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 [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)

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Jean de Fréneuse
J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
Jean de Fréneuse

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MessageSujet: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyLun 23 Juil - 4:21

4, rue Dupuytren


« Rien ne peut mieux guérir l’âme comme les sens,
comme rien ne saurait mieux guérir les sens que l’âme »
(Le Portrait de Dorian Gray, traduction de 1893)

Cuvettes, charpies et chloral ! Ses dernières nuits avaient été hantées de ces noms sans charme. Ah, pauvre orgueil ! Faute d'embrasser Charlotte, Lucette ou Louise, il dormait d'un sommeil trouble ... Et quand il se réveillait, ses yeux se posaient sur la barbe vénérable de M. Leduc et non plus sur les boucles folles ou l'échine frissonnante d'une ouvrière bien jolie. Quoi qu'on en dise, c'était tout de même moins affriolant. Jean, pourtant, ne perdait pas espoir ... M. Leduc lui avait assuré que tout cela ne serait bientôt plus qu'un mauvais souvenir. M. de Fréneuse avait eu bien du mal à y croire, nonobstant la douleur sourde, incessante, qui le tiraillait, mais M. Leduc haussait les épaules, songeant sans doute qu'après tant de mariages entre grandes familles, il y avait trop de lymphe dans le sang de son héritier de patient. Ou quelque chose comme ça.

Ce matin-là, cependant, le médecin parut plus soucieux que de coutume. Il entretint longuement Jean de ses parents, fort inquiets, de son frère, fort exemplaire, mais cela ne fit pas oublier à Jean la lueur fugitive qui était passée dans son regard quand il avait retiré les bandages de la nuit. Cela lui serra le cœur, il fallait bien l'avouer. Heureusement, M. Leduc avait bien des patients à voir, et il s'éclipsa bientôt ... Jean se retrouva seul. Il s'affala un peu plus sur son lit de malade et poussa un profond soupir.

- François, ouvrez donc bien grand la fenêtre, cela me fera bien plaisir.

- Monsieur va se trouver mal ... Et puis le Docteur ...

- Si tu savais comme je me f*** de ce qu'il dit, le Docteur ... Ouvre-moi cette fenêtre et va au diable !

Son ton s'était aussitôt durci. François s'exécuta, sans un mot, et sortit de la pièce. Jean n'était généralement pas rude avec ce vieux domestique qui partageait sa vie et en qui, malgré tout, il avait confiance. Mais la convalescence le rendait irascible. Il lui semblait que chaque jour resté dans ce lit le rabougrissait davantage et il se faisait l'effet d'un vieil infirme réduit à attendre la mort. C'était un homme de grand air, habitué à errer dans Paris de part en part, de jour comme de nuit, à pied ou à cheval. Confiné dans cette petite pièce, bien plus pensée comme un nid d'amour ou une brève escale que comme une pièce de séjour, il étouffait, littéralement. Et c'était sans compter les tortures supplémentaires que lui réservait le sort.

Son frère Gabriel, sincèrement inquiet et bien intentionné avait décidé de cesser la plupart de ses visites habituelles de l'après-midi pour tenir compagnie à son convalescent de frère. Bien fier de ce que pouvait représenter le sacrifice, inconsciemment heureux de savoir où trouver Jean à n'importe quelle heure du jour (il était bien difficile à attraper en temps normal), il pensait lui faire passer agréablement le temps par de littéraires déclamations et des conversations philosophiques. Tout en surveillant que son frère aîné prît bien le traitement prescrit par le Dr Leduc. Jean, pendant ce temps, endurait le tout souvent avec humeur, parfois avec résignation.

Cependant, un miracle vint éclairer le visage de notre éclopé. François frappa doucement à la porte et vint avec un pneu de Gabriel qui s'excusait de ne pouvoir passer aujourd'hui, à cause d'une affaire urgente à régler. Jean renvoya François la joie au cœur. Il commença donc à s'ennuyer méthodiquement - mais seul - toute la journée, feuilletant avec une visible mauvaise volonté les livres qu'avaient laissé Gabriel, et rattrapant le retard de sa correspondance, par des réponses stupides. Il n'avala rien, but à peine un peu de thé, fit le tour de la chambre porté plus que soutenu par François ... Et la journée suivait son cours, triste mais tranquille.

Aux heures de visite, cependant, il entendit un coup de sonnette en bas. Il laissa échapper un juron tandis que François s'empressait d'aller renvoyer l'importun. Quoique ... Bientôt ce furent trois coups timides frappés à la porte. François ayant laissé échapper ce visiteur, ce ne pouvait être que Gabriel - ou quelques autres vieux amis, mais ceux-ci n'étaient sensément pas au courant des tenants et aboutissants de l'affaire ... Contrarié, Jean saisit un oreiller et, se préparant à viser, le lança au visage qui venait d'apparaître, en s'exclamant :

- Tu avais dit que tu ne viendrai pas, tiens tes promesses, au moins ! .......... Oh ! Bonjour Charles-Armand !

Il semblerait que Gabriel de Fréneuse ait tenu sa promesse, finalement ...

