Journée comme les autres au corps de ballet du Conservatoire national de musique et de danse. Les couloirs du Garnier fourmillent à nouveau de petites bestioles en guêtres et tutus, qui piaillent, sautillent, travaillent - des fois ... En ce moment, on répète La Maladetta. Entre temps, les jeunes filles soufflent au vestiaire, racontent des drôles d'histoires, des contes d'amants cachés, d'amoureux transis et même de lavandières fantômes. Puis la journée suit son cours, la soirée arrive. C'est relâche, ce soir, et les danseuses mettent le nez dehors en début de soirée. Le soleil, cependant, est déjà loin ...

Or Margot fut confrontée à un sacré problème ce soir-là. En effet, quand il faisait noir, elle n'aimait pas rentrer seule. J'y peux r'in mais ça m'fait caner*, avouait-elle, parfois, le rose aux joues, en haussant les épaules. Comble de la malchance : Henriette, sa compagne habituelle, était pas v'nue aujourd'hui : elle posait dans un atelier de peintre - même qu'elle avait drôlement crané, en l'annonçant aux autres. Margot se résignait difficilement, et traînait la patte à la sortie des artistes - minable petite porte dans une cour, à l'arrière du bâtiment, quand, heureusement, elle avisa une autre camarade qui habitait dans le même faubourg et semblait s'apprêter à rentrer.

- Hé, L'onore, ça t'dit qu'on fait l'chemin ensemble ?

Après tout, elle était danseuse, pas spécialiste de la grammaire ...

- On prendra l'omnibus, puis on f'ra l'chemin à deux après, ça ira vite. Tu veux, dis ?

Elle fit une moue charmante, soucieuse que sa camarade - qu'elle connaissait assez peu en vérité - accepte. Personne d'autre ne partirait dans ce sens-là, elle le savait, et les nuits d'hiver ... Non, très peu pour elle. S'assurer une compagnie, c'était avoir un trajet agréable et insouciant comme aux soirs d'été. Puis elles feraient mieux connaissance, discuteraient un peu, puisqu'elle n'avait rien à ...

- Ah, nom d'une pipe !

Le juron fusa soudain et elle rougit. C'était pas l'moment de dire des fouilles*.

- En fait, faut qu'j'passe à l'boulangerie en passant dans l'quartier. Ca t'dérange pas ?

Nouvelle moue suppliante. Elle ajouta même :

- Ca m'f'rait rud'ment plaisir, t'sais.

... Est-ce qu'elle n'en faisait pas un peu trop ? Elle craignit que la camarade ne flaire l'embrouille ...

Spoiler:

Une longue journée au Conservatoire national venait de s'achever et si la musique de La Madaletta - le spectacle du moment - ne résonnait plus entre les murs du Garnier, le silence n'était pas pour autant au rendez-vous. Des vestiaires remplis de jeunes filles aux langues bien pendues, pensez-vous ! On en entendait de belles dans les piaillements incessants des ballerines, qui, sitôt l'entrainement terminé, s'empressaient d'échanger leurs derniers potins. Il fallait bien que ces demoiselles se détendent après ces interminables journées passées à tendre et détendre leurs membres au rythme de quelques accords de violon. Elles finissent tôt ce soir mais l'hiver est bien avancé et la nuit a déjà repris ses droits.

Éléonore ôta rapidement les guêtres roses pâles qui ornaient ses mollets, un sourire aux lèvres. Les bavardages féminins qui jasaient de toutes parts l'amusaient. Elle jeta un regard en coin à quelques jeunes filles, debout à quelques mètres d'elle, qui jacassaient joyeusement. Son regard s'attarda un instant sur les jupons blancs que les demoiselles n'avaient pas encore enlevés puis Éléonore entreprit d'enlever son propre tutu et se changea en vitesse. Accompagnée de quelques autres danseuses fraîchement changées, elle sortit du Conservatoire par la petite porte des artistes, puis adressa un signe de la main à ses camarades avant de partir vers son domicile. Soudain, une voix l'arrêta :

- Hé, L'onore, ça t'dit qu'on fait l'chemin ensemble ?

Éléonore se retourna et vit Margot Chalopin, une gamine un peu plus jeune qu'elle, danseuse elle aussi. Elle ne lui adressait pas souvent la parole mais elle la reconnut néanmoins en un clin d'oeil car elle savait que la jeune fille vivait non loin de chez elle.

- On prendra l'omnibus, puis on f'ra l'chemin à deux après, ça ira vite. Tu veux, dis ? Ah, nom d'une pipe ! En fait, faut qu'j'passe à l'boulangerie en passant dans l'quartier. Ca t'dérange pas ?

Margot adressa un regard mielleux à Éléonore. Cette dernière esquissa un petit sourire. Elle devinait que la fillette n'avait pas spécialement envie d'aller acheter du pain toute seule mais vu la noirceur de la nuit, cela pouvait se comprendre. Et puis, coïncidence, Éléonore avait aussi promis à sa mère de ramener du pain après sa journée de danse et elle n'était pas contre un peu de compagnie pour aller jusqu'à la boulangerie. Au moins ferait-elle plus ample connaissance avec Margot.

