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 Bienvenue dans le monde réel

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Prosper Turnipfield
Un air d'hydrocéphale asperge...
Prosper Turnipfield

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MessageSujet: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyJeu 13 Sep - 5:06

Prosper Turnipfield avait attendu cet instant avec une grande impatience teintée d'un peu d'appréhension. Il était temps de débuter sa vie mondaine à Paris et celle-ci devait commencer au Cénacle de la Forestière. Il avait très vite compris la réputation particulière de ces gens et essaierait de s'y fondre le mieux possible. Le jeune homme avait notamment conscience qu'on se moquerait certainement de ce petit provincial venu d'on ne sait où, et qui disparaîtra probablement aussi vite qu'il est apparu. Pourtant, Prosper ne manquait pas de confiance. Sa mère lui avait assuré que madame Forestier lui ferait bon accueil, en souvenir du passé ; et le garçon avait foi en ses capacités. Il les épaterait.

Cela faisait presque une semaine qu'il attendait dans le petit appartement qu'il louait dans le quartier de l'Opéra. Il s'était bien déjà rendu à l'hôtel particulier du La Forestière mais un majordome lui avait fait clairement comprendre que la dame ne recevait personne et qu'il pourrait tenter de la rencontrer lors de sa prochaine soirée. Néanmoins, le regard hautain que le serviteur envoya à Prosper était sans équivoque : il n'aurait alors aucune chance d'entrer.

Et cet instant arriva très vite. Le soir de la réception, Prosper sonna et attendit fébrilement qu'on vienne lui ouvrir. Il fut rejoint par un couple de bourgeois peu discrets. Ils avaient probablement déjà consommé de l'alcool car la femme ne pouvait contenir un rire hystérique fort désagréable. Le majordome ouvrit la porte et un regard aimable apparut immédiatement. Malheureusement pour Prosper, ce visage cordial n'était pas pour lui car le couple fut immédiatement invité à entrer. Le jeune homme fit un pas de côté pour les laisser passer, alors qu'il pouvait distinguer les bruits de la petite fête à l'intérieur. Puis le majordome se tourna vers lui et lui demanda ce qu'il voulait.

« Je me nomme monsieur Prosper Turnipfield. Madame Forestier est au courant de ma venue. »

Son interlocuteur le toisa quelques secondes, avant de s'absenter. Prosper savait que tout se jouait à cet instant et il ressentit une boule se former dans ses entrailles. L'homme revint rapidement et afficha une expression infiniment plus chaleureuse. Il invita le jeune homme à entrer avant de lui ôter sa veste et son chapeau.

La réception correspondait plutôt bien à l'idée qu'il s'en faisait. Beaucoup de rire, de discussions enflammées, de costumes parfois excentriques et une musique moderne, pour ce qu'il put en juger. Prosper attrapa une coupe de champagne sur le plateau d'un serveur et commença à circuler au milieu des convives. Rapidement, il eut la sensation d'avoir été lâché dans un parc animalier. Dans la cage des fauves... ou des singes, il hésitait. Toutefois, il apprécia immédiatement cette ambiance. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était enfin dans le vrai monde et qu'il allait se faire une place parmi les plus grands. Le garçon eut aussi une pensée pour ceux qui l'avaient accusé de Don-Quichottisme, ceux qui lui avaient dit qu'il se faisait des illusions à essayer de conquérir Paris, qu'il retomberait vite sur terre. Tous des cul-terreux, pensa Prosper. Les moulins à vent, il allait les dompter, et pas plus tard que ce soir-là.