Citation :
Désolé pour la longueur ! Ne te sens pas obligée de répondre rapidement, on peut mener tranquillement le RP à notre rythme, à côté du reste, si jamais. ^^
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Charles-Armand de Lonsay
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyJeu 26 Juil - 9:48

Gabriel de Fréneuse avait toujours eu un don pour vous annoncer au dépourvu les choses les plus imprévues. Le pneu qu'il avait envoyé à Charles-Armand de Lonsay en ce début d'après-midi du 18 mars 1896 n'avait pas fait exception à la règle. La nouvelle qu'il avait apporté avait juste eu une teneur un peu différente des autres... À en lire le comte, son frère aîné, le duc de Fréneuse, avait été blessé lors du second attentat qui avait secoué la ville cette année, celui du d'Harcourt. Blessure sérieuse : voilà le duc contraint à garder la chambre. Sourire de connivence de notre nobliau : il connaissait assez le caractère du duc pour imaginer l'enfer qu'il devait vivre et faire vivre à son entourage par la même occasion. Nouveau sourire entendu lorsqu'il s'imagina Gabriel le surveillant, en garçon raisonnable et dévoué qu'il était, tandis que son frère aîné ne manquait pas de ronchonner. À croire que certaines choses ne changeraient pas de sitôt...

C'était tellement vraisemblable que le vicomte ne put résister à l'envie de voir le tout de ses yeux... Oh ! certes, une part d'amitié sincère et une autre de courtoisie entraient également dans sa démarche, mais il devait admettre - quand bien même ce n'était pas vraiment à son honneur - que le plaisir d'être, pour une fois dans son existence, le visiteur plutôt que le visité, le bien portant plutôt que le malade, primait sans doute toutes les autres raisons qu'il aurait pu avoir de venir. À sa décharge, Fréneuse l'aîné ne lui avait certes pas épargné les railleries en tous genres au sujet de sa mauvaise santé durant les... vingt années précédentes, au moins. Et pendant les deux décennies en question, il avait eu la délicatesse de ne point lui donner prise à repartie. C'eût été trop facile.

La visite de cet après-midi était donc pour le vicomte une petite compensation à tant d'humiliations passées. En sa qualité d'ami d'enfance, le domestique du duc ne fit pas trop de difficultés à le laisser entrer, protestant à peine et sans doute pour la forme avant de libérer le passage. Craignant d'éveiller son ami, le vicomte frappa bien doucement à la porte avant de l'entrebailler... et de manquer recevoir un oreiller en pleine figure.

À croire que certaines choses n'avaient effectivement pas changé.

L'oreiller négligemment tenu en main, le vicomte s'avança dans la pièce (maintenant qu'il était bien assuré que Fréneuse était on ne peut plus réveillé) avec toute la sérénité du monde, les traits aussi impénétrables qu'à l'habitude (ou peu s'en faut) jusqu'à se trouver auprès du blessé. Étrangement, le duc lui semblait beaucoup moins imposant, beaucoup moins semblable à lui-même... Si le vicomte en conçut quelque peine - et ce fut effectivement le cas -, il n'en montra pas grand chose... Toute la compassion qu'il pouvait potentiellement ressentir était présentement plus ou moins occultée par l'envie qu'il éprouvait de rendre à Fréneuse la monnaie de sa pièce. De là à dire que ces intentions-là allaient encore perdurer...

" Eh bien, mon cher Fréneuse... Comment te sens-tu ? "

Comme si ce n'était pas évident...
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Jean de Fréneuse
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyDim 29 Juil - 4:15

Il ne manquait plus que cela ... Jean adressa un rictus à ce vieil ami qui s'était avancé vers le lit. Il expérimentait en cette heure toute une gamme de sentiments qu'il n'avait jamais vraiment connus. La honte de se trouver immobilisé dans un lit, l'odeur d'une chambre de malade, l'air gris et éteint des longues nuits au chloral ... Tout cela semblait bien étranger à cet homme qui, comme pour faire la nique (parfaitement ...) aux discours en vogue sur les dangers de l'atavisme et l'affaiblissement général, opposait à un nom vieux de quelques siècles une nature plutôt robuste ... Il se redressa tant bien que mal - non sans quelque grimace, il faut bien avouer - et darda son regard sur son visiteur.

Non, vraiment, la vie lui en voulait. Il avait eu la chance - que dis-je, le privilège ! - d'éviter les ergotages de son jeune frère ... pour se retrouver avec le maître à penser de Gabriel - pire, son dieu tutélaire.

- Je vais tellement bien, Charles, que je suis en train de crever ! Mais assieds-toi, je t'en prie. J'ai quelques dernières volontés à faire entendre ...

Il désigna d'un geste la chaise qui était posée à son chevet. Il ressentait l'envie de l'ensevelir sous les couettes et oreillers qu'il avait encore à sa portée ... Mais s'il l'eût sans doute fait à l'encontre de Gabriel (Le pauvre homme !), il gardait plus de tenue devant son aîné et camarade - c'était la moindre des choses. D'autant plus qu'il avait une question de toute importance à laquelle il fallait donner réponse.

- Mais d'abord ... Dis-moi, qui t'a vendu la mèche ? Mon frère, ma mère, ce brave Monsieur Leduc ? La nouvelle s'est-elle répandue ?

