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 La Tradition de la nouveauté

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Octave Canard-Mauperché
Encore une victoire de canard !
Octave Canard-Mauperché

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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptyVen 10 Aoû - 1:53

Octave sourit lorsque Jules poussa l'insolence jusqu'à porter un toast à son entreprise. Dix ans seulement séparaient les deux hommes - visons large - mais Jules restait immanquablement du côté de la jeunesse. Il en avait conservé l'audace et le rythme de vie, tout au moins ... Tandis qu'Octave atteignait tristement la pente descendante de la colline ... suivant ses vieux instincts, ses réflexes de pensée ou encore ses habitudes de travail. Il vendait, il imprimait toujours du nouveau ... Mais ses futures linotypes se chargeaient d'être jeunes pour lui ... Il but lentement son verre, pensifs, hochant la tête tandis que Jules parlait. Cependant, la dernière phrase de l'éditeur l'interpela :

- Avec votre goût de l'évenement, vous souhaiterez bientôt qu'il ait publié chez vous ... Mais qu'il ait tout de même fait son attentat. Le succès aurait eu un goût un peu douceâtre, enfin ...

Il adressa à Jules un regard qui signifiait clairement qu'il plaisantait - il ne souhaitait pas avoir maille à partir avec son ami et collègue, après tout ! - puis il reprit, plus sérieusement :

- A vrai dire, une plaquette avec les dernières déclarations de Lionel Sylvande serait intéressante ... Ne serait-ce que d'un point de vue historique. Et il est plus que temps de réimprimer quelques anarchistes.

Il leva son verre à son tour :

- - Du moins, avant que les lois scélérates ne redeviennent d'actualité ! C'est que ces vilains bonhommes ne nous facilitent pas la vie ! A nous, et à notre liberté putative !

Bien qu'il y eût quelque sacrilège à associer les anarchistes de 1896 et la figure ambiguë mais souvent idéale des poètes de la génération précédente ...
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Jules Spéret
La perfection n'existe que dans mon miroir
Jules Spéret

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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptyDim 12 Aoû - 22:58

Ah ! ce brave Octave, avec son espèce d'amertume assumée et distante face au succès de ses collègues plus aventureux et avec son petit ton de reproche, de sarcasme plaisantin... On ne le changerait plus, n'est-ce pas ? De toute manière, Jules Spéret ne pouvait pas nier qu'il y avait au moins un épais fond de vérité dans tout ce qu'il lui disait ainsi : éditer un criminel assumé, un criminel, qui plus est, qui avait été un homme du monde à l'ambition certes dérangeantes, mais un homme du monde tout de même ! Et un acteur du Théâtre d'Art ! Voilà qui serait tout bonnement sensationnel, faramineux et fameux !

Malheureusement, il était à craindre que Jules Spéret dût se contenter de la lettre... Il était déjà suffisamment heureux que Maximilien Debongure eut été sur les lieux pour mettre la main dessus ! Après tout, le véritable destinataire aurait bien pu choisir de tout garder pour lui, sans la révéler à quiconque...

Toutefois, lorsque son ami parla de réimprimer quelques anarchistes, Jules ne put s'empêcher de sourire largement.

" Certainement ! Quand bien même je serais pour un peu de prudence en politique - après tout, certains écrits anarchistes ne sont-ils pas parfois à l'origine de censures ou de lois ? -, je souscris des deux mains à l'anarchie intellectuelle. Nos auteurs d'aujourd'hui ne vont pas tarder à sentir le convenu... "

Oh ! Jules Spéret disait toujours ça. Que "les auteurs d'aujourd'hui ne vont pas tarder à sentir le convenu." Une vieille hantise, toujours présente, jamais crédible, selon laquelle l'innovation cesserait un jour proche... Sans doute son être assoiffé d'inconnu en souffrirait-il terriblement, de cette fin de l'innovation, de ce moment où la littérature et les idées seraient en crise, mais, fort heureusement pour lui, il savait bien que ça n'arriverait pas encore... Tant qu'il y aurait un esprit tordu pour penser autrement, la littérature et les idées ne craignaient pas trop la crise.

Mais lui la redoutait quand même. Rien que pour le principe. Ou pour pousser ses auteurs à aller plus loin, c'était possible aussi.

Le toast étant porté, il avala cul-sec son cognac et remplit à nouveau les deux verres, toujours cogitant au fond de lui sur la possibilité d'avoir un jour une littérature uniquement convenue... Cette idée-là le hantait sans doute un peu trop. Au moins, les générations précédentes avaient eu la chance de connaître de très nombreux auteurs fameux et innovants ! Quelles révolutions littéraires cela avait été, lorsque les romantiques avaient rompu avec le classicisme, que les parnassiens avaient rompu avec le romantisme et qu'enfin, les symbolistes avaient rompu avec les parnassiens ! Sans parler des autres écoles du siècle, bien entendu... Ah ! toutes ces littératures aujourd'hui parfaitement convenues et vieux-jeu, n'avaient-elles pas été révolutionnaires, de leur temps ? Anarchistes ? Libertines ? Innovantes, en somme ?

