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| Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Partir du bon pied Mer 20 Fév - 4:13 | |
| En ce beau dimanche matin de mars, Yann se réveilla tard. Il entendit les cloches de Notre Dame de la Croix sonner 11h. La semaine avait été difficile entre son travail éreintant à l'atelier et les quelques soirées sur la butte. Il s'était surpris la veille à ne pas sortir et à se coucher sagement après un frugal dîner. Ainsi, il avait économisé sous et forces. Et donc, en ce beau dimanche matin, il se sentait bien, reposé, frais, libre, de bonne humeur, prêt à s'offrir une petite promenade parisienne et quelques légumes sur le marché pour la semaine à venir. Il avait quelques sous en poche et l'espoir que la présence du soleil était le signe prémonitoire d'une bonne journée.
Il descendit dans la cour de son immeuble, prit de l'eau à la fontaine, remonta les 3 étages en sifflotant et se lava avec entrain. Il mit des vêtements frais, laissa son chapeau sur la table - pour mieux sentir les doux rayons de soleil - et descendit avec son panier dans la rue.
Les gens qu'il croisa semblaient à peine plus heureux que durant la semaine. "Ils ne savent pas profiter des p'tits bonheurs de la vie" pensait-il. Cela le rendit d'autant plus joyeux ! Certes il n'avait pas grand chose d'enviable, il avait même quelques soucis à régler mais il avait décidé de les oublier pour une journée. Il aurait tout le temps de s'en préoccuper la semaine prochaine. Place à l'allégresse !
Chemin faisant, il regardait autour de lui, les belles maisons cossues, les petites fleurs qui commençaient à pousser dans les jardins. Bien sûr, il regardait aussi les belles demoiselles, et ce, non sans un certain émoi. Et ainsi, de fil en aiguille, il se mit à espérer que, peut-être, l'occasion se présenterait-elle d'engager la conversation avec l'une d'entre elles !
Il déboucha enfin sur le marché... |
| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Ven 22 Fév - 5:18 | |
| Ce dimanche s'annonçait radieux et Félicité s'éveilla de fort belle humeur en cette matinée. Non qu'elle n'appréciât pas son travail ou qu'elle ne mesurât pas la chance qu'elle avait d'avoir cette place, mais il lui était nécessaire de conserver ce jour - cet unique jour - de congé, pour le consacrer à soi ... Elle se leva assez tard, résolue à aller à la messe de 10h plutôt qu'à celle de 6h où il n'y avait personne, et elle prit le temps de confectionner sa toilette. C'est dans une robe d'indienne toute simple, avec un petit bonnet de dentelle sur son chignon blond et une belle capeline un peu usée que Madame lui avait donnée, qu'elle sortit ce matin-là. Le printemps naissant lui donnait du baume au cœur, et elle aussi, elle laissa son regard vagabonder au gré des couleurs timides des petites fleurs des balcons ... Le soleil lui chatouilla le coeur et c'est l'esprit presque trop léger qu'elle se rendit à l'église Notre-Dame de la Croix. Heureusement (?!), le sermon du prêtre vint lui remettre les idées en place, et elle attendit, assagie, de passer dans le confessionnal pour avouer ses pêchés. Elle raconta au pauvre prêtre quelques erreurs, des lassitudes sans gravité, des pensées peu chrétiennes qu'on pardonnait à tout le monde ... avec la sincère conviction d'avoir commis de grands crimes ... Il lui donna l'absolution très dignement et elle s'en fut, rassérénée. Elle en avait presque oublié le printemps - Félicité n'était qu'idéal de conduite, moralisme religieux-social-etc. ... La perfection l'étouffait de ses principes. Elle se prit tout de même, songeuse, à déambuler parmi les allées du marché, se refusant à rentrer ... Se laissant bercer par le soleil du matin. Elle n'avait personne à voir dans la capitale, passant sa vie à l'ombre de femmes plus importantes qu'elle. La cuisinière de Madame *** ne l'aimait pas - elle faisait trop de chichis soit disant - et le valet de pied de Monsieur n'était pas fréquentable - il sortait tard le soir, quand Monsieur était de sortie, et il adressait de drôles de sourire à la Félicité ... Ce faisant, félicité se surprit à s'arrêter devant un étal de rubans et colifichets (hélas, la tentation de la coquetterie, c'était quelque chose, chez une femme ...) mais lorsque la commerçante lui vanta ses produits bon marché, Félicita s'excusa d'un petit sourire : ses bijoux étaient très jolis, certes- trop clinquants en vérité ... - mais elle n'avait pas assez d'argent ... La jeune femme leva alors les yeux, prête à s'éloigner, et ce fut à ce moment qu'elle croisa le regard d'un jeune homme qui errait apparemment sans but, lui aussi. Aussitôt, mademoiselle Félicité baissa les yeux et rougit légèrement : était-ce bien convenable, de soutenir le regard d'un inconnu ?! - Citation :
- (Hors RP) Voilà, ce n'est pas avec ce personnage que je prends les devants, donc je ne te donne pas beaucoup d'éléments, hélas ... Mais promis, je me rattraperai par la suite !
