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 [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs

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MessageSujet: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyVen 19 Aoû - 10:01

Daniel Laforge, chef d'une organisation criminelle


Acte premier. Cela danse, cela sautille, tout en voilettes, tout en jupons, tout en sourires devant l'assistance plongée dans l'ombre. Elles se dévoilent devant un tapis de mousse à visages humains, festonné de barbes, de chevalières aux mains, de lunettes scrutatrices, de jolis maquillages et de coiffures compliquées. On représente pour une des dernières fois Yedda, ce soir, à l'Opéra, et le public a cinquante ans de moyenne d'âge, et sont probablement persuadés d'être plus vieux. C'est un ballet poussiéreux, qu'on a acclamé les premières fois, presque pour l'audace de remonter un tel classique, mais que ces dernières représentations, ces bis souffreteux, n’amènent plus qu'une demi-salle de vieilles rombières. Ce ballet leur rappelle leurs premiers amours, un temps plus clément, des enfants qui ont grandis, quoi d'autre encore...

Laforge, malgré sa promesse, passe plus de temps à scruter l'assemblée que les danseuses dans leurs meringues fantômes. Accoudé à la rambarde ouvragée de la loge qu'on lui a prêté par pur désintérêt, à lui et à d'autre inconnus, qu'il espère secrètement présents par obligation, comme lui, et non pas par plaisir, il observe. Cette dame, il l'a vu hier, dans un endroit peu fréquentable, et elle n'était pas accompagné du même homme. Lui, plus au fond, est un habitué de l'Oeil, et ce mouchoir qu'il tapote à son front suintant traduit probablement sa hâte d'y retourner prochainement. Avec un sourire, Daniel redresse sa coupe de vin qui penche dangereusement de ses doigts un peu rudes, avant d'y prélever un peu de courage du bout des lèvres. A sa droite directe, à l'intérieur de la loge, un homme de plus haute naissance que lui tente d'endiguer le flot de commentaires d'une autre personne dont le visage est masqué par l'obscurité et l'agencement subtilement concave de la loge, si ce n'est un peu de barbe blond-roussâtre qui jaillit théâtralement du néant.

A ce stade-là de la lecture, chacun peut se douter que Daniel Laforge, probablement très occupé, de nuit, à diriger troubles de bandits et nids de félons, n'est pas ici par hasard, certainement pas par goût, et qu'il a probablement mieux à faire. A vrai dire, Daniel est ici pour regarder danser une fille, Laurine, qui s'est démené trois semaines durant pour le convaincre d'aller la voir battre les planches de son pas d'oiseau joli. Le voila alors, le grand criminel, juste assez intelligent pour être encore accepté en bonne société, cherchant à travers les virevoltantes jolies filles coiffées toutes pareil, celle avec qui il a partagé une couche ces dernières semaines. Peine perdue, et tâche qui s'est muée bien vide en analyse de tout l'environnement, exception soigneusement faire de la scène. L'orchestre sautille en rythme, les danseuses, de leurs petits pas, chassent des moutons de poussière invisibles, et par delà leur ballet fatigué, les panneaux de bois peint étendent leurs ramures pétrifiées. Daniel a envie de se lever, quitter la loge et se mettre à errer dans les coins, fouiller les vestiaires des filles comme un adolescent, monter au dessus de la scène pour voir comment sont suspendus les décors...

Mais c'est alors que l'homme à sa droite, prétextant ci ou ça, se lève, choquant un peu Laforge qui avait prévu de faire la même chose. Et, sans se démonter, le bavard commentateur translate de siège pour s'approcher de Daniel, peut-être pour ne pas interrompre le flot de ses pensées en ayant l'air offusqué que le premier lu iai faussé compagnie.
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Jean de Fréneuse
J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
Jean de Fréneuse

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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyDim 21 Aoû - 13:03

Ce qui est pénible, quand on va à l’Opéra, c’est de s’habiller. On sort le frac des grands soirs, avec ses galons, ses tissus lourds, la canne, le chapeau – les cocottes et les femmes ont des gemmes jusqu’au bord des yeux, et c’est à celle qui fera ruisseler le plus de diamants et de perles. C’est un peu drôle à voir, au début, puis l’on se lasse. Cependant, il est d’autres charmes aux représentations de l’Opéra. Pas vraiment le spectacle, conventionnel à en mourir, avec les pièces du répertoire cent fois rejouées, mais … Mais il y a les amis que l’on y salue ; l’indigence même des interprètes qu’il est drôle de railler ; la jolie jambe des danseuses, sous la mousseline des jupes. Et cætera. Assez de menues choses, au final, pour que l’on sacrifie au devoir mondain de s’y montrer.