- Non, vas, tu ne me déranges pas, j'allais justement moi-même à la boulangerie ! Allons-y ensemble, ce sera plus amusant ! Viens, j'entends l'omnibus qui arrive !

Éléonore saisit le bras de sa camarade et l'entraîna avec elle vers l'omnibus.

Spoiler:

Margot était chanceuse : son interlocutrice accepta ! Son visage s'illumina d'un sourire et elle se laissa guider vers l'omnibus. Les deux jeunes filles pressèrent le pas pour ne pas le rater et embarquèrent de justesse. Restait plus qu'à attendre qu'on arrive ... Margot espérait profiter de ce temps qui leur était accordé pour bavarder un peu, en toute légèreté. Hélas, l'omnibus était bondé et trop bruyant. Cela jacassait à tout va, on s'entendait à peine - pire que le vestiaire que ces demoiselles venaient de quitter, c'était dire ! La jeune fille regrettait par ailleurs de ne pouvoir s'asseoir. Son sac était lourd des affaires de la journées, ses jambes des efforts fournis. Aux virages, pourtant si lents, elle vacillait un peu et, puisqu'elle ne pouvait pas parler, son attention tombait, elle s'endormait un peu. Pour lutter contre cette fatigue qui la gagnait, elle lâcha :

- Pfiou, j'suis éreintée aujourd'hui ! C'était dur, hein ?

Et l'omnibus avançait au rythme tranquille des pas des chevaux. Au fur et à mesure, le paysage se faisait plus familier : les grands immeubles haussmaniens se raréfiaient et les rues se parsemaient de petites maisons toutes simples.

- On arrive presque, on va b'entôt pouvoir s'entendre ! lâcha la jeune fille.

Elle s'élança avec légèreté de l'omnibus à peine arrêté et, ravie, se dirigea vers la boulangerie.

- Bien rasoir, c'te route, j'en ai mal à la tête, pas toi ?

Et elle poussa la porte. Sans prêter attention au boulanger qui s'affairait, dans la boutique, elle s'exclama :

- Une livre de pain, s'iouplé, M'sieur !

Et elle commença à fouiller son sac à la recherche de son porte-monnaie.

Citation :

Je me suis permis de précipiter pour intégrer Jérémie ... et aussi passer plus vite à l'amusant 8D

La nuit était en train de tomber sur Paris, Jérémie, affalé près de son plan de travail, encore couvert de farine, se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire de sa soirée. Peut-être irait-il voir madame x... . Il savait que son mari était absent cette semaine, et qu'elle avait une sainte horreur de la solitude - qui aimerait de toutes façons ?
Il se releva donc, sourire aux lèvres et ôta son tablier qu'il fit valser sur le premier support qui s'offrait à lui. Et avant qu'il n'ait le temps de déguerpir dans les règles de l'art, il se rendit compte du chaos dans lequel il se trouvait. Des miettes de pains au sol et dans le four, de petits restes de pâte non utilisé ici et là, des ustensiles sales et bien évidemment de la farine semée un peu partout dans la pièce... Tout en observant le spectacle qui s'offrait à lui, il se passa une main dans les cheveux avant de pousser un long soupir. Il avait peut-être d'autres projets plus intéressant, mais il ne pouvait pas laisser cette pièce dans cet état. C'était son lieu de travail, et il devrait en avoir l'usage dès demain à la première heure. De gré ou de force tout devait briller comme un sou neuf.

Pris d'un élan de génie (ou plus vraisemblablement de bêtise), il posa lentement ses mains sur ses yeux, en se disant que s'il le souhaitait vraiment, tout deviendrait propre sans qu'il n'ai à faire quoi que ce soit. Comme par enchantement, ou du moins... grâce à une intervention divine, peut-être ? Il resta immobile un instant, les yeux toujours clos, l'air sérieux et posé. Puis murmura doucement Si tu fais ça, j'viens à l'église dimanche. Il retira ses mains et à sa plus grande surprise et contre toute attente... absolument rien n'avait changé dans la pièce. Jérémie fit un large sourire tout en regardant vers le haut, comme pour s'adresser au ciel : P'tet dimanche prochain alors !

Toujours le sourire aux lèvres, pas peu fier de son petit intermède, il commença son ménage. Se hâtant pour ne pas arriver trop tard chez madame x... . Le temps passa bien plus vite qu'il ne le pensait et avant qu'il ne s'en aperçoive il faisait nuit noire et son dur labeur était enfin terminé. Il enfila alors une chemise « propre » (propre est un terme assez relatif dans le cas présent) et se dirigea d'un pas décidé vers la pièce principale de la boulangerie afin de fermer boutique. Mais c'est à cet instant précis que quelqu'un avait décidé de rentrer. Et alors qu'il avait le dos tourné, affairé à ranger le tiroir caisse il entendit la voix d'une jeune fille.

« Désolé, on ferme » fit-il d'un ton qu'il ne se reconnaissait pas, sans même se retourner. Faut dire qu'il était pressé le gaillard, une nuit comme celle qui s'annonçait sa se refuse pas, oh ça non !