Pendant quelques minutes, le jeune homme continua de déambuler, en ayant bien pris soin de prendre son expression la plus charmeuse. Certes, il récolta bien quelques regards appuyés de femmes intéressantes, mais il estima que le temps du marivaudage n'était pas encore venu. Il cherchait, dans un premier temps, à faire connaissance avec des gens importants, et donc des hommes. Il commençait surtout à obtenir des regards suspicieux, interrogatifs et parfois moqueurs. À moins que l'hôtesse ne fasse rapidement son apparition, Prosper allait devoir trouver quelqu'un à qui parler pour ne pas paraître trop longtemps étranger.
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Absalom "Ulysse" Lion
Facilités de paiement, mais de l'argent. De l'argent, bonne gens!
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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyDim 16 Sep - 12:07

Absalom regarde dans un soupir la place vide dans la voiture en face de lui, son chapeau haut de forme posé sur ses genoux, croisant légèrement les jambes. Contrarié. Parce que tout ne se passe pas comme prévu. Comme il avait prévu. Tout seul. Sans en faire part à sa fiancée. Mademoiselle Devaux, vous êtes peut être une sommité de la société de la Nouvelle Orléans, de par votre fortune mais ici, dans la métropole, à Paris, vous êtes aussi connue que l’homme qui allume le réverbère devant votre appartement tous les soirs et qui l’éteint tous les matins. On sait que vous existez mais on ne pense jamais à vous et surtout on ne connait ni votre nom, ni votre visage. Il n’y a qu’Esther pour croire que c’est un lutin qui allume et éteint les lampadaires de la ville lumière tous les soirs et tous les matins. Brillante idée d’Aviel. Qui aurait pu se taire ce jour-là. Non, ça, Evelyne ne l’a pas intégré. Que sa présence dans les salons commence à être requise. Ou alors, elle le sait mais préfère se laisser désirer... Ou alors … Avec des « Si » et des « Ou alors », on pourrait mettre Paris en bouteille. Une grande bouteille. Evelyne reste pour l’instant une grande énigme, qu’il ne connait que par des lettres, ou que par ce qu’elle a bien voulu laisser paraitre dans cette correspondance. Lui a tenté de plaire en s’intéressant. Ou en faisant semblant, il ne le sait pas lui-même. C’est étrange de se voir imposer celle avec qui il est censé assurer la descendance de sa branche. Mais on ne peut pas forcer Evelyne avec les mêmes moyens que la famille à l’habitude de forcer les gens qui ne vont pas assez vite à leur gout. C’en est même hors de question. Sa mission première étant de séduire la demoiselle pour conserver sa confiance et son emprise au moins jusqu’au mariage. Il a donc dû reprendre son chapeau, s’excusant platement de l’avoir déranger, lui rappelant que si elle avait besoin de quoi que ce soit, il suffisait de le contacter par les domestiques et lui souhaitant une agréable soirée, gardant le masque charmant jusqu’à ce qu’il ait passé le seuil de l’appartement.

La voiture s’arrête devant l’hôtel et Abs consulte sa montre à gousset. A cette heure-ci, les invités doivent être juste avinés comme il faut, c’est à cette heure si que le Cénacle devient d’un intérêt tout particulier. Les écrivains déclament, les esprits s’échauffent et débattent et les gens trop faibles d’esprits sont déjà parti cuver l’alcool sur le chemin du retour. Il en reste toujours un peu, le monde n’est pas parfait . Le majordome l’accueille avec ce grand sourire de théâtre, aimable et distingué, prenant veste sombre et chapeau, le saluant avec déférence par son nom de famille. Monsieur Lion. Absalom Lion, Abs pour les intimes de la famille, jeune homme originaire de la bourgeoisie juive , frère d’une petite étoile est resté dans la carriole pour laisser place à Ulysse Lion, homme tout ce qu’il y a de plus respectable dans cette société parisienne, habitué des lieu , intéressé par les lettres et les sciences , aux paroles calmes et chaleureuses . Paris est une scène, les gens jouent leurs rôles, certains de manières conscientes ; la plupart inconscientes. Le jeu du Cénacle est simple. Se trouver un groupe, s’y greffer et s’intégrer à la discussion. Préférer pour les débutants ou quand on n’a pas envie de se fatiguée un groupe avec deux ou trois visages connus. Qu’on salue avant d’écouter. Il ne tarde pas.

