Séraphine avançait à petit pas pressés, se frayant sans mal un chemin parmi la foule qui s’était rassemblée à l’occasion d’une soirée organisée fort à propos par le Bazar de la Charité. L'espace d'une terrifiante seconde, madame Spéret avait en effet craint de devoir accepter l’invitation à dîner d’un couple qu’elle avait rencontré par le biais de son mari et qu’elle ne tenait pas en très haute estime. Cette soirée était tombée à point nommé pour lui permettre de décliner sans devoir sacrifier ses bonnes manières.

Aussi avait-elle sortie l’une de ses dernières robes, un petit bijou qui réussissait le tour de force de la faire paraître modeste tout en flattant et son teint, et sa silhouette. Le tissu, d’un beau gris-bleu, dans laquelle elle était coupée semblait doux au toucher. Il arborait des reflets indigo qui amenaient élégamment l’éclatant bordeaux des rubans qui ornaient la tenue. Séraphine n’en était pas peu fière, aussi c’est le menton haut sous son petit chapeau qu’elle parvint à l’événement qu’était devenu la levée de fond organisée par le Bazar.
Séraphine, qui avait bien évidemment prévu de faire montre de générosité à cette occasion (comment en aurait-il pu être autrement : une femme digne de ce nom ne reste pas insensible à la misère d’autres familles), et ne repérant aucune de ses accointances habituelles, entreprit alors de flâner, à la recherche d’une bonne œuvre à soutenir.

Elle repéra néanmoins quelques figures intéressantes de la société parisienne. Il y avait là, malheureusement, de trop nombreuses connaissances de son mari, dont elle ne voyait pas bien pourquoi elles se trouvaient ici étant donné le point d’honneur que les gens de leur trempe mettaient à se moquer de tout, et surtout de leurs semblables. Elle décida cependant de ne pas se pencher plus avant sur cette question dont la réponse ne l'intéressait guère.

Son regard tomba ensuite sur des personnalités autrement plus respectables, des proches de la Forestière, si elle croyait ses souvenirs. Oh ! Comme elle aurait aimé se trouver de l’autre côté du miroir ! Etre celle que l’on cherche du regard pour prendre la température de l'évènement auquel on assiste ! Rendre un endroit intéressant par sa simple présence ! Toute chose dont elle se savait capable, sans pour autant trouver le moyen de se faire une place de choix parmi cette société.

Tâchant d’être discrète, elle entreprit de diriger sa flânerie vers un groupe qui rassemblait un certain nombre de personnes en vue afin de tenter de s’immiscer dans leur conversation. Peut-être, songeait-elle, avait-elle une chance de faire tourner cette soirée à son net avantage.

[P.S.: Voici une petite introduction, un peu bâclée j'en conviens, mais qui ne cherche qu'à introduire le contexte ^^ Je te laisse la main pour donner plus de corps à cette rencontre ^^]

Séraphine sursauta délicatement lorsqu’une assiette chargée de riches beignets entra dans son champ de vision. Elle considéra tout d’abord le plat, dont la banalité faisait quelque peu peine à voir, puis les mets qui avaient le bon goût de ne pas dégouliner de sucre. Son regard remonta ensuite le bras tendu sans trop de grâce dans sa direction pour atterrir sur le minois clair d’une jeune femme aux yeux noirs.

Elle se tourna complètement vers elle, ne voulant pas avoir l’air de marquer quelque réserve que ce soit face à la charité qu’elle était venue faire. Elle saisit d’une main gantée la petite bourse qui contenait l’argent qu’elle avait fait préparer pour l’occasion. Pêchant une pièce au hasard, probablement un sou, elle la déposa sur la table de l’échoppe près de celle qui lui tendait toujours le plat.

"Volontiers, je vous remercie mademoiselle...?"

Elle se demandait bien ce qu'il lui prenait de l'interroger sur son identité mais,tout en saisissant délicatement l’une des pâtisseries, Séraphine ne put s’empêcher de remarquer à quel point le regard de son interlocutrice improvisée était direct. Il était troublant d’être ainsi dévisagée, sans insistance mais sans déférence non plus, par une personne telle qu’elle semblait l’être. Madame Spéret songea à incriminer son chapeau. Elle l’avait cru imposant, à même d’impressionner dûment tout interlocuteur qu’elle aurait put avoir, et à plus forte raison ceux qui ne faisaient pas partie de son milieu. Au lieu de cela, c’était elle qui se trouvait tout à fait désarçonnée face à une fille, pour ainsi dire, qui lui proposait de la nourriture et qui ne portait pour ainsi dire aucun couvre-chef digne de ce nom.

Elle décida de se secouer. Il lui fallait marquer une certaine domination dans cette situation. Sans mordre dans le beignet qui risquait de compromettre résolument sa tenue, le tenant du bout des doigts, elle s’enquit :

« Dois-je m’attendre à un parfum en particulier ? Je n’aime guère certaines confitures avec lesquelles on fourre ces friandises récemment... »

Séraphine considéra avec appréciation la tempérance dont la femme fit preuve pour s'emparer de la monnaie. Dieu! Elle prit même le temps de lui fournir gracieusement une serviette qui avait même l'avantage de sentir bon. Madame Spéret la saisit sans pour autant croquer dans la pâtisserie. Elle ne l'avait pas prise par gourmandise. Elle était là pour participer au bazar.

"Judicieux" dit-elle en commentaire sur le goût des beignets.

Evidemment, maintenant, il semblait de bon ton d'en ingérer un morceau. La suite de la conversation devait inévitablement concerner le résultat du travail de son interlocutrice. Tentant de ne pas salir sa tenue, dont l'élaboration avait requis un temps somme toute considérable, elle prit une bouché précautionneuse du beignet. C'est évidemment ce moment que choisit un homme pour la bousculer vigoureusement. Sa canne attrapa l'un des pans de la robe de Séraphine qui fut brièvement déséquilibrée.

