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 Les derniers mots d'un condamné

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Emeline Le Roux
La fille du capitaine
Emeline Le Roux

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MessageSujet: Les derniers mots d'un condamné   Les derniers mots d'un condamné EmptyDim 8 Juil - 10:41

Après la terrible catastrophe du 8 février 1896, j’avais l’intime conviction que rien ne pourrait assainir le climat de morosité et d’abattement qui régnait alors à Paris. Pouvait-on vraiment guérir d’un chagrin qui vous rongeait les os jusqu’à la moelle en ne laissant en pâture que votre dépouille déchiquetée? Et si votre propre malheur ne suffisait pas à vous anéantir, comment alors ne pas suffoquer et sombrer dans cet océan de mélancolie générale? Le deuil d’un être cher, pour moi, c’est cette fleur qui flétrit dans son vase, mais qu’on continue d’arroser quand même, parce qu’on ne peut pas accepter l’indubitable vérité. Pourtant, je le devrais. J’y étais. Et je sais qu’il y est resté, avec tous ceux que la fatalité a frappés. Rien ni personne n’y changera rien. Enfin, c’était ce que je croyais...

À la fin avril, on publiait dans la Revue mauve une bien étrange lettre. Bien vite la nouvelle se répandit et tout le monde ne parlait plus que de ça : l’identité du responsable de l’attentat était enfin dévoilée. Pour ceux que l’attentat avait fait veuf, veuve ou orphelin, la nouvelle fut un baume sur leur blessure. Le coupable paierait pour son crime. Justice serait rendue. Sauf que pour ma part, la nouvelle me bouleversa plus qu’elle me réjouit. Je connaissais cet homme pour avoir longuement échangé avec lui lors de ce tumultueux voyage vers Trouville... Quoiqu’un peu rustre, il m’était apparu tel un homme généreux et d’agréable compagnie. Il avait été si intéressant d’échanger avec lui sur l’art, le théâtre. J’avais même ri de bon cœur – ce qui n’était plus arrivé depuis si longtemps. Or, il se trouve que cet homme était un assassin. L’assassin de mon mari. Et cela m’était parfaitement incompréhensible. C’était donc qu’il s’était joué de moi, impunément? Qu'il avait orchestré cette mascarade pour paraître distingué aux yeux du monde? À mes yeux à tout le moins... Il n’avait donc été qu’acteur, du premier au dernier acte. Rien dans nos échanges n’avait été vrai.

Évidemment, je n’avais pu faire le rapprochement à l’époque, car aucun indice n’aurait pu mener mes soupçons vers cet artiste de renom. Aujourd’hui, je me rappelle ce que cette petite Sidonie m’avait confié entre deux sanglots alors qu’elle m’avait fait visiter les décombres de l’Opéra. L’homme qu’elle avait vu farfouiller parmi les plans de l’Opéra... ça ne pouvait être que lui. À présent, j’en bouillonnais de rage. M’être laissé tromper, n’avoir pas vu dans ses yeux livides le regard de l’assassin alors qu’il était tout juste en face de moi, dans ce compartiment de train...

Aujourd’hui, 20 juin 1896, Lionel Sylvande paiera pour son crime. Il grimpera sur l’échafaud et se montrera aux yeux du monde tel qu’il l’est vraiment, un criminel. Pour certains, de voir sa tête rouler à leur pied sera suffisant pour tourner la page. Ce n’est pas mon cas. Au-delà du besoin de comprendre, il y a le besoin de s’exprimer. Exprimer cette colère refoulée avec véhémence pour lui faire savoir que son geste n’a pas frappé que « les gens les plus bêtes, les plus mauvais, les plus hypocrites ». Pour qu’il sache que son attentat a bien failli m’emporter aussi, avec mon enfant.

Il ne restait plus beaucoup de temps. Il fallait me dépêcher si je souhaitais m’entretenir avec lui avant son exécution. C’était ma dernière chance. Peut-être cela sera-t-il plus douloureux, peut-être cela ne m’apportera aucun soulagement. Qu’importe, j’avais besoin d’entendre ses justifications de sa bouche et j’avais besoin de lui dire ce qui déchire mon cœur meurtri.

