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 Les retrouvailles d'un bourreau involontaire

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Catharina de Fréneuse
L'enfant reconnaît sa mère à son sourire.
Catharina de Fréneuse

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MessageSujet: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptySam 13 Oct - 9:25

« Je t’assure, mon amour, que tu n’es pas en train de te décomposer. » L’enfant, du haut de ses six ans, pleurait à chaudes larmes. D’un tempérament doux et calme, il n’y avait qu’une forte peur qui pouvait l’inquiéter à ce point. Je frictionnai son dos d’une main, le tenant tout contre moi. Malgré mes mots de réconforts, il demeurait inconsolable et continuait de geindre, son visage en était même devenu tout rouge. Je soupirai, alors qu’il vidait sa peine sur ma robe et caressai doucement sa tête « Snowden, écoute-moi, tu ne vas pas mourir, tu ne seras même pas malade ! » Il resta sourd un moment avant de daigner me regarder, les yeux bouffis par la peine, lèvre inférieure retroussé par la frayeur. « Mais c’est la deuxième ! » Chigna-t-il, tout particulièrement contrariée, persuadé que bientôt il allait perdre son nez, ensuite une oreille, puis trois orteils, et tous ses doigts. Qui aurait cru que perdre une dent causerait autant de panique ? « Celles qui tombent, meg hjertet, seront remplacées par d’autres, tout simplement. C’est normal. » Du revers de ses petites mains, il tenta d’essuyer ses yeux, il tenta même de comprendre ce qui lui arrivait. « Tes toutes petites dents, vont partir, et laisser la place à des dents plus grandes, et plus fortes, car tu deviens un jeune homme plus grand et plus fort, tu comprends ? » Il renifla, sembla rassuré quelques instants mais toujours pas convaincu. Et puis alors ? Il les aimait, ses dents minuscules, lui ! « Tu êtes sûre qu’elles vont repousser ? Beaucoup beaucoup sûre ? » J’hochai la tête, patiente, incapable de lui en vouloir « Beaucoup beaucoup, oui… ! » Je lui redonnai sa dent, lui conseillant de ne pas tenter de la remettre où elle était, et l’embrassai à plusieurs reprises avant de le laisser partir.

Avant de descendre, j’essuyai les traces de larmes qui tachaient ma robe. En me réveillant ce matin, je m’attendais, en effet, à quelques surprises, mais pas autant. Revoir l’homme dont le jeune frère avait –indirectement- failli me tuer ne serait pas banal. Je me rappelais de lui comme d’une personne conciliante et d’agréable compagnie. Cependant, je ne comprenais pas comment à peine une heure passée en présence d’un inconnu avait pu donner l’impression que nous étions amant à une tierce personne. Le plus intriguant demeurait toute fois son envie de me revoir. La lettre qu’il avait adressé à ma nouvelle mère, Marie-Gilbert, était curieuse. Avait-il entendu mes pensées à l’égard de son frère et venait le protéger ? Ridicule ! Pour les fois où nous avions pu nous croiser depuis mon divorce, il me sembla que je ne lui avais tenu aucune rancune, aucune.

Ce qui m’inquiétait le plus n’était pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, qu’un homme vienne me rendre visite, même si cela m’impressionnait, mais plutôt que notre discussion sera assidument surveillée par mon amie Madame Pentois. Je comprenais le nécessaire de la situation mais… Diable ! Je n’étais pas une jeune fille innocente et naïve, j’étais une femme avec de l’expérience, un vécu et j’étais même majeure ! …mais pas en France, malheureusement. Je quittai l’étage en m’assurant que mon adoré fils ne me suivait pas, ni ses frères ni sa sœur, d’ailleurs. Avant de le rejoindre, je m’affublai d’un sourire affable et laissai derrière moi mes airs fatigués. J'entrai dans la pièce, Marie-Gilbert se tenant sans doute çà ou là pour nous sur surveiller. « Bonjour, Monsieur. Puis-je dire que je suis ravie de vous revoir, puisqu’il n’y a personne pour se méprendre ? » Ponctué d'un sourire.
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Jean de Fréneuse
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMar 16 Oct - 1:46

Cela faisait quelques temps qu'une drôle d'idée avait germé dans son esprit, alors qu'il avait croisé plusieurs fois Madame von Reutersvärd, anciennement Madame Ainsworth, dans le monde. C'était venu d'une résurgence d'une vieille rumeur à laquelle il n'avait point pris garde tout d'abord, mais qui était, à ce qu'on dit, à la source du divorce de Madame Ainworth. Il avait eu du mal à y croire. Cependant, d'autres rumeurs avaient fait leur chemin ... Difficile de croire, cependant, lorsqu'il retrouva celle-ci en salon, que Madame von Reutersvärd avait été une femme malheureuse ... Sa situation n'était pourtant pas enviable, et il était clair qu'elle devrait consentir à une mésalliance dans le meilleur des cas, ou rester sans époux, avec ses quatre enfants ... Et c'est alors que lui vint une idée ingénieuse. Qui relevait du Jean de Fréneuse le plus classique : caprice, provocation et sens pratique réunis en elle seule ... ! Pour la première fois depuis longtemps, il fut grave, dans la lettre qu'il envoya à la respectable Marie-Gilbert - "une femme d'extraction modeste, mais qui a su conquérir sa bonne réputation" comme disait sa mère, pourtant peu férue de morale républicaine. Il fut grave encore lorsqu'il franchit le seuil de la maison, se fit annoncer et pénétra dans le salon de Madame Pentois. Il chercha d'abord des yeux la maîtresse de maison et la salua, comme il convient de faire, puis il se tourna vers Madame von Reutersvärd.

- Madame, le plaisir est partagé. J'espère que vous ne me tiendrez pas rigueur des rumeurs qui se sont propagées et que j'ai pourtant travaillé à étouffer.

Une drôle de pensée lui vint et il ne put s'empêcher d'ajouter - chassez le naturel ... :

- Je pensais, hélas, qu'une mauvaise réputation préservait les gens de son entourage ... J'ai été bien marri de voir qu'on vous attribuait la faute tandis que je restais innocent, sans doute. L'oeuvre d'un homme qui a perdu le sens commun, que de procéder ainsi ... !

Sans se douter que l'homme qui avait perdu le sens commun n'était autre que l'ancien mari de son interlocutrice. En outre, le discours qui semblait s'ébaucher s'essouffla et Jean parut gêné. Ce n'est point ainsi qu'il avait prévu les choses ...

