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 Dîner sans principes

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Lionel Sylvande
Est devenu, a vu, vaincra
Lionel Sylvande

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MessageSujet: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyVen 30 Sep - 8:26


Sylvande, acteur en pleine ascension sociale, conservait malgré lui des habitudes d'étudiant mal dégrossi. Aussi, quelques soirs, congédiait-il la bonne plus tôt qu'il ne fallait, et il allait mettre le nez dehors pour errer dans le Quartier. Il vivait dans le cinquième, à proximité du Théâtre où il officiait, dans un temps où le quartier était encore peuplé d'étudiants et de bohèmes. Ceux-ci avaient des rendez-vous désignés, où l'on mangeait bien, pour pas cher, et où les femmes n'étaient pas farouches. Et Sylvande faisait comme eux, en souvenir de ses années d'étude volées et de sa jeunesse qui se délitait sous l'action délétère des ambitions.

Il s'était attablé, ce soir-là, devant une viande en sauce, des pommes de terre qui avaient l'odeur du beurre fondu, avait salué quelques connaissances, balancé des mots sans importance … Des jolies filles qui avaient trouvé là un emploi de serveuse – et des occasions d'arrondir les fins de mois en suivant, à la fermeture, des clients peu convaincus de leur moralité - des jeunes filles à la taille marquée par le tablier erraient entre les tables, des plateaux plein de bouteilles et de verres qui s’entrechoquaient. Vins mariani, kummels, xérès – plus rarement, du café. Sourires de filles, défilés de croupes et de verres, éclats de rire, battements de main : tout cela tintait joliment aux oreilles ... Et Sylvande s'en donnait déjà à cœur joie quand il aperçut, parmi les filles, un visage couleur de terre, de grands yeux vifs et l'air un peu perdu dans toute cette agitation.

Elle ne portait pas de tablier et n'avait pas exactement l'air gouailleur des femmes qui s'attablent dans les brasseries. Alors, oubliant son assiette, Lionel se retourna vers elle et l'examina, parce que malgré tout, elle lui semblait familière, de loin en loin. Il chercha et c'est quand il entendit sa voix – à qui parlait-elle ? - qu'il se souvint. Il l'avait déjà vue, au sortir des théâtres et des cafés, avec ses jupes grises et son air rapiécé ; il l'avait déjà vue, girovaguant par les rues en chantant des airs d'enfance … Et puis on lui en avait parlé, avec un reste de compassion et quelque amusement cruel. Comment l'appelait-on, déjà ? La Cinglée, quelque chose comme ça ?

Curieux, un peu gêné, il la guettait ainsi du regard, sans mot dire. Aurait-elle l'audace d'y voir une invitation ? La place à côté de lui était vide, et son œil clair avait l'expression vague.

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Eugénie Landreau
Ninie-La-Noiraude
Eugénie Landreau

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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyLun 3 Oct - 10:47

    Eugénie avait observé – à travers les grilles entourant le Jardin des plantes – les enfants qui venaient s'y amuser. Des enfants de bonne famille aux joues roses, sentant le propre et le savon. Ils semblaient tous droit sortis d'un livre d'images, trop mignons pour être vrais. Eugénie posa sa main sur son ventre, ce ventre vide de nourriture, incapable de procréer. Elle aurait voulu savoir ce que c'était d'avoir un enfant, le sentir grandir en elle.

    La vue d'un policier se rapprochant de la grille lui fit quitter ses pensées. Furtive comme une souris, Eugénie courut, leste et preste pour s'éloigner du Jardin. Les vagabonds n'étaient pas appréciés en Paris, surtout dans les quartiers les plus beaux. Cela dénaturait le décor, en détruisait la singulière apparence.

    Trottinant sur ses souliers défoncés, la femme se glissait dans les ruelles. L'oeil toujours à l'affût de l'uniforme, son nez la guidait. L'odeur alléchante de la nourriture arracha un gargouillement de son estomac vide – mais quand avait-il été plein celui-là ? Le d'Harcourt l'accueillit avec sa façade défraîchie par le soleil et son ambiance des plus rurale. Voire débauchés avec les clients qu'elle appâtait : les étudiants n'étaient pas tous des férus des révisions qui passaient leur journée dans leur chambrette. Eugénie en connaissait qui aimaient se trouver une femme pour chauffer leur lit. Besoin somme tout humain.

    Là ce que la vagabonde aurait bien voulu c'était de quoi chauffer son estomac.

    - Ah ma Nini, te v'là bien mal tombée... D'jà tous ces hommes ont femmes, et pas un te donnera un bout de pain. Ils préféreront le j'ter aux chiens...

    Eugénie pensait cela tout haut, tordant ses doigts, tout en guettant du regard le salut. Elle le trouva dans les yeux d'un étudiant. Il était seul, et son assiette fumait délicieusement. C'était si tentant, tentant comme un péché. Mais l'étudiant n'avait pas le visage d'un démon, seulement celui d'un homme qui se fait lentement au contact du monde. Eugénie porta ses doigts à la croix enfoui sous ses haillons, puisa de la force à son contact. Assez de force pour avancer vers l'homme, bredouillant tout bas des phrases sans queue ni tête.