Il offre un sourire, des salutations bien en règle. Monsieur et Madame de M. sont des connaissances de longues dates. De bonnes relations bien utiles et bien arrangeantes sans la méthode forte. C’est un bon point. A conserver dans le carnet des relations. Il demande des nouvelles des enfants et de la famille, se renseigne sur les mariages à venir, les dernières rumeurs de la société, attrapant une coupe de champagne au vol. . Il se renseigne sur l’hôte de ces lieux , s’est-elle montrée aujourd’hui ? Non, apparemment pas , ou alors elle s’est bien cachée Il écoute vaguement par politesse et réponds évasivement aux questions qu’on lui pose. Sa fiancée ? Il faudra attendre, elle ne s’est pas encore remise du décalage horaire et du voyage. Les affaires ? Elles vont toujours bien. Puis un rire moqueur d’une femme du groupe. Regardez-le, celui-là, plantée comme un navet dans un champ. Absalom se retourne et l’aperçoit, l’objet de cette moquerie et ne peux s’empêcher de suivre sa comparse dans un vague sourire court, là où elle rit aux éclats. Il s’éloigne légèrement. Les provinciaux, parce que oui, son air de dadais, son comportement et ses habits laissent forte à penser qu’il n’est pas parisien, sont un amusement rare au cénacle à cette période de l’année. Il s’approche de l’homme, haussant le ton

« Comptez-vous enraciner là , monsieur , ou ferrez-vous preuve de courage en vous intégrant à notre modeste discussion . »

Il boit dans la coupe, faisant tourner le breuvage.

« Je serais curieux de savoir qui vous êtes. »
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Prosper Turnipfield
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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyJeu 20 Sep - 4:46

Dire que Prosper commençait à se sentir à l'aise serait un euphémisme. Les regards de plus en plus appuyés, les rires et les remarques désobligeantes qu'il ne pouvait s'empêcher d'entendre ne l'aidait pas énormément à prendre ses marques... Le jeune homme se sentait rougir. L'idée de quitter les lieux commença à effleurer son esprit. Pourtant, il ne manquait pas d'envie de se joindre à une conversation mais c'était comme se jeter dans la gueule du loup. Un loup qui prendrait le temps de bien vous mâchonner avec délectation avant de vous recracher dans un état de masse sanguinolente. C'était l'image sordide qui vint à Prosper alors qu'une personne se détachait du petit groupe d'où était venu le rire le plus sonore.

C'était un homme assez jeune. Du moins, il lui semblait qu'ils avaient un âge proche. Pourtant celui-ci avait une prestance, une aise, qui montraient un sens aigu de la tenue en société. C'était un habitué, forcément, et son regard un peu hautain, quoique curieux et intelligent, ne dépareillait pas dans le paysage ambiant. Ne détectant pas la pointe d'ironie dans le ton de l'homme, Prosper accepta ce début de conversation comme un don du ciel. Enfin, la porte s'entrouvrait, enfin quelqu'un osait chercher à en savoir plus sur lui. Car le jeune provincial savait pertinemment qu'il intriguait beaucoup de monde et que la moquerie n'était que le reflet d'un intérêt face à l'inconnu. Ainsi, il répondit d'un ton à la fois aimable et sûr de lui.

« Vous l'aurez deviné, c'est ma première visite à madame Forestier. Je prenais mes marques, j'observais. En revanche, j'accepte votre invitation avec grand plaisir. Car je pense pouvoir affirmer que je ne manque point de courage. »

Comme par enchantement, la plupart des conversations voisines avaient sensiblement baissé de volume, comme si tous les convives attendaient avec impatience l'identité du nouvel arrivant... qu'ils se feraient un plaisir de dévorer tout cru ensuite. Prosper en joua et lorsque l'homme élégant lui demanda son identité, il haussa légèrement le ton et utilisa un phrasé grandiloquent.

