Cette femme, d’apparence détachée et un peu légère se montrait en réalité assez perspicace. Qu’avait-elle reniflé ? Que Catharina entretenait de très mauvaises relations avec sa famille paternelle ? Qu’elle était un mélange de casanière et de misanthrope ? Ou bien avait-elle fleuré une compagne mère ? La jeune femme cachait, bien évidemment, plusieurs choses. Il avait été convenu avec Jean de ne pas parler aux de Fréneuse de ses enfants. Admirer leur fils épouser une scandaleuse divorcée leur faisait un de ses chocs, que celle-ci ait des enfants les tuerait.

Rosamonde mentionna les yeux. Quand l’on possédait l’immense paire de prunelles de Catharina, il était difficile d’avoir l’air aussi pure et innocente qu’une jeune fille lorsque l’on avait passé au travers de nombreux mois de violence conjugale. La divorcée laissa planer le silence, cherchant dans sa tête quelle vérité elle pouvait répondre à ça. Jusqu’à ce qu’on vienne interrompe la session.

Jean était un sacré sauveur. Un sourire radieux illumina le visage en entendant sa voix. Catharina le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il soit installé avec elles et revint vers sa future belle-maman qui n’avait pas décrochée. Son bonheur se fana un peu. Une gorgée de thé plus tard, elle répondit enfin « Que croyez-vous qu’une femme comme moi puisse cacher ? » Répondre à une question par une autre, c’était magique.

Catharina parut snober la belle-mère et n’être concentrée que sur sa petite tasse de thé. Les mots de Madame de Fréneuse étaient hésitants, mais doux. Elle semblait bien préoccupée, même si la divorcée pensait le contraire. Elle plissa les yeux et regarda la surface de son thé qui ondulait, laissant planer le silence. La jeune femme allait de Jean à sa tasse, n’osant pas passer par Rosamonde, de peur de lui déballer maladroitement son sac.

Elle rendit son regard à Jean, ayant l’air plus dur. Catharina n’avait pas envie de se faire jeter des pierres par les de Fréneuse parce qu’elle avait trois-quatre enfants. Se présenter pour ensuite s’étouffer l’avait déjà bien écrasée. Elle souffla et ses épaules s’affaissèrent. Posant également sa tasse à son tour, ses yeux firent le tour du salon avant d’affronter la future belle-mère.

« Je vais lui dire. »

Tout simplement. Elle battit des paupières à plusieurs reprises, cherchant ses mots. Lorsque j’épouserais votre fils, Madame, vous serez grand-mère ! ne le ferait pas trop, alors elle préférait y penser sérieusement. Catharina porta une main à ses lèvres, préoccupée, et se tourna vers Jean, comme si elle cherchait un peu de soutien de sa part. Pourtant, elle désirait ardemment annoncer la chose à Rosamonde elle-même.

« Eh bien, Madame… »

Catharina étirait le moment de la révélation jusqu’au bout. Rosamonde était la personne la plus appropriée à qui confier ce petit secret, non ? Étant elle-même une mère, la norvégienne espérait qu’elle soit plus tolérante, plus apte à le révéler à son époux si brusque.

« …Madame, Rosamonde. Je… je sais exactement ce que vous ressentez… lorsqu’on raille vos inquiétudes d'une mère… parce que je le vis… moi-même. »

Le minimum avait été prononcé, à elle de l’interpréter, maintenant que Catharina était repartie dans la contemplation de sa tasse de thé et autres joyeusetés qui, peut être, empêcherait Madame de s’adresser de nouveau à elle, mais plutôt à son fils.

Mettre une claque dans la tête de Rosamonde n’aurait pas suscité de telles émotions. Catharina fuyait le regard paniqué de la mère en détournant la tête vers son fiancé. Elle serra les dents et laissa parler Jean, ne démentant pas l’entière responsabilité qu’il prenait. Bien sûr que si, j’aurais fait preuve de dissimulation ! se disait-elle, mais ne le communiqua pas. L’ainé tentait de sauver la chose, il ne fallait pas mettre à terre tous ses efforts.

Mais Madame questionna Catharina sur le nombre, l’âge, l’avenir des enfants et elle dut se résoudre à la regarder. La norvégienne se demanda comment elle pouvait rassurer voire convaincre Rosamonde que la situation n’était pas aussi grave qu’elle en avait l’air, en réalité. Mais comment atteindre une femme aussi conservatrice ! La jeune mère se dit, sur le coup, qu’elle avait du passer plus de temps avec Jean ces dernières semaine en tant qu’amie, promise, que Madame de Fréneuse en tant que mère. Normal, mais si choquant pour une femme aussi accrochée à sa progéniture.

« Madame, je sais que c’est une situation peu commune, mais… »

Catharina se leva et contourna le meuble pour rejoindre Rosamonde. Elle se posa juste à côté d’elle, tentant du mieux qu’elle le pouvait de cacher son malaise, sa nervosité, la peur qui l’habitait.