    - M'sieur, daigneriez-vous faire charité chrétienne ? J'demande pas grand-chose. Juste une lichette de ce qu'y a dans votre assiette.

    Autant jouer le tout pour le tout. Eugénie prit place sur le siège vide. Même si l'homme la chassait, elle aurait eu le temps de soulager ses pieds. Ils étaient tous endoloris à force d'avoir sillonné les rues de la capitale.

    - J'peux vous rendre service en échange. J'sais pas dire la bonne aventure, et j'y crois pas à ses bêtises. J'sais chanter, j'sais raconter... Comme une b'nne maman.

    Pour cet étudiant elle ne serait pas la prostituée qui remonte ses haillons au passant. Elle serait juste Nini la gentille petite fille de campagne, douce comme le lait, gentille comme un mouton.

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Lionel Sylvande
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Lionel Sylvande

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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyMer 5 Oct - 9:45

Lionel n’était pas de ces hommes devant qui l’on brandissait l’argument de la charité chrétienne avec la certitude de tomber juste. Il avait gardé de ses années de pensionnat trop de rancœur envers les prêtres ; de là, les génuflexions, les patenôtres et les implorations, tout ça n'était pour lui qu'une image de l’hypocrite intéressement qu’on portait à la croix. Implorer la charité chrétienne, en ce monde ! Avait-il eu même l'occasion de l'implorer, quand ses parents étaient morts, seuls et sans argent, quand son oncle l'avait dépouillé, quand il errait dans les rues parisiennes, à mourir de faim ! Ce fut un sentiment mêlé de ressentiment et de douleur qu'il ressentit donc, quand elle prononça ces mots. Alors, comme une bête blessée, il fronça le nez, d’un air sombre, et ne répliqua pas. Il se dit que cela suffirait, comme d'habitude. D'ordinaire, les pauvres gens acquerraient, avec les années, cette humilité bien confortable qui les faisait renoncer à attraper un regard fuyant et se taire, lorsqu’on s’évertuait à ne rien leur dire … Renoncer, c'est alors mourir un peu ... Sylvande, pour penser ainsi, méprisait-il les pauvres gens, fange triste dont il s’était extirpé, à force d'efforts ? Non pas : il les craignait peut-être – ou les respectait trop pour vouloir encore se lier à eux, à leur honnêteté. Réussir en ce monde revenait à vendre son âme, n'est-ce pas ?

Tandis qu’elle s’asseyait, il restait donc renfrogné, dans le brouhaha et la gaieté alentours. Mais il n’eut pas le cœur de la chasser. Il marmonna seulement, avec cette distance agressive que mettent certaines gens entre eux et le monde :

- Pas besoin de mère, je m’en suis passé jusque là, je peux bien continuer.

Pris d’un dégoût substantiel, comme un goût amer d’autre chose, il poussa même le zèle jusqu'à faire glisser son assiette vers elle. Plus de faim, plus d'envie.

- Tenez, ma pauvre dame.

Et déposant la fourchette, avec une précaution bizarre et presque hésitante, il l’observa, du coin de l'oeil, sans oser se tourner complètement vers elle. Il devina ses yeux noirs qui tremblaient sous la paupière – ses grands yeux noirs noyés de l’indulgence universelle, et, chose étrange, quelque chose en lui remua. Ce fut alors qu'il s’entendit demander, d’une voix presque implorante, comme il eût regardé un autre lui-même, avec d'autres rêves, un autre passé :

- ... Ça fait longtemps que vous êtes à Paris ? Vous êtes de la campagne, n’est-ce pas ?

Il se trouva soudain aussi absurde et déplacé qu'elle, en ce haut lieu de la jeunesse joyeuse.

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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyDim 9 Oct - 8:33

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    Il lui tendait son assiette. Ce ne pouvait être qu'un rêve, pas une réalité. Personne – pas même le plus grand des chrétiens – ne donnerait tout son repas à une vagabonde. Eugénie secouait la tête, faisant voler des mèches folles.

    - Je vous z'ai demandé un bout, pas tout. Vous me gênez, m'sieur !

    Puis elle se tut, comprenant qu'elle gênait déjà l'homme par sa présence. Elle n'était pas dupe, elle savait qu'on ne l'acceptait qu'à moitié, qu'elle dégoûtait avec ses manières et sa pauvreté. Un chat crotté aurait attiré davantage de compassion. Eugénie prit doucement la fourchette après s'être essuyé les doigts sur sa robe, n'osant pas salir cet objet. Elle le tenait telle une relique, un objet sacré. Porta la pomme de terre à sa bouche comme si elle recevait le saint hostie des mains du prêtre.