« Laissez-moi, alors, nourrir votre curiosité. Je me nomme Prosper Turnipfield. Je suis un auteur. »

Pas plus. Juste un sourire satisfait (comment ça un air de dadais?), car il commençait à avoir l'habitude de l'impact que produisait la révélation de son nom, avec ses consonances exotiques, puis de son métier quelque peu marginal.
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Absalom "Ulysse" Lion
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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptySam 29 Sep - 13:17

Nombre de jeunes gens monte à Paris. Nombre d'entre eux se croit avoir un quelque talent, une petite capacité qui leur permettrait de percer la toile qui sépare le monde du quidam du monde des célébrités. Ils arrivent dans la ville lumière plein de rêves et d’espoirs . Et là, grand blanc. Que faire ? Comment se faire connaître ? Comment se démarquer ? Faut-il faire appel aux relations de la famille ou bien sans créer de nouvelles ? Et pour cela, comment ? Maintes et maintes questions qui, quand le sujet ne fait pas preuve d'un peu de débrouillardise, de sagacité, d’insolence ou de roublardise, reste sans réponse. Surtout quand on parle des artistes de lettres et qu'on n'a jamais donné ses textes à lire ou à faire lire à un acteur extérieur. La réalité assomme, va jusqu'à tuer ce maigre talent. On ne s'improvise pas auteur ou poète d'un claquement de doigts. C'est comme entrer en société. Se jeter dans la gueule du loup pour macérer lentement dans son estomac, attendre son heure où l'opportunité de se hisser dans le gosier de l'animal, passé entre ses crocs aiguisés sans se blesser et sans rien y laisser ou presque. Ou alors se laisser digérer lentement mais sûrement espérant qu'un scandale aucune chose en propre ne vous expulse pas trop vite. Idée commune à deux hommes issus de deux contextes bien différents, aux pensées si blanches pour l’un, aux pensées grisonnantes tirant sur le noir par certains moments pour l'autre. Par ce que l’un sait probablement bien mieux rêver sans se laisser envahir à des moments inopportuns, que ces rêves doivent être illuminés et plein de vie alors que ceux du second sont noirs cauchemars, outre-mer envahissant, dévoreurs d'espérance et de lumière, naufrageant en toute pensée se voudrait rassurantes. Mais nous n'en sommes pas là pour l'instant. Absalom n'a aucune raison de laisser envahir ses prunelles sombres de pensées toutes aussi sombres. Non, loin de là, l'assemblée, le cénacle et ses occupants, sa colère précédente, silencieux serpent, contre sa fiancée ou encore le nouvel arrivant ont aiguisé toute sa curiosité, tous ses sens, laissant libres jours au théâtre, au personnage d'Ulysse, à celui des tragédies grecques, de l'Iliade et de l'odyssée n'est plus celui s'installe en ombre fantomatique dans un coin, surveillant, veillant à ses intérêts.

Ne pas rire, surtout ne pas rire. Ne pas se moquer même si le personnage tentateur. Il lance des perches qu'on hésite encore et encore à tirer pour le faire tomber à l'eau de manière ridicule et se donner une bonne raison d'éclater de rire. Une chance que le masque se tienne sans craqueler devant cet homme. Dire qu'il est stupide serait méchant et peut-être faux. Absalom hoche la tête, condescendant à cet homme qui déclare avoir du courage. S'il ne manque pas de courage, selon ses dires, alors il manque d'opportunisme ou même simplement d'initiative. Abs attrape une seconde coupe la tendant à Prosper pour qu'il la prenne.

