M. Henri repartit à ses verres, qu'il essuyait d'un vieux torchon à carreaux rouges et blancs - ah rusticité ! Il surveillait tout de même son fougueux client du coin de l'oeil, plus attentif à ce qu'il ne dégradât rien ou ne dérangeât point l'étrange pianiste que l'on entourait ici, sans un mot, de douces précautions ... Il glissa même, assez bas, à un homme accoudé au bar qui buvait une absinthe :

- Le whisky l'échauffe b'en vite, çui-là ; il a aucune chance, il trouv'ra rien...

Et il essuyait ses verres, servant de temps à autres un verre de vin, une assiette de charcuterie ou une bonne blague à ses clients - encore assez calmes, pour l'heure. Il commençait même à se rassurer au sujet de son breton, quand celui-ci trébucha dans un fracas pas possible et manque de se retrouver sur le derrière. Silence ... Tout le monde s'était retourné et regardait le drôle, qui ... ?!

L'oiseau s'envola bien vite - mais le goéland volait un peu de ginguois. Monsieur Henri empocha la somme avec un sourire et salua le départ de ce drôle d'olibrius :

- Bonne chance, va, rest' plus longtemps la prochaine fois !

- Il est fou, ton gamin, ma parole ! C'est du gâchis d'le laisser r'partir avec un indice , lâcha un des bonhommes du bar.

Henri répliqua :

- P'tête bien ... Tu vas lui courir après ?

- Tu parles, j'ai aut' chose à faire, j'vas gaspiller un autre papier, ce sera b'en meilleur ...

Et le gars ... continua à boire, résolument vissé sur sa chaise. En riant légèrement, Henri se hasarda près du piano mal accordé, où l'artiste terminait un autre morceau.