    Que c'était bon. Eugénie s'en brûlait le gosier, mais peu importait la douleur à côté de la saveur, de la sensation de chaleur qui gagnait son ventre. Elle grignotait du bout des dents, faisant durer le plaisir. Qui sait quand adviendra son prochain repas, un vrai – avec de la viande, des légumes et non pas une vulgaire soupe populaire qui consiste qu'en eau sale.

    - ... Ça fait longtemps que vous êtes à Paris ? Vous êtes de la campagne, n’est-ce pas ?

    Eugénie leva la tête de son assiette, déglutit le bout de viande qu'elle avait encore en bouche et posa la fourchette sur le bord de l'assiette. Malgré ses allures de femme perdue, elle avait conservé quelques manières simples de bonne conduite.

    - Je... me souviens plus. C'la doit faire... plus d' douze ans.

    La femme n'avait aucune notion du temps qui passe, depuis qu'elle avait perdu sa tête. Elle n'arrivait à connaitre les dates que via le journal trouvé dans les caniveaux, les clameurs de la populace. Quant à son passé... Il changeait selon son humeur, ses dernières lectures. C'était un puzzle sans fin qui changeait de forme chaque jour et qu'elle devait reconstruire, par bribes de maigres souvenirs et de fantasmes.

    - Je suis v'nue ici comme beaucoup d'aut'es filles d'la campagne. C'était la Normandie, j'crois... Je rêvais qu'Paris allait réaliser tous mes rêves. Vous c'nnaissez la chanson. La preuve que ça a pas marché. J'ai pas des z'allures d'grande dame.

    Eugénie en rit, se levant et tournant sur elle-même. Montrant ses foulards tout élimés, ses jupons rapiécés, ses souliers crottés. Avec son teint brûlé par le soleil, ses cheveux noirs mal peignés, elle pourrait passer pour une bohémienne. Une diseuse de bonne aventure.

    Après ce petit manège, elle se rassoit, mains posées sur ses jupons.

    - Et vous, z'êtes un 'tit étudiant qui a d'mal à vivre. Paris est une dame qu'est pas tendre. Mangez un peu, z'êtes tout pâle que c'en est une tristesse.

    Voilà que la vagabonde retournait le geste de l'étudiant, lui redonnant l'assiette qu'il lui avait tendu. Elle avait des gestes comme ça Eugénie, des réactions de maman voulant aider son enfant.

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Lionel Sylvande
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Lionel Sylvande

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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyVen 14 Oct - 3:52


La fourchette tinta contre l’assiette en faïence – petite assiette ébréchée, toute blanche, sans prétention, habituée des appétits contrariés. Douze ans, qu’elle disait … C’était long. On perdait beaucoup, en douze ans : son métier, ses habitudes – ... son innocence ? Lionel haussa les épaules d’un air bourru. Il écouta, pourtant, le petit exposé de vie, p’tit destin naturaliste comme on en voit dans les romans feuilletons.

- Des rêves, hein ? répéta-t-il, d’un air stupide, tandis qu’elle tournoyait, montrant sans honte ses jupons rapiécés, ses souliers maculés de boue.

Autour d’elle, il y eut quelques rires, et la patronne, là-bas au fond, fronça le sourcil. Lionel allait intimer à cette femme, qui allait sans honte, de s’asseoir, avant de trop attirer l’attention, avant qu'ils ne se fassent chasse tous les deux par des commerçants, non point cruels mais tenant à leur métier. On sait bien que là où la misère se devine trop, les clients les plus délicats désertent … C’est jamais bon pour les affaires. Cependant, elle reprit place avant qu'il eût le temps de dire quoi que ce soit.

- Et vous, z'êtes un 'tit étudiant qui a d'mal à vivre. Paris est une dame qu'est pas tendre. Mangez un peu, z'êtes tout pâle que c'en est une tristesse.

Le jeune homme eut un air abasourdi.

- Je ne suis pas un étudiant ! protesta-t-il.

Il déboutonna sa veste pour montrer sa chemise, son gilet, son faux-col. Il croyait dévoiler ses habits d’homme de tous les jours, sa sortie de la jeunesse, dans une parure socialement marquée, mais c’était pas tellement une preuve – et le seul indice de cette sortie de l’insouciance, c’était au fond son regard, avec sa détresse et son gros lot de déception.

- Je n’ai jamais été étudiant, même. Mes parents auraient bien voulu, mais … C’est trop cher, voilà tout.

Autre haussement d’épaules. Ce ne devait être rien d’autre qu’une constatation : se plaint-on de ses rêves déçus devant une mendiante ? Machinalement, il reprit la fourchette, avala une pomme de terre, un bout de carotte. Puis lui tendit de nouveau avec un sourire :

- C’est votre tour, maintenant.