« Quand vous trouvez seul, sans connaissance aux alentours, dans une réception mondaine ou même au cénacle, prenez un verre ou de quoi manger et allez-vous mettre dans un coin pour attendre un moment propice, un silence dans une discussion autour de vous, pour vous insérer dans celle-ci sans gêner, ni couper la parole. Pour cela, il va falloir que vous appreniez à suivre deux ou trois voir quatre si vous êtes doués, afin de ne pas arriver sans connaissance du sujet. Le mieux, c'est de sembler connaître ce dont on parle, même si on ne connaît ni le sujet premier ni la personne. »

Conseil donné sur le ton de la confidence et du secret. Pourquoi aider ? Parce qu'il est intéressé. Bien que ce jeune homme semble dépourvu de toute connaissance du milieu du salon, il semble suffisamment malléable et de bonne famille pour que lui puisse l’emmener dans son sens, influencer son opinion. Si cela se trouve il n'est pas mauvais écrivain, ce qui sera d'autant plus utile aux intérêts de la famille. Partir à la pêche, comme dit Aviel. C'est ce genre de personnes qui croient vous être redevables pendant des années et parfois toutes votre vie. Autour d'eux, les conversations ont repris leur volume normal. On a retenu le nom de l'arrivant, si jamais on avait pas le croisé ailleurs au plus tard dans la soirée. Abs l'entraîne vers le groupe.

« Je m'appelle Ulysse Lion, je suis, avec ma famille, dans les affaires. Vous êtes écrivain ? Avez-vous déjà publié ? Sur quoi écrivez-vous ? Quels auteurs vous inspirent ou trouvent grâce à vos yeux ? Mme de M. sera ravi de discuter avec vous, elle apprécie les auteurs de ce siècle sans aucune distinction. Elle aime poser aussi quelques indiscrètes questions. N'est-ce pas, ma chère ? »


Cette dernière s’évente, comprenant la plaisanterie avec un rire, demandant sur ce même temps pour qui il voudrait la faire passer aux yeux de l'invité.
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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyLun 8 Oct - 4:45

Peu à peu, les visages curieux se retournèrent. Un intérêt aussi soudain ne pouvait que disparaître aussitôt, surtout si la mise est mort était reportée. L'homme élégant avait réellement sauvé la mise de Prosper et celui-ci eut enfin l'impression d'appartenir à ce monde. Fausse impression en vérité, car il était encore très largement observé par ces gens avides de la première grosse erreur qu'il pourrait commettre... qu'il commettrait forcément. Ainsi lorsque le jeune homme répondit avec fierté qu'il n'avait pas peur, son interlocuteur ne put que hocher la tête avec entendement puis lui tendre une coupe de champagne. Prosper la saisit avec un signe discret de remerciement et y trempa le bout des lèvres, plus par politesse. Il préférait éviter, pour l'instant, les effets de l'alcool qu'il ne parvenait pas toujours à contrôler. Ce n'était pas le moment de perdre le peu de lucidité qu'il possédait. L'homme se pencha légèrement vers lui et lui confia le secret pour bien s'intégrer dans ce genre de réception : savoir parler de tout et de rien avec n'importe qui. À défaut d'absorber du champagne, Prosper but ces paroles. Les habitudes qu'il avait prises chez lui devaient être détruites. Ici, il n'était pas le petit roi. Il n'était rien du tout. Et personne ne viendrait lui parler s'il ne faisait pas l'effort de faire le premier pas... sauf cet homme mystérieux.

Ses motivations restaient obscures, mais le jeune auteur n'en avait cure. Malgré sa prudence, Prosper était opportuniste et ne lâchait pas le morceau si facilement. Il se contenta ainsi de hocher la tête en écoutant les conseils prodigués. Néanmoins, il ne voulut pas passer pour le petit provincial chaperonné et emprunta une attitude fière, torse bombé et tête haute. Il ne pouvait pas croire que son charme, si efficace auparavant, l'avait abandonné. L'homme l'entraîna vers le petit groupe duquel il s'était extirpé pour aller à sa rencontre. La discussion qui avait repris, s'interrompit à nouveaux. Les yeux des autres convives se tournèrent vers le nouvel arrivant. Celui-ci se contenta d'un « Bonsoir messieurs-dames » tout en retenue. Ulysse, puisque c'était son nom, se présenta très brièvement avant d'assaillir le jeune Prosper de questions sur son activité. Il ne se fit pas prier pour satisfaire la curiosité de son interlocuteur.