Certes. Et il lui tardait de trouver un nouvel auteur, un type qui ôterait son bonnet rouge au dictionnaire pour le coiffer d'une couronne de flammes.
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Octave Canard-Mauperché
Encore une victoire de canard !
Octave Canard-Mauperché

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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptyMar 28 Aoû - 1:43

En effet, Jules Spéret disait toujours ça ... Octave refusa un nouveau cognac - c'est qu'au-delà de deux, sa vue se brouillait davantage et il avait une boutique à tenir, que diable ! - et adressa un sourire à son jeune collègue. Il n'était pas aussi catégorique sur la question - mais la même peur et la même ambition le taraudaient. Editer le prochain poète maudit et parvenir ainsi à la gloire pour avoir été celui - le seul ! - à déceler un talent trop nouveau pour être agréable ... Baudelaire, Aloysius Bertrand ... ! Editions censurées, oubliées, raretés futures ! Hélas, la perle rare se faisait attendre ...

- Allons bon, cela viendra ... Je sais que le vers libre a plus de quinze ans ... Cependant, il semble encore nouveau pour presque tout le monde, et même vos lecteurs, bien qu'ils n'osent vous l'avouer, préfèrent sans doute des vers traditionnels. Déséquilibrés, mais traditionnels. Ce qui est drôle, c'est de se dire que la mode est aux contes antiquisants, parmi la jeune littérature : faire semblant de faire de l'ancien pour faire du nouveau ...

Au fond, c'était drôle ... Le XIXe, féru de nouveauté, recréait à partir des mystères de l'Antiquité - ironie du sort. Les nouvelles où l'auteur tirait son argument d'une épitaphe latine ou d'une statuette babylonienne étaient légion ... Peut-être étaient-ils en train de créer un nouveau classicisme ... A plaquer, sous prétexte de fidélité aux anciens, de nouveaux modèles et de nouveaux systèmes de pensée ...

- Vieux, dépassé, n'est-ce pas ? Et pourtant ... Faire semblant, c'est là toute la nuance.

Car Les Chansons de Bilitis et autres romans de moeurs antiques n'étaient au fond qu'un miroir où Paris cherchait sa propre décadence ...

Citation :
Le Mercure de France publie beaucoup de traductions et de contes inspirés de la veine antique. Ainsi Les Chansons de Bilitis et Aphrodite de Pierre Louÿs, les traductions des poésies de Sapho par Lebey ou encore Erythrée et les traductions de Catulle de Tinan. En un mot, ça se publie bien dans le milieu de l'avant-garde et c'est parfois - dans le cas de Tinan en tout cas - l'occasion de jeux formels/pastiches

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Jules Spéret
La perfection n'existe que dans mon miroir
Jules Spéret

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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptySam 8 Sep - 10:50

Faire semblant... sans doute. Accepter la nouveauté avec mille difficultés... sans doute. Pallier ce problème par une production vieux-jeu... sans doute. À vrai dire, l'esprit de Jules était constamment envahi de sans doute pour faire pièce aux doutes de tous types qui l'assiégeaient. D'un côté, il était bien forcé d'accorder aux oeuvres "en vogue" (au sens littérature-avant-gardiste du terme) une place prépondérante ; d'un autre, il n'était encore jamais parvenu à trouver l'auteur qui exaucerait son voeu de renouveler totalement la littérature. Sans doute ce moment n'arriverait-il d'ailleurs jamais dans sa carrière... Triste, désolant, mais réaliste. Alors, il se contentait d'apprécier ce qu'on lui proposait à l'heure actuelle, non sans se gêner de fustiger le trop-plein de conventionalisme lorsque l'occasion lui en était donnée. Après tout...

"À trop faire semblant, on va finir par se prendre au piège, mon bon Octave ! Voilà ce que je redoute... qu'à force de faire semblant de s'y trouver, on finisse par s'y croire... Oh ! pas tous, certes... mais suffisamment d'entre eux..."

Ca aussi, il le ressassait souvent au fond de lui. Que les vieilleries tragiques de Racine et les ratiocinations poétiques de ce stoïcien constipé de Boileau* retrouvent la place qui autrefois avait été la leur au sommet de l'art - au XVIIIe siècle, il y a une éternité ! - en lieu et place de la sacro-sainte Innovation, voilà une idée qui lui était insupportable. Et pourtant ! il avait beau être éditeur, être renommé pour la sûreté de son goût, il n'allait quand même pas parvenir à changer le goût de Paris... Il reprit une lampée de cognac, l'air un peu maussade.