Il s'apprêta à demander à Charles-Armand de respecter la plus grande discrétion ... mais tandis qu'il parlait, il ressentit la douleur, aiguë, soudaine, qui lui courut le long de la jambe, et ne put retenir un gémissement. Une lueur d'agacement passa dans son regard, furtive. Puis se tournant vers son interlocuteur, amer, il ajouta :

- Les spasmes de l'agonie, sans aucun doute.

Mais sa main s'était portée à sa jambe, raide et pâle, comme pour démentir la blague, et le sourire qu'il avait à cœur d'adresser au vicomte, par fierté, ne faisait pas oublier les joues creusées par le jeûne ni le teint terreux. Jean de Fréneuse, hélas, n'imaginait pas à quel point l'apparence démentait le sourire.
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyDim 29 Juil - 13:12

" Rien que cela... ", fit le vicomte en s'asseyant sur la chaise désignée, sans toutefois prendre la peine de se munir en outre d'un calepin et d'un crayon pour prendre note desdites dernières volontés. Ah ! c'est qu'il en avait de bonnes, le sire de Fréneuse, à se dire mourant à la moindre égratinure... Bon ! d'accord, d'accord, ce n'était pas qu'une petite égratinure, à en juger par la jambe momifiée de la cuisse à la cheville, mais tout de même, de là à soutenir mordicus qu'on allait en mourir, fût-ce pour plaisanter... Le vicomte profita du fait que son ami se soit un peu redressé pour remettre l'oreiller à sa place initiale, tandis que son vis-à-vis lui posait une question... cruciale ?

" La nouvelle ne s'est pas répandue par la ville. Tu y tiens ? " Il laissa passer un petit instant, ne jugeant certainement pas utile de répondre à la question posée sans faire prendre des risques à son informateur. Le docteur avait bien l'immunité, en tant que médecin (ô combien haï, néanmoins) ; madame de Fréneuse était également à l'abri du reproche, mais Gabriel... Lui, l'était beaucoup moins. Et puis, au fond, peu importait. Jean devait bien se douter de l'informateur, n'est-ce pas ? Surtout face à cette grande coïncidence : son frère parti, lui présent... Il était difficile de ne pas faire un lien de cause à effet...

Un gémissement tira le vicomte de ses pensées à peine ébauchées et son regard se reporta sur le "mourant" à la mine contrariée et à la jambe raide. Un fin sourire lui monta aux lèvres lorsqu'il l'entendit parler de spasmes d'agonie et autres calembredaines funèbres : c'est qu'il était presque prêt à se croire dans la tombe, le duc de Fréneuse ! Et le vicomte de Lonsay ne put s'empêcher de lui ressortir quasiment mot pour mot cette phrase qu'il avait prononcée à de si nombreuses reprises, alors que leurs situations étaient inversées et que c'était le duc qui visitait le vicomte.

' Mon cher Fréneuse, jamais je n'aurais pensé te voir ainsi manifester ta... Comment disais-tu ? Ah ! oui, ta constitution féminine... "

Les paroles étaient certes blessantes, comme elles avaient bien pu le blesser auparavant, quand il se moquait de sa santé chancelante, et elles lui laissaient tout de même une certaine sensation d'amertume, d'injustice. La situation n'était pas la même : lui pouvait comprendre, il était déjà passé par des situations similaires, alors que Fréneuse...

" Pardonne-moi ", fit-il, temporairement radouci par cette pensée qu'il avait agi en enfant revanchard plutôt qu'en adulte raisonnable, et, qui plus est, dans un moment des plus mal choisis.
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyMar 31 Juil - 3:58


Concédons cela au personnage : en temps normal, Fréneuse eût sans doute haussé les épaules, répondu par une boutade plus osée encore ou ri de bon coeur. Mais hélas, certaines choses changeaient : fatigué, pâli, inquiet de la tournure que prenaient les choses, il se renfrogna tout aussitôt. Pire, il semblait prêt à exploser : pendant un bref instant, il se vit incendier Charles-Armand comme il incendiait Gabriel ou François ... Mais Charles-Armand s'excusait déjà et Jean ne laissa échapper qu'un profond soupir - c'était déjà beaucoup, pourtant, pour qui se faisait orgueil de sa maîtrise sur soi.

- Je plaisantais, bien entendu, marmonna-t-il, en saisissant une tasse où dormait un fond de thé (froid !) qu'il avala brutalement, pour se donner contenance.

Puis, soudain sérieux, il tourna la tête vers son interlocuteur :

- Je te serais fort reconnaissant si tu n'ébruitais pas l'affaire ... Cela se saura en temps et en heure, j'imagine : ce ne sont pas des choses que l'on peut cacher à Paris ... Mais si je pouvais éviter les pénibles visites de courtoisie ...

Il eut un geste d'humeur.

- Je ne parle pas pour toi, évidemment, mais nous nous connaissons assez pour que tu ne me tiennes pas rigueur de mon teint vert et de mon débraillé. Du moins j'espère! En outre ...

Mais il s'interrompit quand un courant d'air froid s'engouffra dans la chambre. Il huma l'air frais, les effluves de la rue et son regard s'illumina un instant. Un frisson lui parcourut le corps et, paradoxalement, cela lui fut agréable, à lui qui se trouvait confiné dans une chambre trop chaude, après ses nuits fiévreuses et avec l'horreur de se jambe cachée sous les couvertures.