- M'autorisez-vous à m’asseoir ? - Et bien qu'il semblât plus assuré qu'autrefois, il s'appuyait sur une canne de bois sombre, au pommeau d'argent, instrument d'élégance ou soutien d'infirme - Racontez-moi un peu comment vous vivez, à présent. Êtes-vous heureuse ?

C'était cela, la conversation d'un tour très sérieux et peut-être définitif ... ?
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMar 16 Oct - 14:43

« Bien sûr que non. » Cela me paraissait évidement qu’aucune rancune n’était retenue contre Monsieur de Fréneuse. Les commérages et fausses rumeurs n’étaient pas de sa création, comment pourrais-je lui en vouloir ? Je me permis de rajouter, naïve, un petit « J’espère que, de votre côté, cela ne vous a pas causé de tort. » Ma culpabilité, que j’arrivais à étouffer depuis quelques semaines, pourrait grandit, s’il me répondait que les mauvaises langues lui avaient été nuisibles.

Je lui envoyai un rictus de sympathie ridicule. J’allais guère renchérir sur ces énièmes paroles contre les actes de mon ancien mari, en ayant entendues suffisamment pour toute une vie. Je ne niais pas lui en vouloir, à cet homme qui m’avait brisé le cœur tout en essayant de me briser la nuque. Je le reverrai dans une dizaine d’années que je cultiverais toujours de la haine à son égard. Et je retiendrais de dire à mes enfants ‘Votre père, mes anges, est le dernier des argousins, il n’a rien de bon !’ et me contenterai de les couver, de les protéger en tentant de les élever sans figure masculine. Difficile, lorsque l’on avait trois garçons –et demi !

Je levai lâchement la main pour lui indiquer un fauteuil qui se trouvait tout près de lui. « Faites-vous plaisir ! » Mes yeux glissèrent maladroitement sur sa canne. Je ne montrais aucune gêne face à l’apparent handicap de Jean, mon esprit étant occupé de pensées peu rassurantes. Ce que c’était rigide, une canne, lorsque fracassée sur la protubérance d’un os ! Heureusement, l’homme n’avait pas l’attitude tendue qui laissait croire à de la rage intérieure bouillonnante. Cela me rassurait un peu, mais les hommes demeuraient d’éternels imprévisibles.

Un déclic, mon regard remonta sur lui. Je fronçai les sourcils, intriguée de sa question. Pourquoi ? « Je suis heureuse, hai. » Je voudrais bien que l’on me montre la femme qui n’était pas heureuse lorsqu’elle : avait quitté son mari violent, trouvé refuge chez une bonne amie et regagné une santé acceptable. Cependant, je me cachais toujours sous une grosse carapace de tortue, méfiante quant au rebond de cette histoire de divorce. « Je vis très bien, Monsieur. Marie-Gilbert est une femme remarquable, elle nous laisse, mes enfants et moi, loger ici, dans de bonnes conditions. » Si tout le monde pouvait vivre ainsi, assurément qu’il n’y aurait plus de cas de choléra et autres maladies peu ragoutantes dont le nom m’échappait.

« Et vous, êtes-vous heureux ? »

Spoiler:
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMar 23 Oct - 3:58

Elle débita les politesse d'usage - et Jean n'oublia pas d'adresser un signe de tête à Marie-Gilbert lorsque Madame von Reutersvärd loua son hospitalité - avant de lui retourner la pareille. Jean la regarda avec étonnement : la question lui semblait singulièrement hors sujet. Il se posa tout de même la question, en son for intérieur ... souvenirs, regrets, mélancolies l'assaillirent soudain, et il se perdit quelques instants dans ce tissu mental d'une densité extraordinaire. Heureusement pour notre lecteur, par un miracle tout elliptique, nous passerons à l'instant d'après où, encore étourdi de ce soudain vertige, il répondit, d'une amabilité froide - ou refroidie :

- Moi ? Mais, Madame, là n'est pas la question ...

Mais la bienséance disait qu'on ne devait point contrarier une dame ... Alors il ajouta, pour faire bonne figure :

- Rien n'a changé - à part, tout de même, que je suis plus ou moins guéri, ce qui est une bonne nouvelle ... Je peux de nouveau courir après mes affaires et fuir les gens que j'n'ai pas envie de voir ...

Il surprit le froncement de sourcils de Madame Pentois et lui adressa un sourire contrit. Ciel, ce que les bourgeois aimaient à être censeurs... ! Toujours dans l'ornière des préjugés à la mode ! Vils apôtres du mensonge ! Ses grandes mains serrées un peu nerveusement sur le pommeau de sa cane, il reprit :

- Madame, je ne vais pas y aller par quatre chemins.

Il lui lança un regard qui indiquait qu'il ne plaisantait plus ... Hélas, une pensée invasive surgit à cet instant, et son ton solennel lui apparut avec autant de ridicule que ces petits paysans qui comptent les cosses de pois, dans leurs métayages ... Il reprit tout de même, cherchant ses mots ...

- Songez-vous, Madame, à ... améliorer votre situation, en tout bien tout honneur ? Pardonnez mon indiscrétion, mais avez-vous reçu des propositions ? Songez-vous à vous remarier ?


S'ils avaient été dehors, le chapeau de Marie-Gilbert n'aurait jamais été aussi de travers.
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMer 24 Oct - 11:49

Sa réplique m’arracha un sourire, je devais l’avouer. Fuir les gens que l’on ne désirait pas voir, quelle drôle et agréable activité ! Fuir les mondanités avait été mon passe-temps favoris, à mon arrivée à Paris –et de même qu’en Angleterre. Je pris un air de suite plus doux, repensant à l’homme chancelant sur sa canne de l’année dernière. Il paraissait plus solidement constitué, aujourd’hui, ou plutôt, il semblait avoir regagné un certain équilibre, une harmonie particulière avec son bâton de marche élégant. « C’est un très bonne nouvelle, en effet. » Dorénavant, en bonne et due forme, il pouvait s’enfuir de son imbécile de petit frère, mais je gardai cette réplique pour moi, évidemment.

