comme si j'allais le laisser faire ! » Je la chatouillai, pour changer le ton de la conversation, puis la reposai par terre.

Je fis le voyage jusqu'à la demeure des parents de Fréneuse accompagnée de Marie-Gilbert. Celle-ci me rassura, me dit que je n'avais pas besoin de prévoir prématurément ce que deviendront mes enfants sans moi, que je m'en sortirais -elle m'avait entendu dire ces choses tant de fois !- et, bien évidemment, de ne pas dire n'importe quoi, de paraître agréable, de ne pas contrarier Monsieur et Madame. Madame Pentois me donnait l'impression d'avoir vingt ans. Cela me plaisait, de l'avoir sur le dos, à mon premier mariage, j'étais seule.

Je lui fis un dernier signe de main en quittant la voiture et me dirigeai vers la grande porte de la demeure. J'inspirai profondément avant de sonner. Plus timide que jamais, une main discrète vint attraper le tissu de ma robe.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 21 Déc - 0:52

Évidemment, elle fut à l'heure. La famille de Fréneuse attendait, au milieu des conversations éteintes, et un ange passa, dans l'écho du coup de sonnette. Jean se leva d'un bond (du moins avec toute la vivacité qui lui était possible) et alla à la rencontre de sa fiancée. Celle-ci fut accueillie par le maître d'hôtel impeccablement mis, aussi gentil que froid. Il l'avait déjà débarrassée de sa capeline lorsque Jean arriva.

- Ma chère, vous arrivez à point nommé ! J'espère que vous avez voyagé sans encombre ?

Politesses et familiarités d'usage. Et c'est d'un ton joyeux, qui résonna bizarrement dans la grande maison froide, qu'il la conduisit au salon. Avant de passer le seuil, il lui glissa, en lui serrant un peu le bras : "Nous entrons dans la fosse aux lions ! " tout en la gratifiant d'un sourire complice. Sans doute cela se voulait-il rassurant ... Ils entrèrent : lui d'abord, elle à sa suite. M. et Mme de Fréneuse demeurèrent installés dans leurs fauteuils, et ils semblaient aussi roides que des statues, à leur place dans ce salon si sombre, si empli de meubles en bois massif et de draperies lourdes. Jean lui-même semblait assez mal à l'aise dans cet environnement empesé et austère, et sa voix semblait aussi déplacée, dans ce contexte, qu'un rire d'enfant dans un mausolée.

- Mon père, ma mère, j'ai le bonheur de vous présenter Catharina von Reutersvärd qui me fera bientôt l'honneur de devenir ma femme. Catharina, voici ma mère, Rosemonde, princesse des Laumes ... et le duc Charles de Fréneuse, mon père.

Le père eut un léger hochement de tête, mais il ne pipa mot. Ses yeux clairs ne quittaient pas la fiancée, et au fond de son regard semblait dormir une sombre menace ... Madame de Fréneuse, quant à elle, ne semblait pas spécifiquement hostile. Pâle, presque ternie, c'était une grande femme d'un gris perle un peu triste, à la voix douce et un peu grave, comme voilée. Elle brisa le silence en demandant d'un ton poli :

- Installez-vous, je vous prie. Le déjeuner sera bientôt servi. Souhaitez-vous un rafraichissement, une tasse de thé peut-être ? ... Mais dites-moi ... Doit-on vous appeler Madame ou Mademoiselle ? Je ne puis être familière au point de vous appeler par votre prénom, ce serait grossier, alors je m'interroge ... Vous comprenez sans peine que ce n'est pas une situation à laquelle nous sommes habitués.

Jean lança à sa mère un regard perplexe, comme pour lui signifier l'inanité de sa question. Un autre coup de sonnette résonna alors.

- Jean, va donc saluer ton frère, fit simplement M. de Fréneuse.

L'intéressé eut un rictus : était-il nécessaire d'aller à l'affrontement tout de suite ? Il rétorqua, d'une voix calme, et en jetant régulièrement un regard à sa fiancée :

- Mon cher frère peut très bien attendre pour que je le salue. Je ne laisserai point Madamoiselle Catharina entre vos griffes, rassurez-vous. Vous devriez être ravis par ailleurs, j'ai trouvé une fiancée de la bonne confession et d"origine honorable. Ma chère, vos parents jouissent d'une belle situation, n'est-ce pas ?

L'heure tournait. Lentement.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 21 Déc - 12:46

« Sans encombre, malheureusement... » Un sourire narquois naquit sur mon visage. Cette remarque était le prélude d'une série d'autres petites phrases soulignant ma survie face à ce terrible affrontement qu'était la rencontre avec ceux qui seraient, très bientôt, mes beaux-parents. Le trajet jusqu'au salon, accompagné de Jean, eut l'effet de me détendre un peu mais, à sa remarque, je lui jetai un regard, yeux bien grands, qui lui quémandait de ne pas en rajouter. Des lions ! « Nous aurions du leur garder la surprise pour le jour de notre mariage. »

J'inclinai la tête avec un respect infini lors des présentations. Assis, ils paraissaient beaucoup moins impressionnants et je me sentis rassurée. Je ne pus soutenir leur regard et baissai rapidement les yeux au niveau du sol. Une bourgeoise contre une princesse et un duc, un combat qui ne se menait pas en face à face. Je m'appuyai contre un accoudoir et m'assis sur le sofa aussitôt que la dame me l'offrit. Je promenai mes yeux sur le plancher, remontai vers les meubles et effleurai parfois ce qui était les parents de Jean. Je fronçai les sourcils, fixai Madame de Fréneuse, pensive. D'une voix qui lui répondait comme un pendant, aussi frêle, je finis par lui répondre « Si cela peut vous rassurer de m'appeler Mademoiselle, allez-y, mais on appelle généralement Madame. »

Je retins, en serrant mes doigts, un sursaut lorsque le bruit de la sonnette résonna. Le frère, son frère. Gabriel, le frère de Jean. Je me tournai vers mon fiancé, l'épiant dans ses gestes, lui sommant en silence -et en toute délicatesse- de demeurer où il était. « Oui ? » J'acquiesçai, évidemment ! « Oui ! Bien sûr... » Ils jouissaient serait un terme plus exact, étant donné que ma mère était décédée et que je n'avais plus aucun contact avec mon père depuis des années. Mon frère suivait le chemin qu'on lui avait tissé, s'égarant parfois dans les bras d'une fille, mais sa situation n'en était pas moins respectable. La prochaine fois -s'il y en avait une- je le ferais venir : Je préférais que les attaques viennent de lui plutôt que d'inconnus froids et méchants.

Quelle farouche et stupide fiancée qui se présentait devant Monsieur et Madame Convenances et Tradition.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyJeu 3 Jan - 22:49

Si l'on parlait souvent du remarquable sens des convenances et de l'étiquette des gens du monde, l'on omettait souvent de préciser qu'il n'était destiné qu'à leurs pairs. Monsieur et Madame de Fréneuse étaient irréprochables avec les gens de grande et de petite noblesse - ce qui faisait dire aux marquis, vicomtes et autres que ces gens-là était des crèmes. Mais les gens du monde se caractérisaient également, pour qui les connaissait bien, par un remarquable manque de savoir-vivre - à l'égard de ceux qui n'en étaient pas ... en toute innocence, sans vraiment s'en rendre compte, au fond. Madame de Fréneuse hocha lentement la tête, d'un air fatigué.

