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 Contexte

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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Pierrot Lunaire

Messages : 2896

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MessageSujet: Contexte   Contexte EmptySam 29 Sep - 1:31

Province, mois de février. Une petite campagnarde a préparé en hâte son baluchon, serrant dans ses mains son petit billet de troisième classe, qu’elle a acheté avec ses dernières économies. En 1897, le rêve se nivèle aux moyens. Elle a couru sur le quai, manquant glisser dans ses bottines neuves. Paris, ville-monstre, ville tentaculaire, l’attend. Son cœur s’est serré lorsqu’elle a dépassé la locomotive, qui soupirait dans l’ombre du matin. Lorsque le train s’est ébranlé, grande bête lourde et ramassée, son cœur s’est serré. Avec elle ont embarqué ses espoirs, ses ambitions, ses insouciances.

Contexte Anquet11
Louis Anquetin, Le Pont de l'Europe
~ * ~

Cela fait maintenant une heure que le train roule, fendant la campagne, semant les hommes au fil des gares. La jeune fille, elle, est demeurée l’œil rivé à la fenêtre, guettant le point du jour – ce ne devait point être une aurore comme les autres que celle qui la verrait partir pour la capitale ! Dans les wagons surchargés de mines fatiguées ou patibulaires, c’est là l’image à laquelle elle se raccroche, avec son petit baluchon et ses certitudes d’enfant. Elle songe à la place de bonne qu’elle va prendre, sans observer la laideur des ouvriers, minés par les travaux et les jours – ce peuple qui, dit-on, gronde à Paris en ses faubourgs tristes. Elle s’applique à éviter du regard une femme vêtue de rouge, une fleur fanée à son corsage – quelque actrice sur le retour, quelque femme faisant commerce d’elle-même. Enfin, elle n’aperçoit pas même cet homme, entre deux âges, qui est assis en face d’elle et la dévisage d’un air bienveillant. Si elle l’avait vu, elle aurait remarqué tout de suite cet air las mais serein de ceux qui ont eu à observer, toute leur vie, les us et coutumes des hommes. Cet inconnu à l’habit râpé, aux gants plus très blancs reste digne, souhaitant engager la conversation sans le faire… Mais, quand enfin les deux regards se croisent, comme le voyage s’annonce bien long, qu’il s’ennuie entre les rumeurs confuses des bonnes d’enfant et des commis-voyageurs, il se permet, avec beaucoup de douceur, de parler à la rêveuse :

- Permettez-moi, Mademoiselle … Avec tout le respect que je vous dois … C’est la première fois que vous montez à Paris, je me trompe ?

La jeune fille rougit.

- Oh bah, M’sieur, ça s’voit tant que ça ?

- Pour sûr que ça se voit … Puis-je vous demander ce que vous allez y faire … ?

- Servir Madame de ***, Monsieur. J’ai mes lettres …

- Vous semblez bien heureuse !

- Oh oui, Monsieur, c’est Paris ! « Rien n’est plus beau que Paris », qu'elle disait, ma mère …

- C’est ce qu’ils disent tous, mon enfant … Et pourtant …

Il hésite, fait un geste évasif. Avait-il le droit de briser les rêves d’une jeune personne, d'un simple revers de main ? L’inconnu ôte son chapeau, se gratte la tête, d’un air perplexe. Peut-être devrait-il ménager son rêve … mais en profiter pour l’avertir un peu ... ? Il reprend, d’une voix douce :

- Voulez-vous que je vous parle un peu de cette ville ? Je la connais bien, cela fait des années que j’y travaille … Les belles choses et les dangers de Paris : vaste sujet ! Et après tout, cela pourrait vous servir …

Elle a à peine le temps d’acquiescer qu’il saute sur l’occasion. Sa voix rauque semble peu habituée à ces longs discours, mais au fur et à mesure, la machine se huile, et il parle à toute allure, avec une visible jouissance – et comme une espèce de soulagement :

- Tenez, Paris, c’est d’abord ses Théâtres. Je sais que je ne devrais pas commencer par parler de théâtres à quelqu'un comme vous, mais … Paris n’est rien sans ses théâtres. On s’en est pris à l’Opéra, pourtant, voilà un an. Une bombe, des victimes innocentes … Vous l’avez su, n'est-ce pas ... ? Eh bien l’Opéra rouvre bientôt, tout juste un an après. Les gens du monde font comme s’il ne s’était rien passé, j’ai l’impression, parfois, qu’ils ont déjà oublié. Le coupable est mort le jour de l’été, guillotiné devant une foule étonnamment agitée – et moi je vous dis ça, ma pauvre enfant … Mais Paris est ainsi, lumineuse et noire à la fois. Dans tous les cas, craignez les théâtres, ne montez jamais sur les planches … mais allez voir, ne serait-ce qu’une fois.

La jeune personne proteste, et tente même, pour se donner bonne figure.

- Allons bon ! Vous venez pour ça ... Et aussi par ambition, au moins un petit peu … Ne protestez pas, c’est comme ça pour tout le monde : chacun a dans cette ville-là un rêve secret qu’il poursuit. Pour beaucoup, la chose est simple : ils rêvent que s’ouvrent pour eux les portes d’un salon respectable, ou au moins un peu influent. D’autres, plus rares, voudraient en sortir, mais c’est presque aussi difficile que d’y rentrer … On est bien tranquilles, nous, avec nos ambitions simples, par rapport à ces gens-là.