Son ton de nouveau sérieux acheva mon sourire, je penchai la tête avec légèreté d’un côté, attentive à ses propos. Je demeurai, durant l’espace de plusieurs secondes, figée, immobile. Propositions, remariage. Non, et non. Je ne désirais pas me remarier, je ne voulais pas tomber entre les griffes d’un nouvel homme, j’avais la très forte envie de rester dans les jupes de ma mère de substitution, jusqu’à la fin de mes jours, je câliner et éduquer mes enfants avec pour seuls homme Monsieur Pentois et mes fils. Hélas, il m’aurait fallu des moyens dont je ne disposais pas, pour agir ainsi et, une fois plus ou moins guérie –pour le citer- l’on m’avait mis dans la tête l’idée de trouver un nouvel époux. J’espérais un vieil homme, portant un postiche –soigneusement placé par un merlan, peut-être un veuf, un peu effacé et surtout plongé dans une quelconque passion dont je ne ferais pas l’objet. Un homme bienséant qui ne me toucherait jamais avec violence et comprendrait mon désir de rester près de mes bambins. Bref, le contraire de mon ancien époux, dont les conditions de vie étaient à peine meilleures que dans un ergastule. Il paraissait alors que mes critères étaient trop sévères et je me résolus à suivre les conseils que j’avais moi-même donnés à Marie-Madeleine : Ne pas se fier à sa première impression.

« Une femme comme moi ne croule pas sous les propositions, Monsieur. » Surtout une femme qui, comme moi, avait le scrupuleux caprice de vouloir ses enfants près d’elle, mais cela apparaissait comme une « fantaisie » déplacée. Les hommes croyaient, tout comme les scientistes, que leurs méthodes étaient les meilleures et, la meilleure chose à faire était d’exiler les bambins en campagne. « Me remarier, j’y pense… un peu. » Je jetai un coup d’œil à Marie-Gilbert qui devait sans doute vouloir que je me vante un peu, quand même ! Pas que ma présence dans la maison des Pentois lui déplaisait, mais elle redoutait sûrement que je me refrogne comme l’avait fait sa fille, devant les hommes, craintive. « Cela dit, pour le gentilhomme qui ne m’arrachera pas mes enfants, hai, je songe, en effet, à me remarier et à être une digne épouse. »
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 26 Oct - 21:21

Jean hochait la tête, lentement, l'air pris dans ses pensées. La situation n'était certes pas conventionnelle ... Il réfléchissait. A la possibilité de la chose, à la manière de le tourner. Voulant choisir la facilité en fuyant les jeunes filles, il en vint presque à se demander s'il n'était pas tombé dans situation plus inextricable encore ... Au moins, dans le premier cas, les situations étaient-elles toujours claires, définies, règlementées. C'était ennuyeux, il était le premier à s'en plaindre ... Mais c'était simple. Cependant, elle avait repris et parlait de ses enfants. La mention desdits enfants arracha à Jean une brève grimace - presque un tic. Mais il suffit d'un instant et il reprit sa mine enjouée qui était son masque naturel.

- Hélas, Madame, je crains que ...

Que vous ne soyez pas en mesure de dicter vos conditions ... ?

- Que peu d'homme savent comprendre les désirs naturels des femmes ... Quand pour vous, rester auprès de votre progéniture est un besoin vital, le témoignage d'une union précédente leur rappelle, à chaque heure du jour, qu'ils n'ont point été les premiers dans votre coeur. C'est un sort bien cruel pour un mari orgueilleux.

Il lui adressa un drôle de sourire, légèrement en coin. Son orgueil à lui se placerait-il ailleurs ... ?

- Permettez-moi, je vous prie, une dernière question, si Madame Pentois me le permet. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un homme qui n'a pas encore été marié a besoin de la dot de sa future épouse, pour enrichir le patrimoine du foyer futur. Pardonnez-moi d'évoquer les choses - je ne puis m'empêcher d'être franc et de dire les choses telles qu'elles sont, grand défaut s'il en est - mais conservez-vous quelques possessions ?

Il avança une main ouverte vers elle, sans la toucher - les convenances l'interdisent - comme pour l'inviter à danser :

- Soyez persuadée que je ne veux que votre bien et que cet interrogatoire n'a point pour but de vous faire souffrir.

Après tout, quelle que soit sa décision, il connaissait assez de gens autour de lui et avait assez de relation pour favoriser quelqu'un ...
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptySam 27 Oct - 16:15

Les maris orgueilleux décrits par Monsieur Jean de Fréneuse reflétaient bien la personnalité de mon ancien époux. J’en eus un léger froncement de sourcils, comme contrariée. Si je prenais le soin de me remarier, prendrais-je comme parti un doublon du vicomte Ainsworth ? Ce serait me jeter dans la gueule du loup, ruiner le semblant de vie que j’avais réussi à acquérir. Néanmoins, je n’approuvai pas pour ce soit disant sort cruel. Selon moi, retirer un –pour le citer- besoin vital était bien plus pire. Cependant, les hommes aimaient faire pitié et qu’on les favorise à toute autre forme de vie.

J’inclinai la tête, l’autorisant à poser sa dernière question contre laquelle Marie-Gilbert aurait pu s’opposer. Je me penchai avec légèreté vers lui, ouvrant un peu plus les yeux pour me concentrer sur ses paroles. Il me parla de dot, d’enrichissement, de futur, de défaut puis de possession. Je me redressai, pour me tenir plus droite et également pour m’éloigner de cette main qu’il avançait vers moi. « Peut-être en ai-je quelques-unes, oui… » Beaucoup plus que quelques-unes, à vrai dire. Un peu d’argent par ici, un peu d’argent par là. En effet, le divorce ne m’avait pas laissée sans le sous comme on pourrait le croire.

Néanmoins, je ne me sentais pas à l’aise de lui répondre clairement, précisément. Il était probable que Marie-Gilbert s’en doutait, depuis le temps, elle me connaissait et pourtant, je faisais des efforts. Si on comparait mon attitude maintenant à celle que j’avais les premiers mois suite à mon divorce, il y avait amélioration. « Cela dit, si vous ne voulez que mon bien… » J’esquissai un sourire étrange. « …Vous devriez me laisser vous présenter mes enfants, je ne crois pas l’avoir fait lors de notre dernière rencontre. » Mains doucement jointes sur mes cuisses, dissimulées entre les plis de ma jupe, jouant avec mes doigts, peut-être par nervosité, ou par réflexe « Et ceci fait, je pourrais vous parler un peu plus de mes quelques nombreuses possessions, qu’en dites-vous ? »
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 2 Nov - 3:37

Elle avait compris. Mais comble de l'infortune, elle avait mal compris. Jean se passa la main sur le front, aussi perplexe que lassé - dans quelle *** de situation s'était-il fourré ? Heureusement pour lui, la brave Madame Pentois, au sens pratique indéfectible, vola à son secours.

- Ma chère, surveillez vos paroles, je vous prie ! - On ne croirait pas, Monsieur, mais les nordiques sont plus sanguins qu'on ne pourrait croire au premier abord ... - ... Catharina, ma chère, peut-être pouvez-vous laisser M. de Fréneuse terminer. Peut-être qu'ensuite, s'il a encore un peu de temps à nous donner, pourrez-vous ...