- Madame, oui ... C'est tout de même curieux...

Elle semblait se parler à elle-même, sans prendre garde réellement à son interlocutrice. Monsieur de Fréneuse, quant à lui, semblait plus hostile. Il allait, semble-t-il, dire quelque chose quand Gabriel arriva, sans se faire annoncer. Il salua les trois membres de la famille d'un signe de tête un peu retenu, et serra la main de son frère.

- Ma mère, mon père ... Jean.

Puis il se tourna vers Catharina, vraisemblablement gêné. Sans doute rougit-il un peu. Il se dirigea vers elle, la salua respectueusement et chuchota, de manière à ce qu'elle seule pût l'entendre :

- Madame, je vous prie d'accepter mes excuses. J'ai fait erreur sur votre compte et ai appris, depuis, qu'on ne devait jamais accuser à la légère la vertu d'une dame. Soyez assurée que je réparerai cette faute...

C'était drôle car c'étaient les mêmes formules toutes faites, cette même politesse obséquieuse que celles de son frère... mais le ton était moins assuré, le locuteur plus timide. Et tandis que l'intéressée lui répondait peut-être, on annonça que Madame était servie et il fallut passer à table. Jean se leva d'un bond et présenta son bras à Catharina, l'éloignant à dessein de ses parents.

- Vous voyez, cela se passe bien, lui murmura-t-il à son tour.

Ils s'installèrent bientôt à table et l'on servit le potage. La table, impeccablement dressée avec ses couverts d'argent et ses belles assiettes, était vide de tous plats. La voix de Rosamonde de Fréneuse résonna, comme lointaine :

- Vous voyez, Madame, que nous sommes tout de même un peu modernes. Le service à la russe est tout de même bien agréable, vous ne trouvez pas ? Bien sûr, cela n'a pas le chic de l'autre mais au moins l'on mange chaud...*

Jean était aux côtés de Catharina, silencieux mais apparemment serein, et Gabriel lui faisait face. Deux alliés au lieu d'un, n'était-ce pas rassurant, déjà ?

Citation :
Lors des repas de réception, l'on hésite encore dans ces années-là entre un service "à la française" où tout le service est présenté sur la table, avec au centre le plat le plus spectaculaire et le service "à la russe" qui est celui que nous connaissons, où l'on apporte les plats uns à uns. La table est ornée de fleurs et porcelaines. La mode russe prend cependant l'avantage.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptySam 5 Jan - 4:05

Sur un air semblable à Madame de Fréneuse, je lui souris en retour, avec un regard triste et peu assuré. Si Monsieur le duc pouvait s’abstenir de me dépecer avec ses petits yeux plissés, je me sentirais plus aise, peut-être plus confiante, hélas, j’en étais réduite à cacher mes mains tremblotantes en faisant pianoter mes doigts sur ma jupe et en me forçant à rester droite, même si je préfèrerais m’écraser. Le plus jeune des princes apparut alors dans le salon. Je ne le regardai pas, mes yeux fixant plutôt le vide, la pièce entourant Rosemonde –Rosemonde directement ce serait trop.

Réparer cette faute. Bonne chance, petit second né. « Ah oui ? Et comment ? » Répondis-je sur le même ton, plus dure que douce. « J’ai déjà payé cette erreur de ma vie et de celle de mes enfants. » Je lui jetai ces grands yeux, froids et impénétrables, haineux, qui n’accepteraient pas ses excuses. Au bond de Jean, je m’empressai silencieusement de le rejoindre et de glisser mes doigts autour de son bras. J’inclinai la tête avec peu de sûreté, après tout, ce n’était pas terminé !

Je me posai doucement sur la chaise, mis mes mains sur mes cuisses –habitude anglaise que je n’avais su effacer- et regardai la porcelaine et les jolies fleurs qui ornaient la table. Maman de Fréneuse semblant être ma plus grande locutrice, la voir aussi loin à la table ne me paraissait pas aisé. Elle possédait, tout comme voix, une voix frêle qui peinait à faire son chemin. Délicate, je pris le couvert et attaquai –avec élégance, bien sûr- le potage posé devant moi. J’hésitai à lui répondre avec plus qu’un coup d’œil et un sourire embêté et me décidai à garder le silence. Rosemonde avait-elle besoin de savoir que, là où j’ai grandi, manger chaud est primordial ? Lorsque l’on affrontait tempête de neige et soleil absent, le chic d’un service français n’était pas si désiré que cela.

Ce repas, omettant que j’avais trente ans et étais divorcée, aurait pu être tout simplement parfait. La soupe était chaude et très bonne, Gabriel n’hurlait pas à la lune que j’étais en train de faire du pied à son frère sous la table et je semblai reprendre un brin d’élégante confiance mais, mon souffle coupa net, ma gorge chatouilla. Je me recroquevillai, poignet sur la bouche et toussai discrètement. Rien n’était plus disgracieux que d’avaler de travers ! Les larmes vous montaient aux yeux, menaçant de balayer le peu de poudre qui les entouraient et le bruit d’une gorge obstruée et de quintes étouffées par un corset trop serré –spécialement pour l’occasion ! Seigneur Dieu, aidez-moi à retrouver mon souffle et à ne pas paraitre ridicule devant Papa et Maman de Fréneuse.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyMar 15 Jan - 0:27

Gabriel demeura interdit devant Catharina, assez peiné - vexé, peut-être - de voir que ses belles excuses n'avaient pas été reçues. Il ne releva pas, néanmoins, et partit s'installer à sa place. Il racontait même quelque événement indifférent à son père, dans le très noble but - peut-être - de faire diversion, quand un étrange petit bruit l'interrompit. Madame von Reutersvärd ... s'étouffait.

Jean, de son côté, laissa échapper un "Fichtre !" de surprise - et nous pouvons nous estimer heureux que ce n'ait été qu'un "fichtre". Il tapota d'autorité le dos de sa chère promise, mais les quintes de toux ne s'arrêtaient pas. Le jeune homme jeta un regard à ses parents, figés dans une attitude mi-perplexe mi-indignée - comment osait-on s'étouffer avec leur potage ? - et il soutint sa fiancée, l'aidant à se lever. Il l'éloigna un peu de la table, appela des domestiques, commença lui-même à s'empêtrer dans les liens du corset - tout en tapant le dos de Madame de plus en plus fort. Le tout pouvait faire penser à un rituel néo-païen-colonial. Un vrai morceau de music-hall, hélas, dont il eût savouré l'ironie s'il n'avait été aussi inquiet. Perdre sa fiancée étouffée par un crouton dans le potage, c'eût été tragiquement ridicule ... ou ridiculement tragique, à voir. Parmi les domestiques qui avaient accouru surgit enfin une femme de chambre avisée qui sortit de ses jupes une paire de petits ciseaux de couture, avec lesquels elle lacéra les liens du corset. La taille de notre belle fiancée, magnifiquement affinée, s'affaissa pas mal, nous devons le dire ... mais peut-être put-elle enfin reprendre son souffle ... ? Jean, quant à lui, se tenait à ses côtés, désemparé, la soutenait tout en s'accrochant à elle. Décontenancé, il lui glissa très sérieusement :

- Remettez-vous, ma chère, ce n'est que l'entrée ...