Il y avait dans ce geste le vestige d’un vieux jeu d’enfant – une fourchette pour l’un, une cuillère à l’autre ! Si le jeune ambitieux n'était point tout à fait dompté (ces bêtes-là sont coriaces sous leur silence), il y avait en lui un petit garçon, peut-être, qui ne rechignait pas tout à fait à ce que l’on se préoccupât de lui. Le cadre, image d’une jeunesse qu’il avait perdue, était en train de perdre, aidait assez. Et, les yeux dans le vague, sans regarder, à vrai dire, si elle se prenait au jeu ou non, il lança, d’un optimisme un peu forcé :

- Mais j’ai un métier maintenant, j’ai eu du mal à le dénicher, j’y étais pas du tout destiné, mais je l’ai trouvé.

Quand il parlait de son destin d’acteur, il disait toujours « mon métier » et jamais « mon art ».


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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyDim 16 Oct - 10:13

    Il n'était donc pas étudiant. Pourtant à la mine Eugénie en aurait été certaine – enfin elle était certaine de tant de choses et toutes ces certitudes étaient souvent bien loin de la réalité. Elle hocha la tête devant les paroles de Lionel, écoutant et retenant chaque mot qu'il prononçait. Elle se nourrissait du récit des autres comme elle se nourrissait des feuilletons dans le journal, cherchant toujours à en savoir plus. Et peut-être qu'il y avait un soupçon de curiosité au sujet du garçon, une envie de déchiffrer ce visage avec ses expressions renfermées. Habituellement les gens rejetaient Eugénie. Jamais aucun ne l'avait laissé prendre place à sa table – et encore moins partager son assiette.

    Puis l'homme avait parlé de ses parents comme s'ils n'étaient plu. Ce qui était fort probable. Dans son esprit, Eugénie tissa les pans de l'histoire de cet homme, de ce qu'elle devinait entre les mots. Il venait lui aussi de la campagne, avait dû finir à la capitale suite à la perte de ses parents. Ou celle-ci avait eu lieu après. Quoi qu'il en soit, il s'était retrouvé seul, à devoir se battre pour survivre. Ce qui l'avait rendu méfiant et dur envers le monde.

    Mais en réalité ce n'était qu'un gosse perdu, trop tôt arraché à l'enfance. Pour preuve ce petit jeu qui s'était institué entre eux : chacun prenant une bouchée de l'assiette jusqu'à la vider. Eugénie joua son tour, croquant quelque menu morceau.

    - Un métier, vous dites ? Cela doit vous aider, et j'espère pour vous qu'il est plaisant.

    Gagner son pain c'est bien, c'est même énorme. Eugénie n'aurait pas dit non si quelqu'un lui proposait un emploi respectable, même des plus modestes. Mais si on pouvait joindre l'utile à l'agréable, c'était encore mieux. Il ne fallait pas cracher dans la soupe. Eugénie remit d'ailleurs l'assiette devant le jeune homme tout en lançant sa question.

    - En tout cas ne le lâchez pas. Il est tellement difficile d'avoir sa place dans le monde. Oserez-vous me dire quel est ce métier auquel vous n'étiez pas destiné mais que vous avez su saisir ?

    Derrière eux, la clameur des couverts et des discussions continuait. La patronne gardait un œil sur Eugénie, sentant la mauvaise graine qui avait poussé sous les haillons. Il ne manquerait plus qu'elle corrompt l'établissement, porte atteinte et outrage aux clients. Eugénie ne sentait nullement ce regard, tellement habituée aux piques et au venin des autres qu'elle n'en ressentait plus les effets.


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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyLun 17 Oct - 8:31


De cuillerées en cuillerées, l’assiette tirait à sa fin – le blanc de la faïence apparaissait sous la sauce brunâtre et le jeu allait se terminer. Lionel jeta un regard inquiet à la tenancière qui les surveillait toujours – son interlocutrice, c’était pas le genre de femme à qui on payait un bock avec une gaufre en dessert. Alors que faire ? Craignant de devoir résoudre trop vite cette question, il fuit l’air sombre des observateurs, se concentra sur le visage de sa mendiante. Quand elle s’écria au sujet de son métier, il hocha la tête, sensiblement …

- Ce que je fais ? Je suis acteur : mon métier, c’est de tromper les gens.

Il porta la fourchette à sa bouche, avala deux morceaux de carotte – trivialité ! – et repartit de plus belle.

- Je fais semblant d’être un tel ou un tel. J’ai déjà été un garde de prison, un concierge trop curieux, un valet désobéissant. Dernièrement, j’ai même joué un chevalier amoureux mais c’était un peu idiot …

Ou comment avouer que les spectacles du Théâtre d’Art lui passaient bien au-dessus de la tête. Lionel, au contact de cette femme, retrouvait ses manières simples et grossies de jeune campagnard, ses trivialités de gamin d’internat … Ses gaucheries d’adolescent qui a grandi tout seul. Il ajouta, plus grave :

- Mais c’est difficile, Paris, c’est vrai. Ça attire plein de gens, de partout, et puis quand on arrive, on nous dit qu’on ne veut pas de nous, qu’on ne sait pas y faire. Moi-même …

Il s’arrêta – point n’était besoin de mentionner les quelques nuits, assez rares, qu’il avait passées dehors, autrefois. L’image qu’il convoquait était déplaisante, et … A quoi bon, quand on y pense ? Le problème des gens de la rue, c’est que devant eux, tout semble vain, tout semble petit. On prend tout d’un coup la mesure de la mesquinerie de nos petits héroïsmes. En cet apogée de civilisation, le dénuement a quelque chose de douloureux, et presque accusateur … Lionel remua alors, semblant vouloir chasser ces répliques toutes faites, ce passé importun. Il remarqua enfin d’une voix neutre – mais sans oser la regarder :

- L’assiette est finie.