Jean hocha la tête en adressant un regard de reconnaissance à Madame Pentois. Il apprécia d'autant plus la porte de sortie qu'elle avait si élégamment donnée. S'il a encore un peu de temps à nous donner, c'était charmant. Si Madame Pentois n'avait pas été mariée, il l'aurait épousée (?!) Amusé de la plaisanterie, qu'il renonça à formuler, Jean ajouta d'une voix posée, l'intervention de la respectable dame lui ayant laissé le temps de reprendre ses esprits :

- Madame, quelle est votre vision du monde pour me prêter des pensées si mesquines ? - il eut un geste vague de la main - Je ne prétends à rien de plus qu'à ce que je suis en droit de prétendre ... - Il laissa planer le mot quelques secondes, puis reprit, aigrefin - Parlons franchement : je ne cherche point à vous duper ni à profiter de votre position. Je suis obligé de traiter avec vous par les circonstances, et vous savez que dans d'autres cas, je me serais adressé à un parent ou un protecteur. Madame Pentois estime assez votre intelligence pour me laisser traiter avec vous. Mais à présent, c'est à vous de me dire ...

Il semblait décidé, mais aussi légèrement agacé.

- Si vous me promettez de m'écouter, sans mauvaise pensée, sans me prêter des intentions que je n'ai pas et, si possible, sans m'interrompre, je puis vous proposer une situation plus confortable que celle dans laquelle vous vivez - et cela, sans offenser Madame Pentois en sa qualité d'hôte et de protectrice ... Cela vaut pour vos enfants également, à qui je puis assurer un avenir. Je ne souhaite pas vous brusquer, Madame ... Cependant, si vous les faites appeler maintenant, nous ne pourrons poursuivre cette conversation.

Il n'avait point préparé son orgueil à encaisser un refus ... Refuserait-on la proposition d'un duc de Fréneuse lorsqu'on était censé ? Cependant, l'idée commençait à se faire jour dans son esprit ... et il lui était insupportable de songer que, plutôt que de lui donner sa réponse en face, elle fît venir sa ribambelle de bambins pour clore toute discussion possible. Il poussa un soupir, presque triste. Il se sentait perdu.

- Je respecterai votre choix, Madame, quel qu'il soit.

Dire qu'il avait fui la solution simple pour éviter les circonlocutions ... ! Sa seule consolation, à présent, était de ne point se vendre, et de se présenter tel qu'il était - humeur et lassitude comprises.
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 2 Nov - 10:21

Les paroles de Marie-Gilbert arrivèrent à mes oreilles comme un coup et me firent me redresser. Mes mains vinrent se serrer l’une contre l’autre sur le tissu de ma jupe et je me figeai ainsi. J’entrouvris les lèvres pour lui répondre ma vision du monde mais les refermai, préférant garder le silence pendant que celui-ci enchainait son discours. Je soupirai intérieurement, remerciant le ciel de ne pas avoir envoyé Jean de Fréneuse chez un parent. Il aurait été davantage contrarié par l’attitude de mon frère que par la mienne et serait reparti en nous traitant de famille de fous, ou quelque chose dans ces eaux-là.

Je soufflai en plissant les yeux, assimilant doucement ses paroles, les répétant dans mon esprit. « Je ferai mon possible… pour ne pas avoir de mauvaises pensées… » Je laissai mes mots en suspens, comme si j’avais été coupée en pleine phrase. Mes reproches n’étaient pas adressés personnellement à lui, mais plutôt à ce qu’il était : Un homme. Il y en avait des milliers sur la Terre mais deux seuls avaient réussi à les réduire à… des bêtes brusques et sans cœur. Jean m’avait déjoué, il m’empêchait de me cacher derrière mes enfants et je devais maintenant lui faire face. « …mais je promets de vous écouter et de ne pas vous interrompre. » Pardonnez-moi d’être méfiante devant un homme, alors qu’il y a quelques mois je vacillais entre la vie et la mort à cause de l’un d’eux. Heureusement pour Monsieur le Duc, je tenais toujours mes promesses. Dans la limite du raisonnable, bien entendu, mais l'étais-je rien qu'un peu ?
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMer 7 Nov - 13:27

- Bien...

Jean hocha la tête. Il chercha à rassembler ses idées, les clarifier une bonne fois pour toutes, à peser ses intentions - davantage que ses mots. Puis il commença :

- Vous avez compris, Madame, où je veux en venir. Sans pousser la fatuité à son comble, j'imagine que vous êtes quelque peu surprise de me voir me tourner vers une femme dans votre situation. Que votre pudeur et votre fierté se rassurent, je ne viens point par charité. - Il esquisse un signe de tête respectueux - En vérité ... - Hésitation - j'ai mes propres raisons, et je souhaiterais vous les exposer. Caprice étrange de ma part, et pourtant au centre de tout : je voudrais que cet accord se fonde sur la sincérité.

Il eut un drôle de sourire, un peu nerveux. Son interlocutrice l'écoutait, semblait-il, avec attention. Il lui sembla même qu'elle se détendait légèrement, hochant parfois la tête. Il semblait, en tout cas, dire la vérité.

- Qu'on se le dise, Madame... Je ne vous aime pas...

Il s'attendait à des cris d'orfraie, à des protestations ou, du moins, à un regard furieux. Elle n'eut qu'un air un peu surpris, puis étonnamment doux... Et Jean se dit, à part lui-même, que les femmes étaient décidément incompréhensibles ... à moins qu'il n'eût vraiment trouvé la bonne ? Celle qui ne s'offusquerait pas lorsqu'il exposerait, avec plus ou moins d'enthousiasme, ses théories soit-disant rationnelles... ? Il s'emballa un peu, comme encouragé par ces yeux bleus immenses, qui le fixaient toujours :

- ... et vous ne m'aimez pas non plus.En revanche, Madame, je vous estime, et je crois que c'est la meilleure recommandation pour un mariage. Quand je vous dis que je n'ai point pensé à vous par charité, c'est vrai. Je ne souhaitais pas avoir à mes côtés une jeune fille, je préfèrerais cheminer avec une femme d'expérience, qui a déjà connu la vie et ses vicissitudes...

