Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Théâtre, Opéra, Music-Hall, etc. Lun 25 Avr - 22:52 | |
| " Le théâtre tenait à Paris, dans la vie quotidienne, une place exorbitante. C'était un restaurant pantagruélique, qui ne suffisait pas à assouvir l'appétit de ces deux millions d'hommes." Romain Rolland dans Jean-Christophe. La ville de Paris compte, aux abords de 1900, 41 salles de spectacles en ses murs et 17 dans les quartiers attenants aux fortifications. On y joue des spectacles variés, adaptés aux goûts du public. Nous vous proposons ici de découvrir un peu ce monde que tout le monde fréquente un peu. Après avoir donné quelques détails sur le déroulement concret d'un spectacle à cette époque (éclairage, attitude du public, etc.), nous nous attarderons sur le théâtre puis sur les autres formes de représentation en vogue à cette époque. Que le spectacle commence ! ~ * ~ Aller au spectacle au XIXe siècle Quelques généralités pour commencerJean-Louis Forain, Bal à l'Opéra de Paris• Nous commencerons par réaffirmer l'importance capitale du théâtre (et du spectacle en général) à cette époque. En 1896, point de télévision, de radio, de musique enregistrée, peu de livres illustrés : le théâtre et ses dérivés avaient ainsi un statut bien plus riche et plus important qu'en notre temps, puisque qu'ils étaient le seul moyen d'apprécier une scène, une danse, une musique. Le théâtre réunit au demeurant toutes les catégories sociales, car il présente une diversité de salles et de spectacles, à tous les prix. • " L'amusant au théâtre, c'est de sortir aux entr'actes, de saluer, de serrer des mains, d'entendre des opinions et de s'en faire une moyenne, avec toutes les extrêmes, sans effort sur la pièce " écrivait Jules Renard. Le spectacle est, en effet, le lieu de sociabilité par excellence ; s'y montrer est l'une des pratiques mondaines les plus appréciées. La bonne société vient avant tout pour s'y montrer. Répondant à un code vestimentaire strict (toilette de soirée à l'Opéra, toilette simple aux soirées ordinaires, excepté pour les premières), elle y prend ses contacts, ses rendez-vous. Des contrats financiers se négocient sur les balcons, et c'est là qu'on peut espérer rencontrer quelques gens importants, pour peu que l'on trouve une connaissance qui accepte de nous présenter à eux. Aller au théâtre, en somme, est presque devenue une obligation : les ministres, les financiers, les salonnières s'y trouvent réunis. C'est, avec les courses, un véritable carrefour de la Mondanité. Jean-Louis Forain, Le Foyer de l'Opéra • Il n'est pas rare de croiser des hommes dans les loges des cantatrices ou le foyer de la danse, avant, pendant et après la représentation. Ils sont en costume ou en simple habit, et ce sont les riches abonnés de l'Opéra côtoyant les amants des danseuses. Sous l'œil observateur des mères de celles-ci, ils sont venus pour féliciter les "artistes" ... Et briguer un rendez-vous. De l'autre côté du rideau, les théâtres et lieux de spectacle deviennent ainsi un lieu d'encanaillement. • Le public est différent de ce que nous connaissons. Il y est plus naïf, plus expansif surtout, n'hésite pas à commenter, applaudir à tout rompre, exprimer tout haut ce qu'il pense. Si le public mondain veut surtout s'occuper de ses petites affaires, et règle ses histoires dans le fond des loges d'Opéra, le public populaire est plus canaille, plus expressif : il n'hésite pas, encore, à crier vers les acteurs, à signifier son ennui, etc. Notons que les jeunes littérateurs et artistes, tenant de l'avant-garde, est parfois très ardent également. • Je terminerais ce petit point général en parlant d' un phénomène qui a disparu de nos jours, mais qui avait encore son importance alors : ce qu'on appelle la claque. En voici tout d'abord la définition : " un petit bataillon d'applaudisseurs spéciaux, chargés d'exciter, d'échauffer l'enthousiaste du public, et au besoin de le remplacer par le leur". Payés par les directeurs de théâtre, les acteurs ou leurs protecteurs (soit en argent, soit plus occasionnellement par des places gratuites), ils sont chargés de "chauffer la salle" pour dire vulgairement, voire de créer artificiellement un succès. Au rebours, on peut payer des claqueurs pour faire sombrer le spectacle d'un directeur, d'un artiste concurrent : ils doivent alors huer, siffler la pièce, dans l'espoir qu'elle fasse un four. Difficile d'imaginer aujourd'hui, dans nos salles de théâtre bien policées, l'activité de claqueurs professionnels ! ~ * ~ Le théâtre de la fin du XIXe siècle Écoles et tendancesJean Béraud, Le Boulevard des Capucines et le Théâtre du Vaudeville- L'héritage classique. Au XIXe siècle, les adaptations et reprises d'oeuvres classiques sont très nombreuses. Les Théâtres officiels en particulier ne cessent de jouer et rejouer Molière, Racine, Corneille et, homme de lettres dont on lit moins le théâtre aujourd'hui, Voltaire. Ils redoublent ainsi l'effet de l'enseignement des collèges, très porté sur la littérature classique. Cependant, les tragédies et comédies d'autrefois sont souvent considérées comme désuètes et dès le début du siècle, le public se tourne volontiers vers des genres plus populaires.