Ainsi Jean de Fréneuse était-il allé à l’Opéra ce soir. Il ne s’était pas inquiété de la représentation, l’œuvre ne faisant rien à l’affaire. Il s’y présenta, comme une fleur, et trouva une place grâce à un ami éploré qu'il dénicha derrière une colonne. Cela lui évitait d’aller en sa loge personnelle, ce qui l’arrangeait bien : il l’avait prêtée à M. Marigny pour ce soir et redoutait d’y croiser quelque butor féru de grand Art ou demandeur d’asile littéraire – M. Marigny avait de très mauvaises fréquentations. Aussi suivit-il Jacques Denfayre à une place de qualité moindre. On dansait Giselle, ce soir, une faderie romantique point trop mal faite, devenue insignifiante d’avoir été trop représentée. Jacques se morfondait –et Fréneuse ne doutait pas de son envie de ne point se morfondre seul.

Alors il parla. Pendant les danses paysannes, pendant le solo de l’héroïne, pendant les jurements d’amours du jeune premier, il parla. De l’inanité des choses, de la frivolité des femmes - des fouettés réussis de la danseuse, mais cela n'a rien à voir - de l’espérance tarie, des déterminismes sociaux et des naïvetés d’adolescence. C’était sensé consoler d’un chagrin d’amour, il pouvait faire ça très bien ! Mais à l’approche de l’entracte, devant l’innocence trahie, Jacques Denfayre qui avait eu le malheur de regarder la danse se leva, sans un mot, et alla spleener ailleurs tout à son aise. Fréneuse allait s’exclamer mais son regard se posa sur un inconnu qu’on avait posé là. Point de gants sur le rebord de la loge, point de chapeau à ses pieds. L'homme observait, l’œil loin de la scène comme beaucoup d’autres, et tour à tour se desséchait d’ennui – comme … beaucoup d’autres ? – ou s’abîmait dans de nouvelles contemplations. Le voyant, Jean de Fréneuse se sentit la mission d’un prophète, d’un bouffon, d'un amuseur public. Il passa sur la chaise laissée vacante et saluant d’un signe de tête, sans ambages, il se mit à parler. Après tout, ce Monsieur n’avait pas de chapeau.

- Ce pauvre Jacques … Vous savez pourquoi il est parti comme ça ? Cet idiot s’est amouraché d’une danseuse – vous me direz, on en est tous là, mais lui, c’est bien pire. Figurez-vous qu’il en est fou au point de ne pas supporter qu’elle le trompe. Or une danseuse, lui ai-je dit, une danseuse ! ça volète, ça papillonne, c’est dans sa nature … Mais il ne veut rien entendre. Le voilà à penser à un duel avec un commis, un machiniste ou que sais-je encore. Est-il un honneur pour une danseuse ! Ces créatures-là sont charmantes, mais voilà, ça ne s’épouse pas …

Il continua un peu sur cette lancée, déplorant l’aveuglement de l’éploré, raillant ses aspirations déraisonnables et soupirant après les demoiselles en jupes-mousselines. Puis, jetant un œil sur la scène, il pointa du doigt une petite blonde fadasse qui sautillait en cadence.

- Tenez la voilà, celle qui fait perdre la raison aux jeunes hommes des bonnes familles. Un petit museau de souris, une p’tite demoiselle des faubourgs. Si c’est pas malheureux ! Il y en a qui disent que la justice sociale se fait comme ça.

Puis, se tournant enfin vers son auditeur, qu’il semblait considérer pour la première fois :

- Mais vous, Monsieur, qu’est-ce qui vous mène à l’Opéra ?