« Je suis effectivement écrivain, poète, dramaturge, amuseur, auteur ou toute autre appellation qui définirait l'acte de coucher sur papier mes modestes œuvres littéraires. Je n'ai pas encore été publié, mais j'écris depuis fort longtemps et je n'ai jamais pris contact avec un éditeur. J'estimais que mon travail n'était peut-être pas encore assez mûr pour le livrer à un public averti. Toutefois, il m'est arrivé de participer à quelques lectures lors de réceptions et l'accueil a toujours été favorable. Bien entendu, je ne manque pas d'ambition et il est temps pour moi de me faire enfin connaître, d'où mon arrivée ici, à Paris. »

Il marqua une pause et but une longue gorgée d'un air satisfait.

« Depuis quelques mois, je privilégie le théâtre. Je suis actuellement en train d'achever une tragédie qui pourrait bien faire son petit effet, je pense. C'est une histoire d'amour. »

Tout en insistant bien sur les derniers mots, il lança un regard appuyé en direction des dames, notamment la fameuse Mme de M. désignée par Ulysse.

« Mais comme toute histoire d'amour, elle n'apportera que la perte de ses protagonistes. Je ne m'inspire presque pas d'auteurs actuels. La plupart sont surfaits. Ils ne cherchent qu'à choquer la critique en détournant les codes et ainsi provoquer un scandale. Mais quelle est la place de la littérature là-dedans ? Et quel est le rôle du spectateur dans cette prise d'otage, cette surenchère permanente ? Lui donne-ton l'opportunité de ressentir autre chose que du dégoût ? »

Alors que son enthousiasme commençait à le dépasser, Prosper se dit qu'il avait peut-être tort de s'emporter autant contre la modernité du théâtre actuel. Il n'était pas improbable que les personnes qui l'écoutaient actuellement fussent des fervents défenseurs de ce courant artistique. C'est pourquoi il se radoucit, tempéra ses propos et tenta de placer le nom de quelques auteurs à la mode.

« Évidemment, je ne peux pas contester le fantastique travail de certains de mes contemporains tels que Zola, Mallarmé ou Jarry. Je serai prêt à pactiser avec le diable pour n'avoir que la moitié de leur talent. »

Enfin, il conclut sur une petit pirouette pour essayer de taquiner Mme de M. à son tour.

« Si vous avez des questions indiscrètes, Madame, je vous prie de ne point vous gêner. Sachez que l'auteur est familier de se livrer corps et âme... à travers ses écrits. Un écrivain pudique ne sera jamais un bon écrivain. »

Le ton de sa voix était formel : il avait enfin terminé son laïus. Il espérait ne pas avoir été trop ridicule et avoir impressionné les personnes présentes. Il jeta un petit coup d’œil à Ulysse, comme s'il attendait une évaluation de sa prestation.
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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyLun 22 Oct - 2:34