- Le mélodrame est très apprécié du publics tout au long du XIXe. En 1894, Francisque Sarcey, éminent critique dramatique, disait encore : "C'est au vaudeville et au mélodrame, pour peu qu'ils soient bien faits, que le public court comme au feu ; et il aime mieux encore payer pour en voir qui soient vieux et usés, que de n'en pas voir du tout." Equivalents populaires de la tragédie, les mélodrames se caractérisent par une intrigue bien ficelée, l'utilisation récurrente de personnages-t au types voire caricaturaux et de l'usage appuyé du pathétique. Ils remplissent la même fonction émotive que le cinéma au XXe siècle.
- Le vaudeville, lui aussi apprécié du grand public, est plus tourné vers la comédie. C'est un théâtre de cliché, usant beaucoup du comique de répétition et parodiant les tics de langage. Très attaché aux temps présents, il épouse les fluctuations de goût de la société. Méprisé des élites, il est fait pour répondre aux exigences du public. Ainsi Labiche écrivait-il : "Une pièce ressemble à une bête à mille pattes qui doit toujours être en route. Si elle ralentit, le public baille ; si elle s'arrête, il siffle." Si ces pièces au rythme effrené sont très demandées et apparaissent toujours au haut de l'affiche, le renouveau du théâtre passe par d'autres chemins, et notamment par la dramaturgie naturaliste et symboliste.
Jean-Louis Forain, Le Music-hall
- Le théâtre naturaliste fut d'abord pensé par Emile Zola. Dans Le Naturalisme au théâtre, il expose des principes qui inspireront le travail d'André Antoine, directeur du Théâtre Libre, qui révolutionna la mise en scène : vraisemblance et naturel du jeu des acteurs, exactitude des décors, des costumes et des accessoires. Le théâtre se fait souvent prolongation du roman, dont il tente de reproduire les nombreux éléments : on adapte notamment les romans de Zola avec un réel souci du détail (animaux sur scène, vrais objets de la vie de tous les jours, etc.). Parallèlement, des drames sociaux ou de moeurs sont écrits spécifiquement pour le théâtre et reproduisent les rebondissements des romans populaires. En ce sens, on peut voir le théâtre naturaliste comme un des ferments de la représentation moderne - il était, quand on y pense, très proche de ce que sera le cinéma.
- Le théâtre symboliste, enfin, connaît son apogée dans les années 1890. Au niveau des textes, c'est d'abord un théâtre plus proche de la poésie, pas toujours concu pour être joué et qui se déclame plutôt qu'il ne se joue. Mais le spectacle symboliste ne se limite pas à ce genre de représentations. Inspiré de Wagner qui formula l'idée d'une oeuvre d'art total, concentrant peinture, danse, musique, théâtre, il contribua à la création ou à la diffusion d'oeuvres modernes : il accueillit la danseuse Loïe Fuller qui jouait avec les nouvelles possibilités de la lumière électrique, il fit jouer Ubu roi d'Alfred Jarry ou encore mit en scène du théâtre scandinave. Fondamentalement pluriel, refusant le succès facile, le théâtre symboliste est adressé à une forme d'élite culturelle : son répertoire novateur, son refus de la mise en scène classique ou réaliste, en font le tenant de l'avant-garde.