Cela revenait à la mettre dehors ; si lui pouvait entrer dans un autre café et y retrouver ses rêveries, si lui pouvait rentrer allumer le poêle dans son petit appartement gris, elle devrait trouver une cachette sous les ponts, une piaule dans un hôtel borgne contre de répugnants services. Il hésita, tourna la phrase qu'il allait dire dans sa tête, des dizaines, peut-être des centaines de fois. Un bon moyen de se soulager du fardeau qu'il avait accepté de porter, un instant, en sa compagnie, avant de revenir à la simple indifférence des gens normaux ... Puis, comme son regard se posait sur l’assiette, il eut une idée. Ce fut d’un air plus léger qu’il lança, presque par bravade :

- Un café, un bock, une anisette ? J’voudrais bien savoir combien de temps ça prendra avant qu’on nous mette dehors !

Le rire avait-il le don d'adoucir ou de souligner les choses ? Il y avait quelque pensée insidieuse, presque sournoise, qui dormait dans cette simple espièglerie.

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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyMer 19 Oct - 10:14

    L'assiette est finie, la scène est terminée, le rideau se baisse. Toute cette petite scène presque naïve n'avait duré qu'un temps. La bulle où s'était réfugiée les protagonistes avait éclaté les laissant, battant des paupières, dans la sphère plus cruelle de la réalité. Eugénie n'eut pas même un soupir, acceptant cet état de fait avec le fatalisme propre aux gens ayant chuté plus bas que terre. Elle ramenait déjà ses jupes, prête à se lever. L'homme n'allait sûrement pas supporter sa présence davantage. Puis la politesse voulait qu'elle s'en aille – elle n'avait déjà que trop abusé de la situation.

    - Un café, un bock, une anisette ? J’voudrais bien savoir combien de temps ça prendra avant qu’on nous mette dehors !

    Eugénie secoua la tête. Non elle n'allait pas répondre à cette invitation. Elle ne voulait pas attirer d'ennuis au jeune homme – Eugénie connaissait la tenancière du lieu, et elle était loin d'apprécier les vagabonds. Avec sa force de matrone, elle pouvait vous décoller la tête d'une seule main. Ce serait agir en pique-assiette que d'accepter l'invitation de l'homme pour simplement manger à son prix et fuir dès que l'ombre de la matrone se profilerait sur la table. Eugénie était peut-être une simple souris des taudis parisiens, mais elle avait ses principes. Dont celui de respecter celui capable d'un brin de compassion.

    - Je vous remercie mais j'ai déjà bien abusé de votre gentillesse.

    Eugénie se leva, épousseta ses jupes des quelques miettes de son repas. Son estomac était rempli de nourriture, son cœur de chaleur humaine. De quoi braver les prochaines épreuves que lui édifierait la vie. Avec la grâce déchue qui lui était propre, La Fêlée salua l'homme, accentuant sa courbette sans pourtant paraître comique.

    - Je vous souhaite une bonne journée monsieur. Et que Dieu vous garde.

    Peut-être l'oublierait-elle cet inconnu des faubourgs. Ou alors elle se souviendrait de son visage en entendant parler de son jeu d'acteur, apprendrait ainsi son nom qu'elle n'avait pas demandé et qu'il ne lui avait pas dévoilé. Sans un regard en arrière, Eugénie quitta la vie de l'homme. Chantant déjà tout bas ces mélodies qui lui venaient en tête sans qu'elle ne sache comment, et dont elle éprouvait le besoin de clamer pour, peut-être, en soulager son cœur.

    - C'est-y la petite Fêlée ?

    Eugénie stoppa, virevoltante en entendant son surnom. Un groupe d'hommes était attablés, moustaches frémissantes devant la chère qui leur était servie. Et aussi la chair tendre des femmes que certains avaient su attrapés, posant une main possessive sur les hanches de demoiselles riant aux éclats. Eugénie sourit avec cette simplicité qui lui donnait la réputation d'être une simplette, salua d'un mouvement de tête l'homme qui l'avait interpellé. Elle ne se souvenait pas de son nom (lui avait-il jamais dit qu'il était?) et savait simplement qu'il aimait profiter de ses services.

    - T'as perdu ta langue qu'tu parles pas ?
    - Que souhaitez-vous de moi monsieur ?
    - Ah vous l'entendez. On jurerait avoir une grande dame devant soi. Elle doit se prendre pour tel aujourd'hui. Une grande dame tombée dans la rue à cause d'une histoire d'héritage, c'est ça hein ?