Il regrettait l'espace d'une seconde d'avoir été aussi froid, mais cette sensation de regret ne resta pas bien longtemps. Il ne savait pas quand une occasion pareille pouvait se présenter de nouveau. Et puis, il était fermement décidé à partir rejoindre sa dame aussi vite qu'il le pouvait. Il se retourna alors, en se préparant mentalement à faire déguerpir de la façon la plus rapide possible la cliente.

Les sourcils froncés, avec l'air le plus méchant qu'il avait en réserve (un bébé caniche qui essaierait maladroitement de grogner) et commença d'une voix forte (une fois de plus c'était vraisemblablement raté) : « Écoutez je... » Puis il s'arrêta, déconcerté.

À sa plus grande surprise il ne s’agissait pas d'une seule cliente. Non, elle étaient deux, exactement. Et à sa plus grande joie, elles étaient très jolies. Une d’entre elles, avait tout particulièrement attiré son attention d'ailleurs. Alors, comme le grand nigaud qu'il était, il se mit tout simplement à sourire. Que pouvait-il faire d'autre ?

Spoiler:

Le trajet en omnibus ne fut pas des plus agréables. Debout dans un équilibre précaire, les deux danseuses étaient ballottées au rythme de la machine. Éléonore vit bien que Margot essayait d'engager la conversation avec elle mais impossible de discuter tranquillement dans le vacarme qui régnait dans l'omnibus. Si sa compagne de route semblait somnoler, Éléonore, elle, commençait à avoir un sérieux mal de crâne et désirait que leur voyage s'achève le plus rapidement possible.
Margot la prévint soudain qu'elles étaient presque arrivées et elles descendirent toutes deux de l'omnibus, non sans soulagement.

- Quel voyage ! J'en ai mal à la tête moi aussi ! C'est fou, il y a même moins de bruit dans les vestiaires !

Les deux jeunes filles pressèrent le pas vers la boulangerie qui trônait au coin de la rue. La petite Margot ouvrit prestement la porte et demanda un pain de sa petite voix fluette au boulanger. Ce dernier, de dos, visiblement occupé à ranger, ne prit même pas la peine de se tourner vers ses nouvelles clientes.

- Désolé, on ferme dit-il d'une voix aussi aimable qu'une porte de prison.

Éléonore en resta bouche bée. Elle n'avait jamais vu un commerçant avoir un tel manque d'amabilité.
Mais le boulanger semblait bien décidé à fermer boutique. Il se tourna vers elle, les sourcils froncés et commença une phrase avant de s'arrêter net. Il resta stoïque quelques secondes puis un sourire niais se peint alors sur son visage.
Éléonore leva un sourcil et regarda le boulanger d'un air dubitatif. Quel curieux personnage ! Il lui semblait bien simplet, va. Mais elle était dans une boulangerie et ce qu'elles désiraient, Margot et elle, c'était faire ce que tout le monde fait dans un tel lieu : acheter son pain.
Elle se racla la gorge et dit d'une voix quelque peu médisante :

- Et bien, Monsieur, vous fermez boutique ou pas ? Ma camarade et moi aimerions du pain alors il faudrait vous décider !

Elle croisa les bras, une moue boudeuse sur le visage, dans l'entente d'une réponse.

C'était bien leur chance, quoi ! C'était une heure convenable pour fermer une boulangerie ? Margot remarqua l'air dubitatif d'Eléonore (à qui elle adressa une moue de connivence) et avait sans doute une expression du même genre. Elle glissa tout bas à sa camarade :

- Ça, c't'un mauvais apprenti paresseux qu'veut rentrer plus vite chez lui !

Avouons qu'elle n'était pas aussi naïve pour ne pas envisager d'autres possibilités ... mais elle n'était pas assez mal élevée encore pour les formuler sans honte. Quelle folie pourtant, cette innocence qui n'en était pas une, qui savait sans vouloir savoir, et renfermait dans ses silences une expérience trop chèrement acquise ! Bref, les yeux de la ballerine se posèrent sur le pain. Elle ajouta, après Eléonore :

-- En plus, y'en a du pain, là.

Elle pointa un doigt accusateur sur les étalages.

-- Demain, y'sera tout sec, alors pourquoi vous l'vendez pas maintenant, hein ?

Maintenant qu'on était là ... La jeune fille jeta un oeil à Eléonore, et un début de sourire naissait sur son visage. Dans sa vision simple des choses, Margot estimait que c'était déjà gagné.

Il revint à la réalité de façon assez brute lorsque les jeunes filles se mirent à parler. Elles semblaient même se faire quelques messes basses qu'il ne parvint pas à déchiffrer. Il restait muet, réfléchissant à deux fois à la situation. S'il ne décampait pas sur le champs il aurait du mal à s'infiltrer discrètement chez sa dame. Mais en même temps, il avait en face de lui deux – ravissantes - clientes bien décidées à avoir leur dû. Et le leur refuser risquerai de faire mauvaise impression sur la petite boulangerie familiale.Il jeta un coup d’œil à l'horloge qui prônait dans la pièce, avant de répliquer d'un air navré :

- Désolé, j'ai pas l'temps.