Et disant cela, il avait un léger sourire au coin des lèvres et un peu trop de fatuité dans le regard.
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyLun 5 Sep - 13:38

Daniel Laforge, chef d'une organisation criminelle



Dans le regard sombre de Daniel scintille, juste un instant, une lueur traquée. C'est qu'il ne s'est jamais acclimaté totalement à la conformité des époques, noir en son âme, jusqu'au fond et sur les bords, qui manquent à chaque instant de suinter à travers son linceul de bonne famille râpé dans les coins. Peut-être est il moins terrible que ces grands arnaqueurs qui brillent éhontément sous le soleil fade de la renommée, tous ces médecins et ces avocats, ces politiciens, qui se penchant à l'épaule de l'un à l'autre dans leurs loges, se passant leurs méfaits d'oreille en oreille, solennels et fiers, dans l'indifférence polie des balcons. Et Daniel aurait préféré continuer d'inspecter à loisir les filins de ce téléphone arabe, se tendant par dessus l'orchestre d'une loge à l'autre, plutôt que de se confronter à l'un de leurs agents de façon aussi directe. Daniel ne s'y est jamais habitué, bien qu'étant né dans le milieu, et sa carence en gants et en chapeau respectable est une minuscule vindicte contre les usages - apparaissant moins lustré que sa mondanité pourtant très correcte ne devrait lui laisser l'occasion, et carrément rustre devant l'arbre décoré que semble représenter le bavard qui s'installe à son flanc. Se redresser, pour se redonner une contenance, et faire valoir la grande ombre projetée par ses larges épaules, lui vient sans s'en apercevoir, posture de défense dans le combat de coq verbal très doux qu'il pressent déjà. Mais Fréneuse ne fait que parler, finalement. Alors il se présente, comme on lui a apprit à le faire, ne pouvant se permettre d’apparaître autrement que parfaitement dans son rôle - on ne dirige pas un empire criminel si on ne sait pas parler correctement aux gens.

- Monsieur ! Qu'il salue fermement, quoi que moins fort que son interlocuteur. Anatole Fargue - c'est un plaisir.

Anatole Fargue, cela n'avait rien à voir avec lui. Mais il y avait déjà plus de quinze ans que le beau monde n'avait pas mis le bon visage sur le nom de Laforge, quinze ans, et deux fractures du nez, pour rendre l'illusion plus crédible -bien que cette opinion n'était pas forcément partagée par les gentilshommes les ayant à l'époque provoqués.
Puis son interlocuteur, un peu plus jeune que lui, peut-être, avec une barbe mieux soignée, des yeux plus tristes, aussi, se met à lui parler de danseuses, et son regard revient sur la scène, où est apparu d'autres sautillantes, et la sienne semble avoir été emportée dans les coulisses, pour quelque mystérieux changement de costume ou de visage probablement.

- Elles n'ont pas finies de causer la perte des hommes... Ah, je suppose que c'est tout dans leur intérêt, un homme amoureux est généreux en cadeaux, si elles sont prêtes à accepter la jalousie en lesquels ils sont emballés.

La sienne est brune et dorée comme les blés de fin d'Août, et il la trouve mille fois plus savoureuse. Néanmoins, ne souhaitant pas partager avec l'inconnu, d'une meilleure naissance de lui en plus de ça, la raison triviale de sa venue à l'Opéra, il invente, à toute vitesse, renouant des liens perdus et des hommes qu'il se souvient ne pas avoir croisé ce soir - la force de l'habitude, en ce monde, que de mentir avec plus d'aisance que lorsque l'on délivre une vérité.

- Je devais discuter d'un accord avec ces messieurs Brégençon et Chapuis - vous savez, les collectionneurs. Je souhaitais acquérir certaines de leurs pièces... Mais il semblerait que je me sois trompé de jour.

Un ingénu sourire. Il n'allait pas non plus accuser les absents d'absentéisme. Il s'apprête à ajouter quelque chose, fort pauvre spirituellement, d'ailleurs, lorsque l'entracte sonne, ce qui le coupe dans son élan. Hésitant à sortir prendre l'air et rester confortablement dans son siège, il semble que la décision échouera à Jean de Fréneuse - Dont il n'a toujours pas le nom.
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyMar 6 Sep - 22:22


Petite musique & Valse Brillante

Monsieur se présente et les tiroirs claquent avec régularité. L'un se ferme sur ses petits papiers, l'autre s'ouvre et déroule ses souvenirs. Les noms s'y entassent, comme par magie et avec trop de naturel … C'est une logique mondaine qui a le don de vous étourdir – comme les valses les plus haletantes, les chahuts les plus endiablés. Monsieur Fargue, Messieurs Brégençon et Chapuis ... Quelques grincements dans la machine, et puis la bête est réglée, cela repart.