- Ah, de l'air ! Je respire ! Quand le vent souffle comme ça, j'ai l'impression d'être dehors, et ça va beaucoup mieux !

Et dire qu'il était en chemise ... Peut-être ne se fourvoyait-il pas quand il disait devoir mourir bientôt ... ?
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyLun 6 Aoû - 7:23

Étrange, de voir à quel point un changement de condition pouvait vous changer un homme... La réaction qu'avait eue le duc n'avait pas manqué de surprendre son ancien ami, peu habitué à le voir las, et l'avait poussé à le reconsidérer sous un autre angle que celui de la vengeance entre adolescents. Il devait admettre que Fréneuse avait bien mauvaise mine... Bon, sans doute pas au point de confirmer la théorie selon laquelle il était mourant et près de passer l'arme à gauche, mais tout de même... Il lui semblait bien ne l'avoir jamais vu aussi mal. Quoi d'étonnant, dès lors, s'il accepta sans rechigner de ne pas ébruiter l'affaire ? Oh ! bien sûr, ce n'était pas vraiment pour les mêmes raisons que celles avancées par le duc... En bon grabataire qu'il avait été, le vicomte estimait tout simplement plus prudent et salutaire que son ami reste bien sagement couché - de toute façon, il n'avait guère le choix - au chaud et au calme - avec Gabriel, ça ne pouvait pas manquer - jusqu'à la fin de sa convalescence.

Autant dire qu'avec la personnalité de ce cher Fréneuse, l'affaire était loin d'être dans le sac.

" Bien évidemment. Il serait regrettable de troubler ta convalescence... "

Ils en étaient là de la conversation lorsqu'un courant d'air importun se mêla de leurs affaires. Si le duc l'accueillit avec ravissement, ce fut moins le cas de son visiteur, qui craignit un instant de s'enrhumer... - Dieu, le peu qu'il lui fallait pour se pressentir malade ! - Il rajusta quelque peu son vêtement, mais accepta par charité chrétienne de laisser l'air s'engouffrer dans la pièce. Après tout, si cela suffisait à le réconforter quelque peu... autant lui accorder ce plaisir-là. Le vicomte attendit donc que le courant d'air tombe un peu pour reprendre la parole, quand bien même l'idée de laisser les courants d'air se glisser dans la pièce au risque de faire prendre froid au blessé n'était sans doute pas pour le ravir. Il fallait bien avouer que le vicomte, en bon garçon souffreteux qu'il était, se croyait également relativement cultivé en matière de médecine...

" Évite de prendre froid, tout de même... Quand bien même tu es robuste de nature... " Ceci dit avec une petite pointe de jalousie, dont les origines n'étaient plus à évoquer... Pour ne pas s'appesantir sur cet épineux sujet, le vicomte détourna le cours de la conversation en avisant un livre posé sur la table de chevet.

" Dis-moi, Fréneuse... depuis quand exactement lis-tu du Walter Scott ? "
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Jean de Fréneuse
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyJeu 16 Aoû - 22:52

La fraîcheur de cet après-midi de Mars rendit pour un temps le sourire au convalescent. Jean haussa même les épaules, par bravade, lorsque Charles voulut lui prodiguer ses précieux conseils ... L'air de ceux à qui on ne la fait pas. Il eut un rictus un peu gêné, cependant, lorsque la conversation dériva sur cette lectures ... Il se pencha pour attraper l'ouvrage, raide, mal assuré, et fit mine de le feuilleter. A vrai dire, il s'ennuyait tellement qu'il lisait sans lire un bon nombre de bêtises, du bon vieux Walter Scott au larmoyant Octave Feuillet ... C'est ce à quoi rêvent les jeunes filles, semblait-il ...

- Depuis que je songe à marier, Charles. On a beau les tenir, les jeunes filles d'aujourd'hui lisent des romans ... Alors je fais ce que je peux, je m'adapte. Toi aussi, tu devrais y penser.

Et, tandis que ses yeux glissaient sur les pages :

- Toi qui as des soeurs ... C'était ça qu'elles attendaient de l'homme qui leur a fait la cour ? Je veux bien sacrifier aux usages, faire le gentil jeune homme comme il faut pendant quelques mois, envoyer des fleurs tous les jours*. Mais des serments idiots, des grands sentiments ... Va t'faire fiche !

Il posa le Walter Scott sur le lit, avec indifférence. Continuait à s'agiter, nerveux, mal à l'aise dans ses couvertures. L'idée du mariage l'assombrissait. Sans doute trouverait-il une bonne petite épouse, très fortunée, et pas trop laide, qui serait prête à accepter tout en bloc - l'ironie fléchissante, la fortune en berne, la jambe estropiée ... Pour le prestige du nom. La pensée n'avait rien de réjouissant par elle-même et il ne pouvait s'en ouvrir à Charles-Armand qui, pour avoir été un compagnon de route depuis des années déjà, n'était pas exactement un pair ... Mais un nouveau courant d'air qui passa le tira de sa rêverie.

- Mais pardonne-moi, je dis des bêtises et pendant ce temps-là, nous tombons malades - rien que ça. Veux-tu que j'appelle François pour fermer la fenêtre ... ?