Sur ces mots, il se retourna, prit une caisse de farine qui traînait là et la rangea dans une pièce adjacente. Il aurait aimé mieux se comporter avec ses clientes mais l'heure tournait vite à son grand désarroi. Surtout qu'il aurait bien aimé leur parler davantage, en de meilleurs conditions.
À son retour quelques instants plus tard, les deux demoiselles n'avaient toujours pas quittés la boulangerie, à sa plus grande surprise. Cette marque de témérité l’impressionna vivement et le fit gentiment sourire. Mais il tenta au mieux de le cacher, pour ne pas perdre toute crédibilité et ne pour ne pas paraître trop familier.

- Insistez pas... Pis j'ai d'jà rangé le tiroir caisse.

Il se doutait bien que ça n'allais pas s'arrêter là, et il ne savait pas s'il devait en être heureux ou non. La présence de deux charmantes demoiselles avec plaisir, mais la présence de deux charmantes demoiselles légèrement contrariées ça n'annonce pas souvent quelque chose de bon...

Spoiler:

Margot eut une moue méprisante, en le voyant persister. C'était bien la première fois qu'une pareille histoire lui arrivait ! Et elle allait dire quoi à sa mère, si elle ramenait pas de pain ? Avec quoi mangeraient-elles la soupe ? La jeune danseuse, fourbue de sa journée, soupira et commenta la situation, d'un air vexé :

- Pff, ça vend son pesant d'moutarde, ça, tout d'même. Un boulanger qu'ferme à l'heure où les honnêtes gens rentrent, après l'turbin*.

Mais la petite était trop fière pour s'en laisser compter. Elle prit le bras de sa camarade et, bien fort, sans avoir une seconde le dessein de faire changer d'avis ce bridoux*, juste pour montrer son mécontentement :

- Bah ! Y'a pas qu'eune boulangerie dans l'quartier. On en trouvera un' autre, hein, Eleonore ? Pis tant pis pour çui-là, son pain ce sera pour les chiens et les moineaux.

Et elle fit un pas vers la sortie, coléreuse comme seule une gamine crevée peut l'être.

Citation :

* le turbin : le travail
*bridoux : idiot

Quoi?! Allez chez un concurrent?! Lui vivant, jamais! Pis c'était pas recommandé pour deux jeunes filles de se promener seules dans Paris à une heure pareil. Et puis après tout, il n'avait pas été très sympathique avec ces clientes, et il commençait à s'en vouloir.

- Attendez!

Il s'arrêta un instant, il avait parlé sans vraiment s'en rendre compte, comme si les mots lui avaient échappé. Il jeta un coup d’œil à l'horloge, avant de pousser un soupir inaudible. Au point où il en était, autant faire les choses bien. Puis, il pouvait peut-être rattraper le coup avec ces jeunes demoiselles.

- Partez pas, vous avez gagné... Pis pour m'faire pardonner j'vous l'offre le pain.

Il s'arrêta un instant, pas certain que sa proposition ne tienne la route.

- J'peux même vous l'rechauffer!

Sa mère lui avait souvent dit : dans la vie, Goton, faut pas s'laisser faire ! Et les sages conseils de la mère Chalopin semblaient avoir payé, une fois de plus. Lorsque l'inconséquent boulanger les rappela, un grand sourire illumina la figure de la jeune danseuse - envolée, la colère !

- Oh chouette ! Du pain chaud, j'adore ça !

Eléonore, quant à elle, semblait peu convaincue... Margot la poussa du coude, mais elle ne sourcilla pas. Tant pis pour elle, Margot, elle, manquerait pas l'occasion. Mais ... La réserve d'Eléonore, qui était plus âgée et plus expérimentée qu'elle, la fit douter un instant ... La jeune fille demanda donc d'un air suspicieux :

- Mais il est bon au moins, vot'pain ? Z'êtes pas l'même bonhomme que d'habitude, j'me méfie.

Tandis qu'elle parlait, elle entendit la porte de l'établissement claquer derrière elle. En une seconde, elle fit volte-face ... mais elle ne put apercevoir qu'un petit éclat jaunâtre qui s'éloignait dans la nuit, à la lueur des becs de gaze. Cela lui serra le cœur. Éléonore aurait pris congé sans qu'elle ait entendu ? Aurait-elle vu quelque chose qui lui faisait peur ? Margot se retourna vers le boulanger, tout à fait perdue. Elle en aurait presque oublié le pain, pour tout dire ... Et de ses lèvres s'échappèrent ces seuls mots, tout simples dans leur détresse :

- Ah bah mince, elle est partie ...

Et elle se sentait toute petite, infiniment petite, sans sa complice.

Citation :

Et voilà, désolée pour le délai ! Plutôt que de PNJiser Eléonore (et il me semble peu réaliste qu'elle se taise trop longtemps), je l'ai fait s'éclipser sous un prétexte inconnu. Ce sera à elle de déterminer la raison si elle revient ! ^^

Il pensait avoir habilement rattrapé le coup, pourtant une des jeunes demoiselles s'en alla avant qu'il n'ait le temps de sourciller. Il resta immobile sans savoir trop quoi pensé, avait-il été aussi méprisant au point de pousser l'une de ces ravissantes demoiselle à partir sans rien ajouter de plus?