Il s'interrompit, jeta un bref regard suppliant à Madame Pentois (espérant sincèrement ne pas se faire mettre dehors) puis reprit, un peu plus vite :

- ... tout en conservant, on l'a vu, une vertu sans reproche. Je ne m'amuserai point, Madame, à chanter vos louanges. Vous connaissez vos qualités. En revanche ... - un peu de thé vous ferait peut-être du bien, Madame Pentois ? - Il la servit lui-même - En revanche, disais-je, bien que l'idée soit curieuse et, sans doute, pas très en règle avec les usages, j'aimerais vous dire à quoi vous vous engagez, si vous me répondez par l'affirmative. Oh, rassurez-vous, Madame - ajouta-t-il en se tournant vers Marie-Gilbert - rien de ... trop choquant ne sera dit dans votre salon.

Était-ce bien vrai ? Lui-même semblait plutôt mal à l'aise avec cette audace nouvelle.

- Donc ! ... Aimez-vous le monde, Madame ? J'ai l'impression que non. Hélas, vous n'êtes pas sans savoir qu'il faudra que vous y paraissiez si vous entrez dans ma famille... Oh, point tous les soirs, et même pas si souvent si cela vous ennuie, juste ce qu'il faut ... - Il ajouta, en aparté - Ces soirées-là m'ennuient aussi prodigieusement, si vous saviez... - Puis, reprenant tout haut : - Vous vous heurterez sans doute, au début, à l'étonnement voire, soyons réalistes, au mépris de ma famille. Mais sachez que je m'engage à vous défendre devant eux, et que vous ne serez jamais seule à les affronter. - Nouvel aparté - Les gens de ma maison sont un peu étranges, qu'on se le dise... Il faut comprendre leur logique.

Il s'arrêté un instant pour reprendre son souffle, vit qu'elle semblait troublé, et reprit de plus belle, cherchant à faire abstraction, pour réussir à clore son laïus :

- Quant à vos enfants du précédent mariage, je ne puis hélas leur donner mon nom, mais je vous promets de leur assurer un avenir. Peut-être pas aussi prestigieux que celui auquel ils auraient pu prétendre, mais ils trouveront dans le monde une place dont ils n'auront pas à rougir. Je ne suis pas très à l'aise avec les enfants, sachez-le, mais il serait indigne de ma part de ne pas leur assurer une vie stable et conven... heureuse. En outre, - nouveau regard vers Marie-Gilbert, aparté à voix très basse, l'air embarassé - vous imaginez bien qu'une telle union implique la perpétuation du nom de Fréneuse ...

Il la vit hocher la tête, et fit de même, visiblement fier de sa tournure elliptique.

- Enfin, dernière chose - ce discours est parfaitement décousu et j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, Madame - il est probable qu'une telle union vienne confirmer les rumeurs que l'on a fait courir sur votre compte... - il eut l'air un peu embarrassé - Cependant, je m'engage à donner raison* aux moqueurs s'ils viennent attaquer votre réputation. - Il ajouta à voix basse, en se penchant vers elle, avec un grand sourire et une fierté de gamin - Je suis un bon tireur, vous savez !

Et se redressant, il prit un ton conclusif, visiblement soucieux de finir :

- Et puis ... C'est à peu près tout, j'avoue que ma vision du mariage peut sembler atypique, mais j'aimerais vous rassurer si cela est possible : je ne suis fin-de-siècle qu'à moitié. Certes, je vous ai choisie pour des raisons rationnelles plutôt que par sentiment mais... il me semble que trop de sentiment est dangereux dans le mariage, et amène de trop grandes passions - vous en savez quelque chose... Je vous promets, quant à moi, de vous respecter. Cela ne semble pas grand chose aux cœurs des jeunes femmes, mais je crois que c'est plus précieux que tout. En retour, je ne demande rien... Qu'un peu de liberté, peut-être, quand le moment sera venu... - Il se reprit aussitôt, voyant Marie-Gilbert bondir ... mais la bonne bourgeoise ne dit rien, visiblement trop choqué par tout ce qu'elle venait d'entendre. Il termina ainsi : - Et... C'est tout ce que j'ai à vous dire, Madame. Je puis quitter l'endroit si vous me l'intimez d'un geste, je n'aurai point la bassesse d'insister ou de me compromettre davantage.

Un dernier signe de tête et il se tut, haletant. C'était donc fait... ? Il se sentait légèrement brumeux, presque pris de vertige, comme après avoir bu trop d'absinthe... Pour ultime signe, un sourire, un peu bête, qui semblait vouloir dire "Alors ?" comme lorsqu'on demande à son compagnon de whist de poser sa carte.

Citation :
Message composé en accord avec la joueuse de Catharina, pour les réactions du personnage
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyJeu 8 Nov - 16:43

Je tins ma promesse et ne poussai aucun son tout au long du discours de Jean. Parfois, l’envie de répondre, d’ouvrir la bouche pour lui lancer mes pensées désobligeantes à la figure mais, je gardai le silence. Je me penchai même un peu vers l’avant, comme pour mieux l’entendre et m’immobilisai dans cette position tout en le regardant avec mes grands yeux. Mon très cher amant était curieux, autant que l’étaient ses étranges caprices.

Sa première raison fut de dire qu’il ne m’aimait pas, ce qui m’arracha un froncement de sourcils. Pas que j’eus cru le contraire, mais ces mots avaient été dit avec une franchise si forte que je chassai rapidement de mon visage cet air septique. Un ami ou un proche aurait prononcé une telle chose après s’être montré aimable et digne de confiance que je lui sauterais dessus sans tarder, mais Jean de Fréneuse n’était ni un ami, ni un proche et la frontière entre la connaissance et l’inconnu n’était pas bien large et ses affirmations étaient fondées lorsqu’il disait que je ne l’aimais pas non plus. Qu’il puisse préférer une femme à une jeune fille m’étonna. L’envie de remodeler ses mots était pesante, « Qui a connu la vie et ses vicissitudes » n’était-ce donc pas là un synonyme de « Vieille et vicieuse » ? Mes doigts serrèrent à nouveau les plis de ma robe, enfonçant mes ongles blancs dans le tissu. Je pris une discrète inspiration, m’enlevant ces fâcheuses intentions qu’il ne possédait pas et continuer de l’écouter.