Et, se souvenant soudain de la présence de sa famille, il eut un rictus fort gêné à leur encontre :

- Eh bien ... Ce genre d'incidents arrive, à n'en pas douter ! Peut-être aurions-nous dû privilégier un déjeuner peu formel, en négligé et en veston. Ma fiancée va aller s'arranger très décemment avec l'aide des femmes de chambre et nous reprendrons, n'est-ce pas ?

Il lança un regard indescriptible à Catharina - à la fois paniqué et encourageant. Il ne s'était pas encore rassis, semblant craindre de s'éloigner d'elle et apparemment prêt à la sauver - ou à tenter de le faire - une deuxième fois.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyJeu 17 Jan - 1:57

J’aurais juré qu’en demeurant calme, malgré la gène qu’occasionnait cet étouffement, j’arriverais à délover je qui m’obstruait la gorge. Malheureusement, un corset lacé trop serré m’empêchait de prendre une vraie inspiration et de reprendre mon souffle avec élégance et dignité. Lorsque Jean tapota mon dos –geste tout naturel dans ces cas-là, je me raidis, ce qui n’aida pas non plus. Encore plus ou moins en plein contrôle de mes moyens, je me levai lentement –accompagnée de la quinte de toux- et m’éloignai de la table, me permettant de tousser un tout petit peu plus fort.

Le fiancé, s’amusant à jouer les chevaliers, frappa avec encore plus de conviction la frêle femme que j’étais et se mit à tirer sur les lacets de mon corset. Franchement, quelle idée de faire cela ! Je pouvais bien vivre avec un morceau de crouton dans le fond de la gorge ! Je me tournai face à lui, pour rendre mon dos et mon laçage loin de lui et si j’avais retenu ma respiration avec brio jusqu’ici, cela n’était plus le cas et mes mains commencèrent à trembler, le manque d’air se faisait sentir de manière désagréable, tirant mes entrailles et faisant tourner ma tête. Je fis un pas sur le côté dans un mouvement de malaise avant qu’une domestique habile ne vint vite fait bien fait couper les lacets du corset.

Aussitôt, je pris une bonne inspiration –aussi bonne que des vêtements aussi ajustés me le permettaient- et toussai enfin qui se m’empêchait de respirer. Ébranlée, je soufflai par saccade et lançai un regard sévère mais peu assuré à Jean. Je suivis la femme de chambre plus loin, dans une pièce adjacente et la laissai rapiécé ce qui avait été coupé. Voila pourquoi je ne sortais jamais de chez moi. Ces repas, totalement inutiles et gênants, je m’en passerais bien. J’épongeai mes yeux humides de mes doigts et allai agripper ma jupe bien rapidement, la serrant pour arrêter de trembler. Ce qui ne fonctionna pas. Paniquée, je passai mes mains sur ma tête, dans un geste instinctif pour me protéger, comme si je m’attendais à ce que Jean m’abatte durement avec sa canne. Comment avais-je oser m’étouffer avec leur potage, après tout ?

Spoiler:
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 18 Jan - 5:55

Lorsque Catharina réapparut, Jean se précipita vers elle, soulagé de la voir en meilleur - et plus décent - état. Il lui présenta le bras et la reconduit, calmement, à la table. Lors de cette absence, les parents de Fréneuse avaient laissé éclater leur ire, reprochant à leur fils ses choix désastreux, ses goûts dépravés et ses erreurs incessantes. Jean avait encaissé sans broncher, bien sombre, jetant de temps en temps un œil inquiet vers la pièce où avait disparu sa fiancée mise à mal. Alors qu'un léger bruit annonçait son retour, il avait glissé, très sérieux et presque sec :

- Mes erreurs n'engagent que moi. L'honneur de la famille sera sauf parce que j'ai épousé une femme respectable et vertueuse ... Et quel que soit votre avis là-dessus, je vous prie de ne point vous en prendre à elle, qui est bien innocente dans cette affaire.

Et la voyant revenir, si penaude, si mal à l'aise, il ajouta, entre ses dents :

- Vous voyez bien que ce n'est pas joué et qu'on est loin de la séductrice en herbe que vous imaginez.

Avec un regard spécialement appuyé envers Gabriel qui était la source des rumeurs qui avaient circulé de part et d'autre ... Puis, comme nous l'avons dit, il se précipita vers sa fiancée, qu'il conduisit à sa place. On apportait alors le poisson et Jean ne put s'empêcher de se demander, avec une sorte de panique, si les arrêtes n'allaient pas représenter le même danger que les croutons. Un silence de mort pesait tandis que le valet servait les assiettes. Il glissa en aparté à Catharina, assez soigneusement pour qu'on ne puisse l'entendre :

- Il faudrait boire pour supporter cette torture !


Cependant, la voix rude de M. de Fréneuse retentit :

- A quoi peut bien ressembler la vie d'une divorcée ?

Et l'on pouvait se demander s'il entendait en savoir davantage sur les mœurs de sa future belle-fille ou s'il lui demandait comment elle osait encore fouler cette terre après avoir osé choisir cette voie ...
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 18 Jan - 15:55

De la salle à manger, des rires me parvinrent et mes mains glissèrent jusqu’à mes oreilles. Je laissai la femme de chambre opérer, fermant les yeux pour me concentrer, reprendre une attitude digne d’une épouse d’héritier. Je serrai les dents, me dis intérieurement que les parents de Jean étaient cruels et vieux, qu’ils se feront écraser sous la vague Art Nouveau et fin-de-siècle, qu’en réalité, ils ne savaient rien. Cela ne fonctionna qu’à moitié et je laissai mes bras, raides, tomber de chaque côté de mon corps. Droite mais sans accorder aucun contact visuel, les yeux plantés vers le sol, je revins, silencieuse, prendre ma place, escortée par mon fiancé qui, sans doute, avait senti mes doigts lui pincer le bras d’insécurité.

Le poisson arriva, ce qui sembla me réanimer un peu. Il me rappelait la Suède-Norvège, Lofoten, bref, un lieu d’enfance connu et apprécié. Même s’il était cuisiné différemment, je me réjouissais lorsque les repas comportaient du poisson. Les paroles de Jean m’arrachèrent un sourire, j’entrepris de lui répondre sur le même ton lorsque de Fréneuse père s’adressa à moi.

Ayant entrepris une bouchée de poisson, je demeurai immobile, mâchant avec soin et précaution. Sa voix me laminait, ainsi que son mépris. Que pouvais-je répondre à un homme qui, de toute façon, n’avait pas l’intention de changer sa vision sur la femme divorcée ? Au final, je me redressai et le regardai. À quoi s’attendait le Duc Charles de Fréneuse de ma part ? En toute sincérité, je finis par lâcher doucement « Sa vie ne diffère pas tant de lorsqu’elle était une épouse. » Même si je me permettais quelques libertés de plus, j’étais toujours la sage Catharina, à la différence que maintenant, on ne me trouve plus ennuyeuse pour mes gouts plats mais remarquables car dorénavant séparant d’un homme violent. « … Les différences les plus flagrantes, je dirais, ce sont surtout les ecchymoses et les plaies. » Air impénétrable mais sérieux, puis je continuai à déguster le poisson.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 25 Jan - 5:52

Aïeuh. Bien sûr qu'il avait senti ces doigts, ces jolis doigts blancs en apparence bien gentils, et qui lui pinçaient le bras au plus fort de l'action. Mais ce qui lui fut plus pénible encore, ce fut d'entendre la réponse qu'elle fit à Charles de Fréneuse. Pour le coup, il ne put s'empêcher de la regarder avec des yeux ronds comme des soucoupes. Jean aimait assez cette propension qu'avait sa fiancée à la sincérité, mais c'était une habitude à perdre pour quiconque s'aventurait en visite ... Et aussitôt, il prit la parole, pour éviter à M. de Fréneuse père de sous-entendre qu'une femme maltraitée avait souvent mérité son malheur :

- Ce que Catharina veut dire, en fait, c'est que ...