- J'suis désolé, ça doit à être à cause de moi...

Il se sentait honteux, un peu. Mais bon, il pouvait rien y faire. Il allait pas lui courir après, même si l'idée lui avait parcouru l'esprit pendant un instant.
Le silence s'installa sournoisement suit au départ de la jeune fille. Puis tout à coup, il prit une baguette et se dirigea vers une salle annexe, là où se trouvait le four. Il savait qu'il devait y rester quelques braises, et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il y aura une odeur de bon pain chaud qui surplombera la boulangerie.
Toujours situé dans la salle annexe, il éleva légèrement la voix pour que la demoiselle l'entende.

- J'vous réchauffe votre pain, pis j'vous raccompagnerais si vous voulez. Il est tard, vaut mieux pas vous prom'nez toute seule.

- Bah ...

Margot se dandina un peu sur ses pieds - et grimaça légèrement, car le temps aidant, ses jambes s'étaient refroidies ... Ô instant mille fois craint des danseuses, que celui où tout le corps lentement s'endolorit ! Le boulanger, pendant ce temps, mettait sa promesse à exécution ... et Margot huma, non sans gourmandise, l'odeur du pain chaud. Quel plaisir ... ! La proposition tomba alors, comme un petit galet dans le ruisseau ... et la danseuse fut bien heureuse que le boulanger se trouvât dans la salle annexe, parce qu'elle rougit bien fort. A vrai dire, sa crainte de se promener seule dans les rues n'était pas si futile qu'on croit. Margot n'était peut-être pas censée lire les journaux, mais elle savait ce qui s'étalait, de plus en plus souvent, sur la page des faits divers ... Il faisait pas bon d'être une jeune fille seule dans les quartiers de Belleville, ces derniers jours ... Alors, bien sûr, on la gronderait, on jaserait peut-être - et puis, en effet, ce n'est pas très bien de traîner comme ça avec un garçon qu'on ne connaissait pas ... mais elle ne pouvait pas non plus laisser passer l'occasion.

- Euh bah ... J'veux bien, M'sieur. C'est pas très sûr les rues, j'étais fourrée avec 'Lonore pour pas qu'on rentre toutes seules.

Elle eut un petit sourire pour elle-même. Mais la suspicion n'était jamais loin et, timidement, avec une naïveté extraordinaire pour une fille de cet âge et de ce milieu :

- Z'allez pas m'faire d'mal, hein ? Z'êtes pas dangereux ?

A qui pouvait-on se fier, à Paris, de nos jours ... ?

Il se retourna à moitié ahuri par la question que venait de lui poser la jeune fille. Mais en même temps, il avait terriblement envie de rire. Que pouvait-il bien répondre à cela? Même si la question pouvait paraitre légitime, il ne s'attendait aucunement à ce qu'elle soi posée ainsi en toute franchise.

- Non non! Vous méprenez pas mais, j'suis qu'un boulanger...

En même temps... en quoi le fait d'être boulanger était un argument valable? Même s'il pouvait dire qu'il était d'un tempérament relativement passif, était-ce lié à son activité? Il se passa une main dans le cou, avant d'ajouter:

- 'Fin j'veux dire.. j'vais pas vous faire d'mal quoi.

Puis il se retourna et sortit le pain du four. Il l'enroula délicatement dans un morceau fin de tissu pour ne pas qu'il ne se brule et revint au comptoir, près de la jeune fille. Il n'en revenait toujours pas de la question qu'elle lui avait posé. Il lui tendit alors la baguette encore chaude en souriant gentiment, avant de continuer, comme pour la rassurer :

- J'ai pas la tête d'quelqu'un de dangereux, si?

- Baaaah...

Et rebelote. C'est qu'elle avait du bagout, la Goton ! Elle saisit prestement la baguette qu'il lui tendit, sans oublier de ne pas présenter son sou. Ah quand c'était offert, c'était offert, sacrebleu ! Puis elle détailla le visage du jeune homme - qui était plutôt avenant, fallait bien l'dire. Cependant, lui donner raison l'embêtait. Margot, au vu de son âge et de son milieu, avait perdu depuis longtemps déjà une part de naïveté ... et elle était méfiante, un peu sauvage, à l'égard des gens qui n'étaient pas du monde du spectacle - milieu vicié et privilégié à la fois ... Mais malgré elle, elle demeurait naïve, tout de même. Et puis elle avait trop besoin qu'on la rassure, qu'on l'accompagne, qu'on la protège. Puis avec ces gens qu'enlevaient les jeunes filles, maintenant ! C'est les joues écarlates qu'elle finit par répondre, après un long colloque avec elle-même :

- Non, ptête pas. J'veux bien, M'sieur. Z'avez entendu c'qui arrive aux filles seules dans l'coin, non ?

La baguette sous le bras, elle se précipita vers la porte ... et s'arrêta, avec une moue un peu embêtée :

- Ah faut fermer boutique avant, c'est ça... ? Dépêchez-vous, ma mère va encore gueuler si j'rentre trop tard.