Il ne voulait pas l'avouer, mais il commençait même à avoir un peu froid.
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptySam 18 Aoû - 3:27

" Pardonnez ma curiosité, monsieur, mais est-ce bien à Jean, prince de Fréneuse, que j'ai l'honneur de parler ? "

Avouez qu'il y avait tout de même de quoi se poser la question ! En vingt ans, jamais Charles-Armand ne l'avait entendu de ses propres oreilles dire qu'il "songeait à se marier". Dire qu'on songeait à le marier, ça, oui, il l'avait dit souvent, mais dire qu'il songeait à se marier... Quel facteur avait pu être assez puissant pour déclencher un tel changement chez Jean de Fréneuse ? Le vicomte ne le reconnaissait pour ainsi dire plus. À croire qu'une semaine au lit vous changeait radicalement un homme. Fréneuse qui lit des romans... Fréneuse qui songe à se marier... Fréneuse qui manquait prendre la mouche à ses plaisanteries... Fréneuse qui proposait de fermer la fenêtre...

Non, vraiment, ce ne pouvait pas être le même homme.

" Pourquoi pas, si tu ne crains pas d'étouffer une fois privé de ce courant d'air, source de vie, etc., etc. "

La proposition était trop belle pour qu'il n'en profite pas, après tout... Le moment n'était peut-être pas le plus opportun pour attraper quelque refroidissement, quand bien même le moment n'était jamais opportun pour ce genre de choses. Le vicomte ne s'étendit pas davantage sur le sujet, que tous deux connaissaient par coeur à force de l'entendre. Il en revint plutôt au sujet du mariage... Après tout, Fréneuse lui avait posé une question, non ?

" C'était il y a dix ans, sans doute les habitudes des jeunes filles ont-elles un peu changé depuis lors... Madeleine a grandi dans les idéaux romantiques de la Révolution, elle aurait voulu être Lucile Desmoulins, recevoir des lettres tendres d'un homme très impliqué dans la vie de son temps, tiraillé entre la tête et le coeur, entre l'amour et le devoir... Le baron Grécoeur de Ronceville ne lui convenait guère, au vu de son caractère froid et posé, mais ils ont fini par bien s'entendre, après quelques heurts... Adélaïde était beaucoup moins romanesque, pensant davantage à mener une vie chrétienne et rangée. D'Elmées ne lui a épargné ni les fleurs, ni les billets tendres, elle a fini par le croire... "

Une pause dans la conversation. Visiblement, Jean de Fréneuse n'aurait guère le choix quant aux fleurs, aux grands sentiments et aux effusions... À moins que...

" Au reste, l'éducation que mes soeurs et moi avons reçue est loin d'être la plus traditionnelle... "

Un détail d'importance.
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Jean de Fréneuse
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyMar 28 Aoû - 2:33


Lorsque le vicomte de Lonsay témoigna de son étonnement, Jean prit un petit air d'importance. Il l'avait surpris et il aimait - bêtement - ça. Mais il se retint de lui expliquer immédiatement les raisons de ce revirement : il voulait attendre un peu pour voir si l'appât avait marché et, surtout, son compagnon ne lui en laissa pas le temps. Il attendit, tout pétri d'impatience, que Charles-Armand soit revenu à sa place.

- Mais il fallait la garder ouverte si c'est ce que tu préférais, je ne voudrais point te priver du "courant d'air, source de vie, etc."

Et il lui offrit un grand sourire narquois, mi-amusé, mi-irrité sur un plateau de zinc - l'argent, c'était désuet. Mais il retrouva bientôt son sérieux quand Charles-Arman lui fit l'amabilité de répondre à ses questions. Et les réalités qu'il évoquait étaient loin d'être plaisantes, hélas.

- Il est vrai ... Comprends-moi bien, je la voudrais un peu jolie - au moins pas répugnante comme la princesse Golovnine et sa tête de cheval. Je pourrais jamais me résigner à épouser une femme qui ait un air de famille avec La Destinée ... Oh, je demande pas grand chose : un peu de charme, de piquant. Juste assez pour se prendre au jeu. La bague sera belle, les fleurs raffinées. Mais jurer à une inconnue ... Rien que d'y penser, ça m'agace, tiens.

Mais il y avait un avantage non négligeable à tout ce décalage ... C'était que tandis qu'il s'énervait à ce sujet, il oubliait un peu la douleur, la convalescence et la lassitude. Et s'il avait du mal à se l'avouer, la visite de Charles-Armand l'amusait tout de même. Il laissa planer encore un peu le silence, puis annonça, avec un reste de fierté un peu gamine :

- Et si je songe à prendre femme, Charles, c'est parce que j'ai pris conscience d'une chose importante ...

Il prit un air très grave ... Et puis reprit d'un ton léger, avec un énorme sourire :

- Mais veux-tu boire quelque chose ? Je peux appeler François.

Et s'il fallait que les choses changent, pour que tout reste pareil ... ? Un autre avait déjà formulé ce paradoxe en terme de politique. Restait à voir si cela se vérifiait dans d'autres domaines.

