Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Revue de presse n°6 Lun 25 Juin - 6:35 | |
| Revue de presse - Fin du mois d'avril 1896
LETTRE
- Citation :
- Les ventes de la Revue mauve ont explosé, ce jour-là. En quelques heures, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre, et on s'est arraché la revue à la couverture mauve. Il a fallu en réimprimer, dans la journée. Hélas, les numéros suivants ne comportaient plus, mystérieusement, le fameux texte. Cependant, les chanceux à le détenir l'ont lu, recopié, diffusé. Impossible de ne pas savoir ... Voici l'article qui paraissait, devant les textes et essais littéraires - que malheureusement, il éclipsa un peu :
Ci-joint une lettre probablement écrire par le coupable de l'Attentat de l'Opéra. Cette lettre a mieux à faire dans les mains de tous les Hommes que dans celles d'un seul.
On t'a accusé de l'affaire de l'Opéra. J'en suis le coupable, et j'estime que tu dois savoir ... Tu choisiras. Ils préparent déjà la lame de la Veuve et se passeraient bien d'un procès si c'était possible. Je profite du temps qu'il reste.
J'ai beaucoup réfléchi, et j'écris, réécris cette lettre depuis plusieurs jours - depuis le jour de l'arrestation, à vrai dire. J'ai pensé à toutes les éventualités. Révèle donc cette lettre si elle peut te sauver la vie, ça me surprendrait pas. Monnaye la en échange de quelque chose, ou revendique à ton compte une action que tu n'as pas commise, si tu t'estimes perdu et que tu crois qu'en sortira grandie la Cause ... Mais j'estime que, plus qu'aucun autre, tu dois savoir ... C'est une confession dont tu n'as peut-être que faire ... N'importe, c'est une confession tout de même, et dire la vérité m'est déjà une libération.
L'action s'est menée loin du Milieu, avec le moins de rapport possible avec ceux que je connaissais pour anarchistes. Naïveté ! C'était pour brouiller les cartes, ne pas mener jusqu'à vous - c'était sans compter les autorités qui ont sauté sur l'occasion. J'avoue que je les aurais pensé plus prudents, après trois ans de silence ... C'est une erreur idiote. En faisant sauter Garnier, j'ai voulu effrayer ces gens-là, dont j'ai pourtant fait partie un jour ... C'était peut-être pas le plus grand symbole de la République, mais ces gens-là avaient été si préservés, même après les révolutions ... J'ai voulu lancer un coup dans la fourmilière ... mais je vous ai peut-être attiré plus d'ennuis qu'il ne fallait.
La position que j'avais dans le monde m'a donné la possibilité de frapper plus fort et plus haut. Les attentats ont souvent touché des lieux isolés, des cafés ou des restaurants de petits bourgeois. J'ai voulu atteindre une société plus haute, celle qui nous domine sans partage ... Ce sont les gens les plus bêtes, les plus mauvais, les plus hypocrites que j'aie jamais vus. En multipliant les intermédiaires, en chassant l'argent dans des milieux plus conservateurs que criminels, en jouant, simplement, sur le ressentiment des piétinés, des déçus de ce monde-là, j'ai réussi à faire illusion jusque là.
Je suis encore dans une position relativement confortable et jusqu'à il y a peu, je jouissais même d'une certaine réputation dans le monde. Mais l'échiquier social ne reste jamais immobile bien longtemps. Je sens que la chute est proche ... Pour comble de la stupidité, je perds cette place privilégiée pour des malchances, des futilités, des scandales idiots dans lesquels je n'ai jamais eu part ... J'avais espéré continuer, trouver le moyen de faire un autre coup d'éclat ! ... mais peut-être est-ce dans l'ordre des choses et d'autres prendront, je l'espère, le relai.
J'espère que tu ne prendras pas cette lettre en mauvaise part. Je n'ai pas eu le courage de la signer, certes, par un dernier regain de lâcheté, mais c'est la première fois depuis des mois que je suis VRAI. Je passe, j'ai passé ma vie à mentir, à prendre le masque et à jouer la comédie, pour simplement pouvoir frapper plus fort. J'y ai possiblement perdu mon âme ...
Cet acte est peut-être le dernier que je fais en homme libre : non que je craigne d'être pris, mais mes convictions vacillent à l'heure où ma chute approche. A trop fréquenter ce monde-là, j'ai peur d'en avoir attrapé les travers ... J'aurais bien dû jouer, un jour, le rôle de Lorenzaccio. J'aurais trouvé le moyen d'être vrai, même devant eux.
***
Le Fouineur, La Revue mauve, 30 avril 1896.
CHRONIQUE : L'EVOLUTION DE L'ART
L'Art, on en parle partout depuis la destruction de notre fabuleux Opéra. Pour en oublier le désastre, nombre d’artistes tâchent de proposer des spectacles destinés à nous amuser. Car rien de moins que le rire pour chasser les larmes !
Une troupe a proposé hier soir un spectacle d'un nouveau genre, où le burlesque se mêle à l'absurde. Votre envoyé n'y a compris goutte, ne pouvant tout de même ne pas retenir un rire nerveux devant les cocasseries jusqu'au scandale. Oh oui messieurs, criez le : scandale ! Et retenez vos femmes de voir tel spectacle. L'une des actrices ne joue rien de moins qu'un cheval. Tout y est : le masque représentant la figure chevaline, la posture - oh quelle posture grotesque, sans équivoque de cette femme imitant le cheval en se mettant à quatre pattes. Et cet homme, le cavalier, lui fouettant les flancs pour qu'elle avance.
Nous espérons que ce genre de spectacle sera bien vite rayé des futurs programmes. L'on peut rire oui, mais dans la décence !
L'Intransigeant, 29 avril 1896.
- Spoiler:
La chronique artistique a été écrite par Eugénie Landreau dans le cadre du Fait divers mystère !
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