... C'est qu'elle était pas un peu gonflée, aussi, la jeune fille. Toujours est-il qu'elle avait beau râler, elle attendit (im)patiemment que le bonhomme ait terminé son affaire, inattentive. Tandis que Jérémie vaquait à ses occupations, elle sautillait sur place, chantonnait - et avait même possiblement croqué un bout de pain en cachette, cédant à la faim qui la tenaillait depuis un moment. C'est lorsqu'ils furent enfin sortis qu'elle demanda, pour faire la conversation :

- C'est quoi vot'nom ? Pourquoi z'étez [sic] si pressés t't'à l'heure ?

Les petits rats sont des animaux naturellement curieux.

Citation :

je me suis permis de faire un peu avancer le schmilblick mais si tu avais prévu quelque chose dans la boulangerie ou que tu trouves que je m'avance trop, j'édite sans souci ! :3

Oui, elle avait raison se promener seule pour une jeune fille la nuit n'était pas vraiment de l'ordre du raisonnable. Mais il avait toujours pensé avoir une tête de chic type. Peut-être devrait-il se faire pousser la moustache pour avoir l'air plus convaincant. Alors que le jeune boulanger rêvassait à moitié, s'imaginant coiffer une moustache qu'il ne possédait pas (encore), la jeune fille se précipita vers la sortie. Il n'eut pas le temps de répliquer quoi que se soit car c'était vraisemblablement elle qui menait la danse. Elle avait l'air assez sûre d'elle pour une fille de son âge, mais ça n'allait pas pour lui déplaire. Il fit un sourire en coin à la suite de sa réplique puis se mit à l’œuvre. Lançant de temps à autres des regards en biais à la jeune fille, qui gigotait tranquillement comme si de rien était.

Il jeta un dernier coup d’œil à l'horloge comme par réflexe, puis quitta la boutique tout en fermant la porte à double tour derrière lui. Ils firent à peines quelques pas avant que la demoiselle ne se décide de nouveau à parler. Il se mit à sourire, et souleva son chapeau tout en mimant ce qui pouvait ressembler vulgairement à une petite révérence.

- Jérémie Londroit pour vous servir mamzelle.

Toujours souriant et bien décidé à ne pas révéler ses plans initiaux à la jeune fille, il s'alluma une cigarette et la plaça nonchalamment à ces lèvres. Il valait mieux garder ce genre de choses pour soi, question de principe. Il lui lança un regard en biais, avant de répliquer. Comme la demoiselle semblait vouloir jouer la carte du culot, il se lança aussi dans cette voie.

- Z'êtes bien curieuse pour une fille qui m'a mêm' pas dit son nom.

Décidément la situation l'amusait beaucoup. Pourtant il se doutait qu'il pouvait perdre les rênes d'un moment à l'autre. Alors il reprit, tout en essayant de lancer "habilement" un autre sujet de conversation :

- J'vous escorte jusqu'où au fait?

Citation :

Non c'est parfait! :) Si jamais tu trouves que ça manque de consistance tu me fais signe j'éditerais ça.

Ah, elle était belle, la révérence ! Amusée, Margot partit d'un petit rire guilleret... peut-être devrait-elle lui apprendre à faire une vraie révérence, en bon petit rat qu'elle était. C'était drôle de le voir, mais tout de même ... Sans un mot pour l'instant, elle répondit avec une petite courbette naïve, elle aussi, qu'elle réalisait avec un recul un peu ironique dont on ne l'aurait pas crue capable ... Et les jupons de mousseline qui lui battaient les mollets faisaient un drôle de contraste avec cette simili-révérence, moins moqueuse que complice.

- Mon nom, c'Margot Chalopin et j'suis quadrille à l'Opéra ! D'ailleurs, j'peux vous apprendre à faire la révérence, ça pourra ptête vous servir !

Même si, à y bien songer, Margot connaissait les saluts féminins, mais non pas les masculins - les hommes ayant déserté l'Opéra depuis bien longtemps à présent... Puis vint une question, centrale... mais qui la mit mal à l'aise.

- Jusque chez moi si ça vous dérange pas - j'suis pas folle, hein, j'sais qu'z'étes occupés, mais j'habite pas très loin... Rue ***, vous connaissez ?

Puis soudain, elle eut un frisson. On aurait pu croire qu'elle avait vu un fantôme, qu'elle venait de surprendre un crime ou toute autre chose gravissime et dangereuse... mais elle ne fit qu'ajouter, d'une voix blanche :

- En fait, ptête plutôt la rue juste avant, ma mère me gronderait rudement fort si elle m'voyait traîner avec un garçon qu'est pas un Monsieur ...

... Réalisant ce qu'elle venait de dire, elle devint rouge comme une pivoine. Les temps changeaient, et les jeunes filles grandissaient, hélas... Si Margot n'avait point de protecteur attitré, elle en avait vu défiler, des vieux barbons, au foyer de l'Opéra... et elle les aimait pas, ces Messieurs tout bien peignés et parfumés, qui puaient de mauvaises intentions à son égard... Et à l'heure où commencent à rêver les jeunes filles, notre petite Margot goûtait bien plus les simplicité un peu brutale des gens comme elle à l'affabilité toute compassée des abonnés de l'Opéra ... Dans tous les cas, elle évitait d'évoquer cet aspect-là devant les gens du commun. Non que cette réalité fût forcément ignorée ... mais elle se sentait bien honteuse tout de même - quand bien même elle n'y pouvait rien.