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| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Des gants Lun 25 Fév - 0:36 | |
| - Spoiler:
Le Carreau des Halles. Victor-Gabriel GILBERT
Yann n'était pas perdu sur le marché. Il y était déjà venu quelques fois. C'était un grand marché dans lequel il aimait bien flâner car il y avait, en plus des traditionnels maraîchers, boulangers, bouchers, épiciers, un nombre important de petits commerçants ou artisans qui tenaient un étal. Et bien qu’il n’ait pas assez d’argent pour des dépenses aussi futiles, il appréciait voir et même s’informer sur une belle lampe qui trônait par ici, ou un chapeau distingué posé par là. Il reposait une paire de gant de cuir noir. Il aurait aimé pouvoir se l’offrir car le tanneur lui avait certifié qu’avec elle, le froid n’aurait plus d’emprise sur lui. En plus il aurait éprouvé une réelle fierté à porter des gants si fins et d’une qualité de couture si impressionnante. Mais le prix annoncé par le tanneur était évidemment trop élevé. Ça n’empêchait pas Yann de marchander un peu, pour le plaisir. Il hésita même un instant à se passer de légumes frais (pour un bon moment !) pour se payer ce qu’il imaginait un instant être un passeport pour les grands salons parisiens ! Mais il savait pertinemment que les gants ne suffiraient pas à impressionner la haute bourgeoisie, et que même avec une tenue complète de milord, ses modestes origines seraient un frein à une entrée dans les hautes sphères parisiennes. Alors qu’il allait annoncer à l’artisan son intention d’ « y réfléchir et de repasser plus tard », son regard se dirigea vers l’étal voisin devant lequel se tenait une jeune fille vêtue d’une belle robe, penchée sur des bijoux brillants et qui, lorsqu’elle se redressa, le fixa un instant de ses grands yeux –étaient ils verts ou bleus ?- avant de se cacher derrière sa capeline crème… « Ses gants sont-ils réellement si chics, Mademoiselle ? » Dit-il de sa voix la plus précieuse, celle qu’il utilisait le soir pour faire rire les filles dans les cafés populaires et qu’il croyait, ma foi, assez proche de la réalité de la bourgeoise parisienne. Il avait prononcé cette phrase presque instinctivement, encouragé par ce regard doux et cette attitude timide. Mais l’instant d’après, il en était gêné : n’était-elle pas, elle-même, une bourgeoise ? Habillée comme elle l’était c’était fort possible. Prendrait-elle alors ce ton comme une insulte ? Et si elle ne l’était pas, daignerait-elle lui répondre ? Comprendrait-elle l’ironie de sa question ? Serait-elle trop timide pour relever les yeux vers lui ? |
| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Mar 26 Fév - 1:03 | |
| Le cœur de Félicité fit un bond lorsqu'elle entendit le jeune homme s'adresser à elle. Elle leva de grands yeux effrayés, et chercha autour d'elle pour vérifier qu'il n'y avait point d'autre interlocutrice potentielle ... Hélas, il semblait bien que ce "Mademoiselle" soit pour elle... Elle repose doucement les babioles et cache ses mains dans les plis de sa capeline ... Ciel, pourquoi lui demander son avis... ? Pouvait-elle répondre ? Il ne serait assurément pas poli de passer outre, sans un mot. Le rose aux joues, Félicita répondit d'une voix timide :
- Je ne sais pas, Monsieur ...