~ * ~ Art lyrique, ballet, pantomime : les autres formes de représentation au XIXe siècle Parce qu'il n'y a pas que le théâtre dans la vieErnest Reyer, Salammbô- Le grand Opéra est encore le genre privilégié à l'Opéra de Paris à notre période. Apparu au début du XIXe siècle pour contenter la bourgeoisie aisée, il se caractérise par sa grandiloquence, ses effets musicaux appuyés et le grand déploiements de ses moyens (costumes, décors, etc.). Ces spectacles relèvent d'un genre sérieux et privilégient les sujets épiques ou historiques. Notons que les opéras de cette forme sont riches en morceaux de bravoure, pour contenter les interprètes et toujours accompagnés d'un ballet, arrivant de préférence à la fin du spectacle. Parmi les compositeurs de grands opéras, on compte Jacques Halévy, Giacomo Meyerbeer ou encore Jules Massenet.
- Mais l'art lyrique ne se limite pas à l'opéra. Le XIXe siècle voit aussi naître l'opérette et opéra-bouffe, genres moins nobles, mais qui attirent de plus en plus de spectateurs. L'opérette est un spectacle musical léger où les intermèdes sont parlés plutôt que chantés - parallèlement, si les grands opéras sont écrits en vers, les livrets d'opérette sont plutôt en prose. Attirant un public plus populaire, l'opérette et l'opéra-bouffe ont souvent eu une visée parodique : elles reprennent souvent de façon burlesque les thèmes des grands opéras (mythologie, épopées, etc.), et les parsèment d'allusions à l'actualité.
Edgar Degas, La Classe de danse[/size=8]
- Le Ballet a connu, hors contexte de l'Opéra, un assez bel essor à partir de 1870 : les cabarets et cafés-concerts, jusqu'alors dévolus au chant, montent de plus en plus de spectacles dansés (voir ci-dessous). L'Opéra perd alors son monopole, dans une période où le ballet académique connaît une crise assez sévère. Aux yeux de tous, il devient rien moins qu"un art conformiste et subalterne, propre à égayer de quelque intermède affriolant le troisième acte des spectacles lyriques." Parallèlement, les créations chorégraphies sont très peu nombreuses, et on remonte peu de ballets anciens, considérant qu'ils ne correspondant pas au goût du public. En somme, en 1896, on ne va pas à l'Opéra pour voir spécifiquement de la danse : c'est un accompagnement voire, pour les ballets existants, une première partie à l'art lyrique et rien de plus.
- Le music-hall est une forme nouvelle de représentation et se présente comme l'évolution du café-concert, débit de boisson où l'on venait écouter des chansons populaires. Cette nouvelle forme de spectacle est importée d'Angleterre et constitue en un savant dosage de numéros divers et variés (attractions courtes, chansons, acrobaties) et un "plat de résistance" ou clou du spectacle (pantomime, pièce de théâtre ou ballet fantaisie). En un mot, on mêle les apports du cirque, du concert, de la danse, pour créer un divertissement populaire. Et pour vous donner une idée de ce que cela peut donner, je vous propose le programme d'un spectacle de music-hall (Casino de Paris, 1891) :
- Citation :
- Orchestre : Ouverture musicale (La Muette d'Auber)
Belloni, équilibriste Troupe Pardon, vélocipédistes Les Grandes Manoeuvres, ballet-pantomime militaire. - Entr'acte de 5 minutes - Le Capitaine Charlotte, ballet en deux actes et quatre tableaux ; personnel du ballet : 150 personnes sur scène - Entre les actes, intermèdes de 5 minutes, où ont lieu les exercices de Mle Marieta, équilibriste sur fil de fer ; troupe Pardo, vélocipédistes ; Les Hegelmann & Wilson, barre fixe en l'air ; Les Trois Eugène's, grande voltige. -
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[size=16]Les grands noms du métier Ceux que vous pouvez croiser, admirer, vilipender
Ces dames ... |
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