Peu après minuit, vêtu d’une longue cape dont je pouvais rabattre le capuchon sur ma tête, je quittai ma demeure. En effet, il n’était pas question d’attirer inutilement l’attention sur moi avec un chapeau à voilette surdimensionné. Il était pour le moins hasardeux d’errer ainsi la nuit alors il m’avait fallu demander au cocher de me conduire jusqu'à la Place de la Roquette. Il repartit aussi vite arrivé, me laissant seule au milieu de la Place, tel que je l’avais exigé. Il était fort imprudent d’agir ainsi, mais je n’étais pas à ma première imprudence et j’étais persuadée que le jeu en valait la chandelle. Je m’approchai donc lentement des grilles qui me séparaient de la prison dans l’espoir de pouvoir intercepter Lionel avant que la populace n’afflue pour voir l'exécution...
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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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MessageSujet: Re: Les derniers mots d'un condamné   Les derniers mots d'un condamné EmptyLun 9 Juil - 21:16

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Cela faisait longtemps que M. Joseph Renaudot attendait une telle aubaine, et voilà qu'il était investi d'une véritable mision ! Après son impair lors de la similiarrestation de deux dandys étrangers (qu'il eût plus volontiers appelés rastaquouères*), il avait eu du mal à rentrer dans les petits papiers du commissaire. Seulement voilà, en cette nuit du 20 juin 1896, les rues étaient en effervescence et les meilleurs policiers avaient été chargés du transfert de Renaud Berger, depuis Sainte-Pélagie jusqu'à la Roquette. Joseph Renaudot se trouvait à présent être l'un des multiples rouages de l'affaire, et n'en était pas peu fier : il veillait à la sécurité du site de la Roquette. Rien que ça ! Ses moustaches en avaient frémis de plaisir.

A minuit, la place de la Roquette était déjà agitée. On attendait le passage du panier à salade qui amènerait Berger pour monter la guillotine qui attendait, sous bonne garde, dans un hangar voisin. Les premiers curieux installaient des chaises pliantes, amenaient leur petit déjeuner, s'assurant ainsi les meilleures places. A vrai dire, Madame Le Roux eût pu passer tout à fait inaperçue dans cette agitation si elle ne s'était pas tant approchée des grilles, et si sa démarche n'avait pas semblé si hésitante ... M. Renaudot fronça les sourcils et se précipita sur la silhouette encapuchonnée. Une conspiratrice, une anarchiste, sans aucun doute ... !

- Hé ! Toi, là-bas !

Il lui saisit le bras avec fermeté, presque avec violence.

- Qu'est-ce que tu cherches, ma petite ?

Le capuchon tomba et révéla les grands yeux dignes d'une femme endeuillé. Joseph Renaudot ouvrit la bouche de stupeur. Il faudra tout tenter pour essayer de réparer cet ultime impair ...
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MessageSujet: Re: Les derniers mots d'un condamné   Les derniers mots d'un condamné EmptyDim 15 Juil - 9:42

La lèvre inférieure d’Emeline tremblotait. Terrifiée par la violence du gardien à son endroit, elle fixait l’homme devant elle, craignant le pire. C’est alors qu’elle lut la stupéfaction sur son visage. Il ne devait pas s’attendre à voir une femme comme elle sous cette capuche. C’était l’occasion ou jamais de se ressaisir.

    — Savez-vous seulement à qui vous vous adressez? En voilà des manières... Dit-elle, faussement offusquée.


Elle en profita pour se libérer de l’emprise du gardien et rapprocha doucement son visage de la grille pour susurrer sa requête au gardien.

    — Je souhaiterais m’entretenir avec le condamné... Sylvande. Lionel Sylvande. C’est de la plus haute importance. Je suis certaine que vous trouverez un moyen, n’est-ce pas? Lança-t-elle, suppliante.