Il enchaina avec quelques précautions auprès de Madame ma garante et amie qui semblait s’affoler. Pour avoir écouté mon mari parler pendant des heures, il fallait plus que des caprices particuliers pour me choquer, mais qu’il était beau d’entendre un homme rajouter phrases par-dessus phrases sans qu’aucune insulte ne sorte ! Instinctivement, j’eus un geste négatif face à mon amour du monde. Sortir et jouer à la mondaine m’effrayaient davantage que le mépris de sa famille. Je supportais très bien la mienne, alors celle des autres ne devait pas être si insurmontable… Je pouvais comprendre que Père et Mère de Fréneuse fussent soucieux face aux décisions de leur petit héritier –laisserais-je Snowden choisir n’importe quelle femme ?- et qu’ils rêvaient sans doute de voir briller leur fils avec une jeune et fraiche gamine mais… Ce n’était visiblement pas dans les plans de Monsieur. Cependant, Jean avait un frère… vers lequel je cultivais une haine certaine, et l’idée que l’on m’oblige à le fréquenter me déstabilisait un peu.

Mes enfants entrèrent finalement en jeu. Je demeurai attentive, imaginant mes enfants avec un avenir sain et stable, qui seraient chez eux, qui auraient leur chance dans le monde, qui grandirait avec une figure masculine convenable. Porter un nouvel enfant ne me gênait pas –j’en avais l’habitude, maintenant- et j’inclinai la tête : N’était-ce pas le devoir des femmes, après tout, de mettre au monde les hommes ? Jean, de plus, pouvait avoir l’esprit tranquille là-dessus, mes fils étaient respectables, en santé, beaux et, si ce n’était pas suffisant, lorsqu’ils y mettaient un peu de cœur ils étaient intelligents. Les petites têtes blondes apprenaient à une vitesse phénoménale ! …même s’ils avaient parfois de drôles de peur –comme perdre une dent- et de drôle d’idées –comme se taper dessus en rigolant.

Je tentai de dissimuler un soupir. Évidemment que les rumeurs repartiront ! Ça ne serait pas la première fois qu’un homme épousait son amante ! Quel homme sensé épouserait une divorcée avec quatre enfants si ce n’était que par amour et désir pour elle ? Heureusement, Monsieur savait tirer, ce qui n’était pas pour me déplaire, au contraire, il s’agissait d’une très très bonne chose.

« Je préfère le respect à l’amour, Monsieur. » Le respect, lui, n’essayait pas de vous briser les os. Je tendis les mains, lentement, pour les poser contre le bras du divan et me déplaçai pour me rapprocher de Jean. Il aurait chanté mes louanges que je lui aurais ordonné de quitter avec mon pied. Ah ! N’y avait-il rien de plus faux que des mots doux adressés à une personne que l’on connaissait peu voire pas ? Mon expression changea, devient dure et méfiante. Je cherchai, entre les traits d’âges, ce qui pourrait le trahir, la chose qui était fausse. Je visualisais l’avenir qu’il me présentait mais ne parvenait pas à comprendre le cheminement de ses pensées, sa logique. Il devait être déviant, alcoolique, porteur d’une maladie, tordu ou il était bel et bien sérieux. « Parlez-vous autant ? Je veux dire… Est-ce si facile pour vous de dire autant de mots sans être blessant ? Cela vous demande-t-il un effort d’être respectueux ou l’êtes-vous naturellement ? » Parce que Jean, derrière ses plus ou moins jolies manières, restait un homme. Et les hommes étaient brusques et méchants. Je fis pianoter mes doigts contre le bord du divan, me tournant vers Marie-Gilbert pour vérifier qu’elle était toujours en vie. Ce qui était heureusement le cas.

« Je ne peux que vous répondre de façon franche en vous disant que si j’ai accepté de vous rencontrer c’est uniquement parce que vous m’aviez déjà fait bonne impression. » Je baissai les yeux, réfléchissant à mes mots tout en détaillant le tapis du sol. « Cependant, depuis le Jardin des Plantes, ma situation a changé et votre présence me rend nerveuse. » Mais rapidement, je me repris et redressai le regard. « Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous offusquer en parlant ainsi, mais sachez que je ne refuse pas votre proposition. »


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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 23 Nov - 4:59

« Parlez-vous autant ? »

- Je ...

Jean la regarda d'un air incrédule. Il était, assurément, d'un naturel bavard - cela lui permettait de mieux cacher l'odieux silence qui se déployait en lui-même. Quant au respect qu'il témoignait... Il lui était difficile de savoir s'il était naturel ou s'il avait été tellement incorporé par l'éducation qu'il l'était devenu. Fausse question, en vérité. Tandis qu'elle reprenait, il se détendit à son tour.

- Naturellement, vous n'avez pas à me répondre tout de suite. Prenez le temps de réfléchir, à tête reposée, et en prenant conseil auprès de gens avisés.

Il gratifia Madame Pentois d'un signe de tête à cette occasion. Celle-ci semblait avoir été changée en statue de sel ou foudroyée sur place. Son chapeau serait tombé sur le sol qu'elle ne s'en serait pas rendue compte... Par égard pour Madame von Reutersvärd et pour la pauvre Madame Pentois, Jean fit mine de se lever. Sa canne résonna contre le carrelage mosaïqué.

- Si ma présence vous rend nerveuse, je peux m'en aller. Je puis aussi répondre à vos questions, si vous en avez, ou bien... - il sembla hésiter puis dit, sur le ton de la concession bienveillante - revoir vos enfants, comme vous me l'avez proposé tout à l'heure. Un mot, Madame, selon votre bon plaisir, et j'obéirai.

Et l'air espiègle ressurgit doucement, derrière les expressions officielles de la galanterie masculine.
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 23 Nov - 14:17

D’un bref geste de la tête, je lui donnai raison. Une réponse précipitée serait irréfléchie, et possiblement néfaste. Même si celle-ci semblait à deux doigts de perdre conscience, Marie-Gilbert devait avoir pris position, m’encourageait à accepter la proposition de Monsieur de Fréneuse. Les raisons pour ne pas lui refuser sa demande s’entassaient : Riche, pas trop vieux, respectable, noble, pas trop oppressant, respectueux, et cetera, et cetera… Une jeune fille aurait tôt fait d’accepter qu’il lui fasse la cours et sa démarche déséquilibrée avec sa canne attiserait l’esprit maternel de certaines. Néanmoins, il avait spécifié ne pas désirer une telle enfant à ses côtés, mais plutôt une femme « Qui a connu la vie et ses vicissitudes », dont les priorités se situaient ailleurs.