C'est que... Quoi ? Comment tourner cela en mondainement correct ... Ah, fichtre, l'exercice n'était pas simple ...

- Tout le monde a le droit à l'erreur, n'est-ce pas ?

Mauvaise technique, il voyait déjà le sourcil de M. de Fréneuse augurer quelque tempête... Allons bon, et si... ?

- Dans tous les cas, Madame n'est pas si fin-de-siècle qu'on voudrait le croire. C'est poussée par de cruelles nécessités qu'elle a fait ce choix. A côté de cela, elle n'aspire qu'à une vie de foyer respectable, entouré d'héritiers. N'est-ce pas... ?

Attendait-il réellement une réponse de l'intéressée ? Il lança un regard franc à ses parents, l'air de dire "C'est ce que vous vouliez, non ?" et souffla. Le simple fait qu'il ait parlé à la place de la dame contribuait à faire d'elle la parfaite épouse. Et, en effet, l'argument sembla fonctionner. Madame de Fréneuse, adjuvant inespéré, se mit même à parler de choses et d'autres, de sa voix basse et voilée.

- Et vous saviez qu'on avait vu M. de *** avec une chemise rouge, à la soirée de Madame de Lambresac ? La duchesse était outrée, et elle a bien raison. A-t-on un peu de tenue. Ne trouvez-vous point, Catharina, que c'est un peu provocant ? ... Mais aimez-vous notre poisson ?

Le ton était innocent, presqu'engageant. Si Madame se liguait avec elle contre les turpitudes du monde, peut-être que ... ? Gabriel, étrangement, n'avait pas encore soufflé mot, discret comme à son habitude. Étrange, cette maison, où tous les rôles semblaient inversés, dès lors que la porte était franchie...


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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyDim 27 Jan - 15:52

Il était sans aucun doute évident que Jean n’avait rien compris à ce que je venais de dire à son père. Je mis d’ailleurs quelques secondes à réaliser qu’il tentait peut-être de sauver mon image face à ses parents. Comment mon futur avait-il développé cette attitude si peu conservatrice, alors que ses parents prônaient les temps anciens ? Je levai un regard curieux vers lui, dodelinant lentement la tête pour lui donner raison. Monsieur et Madame ignorait à quel point avoir une vie respectable et être entourée d’héritiers était, depuis toujours, mon vœu le plus cher. Puis mes yeux, fatigués, redescendirent vers le poisson que je tâtai distraitement avec ma fourchette, le découpant mollement avant de le manger.

L’emploie de mon prénom par de Fréneuse mère me surprit et je parus inquiète, comme une personne que l’on allait sermonner. Analysant les frêles paroles dans ma tête, j’acquiesçai, murmurant un « ...J’aime le poisson. » sans pousser mes paroles trop loin. Si le duc et la princesse avaient eu ne serait-ce qu’une once d’affection pour la fiancée de leur fils ainé, j’aurais pu croire qu’ils avaient choisi ce plat tout spécialement. Hélas, le hasard était le seul à avoir dirigé quoi que ce soit.

Je vins à penser qu’un repas sans mes enfants était glacial et triste. Leurs petits babillements me manquaient sincèrement. Je me sentais plus légère avec eux, sans constamment avoir les yeux rivés sur mon plat ou des tremblements aux doigts. Ils parlaient beaucoup, mes bébés et ils mettaient un temps monstre à manger toute l’assiette mais ils n’en demeuraient pas moins adorables. Ils se moquaient bien, eux, de si le service était français ou russe et si l’un de nous venait à s’étouffer –comme Honey par exemple qui mangeait plus vite qu’il ne mâchait- et bien il n’y avait aucun drame.

Précise et à la fois décalée, je penchai la fourchette pour que seulement une dent ne pique d’abord le poisson, puis la dressai pour empaler un morceau que je soulevai avec minutie. Je constatai que la portion de mon assiette était démesurément grosse –comparé à d’habitude et je me demandai comment j’arrivais à manger alors que je me restreignais toujours chez Marie-Gilbert. Soudainement, les mots filèrent entre mes lèvres « Dites-moi, Monsieur, comment imaginez-vous la vie d’une divorcée ? » Je posai sur lui de grands yeux, perturbés, quelques secondes à peine avant je retourner à la contemplation de mon repas qui disparaissait peu à peu.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 1 Fév - 22:15

C'est Charles de Fréneuse qui manqua peut-être, cette fois-ci, de s'étouffer avec son poisson. Pour cet homme, si habitué à ce qu'on pliât devant lui, les turpitudes de son fils représentaient un réel affront - et une réelle souffrance : que l'on osât contester son autorité verbalement lui était désagréable, qu'on osât le faire en acte ... Ce mariage, alors, revêtait toute la puissance symbolique de la trahison et du parjure : que Jean ait osé contracter des fiançailles en se passant de l'accord de ses parents n'allait pas de soi en 1897 ! En ce sens, sa fiancée eût pu être la plus parfaite qu'il aurait sans doute trouvé à redire tout de même... Mais qu'elle osât lui répondre, dans le sentiment de son bon droit, avec - presque ! - de l'innocence bafouée au fond du regard, celui lui était inimaginable. Il répliqua, d'un ton cassant :

- Je n'imagine rien, Madame, je m'inquiète simplement de la déréliction des mœurs. Que deviendrait la société française, si l'on pouvait contracter une union comme si ce n'était rien, puis changer au premier problème venu, selon sa fantaisie, selon son bon plaisir ... ?

Il jeta un regard - assez doux, dans sa froideur - à Rosamonde. Celle-ci acquiesçait lentement. Gabriel, lui, avait levé un sourcil, et jouait avec son poisson, l'air de souhaiter d'être à mille lieues de là.

- Je n'exclue pas le cœur, Madame, mais vous devez savoir qu'il n'a pas à entrer en ligne de compte pour des gens comme nous. Le mariage d'un duc, c'est une alliance avec une famille - selon des considérations tout à fait diplomatiques, notez-bien ; c'est aussi le fondement du patrimoine d'un pays. Que deviendrions-nous si nous nous unissons selon notre caprice ? C'est pour cela que je n'admets pas le divorce, Madame ... Quand bien même serait-il justifié dans certains cas.

Il désigna de la tête Rosamonde, qui baissa les yeux, en modeste épouse :

- La fantaisie et le caprice n'ont point présidé à mon mariage ; au plaisir immédiat, nous avons substitué le respect.

... Étrangement, l'on était en droit de penser que les préceptes du père n'étaient pas si éloignés, peut-être ... de ceux du fils.