    Eugénie hocha la tête, cherchant à ne pas froisser son client. Peut-être bien qu'elle était une grande dame oui, ou une simple campagnarde. Qui pouvait le savoir ? Elle, elle ne pouvait pas, ses souvenirs s'étaient brisés avec sa raison.

    - Mes amis voudraient bien te connaître la Fêlée. Ils proposent même de coucher dans leur chambre. Et ils te payeront très bien.
    - C'est que m'sieur... L'est pas dans mes habitudes d'm'occuper de plusieurs gens à la fois.
    - Oh pardon grande dame ! (L'homme agita son chapeau, en singeant une révérence) Je vous aurais froissé. Mais quoi, vous voulez pas tenir salon avec mes amis ? Ils sont très aimables avec les dames.

    Eugénie n'aimait décidément pas le ton insistant de l'homme. Sa tête se secouait de gauche à droite, comme si on avait coupé les fils qui retenaient la marionnette qu'elle était. Non faisait sa tête. Non disaient ses yeux. Elle n'aimait pas cette insistance, cette demande et encore moins les amis de cet homme. Ce dernier déjà elle ne l'avait jamais apprécié – il savait comment la briser, et la réduisait à moins que rien après chaque visite. Sa seule qualité était de bien payer. Sans le repas qui lui réchauffait les entrailles, Eugénie aurait quand même su dire non. Folle mais pas dupe, Eugénie avait encore un peu de vertu et d'honneur.

    Pas comme cet homme qui s'était levé pour lui agripper le poignet, et lui disait tout bas qu'elle n'était qu'une souris des faubourgs. Qu'elle pouvait se cacher derrière des airs de prude, tout Paris avait déjà visité ce qu'elle avait entre les cuisses. Que si elle continuait, ses amis ne la payeraient pas aussi bien que prévu. Mais Eugénie n'entendait rien de tout cela. Le seul bruit ambiant étaient les battements de son cœur. Et les bribes de chansons qu'elle lâchait, folle de douleur et de peur, comme s'ils pouvaient la protéger.


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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyDim 23 Oct - 3:59


Mais l’inconnue refusa, sans doute par un reste de pudeur ou de discrétion. Lionel appuya cette décision d’un signe de tête, lent et doux, qui ressemblait presque à un salut. Il se détournait déjà, l’imaginait s’éloigner, avec ses jupons troués et ses cheveux en bataille – avec sa petite odeur rance de fille de rue, goût de pluie et de poussière. Il ne lui avait pas demandé son nom, et c’était à dessein : c’était une distance salutaire qu’il avait maintenue, parce que la pitié que l’on éprouve pour les inconnus est plus lointaine, presqu’accessoire face à celle que l’on ressent devant un homme, une femme à part entière, à qui l’on a donné une identité, un nom, une place dans son souvenir …

- C'est-y la petite Fêlée ?

Lionel dressa l’oreille, malgré lui. Ce fut quand il entendit la voix de l’inconnue résonner dans son dos, qu’il se retourna, intrigué.

- Ah vous l'entendez. On jurerait avoir une grande dame devant soi. Elle doit se prendre pour telle aujourd'hui. Une grande dame tombée dans la rue à cause d'une histoire d'héritage, c'est ça hein ?

Ainsi, elle mentait, lui avait menti, n’est-ce pas ? Lionel ressentit un petit fond de regret lui sauter au coin du cœur – bizarrement – et puis haussa les épaules, avec philosophie. Son histoire avait été vraisemblable, n’était-ce point assez pour qu’on la croie vraie ? Il regrettait juste d’avoir livré en retour quelques bribes trop précieuses de son petit passé à lui – qui était une mythologie aussi, à sa façon.

- Mes amis voudraient bien te connaître la Fêlée. Ils proposent même de coucher dans leur chambre. Et ils te payeront très bien.

Autre pan de mur qui s’écroule – était-ce pourtant bien surprenant ? Pour coucher au chaud, la demoiselle avait vendu ses charmes, à des rustres de passage ou des étudiants fauchés. C’était étrange, pourtant : à présent, le personnage de l’inconnue – de la Fêlée, disaient-ils – se fissurait par endroits et conjuguait des aspects trop différents, presque contradictoires. De bigarrée, la dame devenait barbouillée de contraires – et c’était comme si l’on avait superposé, sur ses pauvres jupes, plusieurs costumes à la fois. La bonn’maman et la prostituée, la campagnarde et la folle des faubourgs … Il se retournait déjà sur son assiette vide, son bock à commander, se disant que c’était là un de ces mystères de la vie parisienne – un personnage roman-feuilleton, sans vérité, soumis aux caprices du hasard … Mais sous ses yeux, la scène continuait et il restait, presque voyeur, à en ramasser les bribes, quitte à se salir les mains.

- Je vous aurais froissée. Mais quoi, vous voulez pas tenir salon avec mes amis ? Ils sont très aimables avec les dames.