Le chic n'était pas le même pour tout le monde, après tout ... Félicité, dans sa petite capeline passée et avec sa robe d'indienne était assurément chic pour une femme du peuple ... mais irrémédiablement simple et paysanne aux yeux d'une bourgeoise. A ce propos, elle ne comprenait pas bien le ton qu'il avait utilisé : elle qui côtoyait des bourgeois à longueur de journée, elle savait bien qu'ils ne parlaient pas comme ça ... mais elle savait aussi que les gens normaux avaient pas ce ton-là ... Elle baissa les yeux.
- Vous devriez demander à d'autres dames plus informées que moi, Monsieur ... Je ne peux pas vous aider.
Et elle fit un pas, prompte à s'éloigner ... Elle se félicitait de sa conduite, de son port modeste, de ses yeux pudiquement baissé ... Et puis non, c'était trop fort. Elle osa encore poser une seule question :
- D'où vous venez, pour parler comme ça ? Je ne connais pas votre accent.
Elle avait naïvement pris pour un provincialisme l'accent précieux de notre bourgeois menuisier. |
| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Mar 26 Fév - 3:07 | |
| Le pouls de ce cher Yann accéléra légèrement. S’il avait été légèrement gauche dans son approche, la réponse de la demoiselle était, en soi, encourageante. Il se souvenait de la petite phrase de sa voisine, amie et confidente, la jeune Margot « Tu peux ben dire c’que tu veux, si tu plais à la fille, elle te répondra ! ». Et elle lui avait répondu ! Elle n’avait point sourit – et encore moins rit ! – mais elle avait tout de même, une fois encore, levé son regard vers lui ! Et il en était tout chamboulé : ces yeux, définitivement plus verts que bleus, heureusement qu’elle les baissait promptement sinon il n’aurait pu continuer à lui parler comme il allait le faire… Il se hâta de poser les gants sur l’étal du tanneur (sans un mot pour lui) et s’adressa de nouveau à la mystérieuse jeune femme, la sentant prête à se sauver ! Mais cette fois, il ne garda que son accent breton et sa verve insouciante…
« D’autres dames ? Vous plaisantez ? Qui pourrait être plus au courant du chic que la jeune fille à la capeline crème ? Vous êtes, je vous l’assure, la plus chic personne qu’on puisse trouver sur ce maudit marché ; Non mais regardez – il s’approcha d’elle, pris son bras sans trop la brusquer, et se tourna alors dans le même sens qu’elle pour lui désigner clients et marchands – voyez-vous quelqu’un de plus chic que vous ici bas ? Pas cette fleuriste et son tablier tout crotté ? Pas cette poissonnière à l’allure de marin ? pas cette… bon d’accord pour cette gente dame à l’ombrelle blanche MAIS QUAND BIEN MÊME, s’emporta-t-il, elle ne peut rivaliser avec – il marqua une pause pour l’observer, et lâcher son bras – avec la blondeur de votre chignon – il adorait les chignons – , la verdure de vos yeux – il tenta sa chance – et la… la ... » . A bout de souffle et en panne d’inspiration il s’arrêta. Il reprit plus bas « Excusez-moi, je me suis un peu emporté, je crois ! Yann Le Guélec, pour vous servir. Je viens de Brest, en face des Amériques… A qui ai-je l’honneur ? » Il voulu se découvrir mais découvrit qu’il n’avait pas mis son chapeau ce matin. Un peu honteux, il rougit à son tour, anxieux de la réaction de la douce inconnue.
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| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Mar 26 Fév - 5:00 | |
| Nul doute que notre tanneur fut bien déconfit ... Félicité aussi sentit bien vite qu'elle n'aurait point dû relancer l'insolent jeune homme. Oh ! c'est qu'elle en avait entendu, des compliments comme cela, quand elle était encore petite bonne à Guiseniers ... et même à Paris, de jeunes hommes tentaient souvent leur chance, bien que plus rarement : la petite Félicité rivalisait mal avec les grandes dames et les filles de métier ... et c'était très bien comme ça ! La demoiselle devint cramoisie devant la dithyrambe de notre galant : hélas, ce n'était plus la douce rougeur de la pudeur qui envahissait si souvent le visage des femmes, c'était de la colère, presque de l'indignation.