- C'est pour cela que Jean devait épouser la princesse Golovnine, cela aurait renforcé nos relations avec la Russie.

Et là, deux voix retentirent en même temps, pour interrompre ce discours : celle du jeune frère, qui lançait timidement "Peut-être cela renforcera-t-il les relations avec la Norvège... ?" et celle de Jean, agacée et plus forte, qui répliquait :

- Mais Jean en a décidé autrement, hélas ... Eh bien, mon cher père, soyez fataliste, et ne faites point payer à la future Madame de Fréneuse un choix qui n'est du fait que de votre fils. En outre, vous vous tromperiez en voyant là-dedans un mariage de fantaisie.

Ou même, disons-le, d'amour ... Il tiqua sous les pincements-chatouillis-autre de sa fiancée, mais reprit tout de même, qu'elle soit d'accord ou non :

- Et en choisissant Catherine plutôt qu'une autre, je n'ai point trahi mon devoir d'hériter. Il est des choses avec lesquels on ne plaisante pas.

Et en effet, Jean semblait soudain grave et sérieux. Il lança un regard dur à son père - et seuls ses plus intimes amis eussent pu savoir, à ce moment-là, combien cela pouvait lui coûter. La réponse sembla, en outre, rasséréner un peu le père ... l'on servait le plat principal, dans un calme religieux.

Citation :
(Hors RP) ~ Dans sa nervosité, Jean a laissé tomber les "a" de Catharina ! x)
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyDim 3 Fév - 13:41

Charles de Fréneuse, malgré sa stature effrayante, possédait de bons arguments. Malgré la relation particulière qu’elle entretenait avec ses enfants, elle imaginait une voie toute tracée pour chacun d’eux. Snowden, brillant et calme, deviendrait médecin mais… S’il en décidait autrement ? S’il préférait devenir écrivain, un artiste ? Catharina ne réagirait pas aussi durement que monsieur le duc, mais elle serait déçue, décontenancée. Elle se braquerait, se fermerait à la possibilité que son fils ait pu faire le bon choix. Si elle pouvait comprendre en partie la réaction de monsieur, elle se sentait honteuse et impuissante face à sa vision du divorce. Ses doigts se serrèrent sur la fourchette, la culpabilité n’était pas tout à fait disparue et Charles semblait se poster du même côté que l’ancien mari : La faute revenait à l’épouse. La société française ne s’en porterait pas plus mal, si l’on permettait à une femme et ses enfants de vivre et à un homme de ne pas croupir en prison pour meurtre et brutalité.

La voix étouffée de Gabriel attira l’oreille de la jeune mère qui leva vers lui un air fatigué. Le ton élevé de Jean contraria la divorcée, elle n’aimait pas les bruits, même pour la défendre. Touchée, approcha sa main du fiancé et la posa sur son bras, à la fois pour le contenir et le remercier. Un geste léger, mais qui pouvait être faussement révélateur. L’union à laquelle les deux fiancés s’étaient promis était loin d’être due à l’amour. Au caprice, sans doute, d’un homme qui tenait à sa liberté et d’une femme à sa famille, mais à l’amour, jamais.

Le silence les habita, quelques bouchées fut prises avant que Catharina décida de s’adresser au plus jeune invité, à cet homme impardonnable « Je dirais même mieux, monsieur : Avec la Norvège, ainsi que la Suède car, même si la première ne cesse de réclamer son indépendance les deux pays ne forment encore qu’un et son très liés et si la Suède s’est toujours montrée très agressive vis-à-vis du Danemark, elle est présentement en de bons termes avec la France et la Norvège reste plutôt neutre, plutôt trimballée. Elles ne sont pas aussi riches et habités que la France ou la Russie, mais ce sont de magnifiques pays. Je suis certaine, monsieur, que vous sauriez apprécier un peu d’hallingdans ou de poisson pêché à Bergen, peut-être même à Lofoten, ville où je suis née. » Elle battit des paupières, innocente des mots qu’elle venait de prononcer. Diable ! Parler ainsi de sa terre maternelle, pour la défendre face à une immense Russie, lui avait échappé.

Comme frappée parla foudre, elle tourna la tête vers le sévère duc, yeux bien ouverts. Elle le saisit, finalement, qu’elle venait de parler politique devant un homme tellement conservateur. Elle entrouvrit la bouche, ses lèvres tremblèrent puis se fermèrent sur le poisson. Elle espérait que monsieur n’ait pas en tête que son fils c’était trouvé un gendre, une épouse hors sujet. Une mère ouverte sur une Norvège indépendante et un ancien mari se moquant bien des lectures de sa femme, cela vous forgeait la parfaite erreur que votre héritier ne pouvait choisir.

Spoiler:
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyJeu 7 Fév - 22:34

La saillie de la fiancée ne manqua point de surprendre l'assemblée ... mais Jean sourit légèrement, presque rassuré. Que le sujet de la conversation ou la manière d'en parler ne convinssent pas, soit ! Mais au moins, l'on parlait - et c'était autant de reproches de moins, formulés par M. de Fréneuse. Gabriel, quant à lui, hochait la tête. Il rajouta avec timidité :

- Les danses traditionnelles ne m'intéressent pas trop - que ce soient celles d'ici ou d'ailleurs ... - A cet instant, Jean glissa à Catharina, assez bas pour qu'elle seule puisse l'entendre : "Moi je veux bien voir les danses si elles sont bizarres" - mais je serais ravi de découvrir ce poisson ! A quoi ressemble votre ville natale ? Peut-on y faire villégiature ?

Il sourit à son tour et ajouta :

- Jean est plutôt habitué à aller dans le sud - c'était Alger, la dernière fois, c'est ça ? Ça le changera !

Rosamonde gratifia son plus jeune fils d'un regard légèrement inquiet. Non que les repas fussent aussi formels d'habitude - quoique - mais il ne semblait exister aucun sujet de conversation - pire, aucun moyen - pour apaiser la colère de M. de Fréneuse. Oh, certes, il devrait bien se faire à la dure réalité qu'on lui imposait, mais pour l'heure, il était encore sous le coup de la surprise et du déplaisir que la nouvelle lui avait causée... Il rétorqua, visiblement sceptique, mais trop bien élevé pour s'acharner :

- Bien entendu, qui sait si ce pays n'aura pas plus tard une place importante dans l'histoire ... Mais mangez, Madame, ça va être froid.

Le ton était toujours froid, naturellement, mais la phrase au moins était bienveillante... Tandis qu'on attaquait le chapon au cresson et que l'on servait un nouveau vin - coupé à l'eau pour Mesdames, Charles posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment :

- Avez-vous songé déjà à la cérémonie ? C'est un événement de grande importance, et il importe que tout soit fait dans les règles. Nous ne pouvons nous permettre de suivre la mode des mariages intimes et comme en catimini, qui ne sont bons que pour les niais et ceux qui ont quelque chose à se reprocher.

Et Rosamonde de Fréneuse, souriant à son fils, laissa échapper, malgré elle, un mot de mère attendrie :

- Que Gisèle sera heureuse, tout de même, que tu te sois enfin décidé !

Et cet éclat de joie pure, naturelle, semblait presque trop éclatant autour de cette table morne, que la douceur des plats ne suffisait pas à égayer. Pur éclat de joie tout de même !