Elle se rattrapa de justesse au montant du stand. Fort heureusement, sa petite mésaventure avait eu le mérite d'être due à un fort attroupement de personnes, et il y avait fort à parier que son trébuchement peu digne avait été fondu dans la masse. Sauf, évidemment pour mademoiselle Landreau. Cette dernière s'était brièvement détournée pour servir un autre client, mais étant donné que Séraphine s'était quasiment écroulée sur son étal, il aurait fallut qu'elle soit aveugle pour ne pas le remarquer. Madame Spéret était soulagée de ne plus se laisser aller involontairement à cette malédiction qu'avait été sa tendance à rougir lorsqu'elle était plus jeune.

"Veuillez me pardonner cet écart" dit-elle en tentant de rassembler quelque contenance. "Il n'est pas toujours aisé d'être petite."

Pourtant, madame Spéret aimait assez être petite. Etre trop grande pour une femme était du plus mauvais goût. Elle considéra soudain le physique de mademoiselle Landreau avec plus d'attention. Elle ne lui avait jusque là jeté qu'un petit coup d'oeil rapide. Elle était plus vieille que ce qu'elle avait pensé au départ, mais bizarrement, ses vêtements modestes et sa coiffure plutôt stricte, nécessaire lorsque l'on manipulait de la nourriture, la rajeunissait.

"Vos beignets sont délicieux", dit-elle enfin pour clore le sujet de sa chute. "Vous devez faire beaucoup d'heureux en les confectionnant. Est-ce là votre métier?"

Séraphine, conquise par le goût des pâtisseries, se laissa aller à en goûter une bouchée supplémentaire, au risque de se recouvrir de sucre dans la manœuvre. Ce faisant, elle écouta distraitement la demoiselle Landreau exprimer sa joie de travailler au contact des écoliers. Séraphine n’avait qu’une très vague idée de ce que pouvait représenter le travail d’une femme telle que celle qui lui faisait face dans une école. Pour elle, il s’agissait d’une réalité très lointaine, faites d’horaires épuisants et de contraintes dont elle ne voulait rien savoir pour elle-même. Pour ce qui était de l’école, elle-même était passée de gouvernantes en précepteurs et n’avaient jamais réellement connu une salle de classe à proprement parler.

Rien, dans son discours, n’évoquait donc un quelconque écho familier pour Séraphine.

Mais la femme qui lui faisait face avait pour elle de présenter convenablement et de faire des pâtisseries plus que correctes. Séraphine savait reconnaître les qualités des bons domestiques lorsqu’elle les voyait : c’était là sa propre tâche en tant que maîtresse de maison. Il était du plus mauvais goût de s’entourer d’une domesticité malvenue, notamment lorsque, comme Séraphine, on aimait à recevoir des amis raffinés. La petite madame Spéret songea que ces beignets accompagneraient divinement un éventuel thé, et son attention pour le discours de son interlocutrice s’accru alors qu’elle l’évaluait d’une œillade calculatrice.

- Vous êtes donc heureuse de ce que vous faites, c'est admirable, dit-elle aimablement. Mais avez-vous seulement envisagé d’entrer au service d’une maison ou d’une famille ? Avez-vous seulement déjà occupé ce genre de poste ?

Séraphine continuait de poser sur Eugénie Landreau un regard évaluateur. Eugénie disait aider les gens à l’occasion, mais n’avoir jamais travaillé dans une maison. Elle semblait s’inquiéter de son niveau d’étude. Séraphine chassa ces considérations de la main.

- De telles qualités sont requises chez les gouvernantes, ou bien chez les précepteurs, dit-elle. Même s’il est plus facile de former de très jeunes filles à la domesticité, il est toujours bon de savoir s’entourer de talents divers…

Elle laissa sa phrase en suspens, tant pour laisser entendre qu’elle considérait sérieusement la question que pour se donner le temps d’y réfléchir réellement. Pour une raison ou pour une autre, la femme qui lui faisait face lui plaisait. Oh, bien sûr, pas comme une femme de son rang aurait pu éveiller son intérêt et s’attirer son amitié, c’eut été ridicule ! Mais elle lui semblait une opportunité de s’offrir les services de quelqu’un d’apparemment méritant.

Eugénie semblait une femme très convenable, soucieuse de son prochain et possédant quelque qualité dans le domaine de la pâtisserie. Or, la cuisinière des Spéret, si elle excellait dans la confection de plats goûteux et d’amuse-bouche en tout genre, ne s’était jamais particulièrement distinguée en la matière.

- Je m’excuse par avance de la brutalité de cette proposition, reprit la petite madame Spéret, mais j’aimerais que vous considériez la possibilité de travailler au sein de la maison que j’occupe avec mon mari. Nous n’avons nul besoin… d’une éducatrice…

Ces derniers mots étaient sortis d’une manière moins assurée que Séraphine l’aurait souhaité, trahissant peut-être à l’oreille de son interlocutrice le désarroi qu’elle ressentait parfois à n’avoir point d’enfant, surtout à son âge. Elle se reprit cependant bien vite.

- Nous aurions cependant l’usage de vos talents culinaires. Je donne parfois des après-midi en bonne compagnie, et ces dames peuvent parfois être gourmandes lorsque l’on sait leur mettre l’eau à la bouche, dit-elle d’un ton plus léger.

Evidemment, Jules se fichait probablement comme d'une guigne de la qualité des pâtisseries de leur cuisinière, mais elle aimait parfois, lorsqu'elle se trouvait en public à faire mine d'avoir avec son mari des sujets de consensus. Par ailleurs, la domesticité faisait partie des prérogatives de la maîtresse de maison.