Elle frottait distraitement l’endroit où l’homme l’avait saisi. Sa peau était encore sensible, ses yeux humides. Elle ne voulait pas rebrousser chemin, bredouille. Il fallait que ça marche...

Spoiler:
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Pierrot Lunaire
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MessageSujet: Re: Les derniers mots d'un condamné   Les derniers mots d'un condamné EmptyLun 16 Juil - 23:11

Les derniers mots d'un condamné Polici10
M. Renaudot était devenu blanc comme un linge. Il balbutia, se confondit en excuses, lissant sa moustache avec frénésie. Bien entendu qu'il ignorait à qui il parlait, c'était bien là le problème ... Un autre impair et c'en était fait de sa carrière, il en était sûr ! Il la laissa se libérer, croisa ses mains, les décroisa ... Mais lorsqu'elle lui chuchota sa requête, ce fut le bouquet. Joseph devint alors rouge comme une tomate. Il réfléchit à toute vitesse, plus vite qu'il n'avait jamais fait de sa vie : on eût presque pu voir la fumée qui s'échappait de son crâne ...

- Oh Madame, c'est pas facile ... Je peux y perdre ma place, dans c't'affaire-là ...

Mais il croisa le regard d'Emeline et quelque chose le persuada car il ajouta aussitôt, plus vite et bafouillant davantage :
- Accepteriez-vous d'être fouillée, loin des regards ? Non que ... J'ai confiance en vos intentions, Madame ... Mais je dois veiller à ce qu'on ne vous ... Qu'on ne profite pas de votre bonté à votre insu. Je ... Vous ôterez simplement votre capeline, votre pudeur ne sera pas offensée.

Un arrangement put être pris, ou qu'il renonça sous la menace, ou qu'elle obtempéra pour le bien de la cause. Cela décidé, il sortit un trousseau de clé ("Madame, veuillez me suivre !") et contourna la prison d'un pas rapide, en empruntant la petite rue voisine. A croire que toutes les découvertes intéressantes étaient réservées à ceux qui dédaignaient les grandes entrées et osaient franchir les petites portes ... Après quelques instants, il s'arrêta et jeta un œil alentours - la ruelle était déserte, par chance ! Vous remarquez alors qui'il s'était arrêté devant une porte minuscule, invisible dans la pénombre. "Attendez ici, je ne serai pas long ..." souffla-t-il. La porte se referma derrière lui.

Il ne vous reste plus qu'à attendre, Madame Le Roux ... Vous entendez deux voix derrière la porte, mais impossible d'attraper au vol le moindre mot ... Peut-être négocie-t-on votre sort ... ? Il vous semble entendre, à présent, un cliquetis de clés ... Quelques minutes plus tard (mais ces minutes-là vous ont sans doute semblé des heures !), M. Renaudot réapparaît. "Fallait que vous soyez de la famille, z'êtes une parente éloignée venue de province, Madame Genlien. Pas beaucoup de temps, quelques minutes tout au plus ... Venez avec moi."Il ne vous laisse pas le temps de répliquer et vous entraîne à sa suite. Vous pénétrez alors dans un lieu froid et sombre, inconnu des femmes de votre monde ...

Un étrange périple commence alors. Vous passez d'abord devant un bureau de bois fatigué, gravé, mutilé par ses nombreux propriétaires. Posée dessus, une lampe à pétrole suintante éclaire le visage tordu d'un homme entre deux âges. Lorsque vous passez devant lui, il vous scrute, vous déshabille du regard, sans un mot. Sans doute note-t-il votre physionomie, pour plus tard. Comme s'il rêvait de vous décrire comme une suspecte, un jour ou l'autre ... Puis c'est un enchaînement de couloirs gris et blancs, toujours plongés dans le noir. La section est silencieuse : le condamné est apparemment emprisonné loin des autres détenus. Puis sans prévenir, Joseph Renaudot s'arrête devant une porte. Il est redevenu pâle, il sait que l'heure est grave et qu'il a peut-être fait une erreur ... Un courant d'air froid parcourt le couloir, dans un sifflement sinistre.