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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyLun 11 Fév - 12:08

Si le petit de Fréneuse était intéressé par les jours sans lumière ou les nuits éclairées, il se sentirait à l’aise d’aller en villégiature à Lofoten. Bien sûr, il fallait également apprécier l’isolement et le poisson. Il ajouta que le fiancé préférait le sud, l’Alger. Malgré l’exotisme dont devait faire preuve le pays, la chaleur empêchait Catharina d’envisager y aller un jour. Elle confrontait avec mal les hautes températures de Paris, alors l’Afrique n’était pas un choix à faire. Ralentie à la fois par la nervosité et par la bouchée entamée, elle n’eut pas le temps de répondre à Gabriel avant que Monsieur son père coupa court à notre conversation, lui conseillant sévèrement de manger avant que le repas ne refroidisse. La divorcée acquiesça et se pencha un peu plus vers son chapon, prit une gorgée de vin coupé lorsqu’il arriva à sa portée.

La fameuse et brulante question fut posée. Question à laquelle Catharina n’avait même pas pensé, chose futile qui lui importait peu en réalité… Pour le moment, du moins. La fiancée leva des yeux surpris, elle soutint le regard de Monsieur le duc, réfléchissant en même temps. « Non… Je n’y ai pas songé. On fera comme vous le voulez. Pas niais ou de catimini… » Elle fronça les sourcils, et continua d’attaquer le plat principal, se sentant pour l’instant peu concernée par le comment de la future cérémonie de mariage. Après tout, ce n’était pas à eux de la préparer, si ? Ils laisseront les préparatifs aux personnes d’honneur pendant que Jean et Catharina se rencontreront chez Madame Pentois pour discuter de tout et de rien.

Rosamonde fit mention d’une certaine Gisèle, mais la norvégienne ne tiqua pas. Elle connaissait si peu de personnes ! L’amour maternel l’enfermait chez elle, loin des soirées mondaines et autres occasions de faire connaissance et d’agrandir son cercle de fréquentations. La mère était remplie de joie, le mariage semblait l’excitée malgré le très désastreux choix d’épouse de son fils. C’est que le Jean rendait heureux bien des semblables –des nobles- en décidant enfin de faire sa vie avec une légitime.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyMar 12 Fév - 4:16

Charles de Fréneuse hocha la tête, visiblement satisfait, et l'atmosphère sembla s'alléger légèrement. Il fit même quelques remarques sur les talents de cuisinière de Madame Crayon, employée de la maison depuis plus de vingt ans. Une chance qu'il existait encore des domestiques dévoués comme elle ! Cependant, c'était Rosamonde de Fréneuse qui s'était rembrunie : elle était assez surprise que Catharina ne relève pas le nom de la duchesse de Lambresac, qui d'ordinaire faisait tout son effet, même chez les gens de leur milieu. C'est que Gisèle n'avait pas acquis sa réputation sur un seul rang : elle était aussi une femme délicieuse, doté d'un esprit raffiné et brillant - aux yeux de gens comme Rosamonde, tout du moins - mais toujours convenable. Elle parvenait à réaliser ce dont toutes les ambitieuses rêvaient ... et son nom rayonnait maintenant, au faîte de la société parisienne. Jean remarqua le trouble de sa mère, et profita d'un instant de flottement pour glisser à l'oreille de sa fiancée :

- Faites un peu l'émerveillée lorsqu'il est question de la duchesse de Lambresac. Que les mondanités vous ennuient ne me pose pas problème, mais faisons semblant pour cette fois.

Lui-même n'avait pas vraiment songé que Catharina pût ignorer qui était Gisèle... on n'échappe jamais tout à fait à ses conditionnements. Pendant ce temps, Charles de Fréneuse évoquait toujours la crise de la domesticité ...

- Vous aurez à l'expérimenter bientôt, Madame ... Il devient de plus en plus difficile de trouver des gens de service qui soient fiables. Mais peut-être avez-vous déjà connu ce désagrément ?

Heureusement, renchérit Rosamonde, nous avons la chance d'avoir quelques bons éléments. Notre jardinier, notamment, fait des merveilles, malgré les caprices du climat. D'ailleurs, je regrette un peu que la période ne soit pas favorable. Une promenade dans le jardin après déjeuner est toujours agréable, n'est-ce pas ?

Et elle lui adressa un sourire timide, l'air de dire "une prochaine fois, peut-être ?" Son regard, cependant, était resté un peu froid - distant, tout au moins. Était-elle encore étonnée qu'on ait ignoré le nom de la duchesse de Lambresac ? Cela prouvait, au moins, qu'ils n'avaient pas affaire à une ambitieuse ou à une croqueuse d'hommes ... ou alors une ambitieuse qui était, de plus, très bonne actrice !


Dernière édition par Jean de Fréneuse le Ven 22 Fév - 21:25, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyJeu 14 Fév - 5:11

Au conseil pas très honnête de Jean, la fiancée écarquilla les yeux de surprise. Pourquoi ne pas l’avoir appelée la Duchesse de Lambresac dès le début ! Évidemment qu’elle savait de qui il s’agissait, Marie-Gilbert fréquentait son salon et, sans doute, espérait que son amie se fasse plus connaitre dans le monde mondain pour en faire partie à son tour. Cela dit, ladite Madame ne m’évoquait pas davantage d’émerveillement et je tournai de l’œil vers Jean pour le lui faire comprendre. Néanmoins, il fallait plaire à Rosamonde et il n’y avait pas un millier de moyens pour y arriver.

La gestion de domestiques était un domaine encore ombragé pour moi. En tant qu’épouse, j’y ai participé, notamment pour trouver une gouvernante… Ah ! Les gouvernantes, toutes plus incompétentes les unes que les autres. Une qui hurle sur le bébé ne déchiffrant pas ses pleurs, l’autre qui terrorise l’enfant en le plongeant dans l’eau. La moitié ne parle pas plus que leur langue maternelle et les autres n’arrivent pas à calculer plus que des additions et des soustractions. Était-ce le fruit de la malchance ou de mes exigences trop élevées ?

« Qui n’en a pas connu, de désagréments un jour ou l'autre ? » Je me retins de mentionner certains problèmes avec mes enfants. L’ambiance s’allégeant peu à peu, je préférais éviter de l’alourdir encore une fois en parlant de petits soucis. Si Gisèle m’avait laissée de glace, je m’émerveillai à la mention de ‘jardin’. « Toujours, madame. Je serai ravie de voir votre jardin au cours de l’été. » Et je souris, parus presque plus à l’aise, un moment. Rosamonde avait touché une corde sensible : Dans le temps où je vivais à l’hôtel particulier, j’y passais beaucoup de temps. « Quelles genre de fleurs avez-vous ? » Tout en l’écoutant, je continuai à déguster le repas.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 22 Fév - 22:12

Charles de Fréneuse hocha légèrement la tête, l'air visiblement déçu. Sa future bru n'avait point répondu avec beaucoup d'esprit ... Il en vint à craindre que la future Madame de Fréneuse fût une idiote... Cela serait d'un moindre mal, cela dit, si c'était une idiote discrète ... Mais tout de même ! Rosamonde, quant à elle, répondait distraitement :

- Oh un peu de tout, c'est le jardinier qui s'en occupe. J'ai un faible pour les tulipes, ces fleurs qui firent tourner la tête des courtisans autrefois et que l'on achetait à prix d'or ... Mais nous en reparlerons, je doute que les fleurs intéressent ces Messieurs ...

