J'aime me promener dans Paris. J'ai toujours aimé Paris, sa puanteur, son effervescence, ses rues sales et sombres. Surtout à la sortie des ouvriers. J'aime observer les gens, leur démarche, leurs manies, le poids de leurs soucis. La Seine prend aussi une place importante dans ce que j'aime à Paris. Cette eau sale et couleur céladon. Elle m'envoute, m'hypnotise.
Il y a bien autre chose que j'aime aussi à Paris ; l'art. Tous ses théâtres, ses opéras... Ce monde me fascine. Je ne me sens pas à ma place là où je vis. Je suis une habituée des places puantes, des rues sales où tout le monde jette ses ordures. Les gamins crient, les femmes travaillent et se morfondent dans leurs petites chambres, les hommes partent à l'aube et ne reviennent que le soir, tard dans la nuit et ivre, après avoir senti couler à flot cette liqueur si dure et commune à tous.
Moi, je ne me sens pas faite pour ce monde de débris. Je m'émerveille devant les femmes artistes. Je suis subjuguée par tant de grâce et de force mélangé. Ce monde d'apparence et de privilège.
Mais je sais que j'y arriverai.
En cette fin d'après-midi-là, je me souviens très bien, je m'étais encore aventurée près de l'opéra Garnier. Je l'aime tant. Je le trouve d'une beauté presque irréelle. Et ce qu'il s'y passe à l'intérieur est un tel mystère pour moi que j'en viens à le fantasmer. Je m'imagine des scènes d'une mélancolie incroyable. Je m'imagine en train d'y rire à gorge déployée au côté d'un homme bien placé.
En cette fin d'après-midi-là, le temps était étrange. Les relents de la Seine me parvenaient jusque-là. Il y avait un froid sec qui me glaçait les sangs. Mes doigts étaient presque figés. Je me suis assise sur un banc, non loin de l'entrée, et j'aimais y regarder les hautes gens qui s'y étaient donné rendez-vous. La nuit approchait, et malgré le froid à chaque minute toujours un peu plus mordant je restais là, moi-même figée par la fascination. Toutes ces jolies toilettes, et ces jolis costumes...
Ma mère allait m'attendre. La pauvre était malade. Pour une fois, je comptais sur mes frères pour s'occuper du repas. J'allais certainement me faire enguirlander. Tant pis. Je prenais le risque.
Les affiches sur la devanture annonçaient que l'on y jouait l'Hérodiade. Joli nom. Une fois que tout le monde fut entré, et que j'imagine, eurent pris place, je me sentis pleine de vide. Il fallait à présent que je rentre chez moi. Mais je me suis à nouveau donné de l'espoir en imaginant le jour où, moi aussi, je franchirais ces portes.
...
La nuit tombait et je rentrais tranquillement chez moi, remplissant les petites rues vides et sombres par le bruit de mes pas. L'éclairage tremblotait doucement, éparpillant ses ombres sur les devantures des vieilles boutiques et les pavés dégoulinants de crasse.
A la maison, le maigre soupé était déjà fini. Mon assiette n'y était pas, déjà rangée par la mère, très certainement. Le ventre vide, j’allais me coucher, des étoiles plein les yeux.
…
Le lendemain, je me levais à l’aurore, réveillée par la mère. Après une rapide toilette, je descendis dans la rue chercher le pain de la journée et le journal. Dehors, il y avait quelque chose d’anormal. Les femmes s’étaient regroupées autour des boutiques, le visage grave, et parlaient à voix basse en montrant les journaux. Quelque chose c’était passé. Mon cœur battait de plus en plus vite, sans vraiment savoir pour quoi, mais l’ambiance avait quelque chose d’affolant.
Je prenais le premier journal venu et lisait avec effroi les gros titres : « Attentat à l’Opéra Garnier », « des dizaines de victimes… ».
Je m’asseyais lourdement sur un banc, n’osant croire à la nouvelle. Plusieurs choses tourbillonnaient dans ma tête : Un attentat à Paris ? Et qui plus est dans un lieu aussi fréquenté et huppé que l’Opéra ? Que cela signifiait-il ? Qui en voulait à l’Aristocratie ?
Je rentrais sans même acheter le pain pour montrer à mes parents la triste nouvelle. Eux ne firent pas aussi retournés par la question. Ils s’en trouvaient même soulagés. « Ça allait montrer à ces richoux qui avait réellement le contrôle… »