« J’ai bien des questions, Monsieur, beaucoup trop à vrai dire... » C’était sensibilité de femme, qui entrait en jeu, dans ma tête. « …Elles trouveront sans doute réponse en temps et lieu. » Je m’étonnai qu’il désirât toujours rencontrer mes enfants –moi qui pensait qu’il oublierait, mais la finale de sa phrase m’arracha un sourire, amusée. Quelle idée de dire cela à une femme ! « Vous me combleriez de bonheur, Monsieur. Je sais, ce ne sont que des bambins… Et ils étaient assez agités lorsque vous les avez rencontrés. » Le dimanche, ils laissaient aller leur joie enfantine et oubliait quelque peu la bienséance mais, après une longue et interminable semaine d’étude, pouvait-on leur en vouloir ? « Ils sont ce que j’ai de plus cher à mon cœur et… » Je m’arrêtai, comme si mon quota de mots avait été épuisé.

Je demandai à une domestique d’aller chercher mes enfants qui, sans doute, étudiaient. Chacun perdu dans le fil de leur matière, Honey n’apprenait qu’à lire et Hansel, à marcher –et il se débrouillait plutôt bien, j’étais fière. Durant l’attente, je questionnai Jean « Êtes-vous aussi bon tireur que vous le prétendez ? » De manière un peu désintéressée, pour passer le temps.

Les enfants mirent quelques minutes à descendre, se suivirent sagement, dans le désordre. J’attrapai le cadet des bras de la domestique et le serrai contre moi. Les trois autres se pilaient un peu dessus, n’ayant pas l’habitude d’être ainsi présentés, regardant l’homme un moment, avec leurs grands yeux ronds, avant de le reconnaitre. « Monsieur de Fréneuse, voici Gardenia, Honey et Snowden. » Je les pointai au fur et à mesure. « …Et Hansel. » Ajoutai-je en remontant l’enfant appuyé sur mon épaule. « Il a des airs de nouveaux nés mais, soyez sans crainte, il dort des nuits complètes et est particulièrement silencieux. » C’était à peine s’il parlait, à vrai dire, babillant une fois de temps en temps. Je fis la présentation inverse pour mes enfants qui, secouant leur mémoire, se rappelait bel et bien d’un monsieur à la canne. Laissant le temps à Jean de « détailler » les enfants, je me tournai vers mon amie avec un doux sourire se voulant rassurant. Le bébé tendit les bras dans sa direction et me penchai vers elle. Il ne voyait pas Marie-Gilbert aussi souvent que moi, mais il savait la reconnaitre, dorénavant et en venait même à trotter derrière elle, si leurs chemins se croisaient.

Je revins vite à l’invité, passant une main distraite sur la tête blonde à ma portée. « …Votre proposition tient-elle toujours ? » Sa fiabilité ne tenait-elle qu’à un fil ou mes enfants ne l’effrayaient pas tant que ça ?
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyLun 26 Nov - 22:01

La proposition eut - hélas ? - l'effet escompté. Jean, avec sa logique d'homme du monde, eût trouvé plus logique qu'on l'assaillît de questions mais on ne fréquentait pas les femmes pour avoir de la logique... Tandis qu'une domestique allait chercher les enfants, Madame von Reutersvärd demanda, sur le ton de la conversation, s'il était bon tireur. Jean répondit sur le même ton :

- Je le crois bien, Madame. En revanche, - il jeta un coup d’œil à sa jambe - je ne suis plus assez vif pour l'épée.

Des bruits dans l'escalier, des petites voix d'enfants lui indiquèrent que l'arrivée des petits était imminente. Il ajouta avec légèreté :

- Adieu romanesques duels, hélas ! J'espère que vous ne m'en voudrez pas pour cela !


Il écouta ensuite les présentations, nota dans un coin de sa tête les prénoms des quatre têtes blondes - au sens propre, étonnamment - en se promettant de ne pas les oublier. Seul l'avenir nous dira si la tentative fut couronnée de succès. Il voulut se fendre d'une remarque, anodine, sur l'étrangeté des prénoms de ces gamins, mais l'inquiétude de son interlocutrice l'arrêta. Il la regarda avec des yeux ronds :

- Pensez-vous qu'un homme du monde reprenne sa parole pour si peu ? Ce serait un déshonneur de manquer de parole à ce point, Madame.

Il se surprit à penser qu'elle avait dû avoir un mari bien goujat et bien mal élevé pour lui supposer un tel comportement ... et se dit que la comparaison, au quotidien, lui serait flatteuse. Situation confortable s'il en est. L'ayant rassurée, il retourna à sa pensée première :

- Mais dites-moi, ce sont de curieux noms, est-ce la coutume anglaise, suédoise, ou votre fantaisie ?

Assurément, ses enfants à lui porteraient des noms autrement plus convenables !
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyJeu 29 Nov - 14:50

Caressant affectueusement le dos de mon cadet je jaugeai Jean de Fréneuse et ses paroles. J’assimilai ses mots avant de retourner m’asseoir sur le divan, bambin étendu sur ma jupe. Instinctivement, les ainés reculèrent pour se poser près de moi. Je savais ma vision du monde faussée et ne culpabilisais pas de lui attribuer les défauts qui, selon moi, caractérisait une majorité des hommes mais, celui qui se tenait devant moi semblait démentir mes croyances, ce qui me rendait d’autant plus méfiante. « C’est, en effet, ce que je pense mais, comme nous l’avons dit… » Je levai la main, fit un geste de rejet. « … Pas de mauvaises pensées. »

Anglais, suédois ou fantaisistes ? J’en étais pleinement consciente, ma progéniture portait des noms bien particuliers… Surtout à l’oreille d’un pur français ! « Les trois. Ce sont de vieux noms. » Si en Angleterre leur prénom passaient davantage inaperçu, en France, c’était tout le contraire. Pour eux, les anglais devaient être des John, des William ou des Lily, alors quand leurs oreilles entendaient Snowden et Gardenia… Grandir et vivre dans plus d’un pays était mélangeant : L’on n’arrivait plus à savoir ce qu’était un nom commun ! Je jouai un moment avec les petites mains du bébé avant de faire demander une domestique. Mes enfants devant retourner étudier et moi ayant des questions qui se devaient de trouver réponse auprès de Monsieur de Fréneuse, je les fis quitter la salle après qu’ils eurent salué convenablement l’homme. Honey traina derrière et je cédai à lui offrir un baiser avant qu’il ne reparte rejoindre ses frères.