- Comment osez-vous, Monsieur... ! souffla-t-elle.
Il était à bout de souffle ? Soit, elle sauterait sur l'occasion. Tandis qu'il esquissait un geste pour se décoiffer, en donnant son nom, Félicité rassemblait ses mots et son courage. Son souffle était court, le combat à mener était rude. Mais ciel ! traitait-on une demoiselle convenable - fût-elle simple bonne - comme cela ?!
- Monsieur, je ne suis pas une de ces jeunes filles frivoles que l'on perd pour quelques compliments. Et vous n'avez même pas de chapeau, est-ce bien convenable ?
Elle jeta un œil anxieux alentours. Et si on la voyait discuter avec un inconnu, que dirait-on ? Madame de *** la renverrait peut-être si de telles horreurs lui parvenaient aux oreilles.
- Pensez si ma maîtresse me voyait avec vous ! Elle me dirait : "Félicité, vous êtes une mauvaise fille, je vous renvoie sans recommandation !"
Ne venait-elle pas de donner son nom et sa condition, par inadvertance ? Tremblante, ses fines mains serrées, comme prête à se battre, elle s'exclama tout aussitôt :
- Je ... Je ... JE NE M'APPELLE PAS DU TOUT COMME CA !
Seigneur, ayez pitié des faibles créatures ... |
| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Mar 26 Fév - 22:17 | |
| Le monde lui sembla s’effondrer. Avait-il déjà ressenti pareille émotion ? A coup sûr, non. En tout cas, à cet instant, il n’aurait pu s’en souvenir. D’ailleurs, il ne pouvait penser à rien. Il était planté là, amorphe, hébété, son sourire disparu avait laissé place à une expression d’incrédulité et de tristesse. Le Goéland, comme il était surnommé, avait les ailes brisées. Les mots qu’elle avait prononcés, résonnaient comme des coups de boutoir dans son esprit : « Comment osez-vous ? », « si ma maîtresse me voyait avec vous », « une mauvaise fille », « PAS DU TOUT COMME CA ». Il lui avait ouvert son cœur, offert des propos pleins de tendresse, de gentillesse et elle lui retournait des phrases de colère, d’antipathie, de haine !
Yann resta un moment là, le corps et le cœur tremblant, incapable de dire ou de faire quoi que ce soit. Ce fût à son tour de baisser les yeux. Lui qui un instant avant était joyeux, fier, enthousiaste en un mot amoureux venait de sombrer dans les abîmes les plus profondes qui lui était possible d’imaginer. |
| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Mar 5 Mar - 4:57 | |
| C'était dans des situations comme celles-là qu'on pouvait mesurer à quel point hommes et femmes, à l'époque, ne se comprenaient pas. A moins que Yann se soit prévalu d'une liberté de mœurs toute populaire et que Félicité, avec ses aspirations plus élevées, ne pouvait plus en entendre parler sans pousser des hauts cris ... Un écrivain sociologue - ou psychologue - eût très bien disserté sur ce malentendu ... Nous nous contenterons d'aller de l'avant ... Félicité jeta un regard autour d'elle, cherchant dans le regard des commerçants ou des passants alentours un encouragement, un assentiment à sa conduite ... Elle fut surprise de voir que tout le monde ... y était indifférent. C'était à peine si son coup d'éclat avait attiré l'attention. Elle se mordit la lèvre, visiblement perdue ... C'est alors qu'une maraîchère, pas très loin, lui lança d'une voix goguenarde : - C't'eune façon d'répond' aux brav'gars ? Ch'candarde, va !