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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyMer 29 Aoû - 15:00

En fait non, rien n'avait changé. Jean de Fréneuse qui désirait une bonne petite femme, mignonne et spirituelle, c'était le Fréneuse habituel. Jean de Fréneuse qui se fichait gentiment de lui, c'était le Fréneuse habituel. Jean de Fréneuse qui s'amusait à prendre des airs enfantins ou des airs graves rien que pour changer de sujet, c'était le Fréneuse habituel. Tout au plus pourrait-on penser qu'avoir approché la mort d'aussi près avait pu lui faire admettre la nécessité pour lui de transmettre nom, fortune, titre et sang à un fils né d'un honnête mariage, à moins qu'il ne préférât que ce fussent les enfants de son jeune frère qui en héritassent... Ou peut-être la mort n'avait-elle rien à voir avec tout ça, peut-être n'était-ce qu'une toquade de plus au palmarès du sire et qu'en somme, il n'avait pas changé d'un iota. Ou juste d'un iota, sans plus.

Dès lors, autant en revenir mutuellement aux attitudes naturelles et habituelles. Lorsque Fréneuse proposa au vicomte de boire un verre, celui-ci - le vicomte, pas le verre - regarda le magnifique bar posé sur la table de chevet et composé de substances pour certaines aussi abrutissantes que cinq fois leur volume de cognac, pour d'autres beaucoup moins. Le vicomte les énuméra étiquette par étiquette, avec un sourire en coin, avant de conclure : "Ta proposition me va droit au coeur, mais, vraiment, non merci... Ce sont là de tristes boissons... Toi, par contre, tu devrais veiller à ne pas les oublier sous quelque prétexte..." Le vicomte nota en particulier la présence de chloral, de lotions antiseptiques et... tiens, qu'est-ce que l'eau sédative venait faire là ? Bah ! sans doute une idée du médecin... qui sait ce que ce genre de personnages est bien capable de trouver, comme propriétés inattendues, à ce genre de substances ! Il avait toutefois marqué son constat d'un haussement de sourcil caractéristique, quoique fort momentané. On ne sait jamais...

Bref ! pour en revenir au sujet du jour, donc ! "Laisse-moi deviner... Nous avons deux possibilités logiques, celle du choc consécutif à la fréquentation trop rapprochée de la Camuse et celle de l'héritage. Nous avons également celle de la fierté personnelle et de l'honneur familial, celle de la religion, celle de la réputation, celle de la volonté d'aller dans l'original en épousant une personne qu'on aime... J'en déduis que ce n'est aucune de ces six possibilités là. Il reste donc celle du caprice, par définition sans fondement réel, et celle d'ennuyer ton monde pour le plaisir. J'hésite..."

Après tout, auxyeux du vicomte, la plupart des agissements de son ami le prince avait dépendu de l'une ou de l'autre de ces raisons, à moins qu'elle ne dépendît tout bêtement de son plaisir immédiat (ou futur, mais futur à très court terme, alors). Et puisque rien n'avait vraiment changé...
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyLun 1 Oct - 22:10

Jean écouta son compagnon énumérer les noms des tristes boissons, posées sur la table de chevet, et se renfrogna un peu. A vrai dire, il aurait bien aimé déménager tous les intérêts de ce petit appartement - bien modeste, au fond - dans sa chambre de malade. Y amener le véritable bar, qui dormait de l'autre côté du mur, absurde, délaissé ; y amener sa vie passée et ses "débauches" - mot bien fort pour des plaisirs somme toute bien simples. Pour toute réponse, il lâcha :

- Si tu savais comme je suis lassé de faire la tortue* !

Heureusement, Charles-Armand ne s'attarda pas sur ces sujets qui assombrissaient visiblement le malade et retourna au sujet principal de la discussion. Jean retrouva le sourire, ce vague sourire en coin, ironique, un peu triste, qui le caractérisait.

- Ennuyer mon monde pour le plaisir ... C'est joliment dit et la tentation est forte, mais tu te trompes ...

Il fit une petite pause, soucieux de ménager son effet, et reprit d'un ton très docte :

- J'ai simplement pris conscience qu'au point où j'en étais - et je ne parle pas de ma jambe - prendre femme serait pratique. Cela calmerait M. de Fréneuse père pour un temps, cela m'assurerait un meilleur revenu, et à condition de prendre une maison assez grande, cela ne changera guère mon genre de vie habituel.

Il fit un geste, comme s'il craignait que Charles-Armand ne l'interrompe.

- Oh, je préserverai les apparences, évidemment. Ce sera un nouveau jeu, une gentillesse. Je peux même promettre de rester sage pendant un temps raisonnable. Mais songes-y : quelqu'un pour surveiller les domestiques, gérer les affaires courantes ... Une grande maison, quelques réceptions de temps en temps, pour faire plaisir à Madame - elle pourrait même avoir ses "soirs" si elle a envie, pour ce que j'm'en ... Bref. Je te dis ça assez maladroitement, mais c'est la faute de cette position ridicule dans laquelle je me trouve ... Je pense sincèrement qu'à condition d'en trouver une au caractère suffisamment doux, qui joue pas à l'adjudant chef ou à l'argousin, comme ils disent, dès que son mari fait un pas de travers ... ce pourrait être une meilleure situation que celle de célibataire.

Et tandis qu'il parlait, s'agitait, une petite tâche rougeâtre était apparue sur la couverture : le fait que Jean ne sache jamais tenir en place était décidément un problème ...

