Cela faisait à peine un mois qu'elle avait aménagé à Paris, et elle n'avait toujours pas été plus loin que le bout de son jardin. Charlotte avait tenu à aider les servantes à défaire tout le contenu des cartons, malgré les regards noirs que lui lançait son époux Maximilien à chaque fois qu'elle prenait un bibelot pour le mettre à la place qui lui convenait. D'après lui, ce n'était pas un travail approprié pour les personnes de son rang, et détestait voir sa femme s'abaisser à leur niveau..Celui-ci était parti depuis une semaine déjà, ce qui permettait de redonner un petit souffle de vie à la jeune femme, qui se sentait jusqu'alors emprisonné dans un prison de verre. Elle en avait profité pour se dégourdir les jambes dans un parc qu'elle avait trouvé par hasard, le Luxembourg. Il était vraiment magnifique, avec une belle fontaine au centre où jouaient des enfants, et des statues blanches un peu plus loin. Quel bon bol d'air! se disait-elle, après avoir passé tant de temps enfermé, elle pouvait enfin respirer. Assise sur un banc non loin de l'entrée, elle observait les femmes du grand monde discuter. On ne pouvait pas dire Paris n'était pas comme tout autre ville de France, c'était le centre, le centre du monde même où se bousculaient toutes sortes de personnes. La jeune femme regarda pendant quelques minutes son sac, où il se tenait son précieux calepin, pleins de petites idées de roman, elle se demandait s'il fallait le sortir devant tout ce monde ou plutôt le laisser reposer à sa place. Elle choisit malheureusement la deuxième option qui était plus sage, son mari lui ayant apprit que dans cette ville, il valait mieux garder ses désirs enfouient en nous, car tout était question de réputation.

Foedora Meunier, violoneuse La journée avait pas été très bonne... Pourtant, elle avait raclé, la Foedora, raclé à s'en faire saigner les doigts et en avoir des courbatures. Mais les gens, même s'ils étaient de sortie, se fichaient bien des mendiants : il faisait trop beau pour gaspiller son argent en aumônes, hein ? S'offrir un café et une pâtisserie, c'était plus intéressants, non ? Pourtant, elle, elle en aurait bien pris un, de café ! Et elle en aurait bien mangé plusieurs, des gâteaux ! Ils avaient l'air si bons ! Mais voilà, on la laisserait jamais s'asseoir à un café, avec ses vieilles nippes et ses cheveux emmêlés sous un foulard, tellement loin des petites dames élégantes de la capitale... Alors, fallait bien se résigner. Dans l'espoir de trouver des passants plus charitables, Foedora avait quitté son quartier habituel et traînait dans les environs du Luxembourg, en tache de misère au coin des beaux bâtiments, de la verdure et des boulevards. Elle s'était à demi assise sur un rebord de muret et avait épaulé son violon, encourageant d'un large sourire les bonnes gens à faire tomber un peu de monnaie dans l'étui ouvert de l'instrument. On n'était pas vraiment généreux non plus, mais bon, fallait bien s'en accommoder...

Foedora jouait depuis près d'une heure déjà, lorsqu'arriva un fiacre - ou une voiture, en tout cas, qui ressemblait fort à un fiacre - qui s'arrêta à sa hauteur. Coïncidence, pensa-t-elle. Deux hommes en sortirent et s'approchèrent. "La charité, m'sieu ?", demanda la jeune fille en souriant et en poursuivant la valse commencée. Mais ces gars-là n'étaient pas là pour la charité. Avec stupeur, elle en vit un sortir un flacon et un mouchoir, imbiber le mouchoir avec le contenu du flacon, tandis que l'autre...

"HIIIIIIIIIIII !!!! À L'AIDE !!!! AU SECOURS !!!!!", s'égosilla la gamine tandis qu'on l'attrapait, faisant tomber le violon qui tomba au sol dans un bruit creux. Le gars la tenait ferme, tentait de lui plaquer la main sur la bouche et de la retenir, mais elle se débattait, en fille accoutumée aux violences. Bientôt, elle sentit le mouchoir plaqué sur son nez...

Et ce fut tout.

Le malheur - ou la chance, peut-être - de Foedora résidait dans le fait que quelqu'un avait entendu son appel...