Scène classique de la vie parisienne. Il allait se retourner, la laisser à ses soucis - qui sont des soucis de femme, d'une façon ou d'une autre. Après tout, le destin d'une vagabonde qui avait vidé un peu son assiette l'intéressait-il ... Il saisit son manteau, le passait déjà sur ses épaules ... Et puis elle chanta. Son mouvement se suspendit, et il demeura profondément perplexe. Chanter ? Ce n’était pourtant pas une réponse, ni une façon de se tirer d’un faux pas ! Une professionnelle aurait sans doute trouvé une excuse – un maquereau sourcilleux, un air de franchise vulgaire, quelque chose ! Pourquoi pas prétexter une maladie, tant qu'on y allait ? Tout est bon, en ces sortes de situations, pour sortir de l'impasse. Elle, elle ne disait rien.Tandis qu’il lui serrait le poignet d’un air qui voulait tout dire, elle chantait d’une voix de plus en plus forte, comme un enfant qui veut pas entendre les horreurs qui se pressent autour de luiElle chantait juste d’une voix de plus en plus forte, comme un enfant qui veut pas entendre les horreurs qui se pressent autour de lui. Sylvande remua faiblement - comme un rat sous l'air du joueur de flûte. Le chant lui était insupportable, et ... N'en avait-il point trop vu, trop entendu de la situation pour ne rien faire en conscience ... ? Il ne vit pas qu'un homme, qu'une bonne femme aux mains noires, s'étaient déjà levés pour aider la pauvre fille.

Lui qui se croyait fichu, bien fichu, dans la balance de la justice, lui qui avait pactisé avec le diable en ravalant son honneur et ses rêves pour réussir dans le monde, il … Fit la chose la plus stupide qu’il avait jamais faite. Il se leva, attrapa la Fêlée par l'autre bras, et déclara à ses messieurs, d’un air bravache :

- C’est que je l’ai déjà payée pour cette nuit et qu’elle ose pas vous le dire ... Elle fait peut-être sa grande dame, mais au moins elle tient ses engagements. J'ai bien payé, vous voudriez pas me voler mon dû ?

Et disant cela, il se demandait, anxieusement, s'ils reconnaîtraient-ils l'acteur montant du Théâtre d'Art, dont on parlait de plus en plus ... En espérant qu'on ne le remît point, sans attendre de réponse, Lionel fit un geste à la patronne, articula le mot « Ardoise » des lèvres, et voulut sortir, tirant la Fêlée à sa suite comme on trimballe un paquet de linge sale. Il murmura alors, comme à lui-même :

- La Fêlée ? C’est un peu bizarre, comme nom de scène, non … ?


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Eugénie Landreau
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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyMar 25 Oct - 23:21

    La chanson se bloqua dans sa gorge quand la main de l'homme s'appesantit sur elle. Eugénie cligna des paupières, inspira une longue goulée d'air, tel une femme qu'on venait juste de sauver de la noyade. Que se passait-il ? L'esprit de la Fêlée tâtonnait à l'aveugle pour retrouver les pans de la réalité. Des hommes, des murmures, des milliers d'attention braqués sur elle, petite chose des faubourgs. Puis cet acteur qui venait la prendre, avait lancer une réplique qui avait laissé les spectateurs bouche bée. Il avait dit quoi, déjà ? Qu'il était son client pour ce soir. Eugénie ne savait pas si l'homme plaisantait, ou s'il venait là de trouver un moyen de payer l'office qu'il lui avait offert tout à l'heure.

    Mais entre un acteur gentil et plaisant qui lui avait offert son assiette, et ce bourgeois à moustache, Eugénie ne balançait pas. Le premier était bien plus courtois – peut-être même qu'il se contenterait de quelques histoires.

    Pendant qu'elle se posait ces questions, Eugénie se faisait tirer hors de l'établissement. La lumière qui se dessinait par la porte était comme celle du salut. Elle n'aimait pas le changement d'ambiance qui s'opérait depuis l'intervention du jeune homme – ils étaient le centre de toutes les attentions. Évidemment, ils ne purent pas sortir comme prévus. Le bourgeois à moustache avait agrippé Eugénie par l'autre bras, le lui tordant.

    - Ce jeune blanc-bec saura pas te payer comme il faut, la Fêlée. Allez, dis le prix qu'il t'a proposé, je te donne le double.
    - M'sieur... j'suis désolé mais j'refuse. Premier arrivé, premier servi.

    Eugénie vit la main se lever avant que la gifle ne s'abatte sur elle. Devenant chatte en colère, elle mordit la menace, planta ses dents dans la peau. Elle n'était plus femme, mais bête furieuse. Le bourgeois hurlait comme un porc qu'on égorgeait, surpris autant par la douleur que par la réaction de la femme. Les pouilleuses ont pour habitude de se battre entre elles, et non pas avec le client potentiel.

