Tout esprit profond s'avance masqué
Description physique & psychologique :
Vous ne la verrez jamais dans les salons. Ni les théâtres ou l'opéra. Tout ça, c'est bon pour les mendiantes des contes et des romans, les mendiantes en carton-pâte qui se révèlent être des princesses qu'on a abandonnés ou enlevés au berceau. C'est pas l'avenir de la Fêlée ça. Point du tout. La Fêlée sa vie, c'est le trottoir avec ses papiers gras, ses journaux et les cornets de frites à deux sous. C'est la boue de la capitale où grouille les rats et les vagabonds.
Mais la vie de la Fêlée n'a pas toujours été celle-ci. Eugénie qu'elle s'appelait. On aurait pu même l'appeler l'Ingénue, tellement elle croyait que la vie était pleine de joie. Que l'avenir avait que des jours heureux. Qu'elle aurait toujours un toit, un feu et de la soupe chaude dans la marmite. Jolie brin de fille, « une brune piquante » comme disent gentiment les ouvriers avec des hanches faites pour les accouchements. La vie à la campagne ça vous fortifie une femme. Puis y a eu le Landreau. Beau garçon, bien bâti, pas méchant. Jamais battu sa femme, toujours respectueux. Lui et l'Eugénie se sont mariés, ont décidé de partir à l'assaut de la capitale, de se faire une place dans le monde. L'Ingénue et Candide marchant main dans la main.
Les temps furent durs. Ils étaient pas les seuls à devoir trimer sans relâche pour espérer avoir toujours du pain sur la table. Mais à deux on réussit mieux à traverser les épreuves. Eugénie aurait bien voulu ajouter un troisième. Pour avoir un peu de vie, des rires, puis pas être seule quand Landreau était à l'usine.
Il arriva jamais le troisième, et ce fut la premier brèche dans la tête de l'Eugénie. Son premier pas vers le rôle de la Fêlée. Une femme qui n'arrive pas à avoir de gosse dans le tiroir c'est pas normal, c'est contre-nature. Elle gagna aussi ce premier réflexe de se tâter toujours le ventre, espérant qu'un jour il y aurait la graine.
La deuxième fêlure elle vint lors de l'accident. Une explosion dans l'usine, des blessés partout, des morts. Quand les copains de Landreau vinrent la voir dans son logis, elle voulut pas comprendre l'Eugénie. Même devant le corps, elle secouait la tête de gauche à droite. C'était fini. Eugénie était morte. La Fêlée prenait les rênes.
Maintenant elle est dans les rues, parlant toute seule, tout haut. Ne remarquant pas les regards qu'on lui lance, indifférente aux autres, vivant dans son monde. Elle est pas méchante la Fêlée, elle a la folie douce. Elle sait même déclamer des poèmes très jolis qui fleurent bon la campagne, l'herbe grasse et le lait chaud. Quand elle a un peu de conscience, qu'elle se débarbouille, elle arrive même à avoir des airs de gentille paysanne sortie d'un tableau. Mais elle a souvent le cheveu décoiffé, le regard brillant comme atteinte de fièvre. Elle se replie sur elle, se cache dans ses foulards. Elle devient la bête qui a peur, qui implore le Destin de plus lui faire du mal. Pas d'enfants, plus de mari, plus de maison qu'elle a perdu elle ne sait comment. Hé quoi, Dieu la déteste tant ? Parfois elle l'implore, baisant la petite croix – son unique bijou – en se balançant d'avant en arrière.
A quoi elle pense la Fêlée ? On ne sait pas, elle ne le sait pas elle-même. Elle ne se souvient pas de son passé, ou plutôt elle en a chaque jour une vision différente. Seuls quelques faits reviennent mais ils sont enjolivés. La Fêlée est parfois une grande actrice qui a connu une passion tragique, un amant mort lors d'un duel, une fuite dans les bas-fonds pour ne pas finir aux mains de l'autre amant si cruel. Ou alors elle est une femme venue d'un autre pays, menée à Paris pour être exposée qui a fui son geôlier afin de reprendre sa liberté. Et tant d'autres histoires nourris par les romans-feuilletons, les faits-divers que la Fêlée lit en ramassant les journaux sur les trottoirs. Puisqu'elle n'a plus de vie, elle s'en invente une.
La lecture c'est un autre moyen de survivre. C'est aussi un pan des souvenirs qu'elle a oublié, un pan de sa vie avant Paris. Dans sa petite campagne, lorsqu'elle était encore toute naïve, Eugénie allait souvent à l'Eglise. On ne pouvait pas trouver demoiselle plus pieuse et dévote. Elle aimait le parfum des offices, le prêtre qui lui apprenait à lire pour qu'elle puisse lire les Saintes Ecritures. Eugénie avait des airs d'ange à l'époque.
La Fêlée ne se contente plus que de survivre. Trouver à manger et un toit pour la nuit sont ses épreuves quotidiennes. Autant elle peut se montrer cruelle envers les autres vagabonds – si promptes à vous jeter dans le fleuve pour un bout de pain rassis – autant elle est d'une gentillesse excessive pour les enfants. C'est son instinct de mère qui parle, cet instinct qu'elle n'a jamais pu assouvir. Elle est prête à donner le pain qu'elle a dûment gagné à un orphelin loqueteux. Elle ne veut pas la mort ou la souffrance d'un enfant sur la conscience.
Si vous vous rendez dans les faubourgs parisiens, vous tomberez sûrement sur la Fêlée. Chantant tout haut des airs inconnus à la sonorité presque turque. Tâchant de donner un peu de grâce à ce corps de femme pour trouver un client, avoir une pièce. Une pièce pour manger, une pièce pour combler le ventre. Il paraît que même lors de l'ouvrage , elle continue à chanter. Comme si elle voulait vous bercer.