Citation :
faire la tortue : jeûner
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyMer 2 Jan - 6:59

Une meilleure situation que celle de célibataire... Qu'elle mène sa vie de son côté sans qu'il s'en préoccupe... Que ça apaise M. le duc de Fréneuse, que son fils redoute tant... Que ça arrange tout... Voilà la vision de la femme de son ami. Et au fond, ses arguments n'étaient pas mauvais, pensait le vicomte, quand bien même l'adulation toute révolutionnaire qu'il avait vu les siens vouer à des figures aussi controversées que Charlotte Corday, Lucille Desmoulins et compagnie puisse aisément lui rappeler que non, toutes les femmes n'étaient pas comme ça, bien au contraire ! Et d'ailleurs, de ce point de vue, toutes les femmes n'étaient pas aussi indifférentes à leurs compagnons... et vice-versa.

Lui-même se demandait bien quelle conduite tenir face à ces confessions, alors qu'il n'avait jamais vraiment envisagé le mariage sous cet angle de pur intérêt, ni même vraiment envisagé le mariage tout court. Entre sa timidité, son indifférence généralisée aux questions du ménage, que quelques domestiques suffisaient bien seuls à assumer, il ne s'était jamais figuré être accompagné d'une femme, et se contentait bien de son célibat... aussi scandaleux puisse-t-il avoir l'air à côté de ses airs fort respectables.

Mais Charles-Armand n'eut pas le temps de répondre aux nombreux arguments avancés par son prince d'ami : son attention fut attirée par un curieux truc... brun... rouge, peut-être... non, brun, sur la couverture... une petite tache de sang ? Pas impossible, et il n'en aurait sans doute pas tenu compte s'il n'avait pas vu cette tache s'agrandir peu à peu. Il ne lui fallut guère de temps pour se relever plus prestement qu'il ne l'aurait fait d'ordinaire, poser la main sur l'épaule de Fréneuse et tâcher, sans trop de succès - l'autre aurait pu le mettre à terre d'un coup de poing, après tout... -, de l'apaiser... mission impossible ?

"Ne bouge donc pas tant !" Un temps... d'incompréhension, peut-être ? "Tu saignes, sombre crétin..."

Et maintenant, que fait-on ?
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyJeu 17 Jan - 23:54

- Ah, merde.

Cela échappa à Jean alors qu'il considérait la tâche de sang, hébété, l'air parfaitement stupide. Et il lui suffit de la voir pour que la douleur réapparaisse, fulgurante, impérieuse - il y avait là-dedans un peu de psychologie. Il se demanda alors que faire, pour... pour quoi, au juste ? Sauver les apparences, fuir la triste réalité et les angoisses qu'elle charriait, retrouver les conditions d'une conversation normale, épargner à Charles-Armand un triste spectacle ... ou un peu de tout cela à la fois ? Préoccupé, Jean attrapa le couvre-lit qui traînait, à côté, et couvrit sa jambe, avec une sorte de pudeur un peu ridicule. Il avait mal, et cela se sentait dans ses phrases, légèrement hachées, et dans ses mots, un peu plus abrupts.

- Voilà, y'a plus rien maintenant.

Et il leva un œil gêné vers Charles-Armand, dont la main avait pesé sur son épaule. A son air, il se sentit apparemment obligé d'ajouter :

- Leduc repasse ce soir, ça peut attendre - l'après-midi était relativement bien avancée, mine de rien ... Il a dit que ça risquait d'arriver et qu'il avait fait le nécessaire.

Traduction toute fréneusienne des recommandations, plus inquiètes qu'à l'accoutumée, de M. Leduc. Les malades sont des gens de si mauvais volonté ! Bah ! il se sentait un peu nauséeux tout de même... Cela le rendait, d'ailleurs, presque grave, et d'une voix plus faible, d'un ton moins affirmé, il ajouta :

- Bien sûr, on dira que c'est le juste châtiment pour s'être abaissé à traîner au d'Harcourt... C'est aussi ce que tu penses, dis-moi ?

A vrai dire, ce n'est pas à Charles-Armand qu'il aurait pu l'avouer, mais le souvenir des sandwiches au vinaigre de cette brasserie, qui n'était guère aujourd'hui qu'un tas de cendres, le rendait presque mélancolique...
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyDim 27 Jan - 5:55

N'eût été sa bonne éducation, le vicomte aurait levé les yeux au ciel. Plus rien ? Plus rien ? Il se payait sa tête à prix d'or, vraiment ! Était-ce vraiment à lui qu'on ferait croire que dissimuler une plaie sous un couvre-lit la rendait au néant, alors qu'il avait fréquenté plus que de raison les lancettes et les sangsues ? C'était consternant. Délicat, peut-être, mais consternant. D'autant plus qu'ils n'étaient plus des enfants depuis longtemps et qu'aux dernières nouvelles, l'un comme l'autre étaient capables de supporter stoïquement la vue du sang... Cela dit, la mine gênée et un peu déconfite du prince de Fréneuse avait quelque chose de savoureusement inhabituel, une espèce de petite revanche, le prix de vingt-cinq ans de patience à voir M. Jean de Fréneuse la mine haute et condescendante à sa manière... Quelque chose d'un peu dérangeant, aussi. Quant à son air de dire : "attendons, ça ira bien comme ça ira", avec la grimace n'y afférent pas du tout, Charles-Armand l'avait suffisamment pratiquée pour en connaître la teneur exacte...