Cela regonfla le coeur de notre petite bonne qui répondit, d'une voix assurée, mais moins haut perchée : - Madame, vous n'êtes pas sans savoir que Monsieur m'a traitée bien légèrement ... Est-ce qu'on doit s'étonner d'être mal reçu quand on traite une demoiselle convenable comme une fille à séduire ?Et d'un air pincé, amorçant son départ : - Vous vous êtes trompé de personne, Monsieur. Je veux bien vous pardonner mais ... - elle hésita, et ajouta d'un air modeste, en baissant ses grands yeux - je ne serais pas contre des excuses ...Si le dragon de vertu s'était calmé, ses principes, eux, demeuraient bien là ... - Citation :
- Chicancarde : dame qui fait des manières
une fille : une fille facile, une prostituée |
| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Malentendu Mar 5 Mar - 21:45 | |
| Alors que Yann pensait voir la belle demoiselle tourner les talons et partir, la voilà qui répondait à une maraîchère venue à sa rescousse. Cela laissa à Yann un instant de répit, un instant pour reprendre ses esprits. Sa tristesse était toujours là mais il arrivait à analyser un peu les choses, à mettre ses idées en place, peut-être pourrait il encore lui dire quelque chose.
Après s’être adressé à la maraîchère, elle se retourna vers lui et lui parla.
Elle voulait bien le pardonner…
Une lueur d’espoir paraissait au bout du tunnel
...Contre des excuses.
Yann inspira longuement, autant pour se donner du courage que pour réfléchir un instant aux mots qu’il allait prononcer, tant ceux-ci semblaient avoir de l’importance pour sa chère (presqu’) inconnue.
Mademoiselle … je … je vous présente mes excuses.
Il avait dit ça lentement, sincèrement, non réellement qu’il se sentait fautif mais comme s’il voulait montrer à la jeune fille qu’il pouvait être « comme il faut ». Il marqua une pause et tenta de justifier son comportement :
J’ai eu le malheur de laisser mon cœur s’exprimer et cela ne semble pas convenir à la situation. Mais j’aimerais pouvoir vous expliquer … Je pense …
Il cherchait ses mots :
…Enfin, j’aimerais vous parler … parce que… enfin … qu’il n’y ait plus de malentendu.
Il venait de trouver le mot qu’il cherchait : « malentendu » ! Encouragé par cette trouvaille, il leva la tête et continua, le sourire revenant peu à peu sur son visage :
Peut-être, pour me faire pardonner, accepteriez-vous, si je remettais la main sur mon maudis chapeau, bien sûr, un rendez-vous plus convenable, bien que je ne sache pas exactement ce qui est réellement convenable, peut-être un café ou une promenade aux Jardins du Luxembourg, j’adore ce parc, qu’en dites-vous ?
Yann était lui-même surpris d'avoir enchaîné les mots jusqu'à cette proposition ! Il commençait à retrouver son entrain… Bien sûr il était encore échaudé par la réaction épidermique de la demoiselle mais il pensait que cette fois, il avait « mis les formes » et qu’il se donnait là l’occasion de dissiper totalement le malentendu. Il attendit, cependant, avec beaucoup d’anxiété cette fois, la réponse de Félicité…
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| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Jeu 7 Mar - 22:50 | |
| Les mots avaient en effet de l'importance pour Félicité. Tout n'était que phrases, circonlocutions, moyens détournés, etc. La jeune femme passait son peu de temps disponible à s'analyser avec une rigueur de moraliste et de religieuse - pensait-elle - et à décortiquer ses petits péchés quotidiens avec un souci du détail qui tenait au mieux de la manie, au pire du vice. Elle hocha énergiquement la tête quand le jeune homme lui présenta ses excuses, et s'apprêtait à partir ... avant de s'immobiliser, dans une grimace, lorsqu'il tenta de s'expliquer. Le pire était que Félicité, dans son orgueil naïf, le croyait, ce bonhomme, lorsqu'il disait avoir fait parler son cœur : elle avait beau rejeter toute vanité visible - colifichets, coquetterie, jeux devant son miroir - il lui semblait tout naturel qu'on se consumât d'amour pour elle après l'avoir simplement vue ... Faiblesse du cœur des femmes !
- Je ...
Elle devait refuser, bien sûr. Elle avait toujours refusé. Elle répondit d'un ton aimable, apaisé :
- Monsieur, c'est hors de question. Je suis sensible à votre effort mais je suis une fille sérieuse, je me dois de refuser ... Au revoir, Monsieur.