Ecouter, Analyser. Ne surtout pas se laisser aller à la mélancolie qui l’habite. Pas en salon, c’est interdit. Déjà, dans les affaires, cette mélancolie lui a couté un mariage. Son regard balaie la pièce, son oreille se tend aux conversations alentours. La seconde s’attarde comme elle peut sur Prosper et son discours. Franchement, cette présentation lyrique peut impressionner des gens faibles d’esprits ou des gens dans l’ennui est tel qu’un rien les amuse. Les gens des salons font partie de cette espèce, qui ne s’est pas encore lasser. Parce qu’on se lasse vite, voyez-vous. Ce qui est neuf et qui attire votre attention pendant une semaine ou un mois devient passé de mode tellement rapidement que d’autres nouveautés se font attendre. Quand on perd son regard candide, son regard d’enfant, son regard découvreur, tout parait morne et gris. Tout est morne est gris. On se sent obligé de tout calculer, du moindre geste à la moindre parole. On ne tolère ni ses erreurs, ni celle des autres. Mais peut être que le salon retrouvera grâce à ses yeux. L’exercice de style lui toujours plus paru une obligation qu’un amusement, même s’il est beaucoup plus agréable depuis qu’il a quitté le milieu imposé par son père, le milieu de la duchesse de Lambressac. Pour eux, c’est sûr, la nouveauté est un mot honni, un monstre, un fantôme, pire que la bête de Gévaudan. Mais Ulysse n’a pas terminé son voyage, son Odyssée. Peut-être un jour, tu comprendras, Absalom, que la nouveauté ne passe pas forcément par les faits mais aussi par les gens. Par les yeux d’enfants de ta demi-sœur qui balaie le monde qui lui est accessible et qui imagine en couleur et en image le monde que côtoie son frère et auquel elle n’a pas encore accès. Par les yeux de vipère de ta tante, bien décidée à conserver son influence par son neveu, espérant que toute marche comme elle l’entend. Par les yeux ciels de Célestin, pour qui tout opportunité est bonne à prendre et à essayer , et réfléchir aux conséquences quand on a le temps, par les yeux noir d’Evelyne, fraichement débarquée du nouveau monde, qui est son vieux monde et pour qui Paris est une terre nouvelle, à découvrir avec des hauts et ses bas. La ville lumière n’est pas encore grisée. Dans ceux de Prosper aussi. Pour lui aussi tout n’est pas gris. Paris est un moyen où faire connaitre son art. Où tous les mots, toutes les occasions peuvent faire théâtre ou poésie, proses ou vers .

Et voilà Prosper qui cherche une approbation dans ses amandes sombres, une manière de s’assurer que sa mise à scène a été bonne, très surfaite, qui donne à Absalom l’impression d’être professeur, place qu’il exècre au plus haut point. Mais soit. Faisons comme cela, si cela permet de partager un peu de sa candeur sans se bruler les ailes, et si une plume pourra se mettre à son compte. Parce qu’Absalom a une partie de son jugement, de par la culture exposée, de ses gouts et de ses intérêts. Une part d’ombre vieillotte, par son choix de la tragédie et son élocution pompeuse. Une part de lumière de nouveauté intéressée avec ses auteurs et son esprit touche à tout. Alors Absalom penche la tête en opinant discrètement. Ce n’est pas mauvais mais ce n’est pas encore parfait. Pour un début, c’est cependant plus qu’acceptable. Madame de M. lève un instant un regard vers son mari, amusée par la pirouette qui lui a bien plu. Peut-être un sourire plus rassurant que celui qu’offre Monsieur Lion en ce moment-là. Puis elle le questionne. Dans le rayon question indiscrète sans aucune retenue, elle s’y connait. Tout y passe, de l’extraction de ses parents, à ses études, en passant sur son statut marital, ne lui laissant pas le temps de répondre. C’est le côté pipelette et tapageur qui ressort. Même son mari en est gène mais ne sait que faire pour intervenir sans la froisser. Ulysse note. Il y a donc un équilibre de plus en plus fragile. Sachant que c’est elle, qui par sa dot et son fort caractère, tient les cordons de la bourse, voilà qui expliquerait beaucoup de chose dans les démarches de monsieur son mari. Chaque chose dans son temps, on parlera affaire ensuite, dans un endroit dédié à cet effet et avec toutes les clés en mains. Il va encore falloir payer les domestiques.

« Je crois, si je ne m’abuse madame, que Monsieur Turnipfield est venu nous parler de son art .Peut être devrions nous l’interroger plus sur ceci ? Une tragédie, dites-vous ? Mais ces auteurs, en bousculant les codes, ne cherchent il pas à s’attirer les bonnes grâces du public et donc de se faire jouer ? N’est-il pas passé de mode d’essayer de tenir en haleine le public dans une tragédie à la Racine, avec un héros dans lequel on ne se reconnait pas parce que trop peu humain ou au contraire trop réel à nos yeux ? N’est-il pas un devoir de l’écrivain de théâtre d’étonner un spectateur en lui donnant une nouveauté susceptible de lui plaire, comme un courtisan recherche ? »