- Messieurs Brégençon et Chapuis … Mon père a eu affaire à eux diverses fois pour des achats qui lui tenaient à cœur. Si je puis me permettre un conseil … Prenez garde, ce sont des escrocs. Lustrés sous leur beau vernis, tous gentils comme des personnages de tableau, ce sont des canailles. Rien de plus que les voleurs de petite main qu'on croise dans les rues ! J'ai eu ... - Le regard qui se tort, l'air d'une hésitation - J'ai déjà eu affaire à eux pour me débarrasser de quelque héritage encombrant, soit … Mais ce sont des vendeurs aux dents longues – très longues. Quelles que soit ...

Mais il s'arrêta, comme si sa pensée suspendait son cours … Un infime soupir – sens musical ! - avant de reprendre avec cette même fatuité ennuyeuse – et qui semblait l'ennuyer lui-même.

- Mais je ne me suis pas présenté, pardonnez donc mon inconséquence ! – dit de celui dont on pardonnait tout. Jean de Fréneuse qui oublie toujours de donner son pauvre nom.

Il eut un haussement d'épaules et reprit comme si de rien n'était.

Et ! Je disais donc ... Quelles que soit les acquisitions que vous avez à faire chez eux … Divisez au moins le prix par deux, sinon par trois.

Il applaudit mécaniquement quand le rideau tomba, et reprit en aparté :

- Notez que je me demande ce qu'ils font de cet argent – leurs habits sont rapés en diable, ils ont l'air tous deux de sortir d'un placard … Une façon de faire illusion au client crédule, peut-être … ?

Il jeta un regard interrogateur à son auditeur, l'air presque absorbé. Puis, avec l'inconséquence des gens de sa classe, il se leva d'un bond, comme une marionnette à ressort – et son chapeau posé au sol en trembla d'émotion.

- Prendriez-vous une coupe au grand Salon ? Il y a toujours d'autres ennuyeux à y voir, si ça vous chante … Personnellement, j'avoue préférer passer l'entracte – ou le spectacle, d'ailleurs, histoire de faire les choses à l'envers – au foyer des Danseuses mais je crains d'y croiser ce pauvre Jacques ... qui semble bien piqué de sa danseuse et bien fatigué de moi pour ce soir.

Il eut un petit sourire qui semblait vouloir dire "Que voulez-vous ?", saisit son chapeau et ses gants. Puis, poussant la porte, il sortit en premier, attendant son interlocuteur dans le couloir. Là, les froissements de mousseline et de gaze, les fourrures de sortie de bal et les chapeaux noirs allaient bon train, dans un murmure incessant. C'est un monde tout en demi-teinte, mais un monde comme un autre, avec ses logiques propres et ses secrets au fond des tiroirs …
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyVen 30 Sep - 2:50

Daniel Laforge, chef d'une organisation criminelle



- Des voleurs, dites-vous ! Je suis embêté - ils possèdent des d'Antienne* dont je rêve de faire l'acquisition.

Bien sûr, Daniel s'attendait à pareil discours sur ses collectionneurs, et il n'en était que plus satisfait de les entendre. Ainsi donc, la petite rumeur, entendue plus tôt pendant la semaine, qui révélait ses receleurs comme de vils épouvantails empaillassonnés, aux intentions aussi limpides que nocives, était fondée. On marmonnait bien à l'escroquerie, avec cette façon de faire tellement Parisienne, qui ressemblait à un avertissement, professé avec le regard par en-dessous propre aux secrets, mais qui n'était vraiment qu'une mise en résonance d'autres rumeurs et d'autres doutes, tous imbriqués les uns dans les autres. De Fréneuse - qui s'était enfin présenté, avec une absence d'intérêt pour son nom propre à ceux qui ne l'entendent que trop - lui avait passé une Matriochka de mondanités au visage souriant et aux joues rondes, satisfaite de son repas de rumeurs. Daniel perdait un peu pied dans ses propres évocations, surchargé des dorures outrageuses de l'Opéra, qui agissaient sur lui comme des focales de métaphores à base de cariatides - c'était poussif.
Bien sûr, il ne se démonta pas. Bien sûr, il avait souhaité un prétexte pour révoquer le contrat des Collectionneurs, et son compagnon infortuné - figurativement, bien mal lui en faisait - venait de la lui tendre sur un plateau. Réservant son sourire satisfait pour plus tard, pour Delphine ou pour Joseph, et constatant que les loges autour d'eux se vident comme le sable s'échappe d'un sac crevé, Laforge se redresse, quittant son siège et s'appuyant sur le pommeau de son parapluie. Ce dernier, moins utile et moins démodable que le chapeau qu'il a oublié d'enfoncer sur ses cheveux faits en fourrage à chevaux, était orné d'une figure de cygne en ivoire. Un bel héritage, badinerait Fargue, un joli larcin, rétorquerait Laforge, plus honnête en toute ironie.