« Je vous prie de penser un peu moins comme une épouse et davantage comme une mère. » Elle avait deux fils, dont un complètement bébé, la blonde avait un peu d’espoir. « Oui, ils sont très jeunes… Mais ils sont brillants ! Jean les a rencontrés et, comme vous voyez, nous sommes malgré tout toujours fiancés. » Et ledit Jean s’y fera ! Même si, pour le moment, la portée Ainsworth le fatiguait. « J’ai trois garçons et une fille, tous les quatre en parfaite santé et instruits de manière irréprochable. » Leur éducation était encore à parfaire, mais ils étaient jeunes, donc pas irrécupérables. « Je suis certaine, Rosamonde, que lorsque Jean vous a parlé de moi, vous aviez imaginé le pire. Que je l’ai séduit pour son argent, pour son titre ? Que je sous-estimais l’importance du mariage ? » Catharina baissa les yeux un moment, pensive. Elle dissimula ses mains tremblotantes dans les plis de sa robe. Elle continua, tout bas, faisant abstraction de son fiancé. « Ne veniez vous pas de dire que vous étiez heureuse que votre fils m’ait trouvé ? »

Voila, les arguments avaient été lâchés et la norvégienne détacha finalement son regard de celui de la mère, perdant ses grands yeux dans les décorations de la pièce.

Catharina sentit la voix durcie de son fiancé et cela ne la laissa pas de glace, au contraire, elle s’en inquiéta davantage. La pauvre femme n’aimait pas lorsque l’on changeait de ton, cela n’amenait jamais rien de bon et avait le don de lui faire perdre le peu de moyens qu’elle possédait. La fiancée laissa donc le silence s’installer, jouant de manière fébrile avec ses doigts. Catharina n’était pas un caprice et elle le savait pertinemment. Papa et maman de Fréneuse devront bientôt l’accepter.

Elle leva la tête dans un sursaut, presqu’effarée de voir Charles et son cadet entrer dans le salon où, au départ, Rosamonde et Catharina devaient discuter entre femmes, entre belle-mère et bru. Aussitôt le Duc de Fréneuse posé, la jeune mère c’était rapidement levée. La simple pensée d’être aussi près d’un homme aussi brusque et froid que lui la faisait trembler. Elle revint donc à sa place initiale, seule sur son divan. Une fois à l’abri et suffisamment éloignée du danger potentiel que représentait Charles, Catharina se remit à respirer… ou presque.

Elle tiqua sur la question de Gabriel mais n’y répondit pas. L’un des nombreux principes de la divorcée était de ne jamais mentir, de rester franche envers et contre tous. Ces mots, si elle les avait prononcés, n’aurait pas été des plus agréables voire appropriés. Elle préféra donc laisser le soin à Rosamonde ou à Jean de répondre au jeune frère que tout allait pour le mieux et continuer à jouer avec le tissu de sa robe.

Elle s’enferma dans son silence, empruntant le moins d’espace possible dans le petit salon des de Fréneuse. Catharina s’attendait à ce qu’une pauvre femme comme Rosamonde hurle au scandale auprès de son époux, comme quoi sa bru avait déjà des enfants ! Quatre bébés qui portaient le pantalon depuis peu ! Hélas, elle pencha, comme son fils, pour la discrétion. Elle tut ce qu’elle venait d’entendre, feignant que tout ce passait pour le mieux, cachant à son propre époux que, quelques minutes plutôt à peine elle avait passé à deux doigts de tomber dans les pommes.

La jeune mère ne prit que très peu part aux discussions qui suivirent, les sujets ne l’intéressant pas. Les sujets que soulevaient Charles ou Gabriel la laissaient silencieuse, ne lui permettant pas de s’animer. Catharina sursauta lorsque son fiancé la toucha, se redressant. Un sourire timide vint se dessiner sur son visage, sans qu’elle ne regarde vraiment la famille de Jean. Par politesse, évidemment. Elle ne désirait pas plus qu’eux de mettre en péril le nom de Fréneuse, mais elle se sentait tout de même détachée.

Lentement, elle regarda Jean et, comme incapable de parler, elle hocha négativement la tête. Que pouvait-elle ajouter de plus, de toute façon ? Catharina se leva, effacée et se laissa guider jusqu’à la sortie, les yeux rivés au sol. Elle voulait rapidement retourner chez Marie-Gilbert, retrouver ses enfants, retrouver le confort et la solitude auxquels elle c’était habituée depuis son divorce.

Elle entrouvrit les lèvres mais ce n’est qu’une fois la porte atteinte qu’elle s’arrêta près de Jean et se glissa devant lui. Catharina battit des paupières et le regarda avec de grands yeux, presque apeurée. « Dois-je craindre une lettre de votre part dans laquelle vous rompez nos fiançailles ? » Parce qu’elle sentait franchement qu’elle avait du souci à se faire et que l’angoisse la rongeait. Elle se tortillait les doigts.