Je me remis à ma vilaine manie, celle de palpai ma robe sous mes doigts et hésitai avant de me lancer « Vous savez, mes enfants n’ont plus de père. » Je levai les yeux d’un coup, comme alarmée. « Je ne vous demande pas de le remplacer… ou de les traiter comme s’ils étaient les vôtres mais, ils sont encore très jeunes et… » Se rappelleront-ils seulement de leur père ? « Ils auront besoin d’une figure masculine, d’un exemple à suivre jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes des hommes. Seriez-vous prêt à remplir ce rôle ? »
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyMar 4 Déc - 2:30


Les questions venaient, finalement... Jean observait les enfants, silencieusement, un peu comme au zoo il avait jeté un œil au canard échappé et aux autres créatures curieuses. Au fond, Madame von Reutersvärd n'avait pas tellement tort lorsqu'elle s'alarmait : en ce qui concerne l'éducation - ou même le comportement à avoir devant des enfants - Jean était parfaitement novice. Assurément, la situation qu'il s'était choisie était tout sauf facile, et le choix qu'il avait fait tout sauf conventionnel. Pourtant il continuait à penser qu'il s'était épargné des difficultés plus grandes encore. Sans doute s'illusionnait-il ... Une jeune fille qui ne connaissait rien de la vie se serait fait facilement un dieu de cet homme social, charmant et robuste. En choisissant la femme d'expérience, Jean endossait tout un lot de soupçons et de craintes qu'il n'avait pas vraiment imaginées.

- Je ... ferai mon possible, assurément. Je ne vous cache pas que la chose est nouvelle pour moi ; j'ai trop tardé pour prendre une situation. Mais ... je me renseignerai et ferai au mieux.

Un moment, et puis il rajouta avec un air engageant :

- Et puis vous m'apprendrez un peu, aussi. Vous semblez très bien les connaître... ?

Façon indirecte, s'il en est, de demander si elle les voyait souvent. Elle semblait bien différente de toutes ces femmes du monde qui voyaient leur progéniture deux fois l'an, leur offrait une poupée à la Noël et les laissait disparaître, sans un mot, sans un regard, dans les jupes des gouvernantes.
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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyJeu 6 Déc - 13:35

Le père de mes enfants avait vingt sept ans. En effet, vue de cette façon, monsieur de Fréneuse avait peut être tardé pour se décider à prendre une situation. Si un mariage avait lieu entre nous deux, lequel se retrouverait face aux plus de nouveauté ? Il me semblait que j’avais quelques points d’avances concernant la famille, lui en récoltait plutôt du côté des mondanités et des marginalités –à ce qui paraissait.

Alors qu’il émettait l’hypothèse que je connaissais plutôt bien mes propres enfants, j’entrouvris la bouche pour dire quelques sarcasmes ou critiques mais me retint… heureusement ! Marie-Gilbert me renverrait dans ma chambre avant que je termine ma phrase, de toute façon : Combien de fois avait-elle entendu mon discours sur l’importance –nécessaire- que j’accordais à mes enfants ? À chaque fois qu’elle me reprochait de passer trop de temps avec eux –trop de fois, donc. « Très bien. » Snowden aimait capturer de petits insectes, Gardenia attendait secrètement le jour de s’habiller comme ses frères, Honey avait une peur bleue de l’eau et Hansel n’appréciait guère qu’on lève le ton. Quelle mère mondaine se soucierait de ces petits détails qui, pourtant, modelaient la personnalité de futurs citoyens ? Cependant, je ne fis pas part de cet avis très personnel à Jean, mais me contentai d’un bas « …Je n’ai pas trouvé de gouvernante digne de ma confiance. » Et il était évident qu’on ne laissait pas sa marmaille à n’importe qui, surtout si celle-ci devait un jour reprendre le flambeau de la famille. Les gouvernantes avaient la fâcheuse tendance à déborder d’imagination et à inventer des histoires pour que les enfants l’écoute et ne lui désobéissent pas. « Si vous ne faites pas ci, cela sortira d’ici et vous fera ça de très très méchant. » Ridicule !

« Mais il est vrai, bien sûr, que je vous apprendrais. » Je cognai le bout de mes doigts les uns contre les autres. « Cela vous ferait à coup sûr un avantage, lorsque vous serez confronté au futur porteur de votre nom. » Quel drôle de bébé cela donnerait, tout de même. J’hochai la tête, regardai Marie-Gilbert, comme cherchant une réponse dans son regard, qu’ajouter d’autre ? Puis baissai les yeux à nouveau pour souffler « Je n’ai pas d’autres questions, pas pour le moment… Peut-être en avez-vous à mon sujet. » Jean ne me connaissant pas, sa vision de la pauvre mère de famille que j’étais venait peut être de s’embuer après cette visite matinale.

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MessageSujet: Re: Les retrouvailles d'un bourreau involontaire   Les retrouvailles d'un bourreau involontaire EmptyVen 7 Déc - 5:27

De gouvernante digne de sa confiance... Certes. Sans qu'il pût vraiment mettre le doigt dessus, Jean pressentit un problème, une difficulté. Il ne releva pas, cependant, il serait toujours temps d'en parler, en temps voulu. L'usage voulait qu'il visitât sa promise chaque jour - et des fleurs, et des bêtises, ce genre de choses. Tandis qu'elle bavardait - les babillements des femmes ressemblaient aux pépiements des oiseaux qui vous réveillent, à l'aube : aussi charmants qu'ennuyeux. Il se réveilla tout de même quand elle se risqua à mentionner l'idée d'un héritier, et lorsqu'elle s'enquit de ses questions futures.

- Nous aurons tout le temps d'y songer si vous acceptez de me recevoir de nouveau, comme il est d'usage dans ce genre de situations.

Et désignant Madame Pentois, il précisa :

- Votre hôte saura me contacter. Si vous rechignez à me répondre, puis-je simplement vous demander de me faire savoir votre réponse par un intermédiaire, que je ne reste point dans l'ignorance ? Au cas où vous me donneriez votre bénédiction, je ferai tout dans les règles de l'art - ou presque ; soyez-en assurée ! Mais pour l'heure ...

Il se saisit de sa canne, cette fois pour de bon, et se redressa avec lenteur - mais sans trop de difficulté.

- Je vous demande la permission de prendre congé, Madame. Trop d'affaires officielles m'appellent, hélas, dans la cité. - Il eut un geste évasif. - Je vous remercie, Madame Pentois, pour votre hospitalité et votre discrétion, et je vous remercie, Madame, d'avoir daigné m'écouter jusqu'au bout. Je me tiens tout disposé, etcaetera, etcaetera ...

Et il partit, digne, respectable - ou presque - jusqu'au bout des ongles. Mais alors qu'il passait la porte, disparaissant dans l'embrasure, il se tourna vers Catharina et la gratifia d'un clin d'oeil ridiculement appuyé, marque de connivence qui se raillait elle-même, code d'amoureux tourné en ridicule ... Marque de connivence tout de même.

"Ou presque", n'est-ce pas ... ?
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