Seules les pensées que l'on a en marchant valent quelque chose.
Texte d'introduction au personnage ou Test RP :
Ça tombe encore : de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.
Fille d'ouvriers - Michèle Bernard
Pas grand-monde aujourd'hui et pour cause : hier il y avait eu un incident à l'Opéra et tout Paris courait en savoir plus. Eugénie en avait entendu parler via les cancans que s'échangeaient les autres cocottes de la rue – toutes plus jeunes, plus belles qu'elle. Elles se gênaient pas pour déplorer l'absence de ces messieurs, ça sentait la journée de perdue pour sûr ! Eugénie le sentait aussi, le jour creux. Elle n'attendit pas pour remonter la rue et trouver un autre moyen de subsistance. Voire à faire du rentre-dedans en espérant qu'y aurait bien un homme pour oublier les histoires d'explosif et goûter à du plaisir. C'est que malgré ses trente ans révolus, Eugénie avait encore du charme. Y avait même des jeunes gens qui l'appelaient « La petite maman » parce que paraît qu'elle leur rappelait leur mère avec son âge et ses airs de gentille paysanne. C'était un plus joli surnom que la Fêlée.
Le journal lui fouetta la jambe, lui arrachant un cri de petite fille affolée. Le papier s'agitait comme les ailes d'un oiseau, mais avec la consistance gluante du papier qui a traîné dans le caniveau. Eugénie le prit dans ses mains, le lissa comme elle le put sur son genou, tâchant de déchiffrer les caractères noirs. C'était la une d'un journal à sensation, hurlant déjà au complot anarchiste au sujet de l'accident de l'Opéra. Anarchiste. Eugénie ne savait pas que ça signifiait. Elle savait juste que ça avait un lien avec la politique et la politique, franchement, une femme ne peut pas la comprendre. Puis en quoi ça concernait une vagabonde ? Elle s'en fichait de qui gouvernait. Ça ne changeait rien au fait que le pain, il était pas gratuit.
- Hé la Fêlée ! D'puis quand tu t'nourris d'feuilles de choux ? Eugénie croisa le regard de GrosJean, le chiffonnier. Pas de nom lui non plus, pas d'identité hormis tous les détritus et autres qu'ils récoltaient, comme autant de souvenirs de milliards de vies. Un moyen de se construire une vie en s'inventant des histoires via tous ces débris. La Fêlée ne dit rien, haussa les épaules. Dans ses mains, le journal se froissa, devint un projectile. Elle avait faim mais pas au point de mâcher de l'encre et du papier. Elle lança la boule à GrosJean qui l'attrapa d'un geste leste.
- T'aurais pas un sou à m'filer, GrosJean ? La faim dictait les mots, et la Fêlée n'était pas connue pour aller par quatre chemins.
- Un sou contr'une chanson, répliqua GrosJean en ajoutant le journal à sa masse de papiers.
- C'est qu'ça d'pend ce qu't'entends par chanson... Elle savait, la Fêlée, que les gars aimaient faire pousser la chansonnette aux filles. Et cette chanson-là, elle valait plus d'un sou tout de même.
- M'confonds pas avec t'clients du soir, la Fêlée. Une chanson gentillette, v'la c'que je veux. Gentillette, hein ? Parce qu'il pouvait exister quelque chose de gentil, de doux à Paris ? Eugénie oublia l'odeur fétide de la ruelle et de GrosJean, le ciel tout gris qui annonçait le crachin et qui va la mouiller jusqu'aux os. Elle connaissait pas mal de chansons mais elles étaient souvent tristes, malgré leurs airs gais. Puis elle se souvint d'une petite chanson pour môme, pas méchante pour deux sous et qui donnaient le sourire. Et un sourire ça vaut bien un sou à Paris.
- Ne pleure pas chaussette, nous te raccommod'rons... Av'c du fil de laine ou d'coton... J'veux pas d'laine, ni d'coton. J'veux mon ami fil, c'lui qu'est en bobine ! Elle était dans sa chanson, la Fêlée. Ses yeux noirs s'ouvraient tout grand, elle agitait les mains comme si elle maniait des pantins. Elle devenait elle-même un pantin, se balançant d'une jambe sur l'autre pour rythmer la chanson.
- Et l'on cisailla fil et chaussette avec. Sur l'bord d'une poubelle, un asticot chantait. Chantait les louanges d'fil et de sa chaussette ! On l'applaudit et la Fêlée prit ses jupes entre ses doigts, fit la révérence. La pièce sauta dans ses mains crasseuses, brillante comme une étoile. Elle n'eut pas le temps de remercier le chiffonnier qu'il était déjà, son dos voûté se dessinant à l'autre bout de la rue. Prestement Eugénie mit la pièce dans la poche de sa jupe, celle cousue contre son corps qu'aucun voleur pouvait atteindre. Un sou, c'était peu mais c'était mieux que rien. Un sou valait presque un repas. Un sou ça valait mieux que les Opéras.
(c) Chanson : Variante de Ne pleure pas, JeannnetteTheatrum Mundi
Pour terminer ...
• Pseudonyme : So-chan
• Âge : 21 ans
• D'où nous venez-vous ? J'ai eu vent de la fabrication du forum sur SOS-RPG
• Quelque chose à nous dire ? Je n'ai pas l'habitude des forums historiques, alors j'espère ne pas faire d'erreur grossière. Le personnage a été inspiré par les fameux ouvrages de Zola sans que je ne le souhaite. Ne trouvant pas d'image de "mendiante", je me suis retranché sur un tableau de Delacroix. Je suis preneuse si vous me proposez d'autres sources.