Citation :

Mais non, comme tu vois, c'est parfait ! J'espère à mon tour te donner assez de matière !

Une danseuse? Il n'avait jamais vraiment eu le plaisir d'en rencontrer. L'opéra paraissait tellement inaccessible pour quelqu'un comme lui. Il ne savait même pas faire une révérence un temps soi peu correcte. Et il n'avait pas la classe ou encore moins le prestige, de tout ces hommes qui se rendaient à l'opéra. À vrai dire, il préférait vagabonder dans les rues de Paris. Tout y étais plus simple, et plus amusant, du moins selon lui.

Lorsque la demoiselle lui indiqua la rue où elle habitait, il se rappela y avoir quelques connaissances. Peut-être passerait-il leur rendre visite, après avoir raccompagné la jeune Margot chez elle. Quoi qu'il en soi, il connaissait cette rue. Paris n'avait pas de secret pour lui, étant donné qu'il passait le plus clair de son temps, lorsqu'il n'était pas dans sa boulangerie, à se balader dans la capitale.
Il desserra légèrement les lèvres, s'apprêtant à répondre mais la jeune Margot reprit la parole aussitôt. Elle semblait d'ailleurs gênée de ce qu'elle disait. Et au fond, c'était tout à fait compréhensible. La bienséance ou quelques autres prétextes du même ordre, ne permettait surement pas qu'une jeune fille se promène ainsi la nuit, avec un garçon rencontré à l'improviste.

- Pas de souci mamzelle.

Il écrasa sa cigarette contre le premier mur qui se présenta à lui avant de la jeter on ne sait où, à l'abord d'un carrefour. Le silence s'installa malgré lui, il ne savait pas vraiment quoi ajouter. Alors, il repensa à la proposition que lui avait faite la jeune demoiselle un peu plus tôt.

- J'voudrais bien apprendre à faire les révérences.

L'idée d'apprendre à faire de vraies révérences, tel un gentleman qu'il n'était pas, était une idée qui lui plaisait assez. Puis après tout, ça pourrait lui être utile auprès des femmes dans des temps plus approprié. Il cherchait au fond de ses souvenirs ce qu'il avait put entrevoir dans la gestuelle d'autres hommes lorsqu'ils se présentait "dignement" à des demoiselles.

- J'dois me pencher, c'ça? Pis faire un mouv'ment 'vec mon chapeau?

Il enleva son couvre chef et mima d'un geste futile et rapide un demi cercle dans les airs. C'était vraiment ridicule, il en riait d'ailleurs de bon cœur. Il n'avait pas grand chose à perdre à faire le pitre ainsi, au contraire, il espérerait gagner la sympathie de la demoiselle.

Citation :

Comme d'habitude, tu me fais signe si tu veux que j'édite :)

Ce M. Londroit était bien drôle à voir, on pouvait lui concéder. Margot pouffa de nouveau, d'un rire de petite fille. C'est fort amusée qu'elle répondit :

- Non, ça c'est si vous êtes un mousquetaire. Mais vous attaquez pas les gens avec vos baguettes, j'crois ? Pis ça leur f'rait pas grand chose, s'raient juste pleins de miettes ...

Sage déduction, mademoiselle Chalopin... Elle se redressa alors, fière de sa stature - c'était qu'elle était plutôt bien faite, Margot, et bien grande.

- J'vas vous montrer.

Elle patienta un peu, le temps que les passants alentours s'éloignent, et plaça ses pieds en cinquième position. Elle était certes en bottines et petite robe du jour, mais ... ça donnait déjà une idée. Elle dégagea délicatement la jambe sur le côté, la passa derrière en un joli rond de jambe - tout en levant le bras droit, et elle fléchit légèrement les genoux, en se courbant.

- Ça, c'est une belle révérence, M'sieur, sans crâner.

Puis elle reprit son chemin, l'air faussement indifférent, un petit sourire fiérot dansant sur ses lèvres. Elle encouragea même Jérémie à la suivre, sans lui laisser vraiment le temps d'essayer à son tour ... Qui sait s'il protesta ou voulut tenter l'exercice ? A vrai dire, dans toute cette aventure, Margot avait juste oublié une chose ... Ce qu'elle montrait avec tant de fierté, c'était une révérence de femme ...

Il croisa les bras, attendant sagement que la demoiselle s'exécute. Il regardait attentivement le moindre de ses mouvements. Avec de louables intentions, pour le début, mais... en moins de temps qu'il le faut pour le dire, son regard dériva discrètement vers des endroits plus subjectifs, dira t-on.
Une fois qu'elle eu finit sa révérence, avec une grâce que nul ne pouvait lui reprocher, elle tourna les talons, pas peu fière d'elle, et il y avait de quoi d'ailleurs.

- Mazette...