Longtemps silencieux, laissant son compagnon parler pour deux en s’efforçant d'écouter, ou du moins de faire semblant, il suit ses déambulations, passant de salle en salle, toutes encombrées - haut-reliefs, lustres, damassures, pampilles brillantes, perles, vermeils (et nous ne parlons là que de la foule) - bercé bizarrement par ses opinions. Daniel s'était laissé séduire par la possibilité d'un verre, et le grand Salon étendait sous ses pas ses tapis, et il ne La remarqua que tard parmi les convives - sans les avoir repéré, elle s'approchait déjà. Alors il s'anima, Anatole, secouant les dernière bribes de Daniel sur les revers de son plastron, et, saisissant de Fréneuse par le bras, lui faisant effectuer un quart de tour que l'on prendrait, probablement, pour une soudaine emphase, il se fendit d'une expression avenante.

- Tout bien réfléchi, Monsieur de Fréneuse, la loge des Danseuses me semble une bonne idée. Il ne me serait pas venu l'idée d'y aller par moi-même, mais, quelle brillante idée néanmoins.

Et si le regard vert d'Anne-Paule Viale, invitée de la Présidente et nourrissant plus d'affection pour le fac-similé social de Daniel qu'il ne l'aurait fallu glisse sur leurs silhouettes, ça n'est que pour contempler une paire de dos de vestes s'éloignant en parallèle, les épaules raides de prétextes.

Spoiler:
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyMer 5 Oct - 11:42


A la réponse de Fargue, Jean haussa un sourcil – c’est qu’il était original, d’aimer les d’Antienne ... Le milieu d’art tendait plutôt à conspuer le classicisme refluant et mal fluant de ces piétés à l’ancienne. Mais il haussa les épaules et passa outre – il fallait de tout pour faire un monde, son ami Jacques aimait bien les spectacles de danse, après tout …

Sur ces entrefaites, ils allèrent prendre un verre au buffet. Jean, lui, évoluait avec indifférence parmi les draperies, les dorures, toutes pleines d'une emphase très Second Empire. Étrangement, il préférait ces endroits surchargés aux couloirs que termina la Troisième République – et où il retrouvait l’économie, la rigueur, le majestueux ennui de son temps. L’Empire, lui, se teintait de quelque inconnu scandaleux et conspué – et par là, il l’intéressait, pour la forme. Cependant, le destin, la fantaisie, l’inconstance de M. Fargue voulurent qu’ils ne s’attardent pas en ces lieux. Jean se conduit en philosophe et accueillit le revers de fortune avec tranquillité. Il suivit son compagnon d'un soir, la tête pleine de ces pensées parasites, un peu amères, mais qui font le fond de votre quotidien.

- Vous n’avez pas assez l’occasion d’y aller par vous-même, je suppose.