- Me trahissez pas, Madame. Ma vie et la vôtre sont en jeu ...

Puis il frappe trois coups secs à la porte, sort une autre clé, plus grosse que les autres, l'introduit dans la serrure. Le cliquetis résonne d'autant plus fort dans le silence du couloir ... Il ouvre.

- Une visite pour toi, Sylvande.

Et Joseph Renaudot vous laisse entrer - vous pousse légèrement si vous hésitez our refermer aussitôt la porte derrière vous ... Une lampe est allumée et luit faiblement, au fond de la cellule. L'homme assis sur la couchette n'a pas cillé : il semble fait de pierre.
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Est devenu, a vu, vaincra
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MessageSujet: Re: Les derniers mots d'un condamné   Les derniers mots d'un condamné EmptyMar 17 Juil - 1:59

Cela faisait des heures qu'il poursuivait les mêmes fantômes. Plus rien, il pensait n'être plus rien. Fin de partie, fermeture de rideau, avec les huées. Depuis, plus de nécessité de tenir le rôle, mais il avait perdu le reste en route, faute d'y avoir pris garde ... Alors il s'était laissé dériver dans les brumes d'une semi-inconscience, d'un demi-sommeil absurde, sans pensées ni cauchemars. Il avait attendu, avec cet oeil vide de la bête promise à l'abattoir. Il ne pensait à personne - autant son personnage avait noué des liens, par ambition, par nécessité ou même par hasard, autant lui-même avait toujours été seul avec son secret. C'était la rançon des héros et des traîtres ...

Mais il y avait eu la lettre, et son présent dérisoire. Il en aurait hurlé. C'était retrouver tout d'un coup ses sensations, ses souvenirs, ses regrets - toute une vie, qu'il pensait avoir effacée d'un revers de main, qui réapparaissait, plus vraie que nature. Malgré ce qu'il avait cru, il était bien devenu cet acteur ambitieux, encore doux envers les pauvres, plein d'esprit mais respectueux envers les élites, cette espèce de silhouette un peu vague déjà ternie par le scandale et soutenue par quelques uns, malgré tout ... Il pleura beaucoup, cette nuit-là. Puis quand son corps, épuisé par la pauvre nourriture qu'on lui servait, éprouvé par l'arrestation, les interrogatoires, le procès et, plus que tout, par les angoisses, avait fini par lâcher prise, il avait dormi un peu - nuit de l'inconscience - pendant quelques heures. Mais le brouhaha de la place de la Roquette l'éveilla peu avant minuit. Il s'était assis sur sa couchette et demeurait immobile, pris de vertige. C'est à ce moment-là qu'il entendit les coups frappés à la porte. Il crut qu'on était venu le chercher. Que ça finisse.

Il ne réagit pas tout de suite à l'annonce de Renaudot, tout occupé qu'il était à se fortifier contre la mort. Et puis, quand il entendit ce bruit délicat des étoffes, ce frôlement qui semblait si absurde dans l'enceinte d'une prison, il leva les yeux. Eclairé par la faible lampe, il apparut à cette dame bien différent que lors de leur première rencontre : son visage était affreusement pâle, ses traits durcis et une barbe de quelques jours avait recouvert ses joues. Ses yeux clairs, un peu rouges, étaient soulignés de larges cernes. Depuis l'épisode du train, il semblait avoir vieilli de quelques années.

- Vous ! s'écria-t-il, en se levant d'un bond.

C'était Madame Le Roux, la veuve qu'il avait rencontrée dans le train qui les menait à Trouville, lorsque le scandale avait éclaté. Et, perdu, il poursuivit d'une voix forte, où perçait, presque malgré lui, l'habitude prise à la déclamation :

- Oh, sortez Madame, le spectacle est bel et bien fini.

Mais si le ton de la voix pouvait sembler bien assuré et bien théâtral, rien d'autre ne dissimulait plus sa détresse. Madame Le Roux, vous avez devant vous un homme ravagé.
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