Elle esquissa un signe de tête, expression parfaite de cette modestie vertueuse qui était devenue sa ligne de conduite, et elle tourna les talons. Mais elle n'eut pas le temps de faire dix pas qu'un homme visiblement aviné la bouscula par accident et commença à l'agonir d'injures ... Félicité poussa un cri de terreur. Pas un passant, pas un marchand n'avait bougé, tous observant la scène, attendant qu'un autre se décide ... |
| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Ven 8 Mar - 0:13 | |
| Ainsi elle refusa… Aimablement. Mais tout de même, elle refusa. Et cette contradiction entre le fond et la forme laissa Yann perplexe. Il n’était pas abattu, car tout espoir ne semblait pas perdu, mais il était décontenancé. Il aurait voulu lui demander pourquoi une fille « sérieuse » ne pouvait prendre un café ou faire une promenade en sa compagnie mais il n’en fit rien. Il la laissa même clore leur dialogue d’un « au revoir » un peu funeste (aux oreilles de Yann). Bizarrement, lorsqu’elle se détourna de lui, il fit quelques pas, machinalement, comme si son inconscient lui dictait de la suivre, comme si cet espoir qu’il avait, pour ne pas s’éteindre définitivement, passait par le maintien de cette proximité physique.
Dès lors, il fût aux premières loges pour assister à la scène suivante : un ivrogne venait de bousculer la demoiselle et les injures du pauvre bougre pleuvaient en réponse au cri de la belle !
Yann fût sorti de sa marche « somnambule » par cet esclandre. Il ne pût réagir aussi vite qu’il l’aurait souhaité. Mais voir ainsi l’honneur de sa douce bafoué par tous ces noms d’oiseaux l’emmena à accélérer le pas et à bousculer le malotru.
Allez, pousse-toi d’là, scélérat ! LAISSE PASSER CETTE DAME !
Il prononça ces phrases de plus en plus fort. La pression accumulée semblait se relâcher d’un coup. Il était même à deux doigts de frapper l’ivrogne mais il se retint et resta devant lui, comme s’il cherchait l’affrontement mais aussi pour permettre à Félicité d’avancer. Il tournait ainsi le dos à la jeune fille, ce qui l’arrangeait : il n’osait voir sa réaction et surtout, il n’aurait pas voulu que celle-ci le voit dans cet état !
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| | | FélicitéCueillez dès aujourd’hui les roses de la vie
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Jeu 14 Mar - 23:49 | |
| Félicité ne savait plus où se mettre. Dire que tous les regards étaient de nouveau braqués sur elle ... ! Elle se tassait sur elle-même, semblant vouloir couper tout lien avec le monde extérieur. Cet homme si crasseux et qui proférait tant d’obscénités, ce qu'il la répugnait ! La jeune femme était devenue pâle comme un linge... C'est alors que le jeune homme qui l'avait abordée il y a quelques instants s'interposa. Félicité écarquilla les yeux, l'air hagard ... Que devait-elle faire alors ... ? Fuir ? Était-ce moral d'abandonner la seule personne qui semblait se soucier de son sort ? L'ivrogne vacilla sur ses jambes et eut un rictus étrange. Il était sale, mal rasé. Vagabond, chiffonnier, qu'importe, c'était un de ces hommes qui vivaient de rien ou de pas grand chose ... et qui couraient après l'oubli lorsque par miracle un louis d'or leur tombait entre les mains. Félicité tremblait de tout son pauvre corps : ce qu'elle craignait ce monde-là, dont elle avait voulu se préserver à tout prix... Prenant enfin son parti, elle esquissa enfin un pas, puis deux, commençant à avancer, tandis que le bonhomme répliquait d'une voix traînante :
- Si j'tais toi, j'f'rais pas eul... malin. J'en ai rossé des plus gros qu'toi. M'laisse faire ...
Et il fit mine de pousser Yann pour continuer son chemin. Il semblait avoir oublié la petite jeune femme, qui s'était éclipsée en catimini mais guettait l'issue de l'histoire, tapie dans un coin. |
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Ven 15 Mar - 4:46 | |
| Yann était là, debout, fébrile, prêt à bondir au moindre geste dangereux de l’ivrogne. Mais celui-ci ne fit que bavasser avant de s’éloigner dans un geste de mépris. Yann l’aurait presque regretté tant une bonne bagarre eut pu soulager ses nerfs ! Mais il connaissait les alcooliques, il savait bien que le pauvre gars ne lui voulait pas de mal, et qu’il vagabondait là, titubant, espérant tomber sur une pièce de monnaie abandonnée, sans se soucier de bousculer et d’insulter les gens qui se mettaient en travers de sa route.