Il ne sut quoi dire d'autre, c'est que ça avait l'air assez ardu à reproduire. Il s'attendait à quelque chose de simple, et il n'était pas tout à faire sûr de certains mouvements. Il fallait faire un demi cercle avec sa jambe droite ou.... ? Zut... Alors qu'elle continuait à avancer, il tenta brièvement et sans grand succès de reproduire ma belle révérence de Margot. C'était assez... comment dire... il était content qu'elle n'ai pas vu ça. Il riait de bon cœur de sa piètre imitation, puis la rattrapa avec une petite foulée.

- J'pense que j'préfère ma révérence de mousquetaire!

Dit-il le sourire aux lèvres. Faut avouer qu'elle faisait vraiment plus classe (ou peut-être pas). Quoi qu'il en soi, il ne se risquerait pas à la refaire avant de l'avoir travaillé un peu. Il songeait déjà à s'entrainer dans sa petite boulangerie, à l'abri des regards indiscrets.
Soudain, il reconnu la rue. Ils n'étaient plus très loin de là où habitait la charmante demoiselle.

- Ah... on est bientôt arrivé!

C'est vrai qu'elle n'habitait pas très loin, ce qui explique la brièveté du trajet. Il était un peu déçu car il aurait voulu encore se promener en sa compagnie, du moins un peu plus longtemps.

Yann rentrait du turbin, fatigué comme toujours. Le trajet en omnibus Marcadet – Belleville n’était pas des plus long mais le confort laissait évidemment à désirer !
Lorsqu’il descendit à son arrêt, il inspira profondément et se mit en marche. Il ne lui restait que 5 minutes avant d’arriver chez lui. Le repos était proche !

Arrivé dans « sa » rue, il distingua, un peu plus loin, 2 silhouettes, apparemment un homme et une femme, en train de faire des courbettes ! Il n’était pas habitué à voir ça dans son quartier et cela le fît sourire, d’autant qu’avec ses grands pas, il les rattraperait bien vite, et se délectait par avance, de voir à quoi pouvaient bien ressembler ces nobles visiteurs !

Au fur et à mesure de son approche, il s’aperçut que la silhouette féminine n’était autre que celle de la p’tite Margot, sa voisine et amie et qu’il ne se priverait pas pour la taquiner !
Il pressa encore le pas et à quelques mètres d’eux, s’aperçut que l’homme, habillé simplement, ne semblait être ni bourgeois ni encore moins noble. Alors sa malice s’exprima :

Damoiselle, Damoiseau, je vous souhaite le bonsoir !

Joignant le geste à la parole, il se découvrit le chef en une révérence qu’il espérait du plus bel effet !
Se relevant, il ajouta :

Est-ce bien le lieu, gentilhomme, pour faire la cour à une princesse de l’opéra ?

Il ne se présenta pas directement, espérant que Margot ne vendrait pas trop rapidement la mèche !

Si la gamine s'était déjà rengorgée de fierté, par la seule force de son p'tit orgueil personnel, l'exclamation du boulanger la rendit plus rayonnante encore. A vrai dire, ils en avaient oublié l'étrange bagage de ce petit rat en goguette : réussir à faire une révérence gracieuse en tenant un lourd sac de toile et une baguette de pain relevait de l'exploit, de ces tours de force dont seuls les héros de roman parviennent - rien que ça... Pendant ce temps, ils continuaient à avancer - bien que le jeune homme semblât traîner un peu, vraisemblablement plus si pressé que ça. Tentait-il la révérence dans son dos ? A chaque fois qu'elle se retournait, Margot le voyait simplement se presser pour la rattraper ... et se maudissait pour avoir manqué un spectacle sans doute bien divertissant. A vrai dire, cette atmosphère de légèreté, presque innocente, ne lui déplaisait pas et elle se retint de pousser un Zut ! bien senti quand son compagnon annonça qu'ils arrivaient bientôt ... A croire que Paris la nuit n'était pas aussi effrayant que ça, finalement ...

C'est alors qu'arriva Yann qui semblait vouloir concourir pour le prix de la révérence la plus ridicule. Margot pouffa sans rien dire. Et puis, désireuse de s'amuser - et commençant à peiner sous le lourd sac en toile qu'elle trimballait depuis Garnier - elle répliqua :

- Un vrai gentilhomme, bah il port'rait tout c'barda, il laiss'rait pas la pauv'fille peiner comme ça après une journée d'effort.

Et elle lâcha sur le sol son sac - choc des chaussons de pointe à l'intérieur - avec un petit sourire. C'est comme ça qu'en usent les princesses, justement... non ?

Il sembla que le jeune Jérémie fut bien marri de découvrir ce bonhomme exubérant, qui faisait sourire la danseuse jusqu'aux oreilles... ! Il termina, nous dit-on, le reste du chemin dans une certaine retenue et un certain silence... Pour sûr, il n'était pas chanceux : l'une après l'autre, les jolies danseuses lui avaient filé entre les doigts ! Ça ne valait pas vraiment le coup d'annuler son rendez-vous pour ça, quelle déveine... ! Quant à Margot, elle fut ravie, croyez-le bien, de rentrer chez elle escortée de la sorte. Nul doute qu'entre Jérémie et Yann, il ne pouvait rien lui arriver de fâcheux !