Cette phrase, d’apparence anodine, disait beaucoup malgré elle. Pour toute personne au fait des logiques sociales, elle pouvait signifier, en substance : Vous profitez d’un abonné qui a les entrées nécessaires, j’en ai conscience, sachez-le. Cependant, je vous y emmène, parce que ce n’est pas comme si cela m’était quelque chose. Et il passa doucement devant M. Fargue alors qu’ils passaient le rideau pour entrer dans l’autre monde …

~ * ~

Le foyer de la danse est une historique et gigantesque volière – les nymphes, les oiseaux, les enfants et les femmes s’y mêlent, dans des froufrous de gaze et des sourires en rubans. Les jeunes filles, couleur blanc meringue sous leur costume lait caillé, tournoient joliment entre les hommes à cannes et à chapeaux. Les abonnés y font leur marché, comme à une parade codée et ancienne – et les nez en trompette, les bouches en cœur, les pieds en cinquième répondent sans timidité aux avances ou aux allusions. Jean embrasse la vaste pièce du regard – point de Jacques à l’horizon, et le voilà aussi déçu que soulagé : s’il craignait assez de surprendre son ami en fâcheuse posture, il eût aimé trouver quelqu’un pour l’accaparer, en lieu et place de cet étrange M. Fargue. Mais les hommes qui évoluent là sont plus vieux et moins agréables encore, alors saisissant un verre de petit vin qui traînait là, sans propriétaire, il lança, pour la forme :

- Ce qui serait parfait, ce serait le champagne de là-bas et les gazouillantes mam’zelles d’ici.

Mais une petite rousse, encore gamine sur les entournures, une longue tresse lui battant les reins, les jupes de mousseline tombant sur ses jambes de souris s’approche. Du ton du badinage, elle commence la parade amoureuse – à grands renforts de Tu m’aimes toujours ? Tu m’enverras un pneu, dis ? Allez, sois pas rosse ... Et ce faisant, elle n’a pas même l’air d’y songer – elle agit moins en amante qu’en parieur répartissant ses économies sur différents cheveux de course, avec plus ou moins de chance - ... Jean étant de ces chevaux sur lesquels on mise par folie ou par désespoir. La congédiant, un vague sourire gêné aux lèvres, il se tourna vers son compagnon.

- On les regarde un instant, ces enfants-là, et elles se rêvent déjà maîtresses officielles. Notons que je les entretiendrais un peu, ces gamines, si j’avais de quoi. Mais …

Nouveau haussement d’épaules, d’un air de vouloir dire que la vie était ainsi faite, et que ce n'était peut-être pas si mal comme ça.
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyVen 18 Nov - 14:02

Daniel Laforge, chef d'une organisation criminelle



Daniel est un monstre ennuyeux, il apprécie les vieilles choses, et même les ballets, lui aussi, bien qu'il ne pourrait plus s'en vanter auprès de de Fréneuse et de son mépris qui, dans son regard, n'est qu'à peine voilé de politesse, et dans ses mots, tout à fait cru. Par ses goûts, il aurait pu, avec une volonté plus grande et des apparitions plus fréquentes aux grands événements aux teneurs d'obligations sociales de ce monde, présenter chez la Lambressac, mais se hisser aussi haut demanderait à Daniel une énergie qu'il préfère utiliser en commerces illégaux. Cela apportait moins de prestige, mais beaucoup plus de respect - n'était-ce pas paradoxal ?

- J'ai des occupations. A-t-il le temps de concéder avant sa fuite.

Bien sûr, il a conscience de façon aigue de la fantaisie de son revirement, et de la brusquerie de ses gestes - encore que Fréneuse ne bronche pas, devant probablement tolérer les incartades fantasques, aidé par le décor ou le vin saignant dans les coupes -les deux ont l'éclat commun de l'or et des illusions que l'on noie en eux?
La pique, déguisée grossièrement, ralentit son pas, mais il intériorise un sourire. Qu'il est difficile et doux à la fois d'évoluer discrètement dans un monde hostile que l'on volera demain pour une gloire aux reconnaissances informelles... Et chaque mépris et chaque rebuffade pourra un jour se traduire, de bonne guerre, en infortuné incendie d'une ou de l'autre maison familiale ou possession de lignée. Daniel est un agresseur silencieux, qui élabore dans sa tête mille vengeances qu'il ne met jamais à exécution, mais qu'il caresse avec l'amour de celui qui sait en avoir le pouvoir... Alors, à Fréneuse, il adresse un demi-sourire indulgent, le laissant dire, le laissant éclairer son pas dans les coursives trop chics pour lui, emporté par son sillon tellement smart.