Une fois l’alcoolique parti, Yann soupira. Il se sentait un peu ridicule : l’alcoolique n’aurait rien fait de mal à Félicité et lui, il s’était mis dans un état incroyable : prêt à se battre. Enfin… Les émotions fortes mènent parfois à des actes incontrôlés.
Se calmant légèrement, il vit devant lui pas mal de gens, clients et commerçants qui le regardaient. La plupart avait l’air éberlué, d’autres, souriant, semblaient approuver son comportement.
Yann attendit encore un instant, tentant de se calmer et de retrouver un peu de sérénité. Alors il se retourna. Il pensait tomber sur le visage de Félicité mais celle-ci avait, semble-t-il, disparu. Il regarda donc autour de lui, espérant que son regard trouverait la capeline crème de Félicité mais il ne la vit pas.
Il l’imagina alors, rentrant chez elle, au milieu du flot des clients du marché. Il se mit sur la pointe des pieds, regardant au loin, penchant la tête de droite à gauche et de gauche à droite pour éviter les chapeaux qui masquaient sa vue. Mais il ne la vit pas. Son cœur se serra un peu. Il perdait espoir. Alors, il se remit sur ses talons et s’apprêta à aller dans la direction que Félicité avait commencé à prendre, avant l'apparition de l'importun... |
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Jeu 21 Mar - 23:14 | |
| Elle attendit un moment, nichée dans son petit trou de souris, tremblante. Il était nécessaire pour elle de se cacher des regards, le temps de reprendre ses émotions. D'un geste, elle sécha une grosse larme qui avait coulé sur sa joue. Elle roula légèrement la tête, pour libérer la tension qui s'était installée dans ses épaules ... Voilà ... Il n'y paraissait plus. Elle se rendit compte alors que le jeune homme qui l'avait importunée ... puis sauvée (sauvée était un peu fort, mais les gens comme Félicité voient la vie comme un roman-feuilleton) était resté immobile et semblait chercher quelque chose ou quelqu'un ... oh, elle se doutait bien qui ! Les convenances exigeaient qu'elle le remerciât, bien entendu ... elle craignait cependant qu'en dépit de ces mêmes convenances, le jeune homme ne revînt à la charge, quand il aurait été du meilleur goût de ne pas insister et de partir, désintéressé - dans un renoncement parfait de soi-même. Hélas, tous les gens n'étaient pas aussi maîtres d'eux-mêmes que Félicité ... (et nous ne faisons que rapporter ses pensées, croyez-le bien) Elle prit tout de même son courage à deux mains, dans une abnégation qui frisait la sainteté. Qu'importe que les gens soient des rustres ! Elle se devait d'honorer sa position et ses principes. Inutile de préciser qu'elle n'avait rien remarqué du trouble qui s'était emparé de Yann, pendant et après l'altercation...
- Monsieur, glissa-t-elle, sortant de sa cachette. Je vous remercie d'être venu à mon secours, c'est très généreux de votre part.