Et elle se tut ... Cela n'allait décidément pas être facile, si à chaque fois qu'un sujet de conversation s'ébauchait, il s'épuisait aussitôt... Gabriel profita de l'accalmie pour reprendre la parole et donner les nouvelles du monde :

- M. de Garuchan s'est battu en duel ce matin, il est blessé au bras, mais c'est léger...

- En même temps, les duels de M. de Garuchan ... répliqua Jean. C'est beaucoup de mise en scène pour peu de choses ... Son adversaire ne devait pas être au courant qu'avec M. de Garuchan, on fait juste semblant.

Gabriel eut un drôle de sourire, et Charles attrapa l'occasion au vol :

- Encore une histoire de femme, je suppose... M. de Garuchan devrait prendre garde... Il est des choses que l'on ne peut tolérer que tant qu'elles restent sous le sceau du secret. En outre, je conçois que l'on se batte en duel, l'honneur est un tribut précieux qu'il faut défendre avec zèle ... Mais l'on ne devrait point placer notre honneur sur une maîtresse frivole ...

Et, s'adressant à Catharina :

- En revanche, l'honneur d'une épouse doit être inattaquable, et un époux digne de ce nom doit le préserver coûte que coûte...

C'est à Jean - qui lança un "Évidemment !" plutôt convaincu - que Charles adressa un regard dur : l'avertissait-il sur ses devoirs, lui aussi ? Jean évita la confrontation, et en profita pour glisser à sa fiancée, assez bas pour simuler un aparté, assez fort pour être entendu :

- On ne devrait point accuser à la légère la vertu des femmes ; sur ce point, nous sommes tous d'accord.

Gabriel se ratatinait un peu sur sa chaise, bien gêné à son tour que son intervention tourne ainsi en sa défaveur ... En tout cas, une chose était sûre : selon ces principes, l'ancien mari de Catharina était aussi coupable - sinon plus - qu'elle dans ce scandale de mœurs...

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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyLun 25 Fév - 3:29

Catharina ne se sentit pas du tout concernée par cette conversation sur ce Garuchan qu’elle ne connaissait pas. La conversation sur le jardin de Madame aurait été beaucoup plus intéressante ! Hélas… Pour ne pas passer pour une bru plus idiote encore, elle se contenta d’écouter d’une oreille la conversation qui avait lieue, tout en terminant de manger le fameux repas. Elle pinça les lèvres pour dissimuler un rictus amusé. Les français, garder quelque chose sous le sceau du secret ? Jamais ! Même son ancien époux, qui n’avait qu’une parente étrangère, ne savait se taire complètement. Combien d’histoire d’amants rocambolesques lui avait-il raconté, rien que pour le plaisir de parler ? Oui, monsieur Ainsworth adorait parler, mais plus que tout, il aimait être écouté.

Tout bas, sur un ton léger, elle murmura à Jean « N’ayez crainte, mon cher, pour ma part, je ne mettrai jamais mon honneur sur une maitresse frivole. » Et elle se tut, laissant les hommes discuter de l’inattaquable honneur d’une épouse. Elle obliqua néanmoins sur le côté pour entendre les très peu subtils paroles que venait de faire son fiancé sur sa précédente situation. Elle le regarda, un moment, peu amusée. Catharina n’appréciait pas que l’on remette sur le tapis cette vieille histoire de femme infidèle. Jean aurait la chance de constater, dans pas très longtemps, qu’il fallait plus que de gentilles paroles et des fleurs pour faire tomber la vertu de sa fiancée. La blonde jeta un coup d’œil au jeune frère et remarqua le malaise de celui-ci : Bien fait pour lui !

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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 1 Mar - 0:21

Parfois, la société était bien coupable : il était certaines histoires qu'elle consignait dans son grand registre et qu'elle ne daignait plus effacer. Qu'importe que des centaines d'histoires contraires aient été rapportées depuis : c'était écrit ... et la personne qui avait la malchance d'être le héros ou l'héroïne d'une telle histoire devait la charrier chaque jour, avec ses mauvais souvenirs, ses mensonges, ses erreurs... En ce sens, il n'était point étonnant que les de Fréneuse ressassent ces questions d'honneur, que plus d'un reléguaient depuis longtemps au magasin des accessoires - n'en déplaise à la pauvre fiancée... cela faisait partie de leur rang, de leur histoire familiale... et en cela, même Jean, quoi qu'il en dise, suivait inconsciemment cette logique. Il fut cependant sensible au mot de sa compagne, et étouffa un rire dans son verre de vin. Charles ne daigna point relever l'affront et le repas se poursuivit, sur son ton grisâtre et morne de déjeuner officiel. Les plats continuèrent leur ronde, et ce jusqu'au dessert. Tandis que les domestiques apportaient une corbeille de fruits de saison et des petites parts de compote, Rosamonde commenta :

- Savez-vous qu'il est du dernier smart en Russie de servir des compotes en conserve ? Cependant, ma cuisinière me donnerait ses jours si j'osais servir cela à mes invités. Il paraît pourtant que c'est presque meilleur... Avez-vous déjà goûté cela, Madame ?

Enfin, quand les fruits furent picorés plus qu'engloutis, Madame de Fréneuse invita ses hôtes à passer au salon.

- Que diriez-vous, Catharina, d'une tasse de thé ? Nous laisserons les hommes discuter ensemble, et nous resterons tranquillement assises, dans le calme ... ?

Cela impliquait d'abandonner Jean, qui ne semblait pas plus inquiet que cela à l'idée de laisser sa fiancée en tête à tête avec sa mère ... Lui, en revanche, avait presque l'air d'envier Catharina : l'ennui des conversations de Charles et Gabriel était-il pire que celui causé par Rosamonde ?

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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyJeu 7 Mar - 13:31

En guise de réponse, la fiancée inclina timidement la tête. Catharina se réfugiait à nouveau dans son silence, prenant un fruit ou deux pour les grignoter lentement. Elle se demandait si les parents de Fréneuse avaient bel et bien en tête que leur fils épousait sa maitresse plutôt que celui-ci avait choisi une femme pour des questions pratiques. L’un et l’autre ne semblaient pas les réjouir, mais des sentiments et des principes bien différents étaient concernés. Et pourtant, les deux principaux acteurs de se mariage s’entendaient parfaitement pour dire que cette union n’était pas le produit impulsif de leur amour brulant l’un pour l’autre. L’envie d’embêter les gens était sans doute plus forte que l’affection qu’ils se portaient.

Catharina se sentie interpelée lorsque Madame de Fréneuse prononça son prénom. Elle leva des yeux un peu apeurés vers elle, comme effrayée à l’idée de quitter son futur. Elle jeta un coup d’œil à Jean, puis revint vers la mère avant de répondre, doucement « Bien sûr, bien sûr. » Puis elle posa sa main sur l’avant-bras de son fiancé, promenant celle-ci sur sa manche avant de la glisser jusqu’à ses doigts et de se lever pour rejoindre Rosamonde.