"Enfin bon ! Nous ne sommes que les portes-voix de l'Art, n'est-ce pas ? Soyons déjà heureux de ne pas avoir à transmettre les imbécillités des plumitifs de bas-étage qui ne trouve d'oreille complaisante qu'au son de leur bourse... Et que vive la dissidence artistique, la seule vouée... à l'Immortalité, comme disent les barbons de l'Académie..."

Il avala son cognac d'un trait, posa le verre et ne se resservit pas. Assez bu pour l'instant, il picolerait plus tard.

"Parlons plutôt d'autre chose ! Comment vont les affaires, à la Chimère ? J'ai entendu dire que tu avais reçu quelques propositions d'occultistes..."


Citation :
*L'expression n'est pas de moi, mais de Dassoucy ^^
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Octave Canard-Mauperché
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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptyMar 9 Oct - 4:03

Octave hocha distraitement la tête : les craintes de Jules lui semblaient superficielles. A lui qui avait connu 1870, les monologues intérieurs, antiquailles burlesques et poèmes libres semblaient déjà bien osés, et il préférait qu'on explore à fond ces terrains encore vierges plutôt que de pousser plus avant. Quels explorateurs ne prendraient pas la peine d'examiner et de cartographier les nouveaux territoires ? Aussi accueillit-il assez favorablement le changement de sujet.

- Tu es bien renseigné ! Après, tu sais que je ne m'y intéresse pas plus que cela, mais puisque je vendais déjà les pendules, les tables tournantes ... Je pouvais bien imprimer quelques plaquettes de ces gens-là. C'est peut-être horriblement cynique, mais je fais le commerce des âmes et des croyances, et tout cela pour imprimer de la bonne littérature ... Tu comprends bien que, sinon, je ne pourrais pas faire tourner la boutique.

Il posa son verre également et consulta sa montre, en l'approchant bien près, à cause de sa vue déclinante.

- Nous sommes de bien piètres soldats, mais après tout, nous nous battons quand même ! Je n'imprimerais pas les vaticinations de ces gens-là pour publier du convenu ...

Et, adressant un sourire à son jeune condisciple, il se leva, en reprenant son chapeau.

- D'ailleurs, je dois te laisser. Raymonde tient seule la boutique et je lui ai promis de faire un simple crochet. Les circonstances parlent pour moi mais tout de même ... Elle va encore ronchonner, j'en suis sûr ...

S'il était lucide sur son ménage, Octave eût dû avouer que sans Raymonde, la librairie aurait été fermée depuis belle lurette ! Mais il était admis entre eux qu'elle n'était qu'une simple suppléante, une aide, et que toutes les fonctions de décision lui revenaient. Raymonde, petite dame aux joues rondes, qui respirait la générosité, était la femme parfaite pour un homme comme Octave. Leur mariage, fait sans amour, était des plus harmonieux et des plus heureux. Le caractère doux de la dame et l'aveuglement du bonhomme n'y étaient pas pour rien. Se pressant vers la porte, Octave se retourna une dernière fois vers Spéret, et lança :

- Merci pour le cognac ! Et au prochain coup fourré que tu prépares sans doute déjà !

Un dernier signe, et il partit, étrangement guilleret, vers sa librairie. Cependant, sa gaieté passagère, sans doute aidée par le cognac, laissa bientôt la place à une incompréhensible langueur. Le soir-même, après l'arrestation de Lionel Sylvande, Jules Spéret recevait un petit bleu avec ces quelques mots griffonnés à la hâte :

Citation :
C'est tout de même fou ... Comment un si grand interprète, un artiste, peut-il se tromper à ce point ? L'art n'était donc pour lui qu'un moyen ?

Le dernier mot avait été souligné nerveusement, de travers.
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Jules Spéret
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Jules Spéret

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MessageSujet: Re: La Tradition de la nouveauté   La Tradition de la nouveauté - Page 2 EmptyMer 10 Oct - 10:38

Aux dernières phrases de son ami, l'éditeur - déjà un peu grisé - leva un énième verre, en guise de coup de l'étrier, le but d'un trait et s'en retourna dans la lecture de manuscrits et d'épreuves. C'est qu'il avait encore bien du travail ! Aussi le restant de la journée passa-t-il fort rapidement à ses yeux, jusqu'au soir où il eut la surprise de recevoir un bleu de son collègue. La lecture lui fit froncer le sourcil. Il décida de ne pas répondre : que dire d'autre ? Apporter une réponse à la question n'était pas envisageable. Mais il partageait l'ahurissement douloureux du directeur de la Chimère.

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