Petit coup de sonnette avec la réalité . Ou avec un non ? Un refus ? Défends toi , mon garçon, montre ce que tu as dans le ventre .
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Prosper Turnipfield
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Prosper Turnipfield

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MessageSujet: Re: Bienvenue dans le monde réel   Bienvenue dans le monde réel EmptyMar 6 Nov - 3:49

Oh la la ! Qu'elle était loin la légèreté des conversations que Prosper avait lors des réceptions chez lui, en Bretagne... Tout n'était que futilités, plaisanteries et moqueries. Ici, à Paris, il fallait se creuser la tête à la fois pour ne pas paraître idiot et pour essayer de ne pas braquer ses interlocuteurs. On devait donner un avis à la fois tranché et pondéré : un vrai paradoxe.

Heureusement, Mme de M. sembla entrer dans son jeu avec enthousiasme. Elle se mit à le submerger de questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres. Quand Prosper lui avait avoué qu'un auteur était impudique par nature, ses yeux s'étaient mis à briller. Le garçon eut la douloureuse impression d'être la boîte de Pandore. Une légère panique commença à le parcourir. Comment allait-il se sortir de cet embarras ? Monsieur de M. ne semblait pas capable de contrôler le débit verbal de sa femme et Prosper se tourna vers Ulysse qui observait la scène d'un œil à la fois amusé et consterné. Et miraculeusement, celui-ci interrompit la furie dans son élan.

Mais son intervention ne laissa pas de répit au jeune auteur. Il le poussait dans ses derniers retranchements. Prosper devait défendre son opinion alors qu'il n'avait jamais vraiment réfléchi à toute cette problématique. C'est vrai... Il s'était engagé sur cette piste savonneuse juste pour engager la conversation. Et maintenant, il devait argumenter alors qu'il se moquait pas mal de ce qu'était la vraie littérature. Tout ce qui l'importait, c'était la reconnaissance et la célébrité qu'il pourrait récolter avec ses écrits.

Alors, que faire ? Baisser sa garde et céder face au raisonnement de M. Lion ? Ou bien tenir le coup quitte à le froisser ? À bien y réfléchir, l'attitude plutôt détachée d'Ulysse fit croire à Prosper que tout cela n'était qu'un test. Seulement, il ignorait ce qu'il attendait de lui. Bah... autant aller jusqu'au bout et camper sur ses positions... tout en restant souriant et courtois, bien entendu.

« Il y a tragédie et tragédie. Celles de Racine, comme celles de l'Antiquité, proposent en effet des intrigues où les personnages sont froids et distants avec le public. Moi, je veux m'approcher du réel, des sentiments humains qui sont si contradictoires et instinctifs. Je veux en effet tenir en haleine le public, je ne veux pas lui laisser le choix. Il faut que les spectateurs – et les spectatrices (il se tourna aimablement vers Mme de M.) – vivent une réelle empathie pour ceux qui sont sur scène, sans qu'ils n'aient à se forcer... »

Prosper marqua une pause, et trempa les lèvres dans sa coupe de champagne.

« Et voilà où je veux en venir : en bousculant les codes, les auteurs modernes perdent la majorité de leurs spectateurs et ceux qui parviennent à ressentir quelque chose sont ceux qui auront fait l'effort de s'impliquer. De mettre un peu de leur personne. Mais si l'émotion vient du public... Quel est le rôle de l'artiste ? Il se contente de jeter un machin au visage du spectateur en lui disant « Hé, mon ami, débrouille-toi avec ceci ! » Ce n'est pas ainsi que je vois le rôle de l'artiste. C'est à lui de faire le travail. »

Encore une gorgée. Tiendra-t-il le coup ?

« Si c'est moi, en tant que spectateur, qui doit créer ma propre émotion à partir de presque rien... Je préfère observer le vol d'un pigeon, écouter le rire d'un enfant ou caresser la courbure des hanches d'une demoiselle... C'était tellement plus inspirant que le travail de tous ces escrocs. »
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