    Le tumulte gagnait toute la brasserie. Des clients se levaient pour voir le spectacle – certains pariaient même sur la suite des événements. La patronne jouait des coudes pour avancer jusqu'au centre, afin de calmer elle-même le tapage et éviter que son établissement ne devienne un lieu de luttes entre classes sociales.

    - Dites, c'est un lieu respectable ici ! Je veux pas de combats dans mon établissement !

    La voix de la matrone fit retomber la colère d'Eugénie qui lâcha la main de l'homme. Ce dernier la porta contre lui comme s'il venait de se faire blesser par un soldat ennemi. Eugénie n'eut pas même un peu de pitié pour l'homme qui allait se faire plaindre auprès de ses amis. Elle constatait simplement qu'elle venait de perdre l'un de ses clients. Les blagues fusaient autour d'eux, malgré les regards réprobateurs de la patronne. Cette dernière allait justement cracher son fiel sur Eugénie.

    - J'te connais la Fêlée, t'es aussi connue que le loup blanc dans tout Paris. T'fais ce que tu veux avec ta clientèle, mais pas chez moi ! J'te retrouve encore une fois ici, j'te chasserais à ma manière. Que tu pourras plus t'asseoir.
    - Bien Madame.

    Eugénie avait accompagné l'excuse d'un hochement de tête ce qui sembla calmer la patronne qui retourna auprès du bourgeois. Eugénie l'entendit lui proposer un rafraîchissement gratuit en compensation du désagrément occasionné, tandis qu'elle sortait , toujours accrochée au bras de Sylvande.

    - J'vous attire pas mal d'ennuis. Pour... c'que vous avez dit tout à l'heure, j'peux l'faire gratis si ça vous tient tant.


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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyJeu 3 Nov - 6:21


Puis tout se passa très vite. Ils eurent des mots, une gifle vola, et la mendiante se fit sauvageonne. Pour tout avouer, et il est vrai que cela ne venait point prêcher pour son héroïsme, Lionel demeura immobile. Il avait déjà vu de ces scènes, dans la rue, et il est bien difficile de s’arrêter, l’air concerné, devant les misères humaines ou les petites histoires, pour demander si tout allait bien. Il les regarda se battre, stupide, n’esquissant pas même un geste, il ne songeait même à rien jusqu’à ce que la patronne surgît de son comptoir, échevelée, furieuse.
Alors, sans un mot, il rattrapa le bras de la pauvresse et s’enfuit, voulant faire profil bas. La tenancière ne lui avait pas adressé la parole et il avait pu, dans l’agitation générale, passer inaperçus … Il entendit cependant, alors qu’ils sortaient :

- Hé Sylvande, qu’est-ce qu’elle dira, ta protectrice, quand elle saura qu’tu les ramasses dans la rue !


Il eut un tressaillement, mais continua sa marche. Intérieurement, il étouffait. Dehors, il aspira l’air froid à grandes bouffées, presque douloureusement. Il est besoin de si peu, aujourd’hui, pour perdre une réputation si chèrement acquise … !

- J'vous attire pas mal d'ennuis. Pour... c'que vous avez dit tout à l'heure, j'peux l'faire gratis si ça vous tient tant.

- Je …

Il balbutia encore quelques mots, emprunté, comme un écolier devant sa première putain. Puis, trouvant sa ligne de conduite dans la buée maladroite de ses contradictions, il secoua la tête avec énergie et répondit d’un air presque bourru :

- Non, non. Puis je ne peux pas vous emmener chez moi, on risquerait …

Une dernière trace de ses scrupules, puis il termine, âprement :

- Vous savez ce qu'on risque, quand on se fiche des qu'en-dira-t'on.

Et lui prenant le bras de nouveau, fuyant son regard, il l’emmena par les rues, sinueuses et bruyantes, du Quartier Latin.

- Je marcherais bien avec vous, si ça vous dérange pas.

Citation :
Dans les faits, j'ai une petite idée de là où j'aimerais qu'ils se promènent, et je clorais bien ce sujet pour ouvrir une suite à cet endroit-là. Mais je préfère te laisser la possibilité de répondre, de réagir à la situation d'abord. ^^
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MessageSujet: Re: Dîner sans principes   Dîner sans principes EmptyLun 7 Nov - 10:46

On la disait folle mais alors qu'était-il ce jeune homme ? Eugénie ne comprenait plus, son esprit battait la campagne. Il ne voulait pas d'elle pour réchauffer son lit, mais se promener avec elle. Soit elle lui devait bien cela, mais ne méritait-il pas meilleure compagnie ? C'était à croire que les acteurs ne savaient fréquenter que des femmes de petite vertu, délaissant des maîtresses plus riches.

- Je marcherais bien avec vous, si ça vous dérange pas.
- Et bien... marchons.

Elle n'osait rien ajouter de plus, attendant avec une certaine délectation de savoir où il la mènerait. L'inquiétude avait laissé place à la curiosité maladive. Eugénie cherchait à sonder le regard de l'acteur mais ce dernier fuyait. Avait-il peur d'elle ?

Paris en sera témoin, mais dans un autre lieu.

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