Et c'était tout. Fin de l'histoire, n'est-ce pas ? |
| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Ven 22 Mar - 2:06 | |
| C’est alors que réapparut Félicité, comme par magie. Un petit vent frais souffla dans les cheveux de Yann. L’instant d’avant, il la cherchait, et maintenant qu’elle était face à lui, il ne savait quoi dire. Heureusement, ce fût elle qui parla en premier mais… ce n’était pas les mots que Yann aurait aimé entendre. Et surtout, ils furent dits sur un ton si froid que les derniers espoirs de Yann moururent aussitôt. Il eut à peine le temps de répondre un rapide « C’était rien » que son regard se figea dans une expression de mélancolie. Il baissa les yeux et murmura, en guise de conclusion : Bonne journéeIl n’avait pas le courage d’en dire plus. De mémoire de goéland, on n’avait jamais vu une fille capable d’anéantir si rapidement la joie de vivre de Le Guélec, et Dieu sait qu’il en avait ce matin là, en sortant de chez lui, le cœur léger, le visage tourné vers ce doux soleil de printemps. Il resta alors planté là, comme si le temps s’était arrêté, repensant déjà à l’instant où leurs regards s’étaient croisés et où son cœur s’était trop rapidement emballé. S’autoriserait-il un dernier regard vers elle lorsqu’elle tournerait les talons ? Aurait-il l’audace de tenter un dernier baroud d’honneur avant que la fille à la capeline crème ait totalement disparu ? - Spoiler:
Nous le saurons au prochain épisode (mode roman photo )
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| Sujet: Re: Partir du bon pied Ven 22 Mar - 22:53 | |
| Et là, un petit miracle se produisit. La jeune femme haussa les sourcils et eut un grand sourire, visiblement soulagée. "Bonne journée à vous aussi !" répondit-elle d'un petit signe de tête, avant de reprendre le chemin de chez elle. Elle était songeuse, assez distraite ... Elle retourna, à pieds, avec une lenteur nonchalante, la maison de Madame de ***, qui résidait du côté du Théâtre d'Art, place du Palais Bourbon. Alors qu'elle approchait, un coup de tonnerre retentit et elle pressa le pas, s'abritant sur sa capeline. Hélas, lecteur - ... pas - nous ne nous attarderons pas sur les pensées éparses qui roulaient dans la tête de cette étrange jeune fille. Paradoxalement, elle regrettait un peu que ce rustre jeune homme n'ait point insisté, mais en même temps, s'il avait réitéré sa proposition, elle l'eût trouvé importun et opposé un refus tout net. Alors ... ? Elle poussa bientôt la porte de service du bâtiment où résidait Madame de ***, ôta sa capeline trempée - hélas, elle était bien abîmée à présent ! et passa dans la cuisine où la grosse Marianne et Michel, le valet de pied, prenaient le café. Ce dernier accompagna le retour de Félicité d'une moquerie bien sentie, pointant le fait qu'elle rentrait plus tard que d'habitude de sa virée dominicale. Elle répondit d'un ton hautain et monta dans sa petite chambre, où elle se sécha comme elle put, avant d'aller prendre le café à son tour, avec du mauvais pain. Rêvant aux douces confitures que Madame goûtait avec un plaisir évident, chaque matin ...
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| | | Yann Le GuélecIls ont des chapeaux ronds...
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| Sujet: fin Dim 24 Mar - 23:00 | |
| Félicité lui souhaita une bonne journée et partit. Yann la regarda un petit moment s’éloigner, se mêler à la foule parisienne et disparaître.
Et ce fût tout. Un grand vide emplit l’esprit de Yann. La discussion et la rencontre avait enfin trouvé son terme. Il en était soulagé.
Il se retourna et partit vers chez lui, sous les nuages qui se rassemblaient rapidement au dessus de lui. Il n’acheta pas les légumes qu’il avait imaginés en partant ce matin, mais juste une pomme, pour grignoter sur le chemin du retour et s’occuper un peu. Mais chemin faisant, il ne pût s’empêcher de repenser à Félicité. S’il était sûr qu’elle n’était pas du genre à se laisser aborder sur le marché, il ne savait pas si dans d’autres conditions, il aurait eu sa chance… Certains détails dans son attitude plus que dans ses paroles (!), laissaient à Yann un goût d’inachevé. Mais, sachant qu’il n’avait aucun moyen sûr de la retrouver, l’espoir qu’il conservait était très mince !
Les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber. Paris retrouva sa teinte maussade. Yann rejouait la rencontre :
Au diable les conventions, vous êtes jeune, vous devriez écouter votre cœur plutôt que ce que la morale vous dicte de penser ! Votre patronne peut bien vous renvoyer, vous n’aurez pas de mal à retrouver une autre maison…
C’est ce genre de phrases, travaillées et retravaillées qui occupèrent son esprit jusqu’à son immeuble. Il les fignola sous l’orage, jusqu’à ce qu’il ne trouve à Félicité aucun argument pour le rejeter. Lorsqu’il poussa la grille, trempé, il se dit qu’avec un peu de chance, le destin la ramènerait un jour à lui, et qui sait, peut-être se souviendrait-il de ces mots.
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| Sujet: Re: Partir du bon pied | |
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