Après tout, ils n'étaient pas si différents, au fond...

Ou peut-être bien que si... La première pensée du vicomte n'aurait certes pas été pour la rumeur populaire au sujet du d'Harcourt. Déjà, parce qu'il n'était pas du genre à fréquenter ces brasseries. Ensuite, parce qu'il aurait sans doute songé à des choses un peu moins bizarres... Questio de nature, à n'en pas douter ! Mais l'interrogation le surprit, et il hésita un petit instant sur la teneur de sa réponse.

"Hm. Je t'avoue que cette idée-là ne m'avait pas encore effleuré. Cela dit, j'en doute... à moins qu'on ne généralisât cette pensée à l'ensemble des blessés. Qui tous ne sont pas princes, après tout."

Un moment encore, puis :

"Étrange, néanmoins, que ta réputation t'importe à présent..."

Après tout, Fréneuse l'aîné avait fort rarement eu cure de ce qu'on disait de lui au sein de la haute société... ou du moins le vicomte de Lonsay l'avait-il toujours cru ainsi. Mais il n'était guère temps de débattre de telles questions, à en voir le visage que tirait pour l'instant cet interlocuteur qui crânait à moitié.

"Qu'importe. Mieux vaudrait faire venir séance tenante le docteur Leduc. Que tu tentes de t'abuser, soit ! mais ta comédie ne convainc personne."

Son ton s'était, cette fois, véritablement durci. Qu'on fasse l'imbécile, oui. Mais sans lui. Restait à Jean de Fréneuse le choix entre sonner son domestique ou faire face... aussi ridicule que puissent être les résultats.
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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptyVen 1 Fév - 22:47

Mais peut-être que les gens dont Fréneuse se payait la tête étaient ceux qui comptaient le plus - qui avaient la plus grande place dans sa vie, tout au moins. Jean laissa Charles-Armand discourir, et haussa les épaules lorsqu'il fut question de sa réputation.

- Je me posais la question, c'tout...

Que dire d'autre ? On faisait semblant pour tellement de choses... Bien sûr, les racontars et les mines effarées des bons bourgeois l'amusaient follement, quand il racontait ses folles équipées, mais cela tenait, semblait-il, à un malentendu, pour une bonne part. Et si le pouvoir des plus grands n'était pas justement de n'en avoir cure, des mondanités ? De pouvoir tout balayer d'un geste, pour son bon plaisir, sans en être durablement affecté ? Hélas, ses réflexions se fanèrent bien vite : la douleur ne disparaissait point et Charles-Armand devint fort insistant. Jean ne savait d'ailleurs s'il devait lui en être reconnaissant ou s'en agacer : à la fois, il eût préféré jouer sa comédie, elle le berçait, le rassurait, en un sens ... et en même temps, cela le soulageait que quelqu'un prît le parti raisonnable. Il pouvait ainsi le suivre, sans que ce fût son idée première ... L'honneur était sauf - quoique...

- En même temps, comment savoir où il en est dans sa tournée ? C'est un Docteur, c'pas réglé sur du papier à musique.


Au moins n'avait-il point protesté ... Il n'en avait possiblement plus la force. Et tandis que Charles-Armand (peut-être ?) se levait pour alerter le domestique, Jean le rattrapa d'un geste un peu fiévreux, et lui lança, sur un ton bizarre :

- Merci tout d'même, t'es un brave type, va.

Il eût pu en profiter pour s'excuser pour toute la morgue dont il l'avait inondé, depuis leur plus tendre enfance, mais bon... c'était déjà pas mal... non ?

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MessageSujet: Re: [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay)   [Flashback] Je vais tellement bien que je suis en train de crever (C.A de Lonsay) EmptySam 2 Fév - 2:41

Objection ? Accordée. Fréneuse n'avait pas tort : un docteur, ce n'est pas réglé comme du papier à musique... mais ça peut se trouver. Après tout, Leduc avait surtout une chaire d'anatomie à la Sorbonne, plutôt qu'une tournée de patients longue comme le bras... et ses patients étaient très essentiellement de vieux mondains. Donc si, un docteur, ça se trouve... et c'est plus réglé comme du papier à musique qu'on ne pourrait le penser. Le vicomte ne le savait que trop às son goût... Voyant que Jean de Fréneuse ne semblait pas plus décidé que ça à mander François, Charles-Armand prit la décision - qu'il pouvait se permettre, d'ailleurs, en tant que vieil ami... si l'on pouvait dire - de le faire lui-même. Il darda donc un regard significatif dans les yeux du prince : "Mais ça ne s'en trouve pas moins."

Ceci dit, il se levait pour avertir François, lorsque Fréneuse le rattrapa d'un geste... et le remercia ?!? Depuis quand... ?! Attendez, c'était une farce, ou ?... Pour tout observateur étranger à la scène, et même pour son vis-à-vis, d'ailleurs, la minée étonnée du vicomte devait être savoureuse. Il reprit contenance après un instant de flottement stupéfait. "Je t'en prie", répondit-il, suivant la formule d'usage... et surtout parce qu'il avait bien du mal à trouver une autre réplique. Toujours interloqué par cette étrange réponse, il alla chercher le domestique... mais comme ces scènes n'offrent aucun intérêt particulier pour le lecteur, nous clôrons là le RP.
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