Des airs fatigués étaient certainement l’une des seules choses qu’elles partageaient, toutes les deux. Madame venait d’une famille conservatrice, traditionnelle, au contraire de Catharina qui avait vécu un peu partout et avait embrassé différentes cultures. Si Rosamonde encourageait la jeune mère à parler, n’allaient-elles pas entrer en conflit à un moment où à un autre ? Jean n’avait vraiment pas une famille facile. Jean, tout comme ses enfants, faisaient office de carapaces. Sans eux, laissée à la merci de tous, Catharina se sentait vulnérable. Et Dieu sait que ce n’était pas le moment de dire des bêtises !
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 8 Mar - 0:52

Le mouvement de sa future bru n'échappa point à Rosamonde, qui lança un étrange regard à Jean puis à Catharina, comme si elle les interrogeait, secrètement, sur la raison de ce geste. A croire que dans une maison aussi convenable, un tel acte de promiscuité était ... non pas forcément répréhensible, mais au moins surprenant. Par ailleurs, Jean profita de l'occasion pour lui glisser : "J'éloigne le pire, vous verrez, ma mère est assez sage, ça se passera bien." Il lui adressa un sourire encourageant : "Contentez-vous d'apprécier le thé, qui sera bon, et de dire tout haut quelques pensées anodines ... elle sera bien contente." Et, soutenant son regard une dernière fois, il prit congé, avec une mauvaise volonté bien inhabituelle ...

Une domestique vint apporter le thé, avec quelques petits gâteaux secs. Elle le servit dans une belle porcelaine japonaise, qui avait l'air presque incongrue dans le salon si classique. Alors que Jean fermait la porte très lentement et traînait des pieds jusqu'au fumoir - où il courait presque d'habitude pour fuir l'insipide conversation de sa mère ... - Rosamonde invita Catharina à prendre place. Elle prit elle-même une des tasses que la domestique avait remplie et la lui tendit :

- Prenez garde, c'est encore chaud. J'imagine que vous aimez le thé anglais ?

Elle prit elle-même sa propre tasse et y ajouta non pas un mais deux sucres, avec un petit sourire coupable.

- Charles n'admet point que l'on sucre le thé. C'est mon petit plaisir quand il est parti fumer ou qu'il travaille. En voulez-vous, Madame ?

La pince à sucre, resplendissant d'un bel argent, trônait dans le sucrier, comme une invitation au vice.

- Vous savez, Catharina, j'ai toujours regretté de ne pas avoir eu de fille. Vivre au milieu d'une maison d'hommes vous durcit trop le cœur ... On raille les inquiétudes de la mère ou de l'épouse, souvent bien durement, en oubliant que nous ne sommes que de faibles femmes ... Vous, au moins, vous devriez comprendre ces sentiments-là, n'est-ce pas... ?

Elle laissa planer le silence un temps :

- Vous savez, quoi qu'on en dise, je suis heureuse que Jean vous ait trouvée. Ma seule inquiétude, c'était qu'il épouse une fantaisiste comme lui, qui reniât ses devoirs, et le pousse sur sa mauvaise pente ... Vous ne me semblez pas de ce genre-là.

Et elle se mit à siroter son thé sucré avec un plaisir évident, presque naïf, qui réveillait un peu l'éclat terni de ses yeux clairs.
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyLun 11 Mar - 12:18

Apprécier le thé et papoter de manière innocente. Je notai dans un coin de ma tête ces petits conseils et saluai, comme si nous allions être séparés pendant des mois, Jean qui partait sans trop de hâte rejoindre les hommes de sa famille. Je craignais que sous ses airs de femme effacée, Rosamonde puisse être d’une hypocrisie et d’une cruauté sans nom face à de jeunes femmes plus modestes et de moins haut rang qu’elle. J’exagérais énormément la chose, mais cela n’était pas impossible et je me questionnai sur mon attitude si je devais être confrontée à une harpie de mère ne voulant pas laisser son précieux héritier dans les bras d’une divorcée.

On apporta une collation et du thé. Madame de Fréneuse me demanda si j’aimais le thé anglais et j’acquiesçai, me souvenant de ce que Jean m’avais conseillé. « Oui, j’aime bien le thé anglais. » Dis-je naïvement, sans réellement avoir de préférence. Je ne remarquai pas que celle-ci y avait ajouté du sucre, avant qu’elle ne me le mentionne. « Bien sûr » Lui répondis-je, attrapant la pince pour mettre quelques sucres dans mon thé. Me voila dorénavant aux bords de l’incorrect et de l’incongrus avec Madame belle-maman, vieilles et vicieuses.

Vint le temps des confessions. Je regardai, d’un air calme, Rosamonde me parler de ses inquiétudes d’épouses et de mère. À ces mots j’esquissai un petit sourire et ne pus que lui donner les raisons. J’aurais aimé lui dire que je connaissais ce sentiment que trop, qu’avec mes trois garçons, ma fille qui s’identifiait à eux et mon ancien époux, je me sentais raillée et secouée mais… Ce n’était pas le moment. Elle n’avait pas à savoir tout de suite que j’étais déjà mère, mieux valait garder la surprise pour plus tard. Je fus néanmoins touchée qu’elle n’ait pas trop adhérer à l’image de divorcée s’étant écartée du droit chemin à laquelle semblait s’être accroché son époux. « Vous avez raison, Madame, je ne suis pas de ce genre là. » Je pris une gorgée de mon thé et continuai, lente, gardant une certaine timidité. « Je n’ai pas l’intention d’influencer en mal votre fils. J’ai l’air bien maligne à cause de mon divorce, mais je ne le suis pas. »
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MessageSujet: Re: Une bonne conscience est une fête continuelle.   Une bonne conscience est une fête continuelle. EmptyVen 15 Mar - 3:43

Rosamonde eut un air légèrement amusé, sous sa fadeur, quand Catharina prit du sucre à son tour. Telle était la première chose qu'elle partageait avec sa bru : une transgression ! Puis vint, comme nous l'avons dit, le moment des confidences. Étrangement, Rosamonde sentit une certaine gêne dans l'attitude de la fiancée. Elle observa davantage Catharina, sans pouvoir comprendre. Elle avait bien envie de la croire, quand elle protestait de son innocence - et elle n'avait pas l'air, en effet, de nourrir de mauvaises intentions. Mais alors quoi... ?

- Catharina ... Je n'ai qu'une envie : celle de vous croire. Mais ne me cachez-vous pas quelque chose ... ?

Elle posa la tasse de thé, inquiète, et noua ses mains blanches sur sa robe.

- Vos yeux disent davantage que vos paroles ... mais je ne sais pas les comprendre ...

Et elle laissa planer le silence, plus angoissée qu'accusatrice. Ce fut à ce moment-là que la porte s'entrebâilla et que Jean réapparut, dans une légère odeur de tabac.

- Je ne vous dérange pas, j'espère ? Puis-je vous rejoindre ? Les conversations de messieurs mon père et mon frère m'ennuient prodigieusement.

Il appela la domestique à qui il demande familièrement une tasse de thé et s'installa sans attendre d'invitation. Il adressa un sourire à Catharina, l'air fier. Rosamonde, quant à elle, ne se démontait pas et continuait à adresser à sa bru un regard interrogateur. Que faire... ?

Citation :
J'ai fait un jet de perception pour Rosamonde ... Elle a eu, hélas, un très bon score. xD
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