- * -

Un monde en demi-teinte lui saute au visage et s'y accroche comme le pressoir d'un bas. Dans les loges semblent se mêler les odeurs et les poudres des cabinets de toilettes, dans lequel se serait égaré, comme par hasard, des parieurs de courses et des femmes aux corps trop nubiles pour les idées et les acceptances qu'ils contiennent. Fréneuse prend le décor comme une habitude, regarde comme la cage la plus présentée et la plus ennuyeuse d'une ménagerie, chargée d'oiseaux aux plumes blanches et aux lèvres carminées, Fréneuse trouve cela normal. Les perceptions de Daniel ne sont pas de cet avis, confondant les loges et les danseuses à leurs danses et leurs costumes. Les filles sont là en exposition, flirtent et naviguent avec assurance, et peut-être la sienne est-elle dans le panier de poules, il ne sait plus bien, cela ne l’intéresse pas tout à fait. Ici les filles semblent mieux que partout, n'ont pas dans la courbe du nez la hauteur des bourgeoises, portent moins de trous et moins l'odeur lourde des armoires humides que les grisettes et les petites prostituées. Bien sûr, Daniel connaît leur existence, les voit sur scène en en accueille même une parfois dans son lit, mais une naïveté demeurait un peu à leur sujet, une sorte d'indulgence de ses pensées. Mais les femmes, semble-il, ne valent rien, en aucun milieu qu'il soit.

- Bah. Elles ne valent pas l'attention qu'il faudrait leur accorder. Elles sont mieux sur scène, où elles ne sont secouées par personne. Elles gardent leurs rêves pour elles.

Il a refermé préventivement ses bras, comme en défense, et presse son dos contre un mur moins ouvragé, laissant le ballet informel des danseuses en relâchement se dérouler devant lui - moins intéressant et moins rythmé.

- Mais je ne vois pas votre ami. Il danse peut-être avec elles, et nous sommes en train de le rater.

L'entracte lui semble une épreuve bien longue et la soirée un épisode bien dispensable, et il chérit secrètement son retour dans la loge où il pourra feindre d'être absorbé par le ballet pour cesser de s'intéresser à de Fréneuse et ses manières ordinaires.
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Jean de Fréneuse
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MessageSujet: Re: [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs   [Avant les Flammes] Musiques de Tiroirs EmptyMer 28 Déc - 5:20

Anatole semblait presque soucieux, l’œil posé sur les demoiselles … Quand il les dépeignit sur scène, auréolées d'une autre lumière – en une sorte de tableau vivant, quand on y pense – Jean le considéra avec étonnement. Est-il des rêves qui survivent, encore, à la vie de ces gamines-là ? Lui-même, épargné par la vie, avec un reste de fortune et tout ce qu’il fallait d’éducation, il les avait perdus, ses rêves, au contact des petits sourires rosses et des réalités falotes des petites vies ... Et, mû par un élan qu'il cernait mal, il l l’exprima tout haut, ce doute, sans regarder son interlocuteur, l’œil fixé sur la petite tresse rousse qui courait, au loin – avec des petites ailes de sylphide, de fée ou de faunesse qui tressautaient dans son dos, à chaque pas.

- Parce que vous pensez qu’elles en ont … ? Elles travaillent dur, ces enfants-là, et je ne sache pas qu'on se soucie de leur former l’esprit.

A la mention de l’ami perdu, cependant, il se redressa, le chercha de l’œil :

- Peut-être bien … Le grand Jacques Denfayre, tout raide, engoncé dans un costume de sylphide. Ça pourrait faire un spectacle moderne, quand on y pense … Imprimez des programmes ! Des lithographies de Lautrec ! Et ça ferait un succès, avec ça ... !

Il sourit un peu nerveusement, songeur sur sa plaisanterie. On entendit alors une sonnerie, vaguement lointaine. Les rires des petits rats grimpèrent d’un ton, et leurs chaussons glissèrent un peu sur le parquet. Machinalement, Jean se leva, saisit l’arrosoir qui traînait dans un coin, et répandit l'eau grisâtre sur le sol – avec l’air absorbé d’un jardinier qui aime d’amour ses vieilles roses.

- Tenez, ça reprend là-bas. Si vous voulez voir le spectacle, c’est le moment d’y aller.

De son côté, il hésitait encore – tristement dilettante, artificiellement lointain. Et avec son frac et sa fleur à la boutonnière, avec son air rêveur et ce vieil arrosoir dans les mains, il avait soudain revêtu un costume d'absurde falot et de ridicule un peu triste.
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