Il semble un instant songeur … Mais voilà qu’il remarque l’air étonné de la jeune femme :

- Vous savez, mon enfant, à Paris, les mondes sont encore plus marqués encore qu’ailleurs. Pour des gens qui ont beaucoup vécu - hé hé ! - il y a bien des ruses pour pénétrer dans les cercles les plus fermés … Mais il faut connaître les bonnes personnes et savoir dire ce qu’il faut.

Et d’ajouter, avec un air paternel :

- Vous qui allez servir chez Madame de ***, il faut que vous compreniez tout cela, vous me suivez ? C’est la philosophie naturelle de votre maîtresse, et elle s’attendra à ce que vous pensiez comme elle, sans imaginer que vous venez de votre petit patelin et que vous ne connaissez pas toutes les histoires parisiennes … Avez-vous jamais entendu parler d’Apolline de Souzay, de la Forestière ou de la duchesse de Lambresac, par exemple ? Non, n’est-ce pas ? Pourtant, vous devez connaître leur nom : ce sont par elles que se font les entrées dans le monde. Elles sont toutes piquées de quelque chose : d’art, de scandale, de bel esprit et elles tiennent toutes salon. Chez chacune d’entre elles se réunit une société choisie ... Plus ou moins. Apolline et la Forestière se disputent les artistes – la première est modèle et muse avant que d’être salonnière, mais au moins, on s’amuse chez elle … La seconde est une bourgeoise abominablement riche qui se pique d’art moderne et qui traîne quelques spirites dans le sillage de ses robes. Quant à la dame de Lambresac, oh ! c’est autre chose : c’est la crème du faubourg Saint-Germain – vieille noblesse qui tient de son rang le droit de mépriser à peu près tout le monde et qui vit en son enclave, comme en un ancien château … Il paraît que ses repas sont fameux – on en publie les menus dans les revues illustrées et, dame, ça donne envie ! On en aurait une indigestion rien qu'en léchant l'papier …

Il s'arrête un instant, reprend son souffle.

- Mais ces femmes-là, Monsieur … Comment qu'ils font, tous ces gens, pour leur plaire ?

- C’est assez triste à dire, mais pour leur plaire, il faut retenir leur attention, tout simplement. Les flatter dans leur goût, tout en présentant un petit quelque chose d’inattendu. La Ville est comme le monde : présentez-lui une nouveauté charmante, soyez drôle, scandaleux, conservateur jusqu’à l’os, que sais-je … C’est le dernier divertissement des oisifs en cette fin-de-siècle car … - il hausse les épaules – qui sait ce que demain nous réservera ? Tenez, en ce moment, l'on jase, l'on ne fait que ça ... Vous connaissez sans doute les derniers événements qui secouent la capitale ?

La moue de la jeune femme, pourtant, semble dire tout le contraire ...

- Une revue d’art moderne et un marchant de tableaux organisent une chasse aux trésors dans tout Paris. Des indices dans les journaux, des textes sibyllins et des milliers de francs à qui comprend les indices … Vous trouvez ça moral, vous, quand des gens comme vous et moi triment chacun à leur façon, pour faire vivre la Ville …

- Peut-être, M’sieur, qu’on peut essayer aussi ? C’est beaucoup d’argent …

- Oh, l’on peut, bien sûr … Mais seuls des gens de leur monde, des bohèmes à la limite, comprendront leurs indices … De plus, cacher d’aussi grandes sommes d’argent dans Paris ne me dit rien qui vaille. Le peuple n’a pas besoin qu’on ne le nargue ainsi … La paix sociale est fragile … Des bandes de jeunes traînent les bas-fonds, on menace partout l’ordre et la République. Heureusement qu’il y a des jeunes filles convenables comme vous, qui se laisseront pas pourrir le cœur par l’envie, et mériteront par leur travail honnête un peu plus de reconnaissance …

- Vous me faites peur, M’sieur … A Paris, ça d’vrait aller ben mieux que dans nos pauv’ campagnes !

- Balivernes ! L’homme mourra de trop de civilisation. Plus de mœurs, plus de valeurs à Paris ! Vous croyez monter dans un lieu magique, mon enfant, je le vois à vos yeux, à votre air atterré quand je vous parle … mais vous entrez dans un pays qui vous semblera presque étranger. On y parle la même langue que vous, mais les mots ont changé de sens ! On jouera aux mêmes jeux que ceux que vous aimiez en province, mais les règles seront toutes autres ! Alors je vous en prie, ma petite, prenez garde. On dit toujours qu’il faut laisser les jeunes gens dans l’ignorance. Mais je crois vous protéger en vous révélant tout ça.

Un sifflement de locomotive vient ponctuer sa dernière phrase, en un point d’orgue grotesque. Devant l’air atterré de la jeune personne, l’inconnu sourit doucement, comme pour atténuer ce qu’il a déjà dit :

- Tenez, je ne vous importune plus. Nous arrivons.

Il saisit une valise qui semble bien légère et avant de partir - car le train ralentit, en gémissant – il se tourne une dernière fois vers son interlocutrice. Lorsqu’il prononce ses derniers mots, sa voix est un peu changée : elle est déjà plus lasse ...

- Si j’étais vous, mon enfant, je prendrais pas ce que je viens de dire à la légère. Mais rassurez-vous, il y a encore des bonnes gens à Paris … Et si quelque chose ne va pas, faites confiance à la Sûreté. C’est le commissaire Roche qui vous le dis !

Il a un sourire, sorte de fissure étrange en son masque presque effacé, descend du train à peine arrêté avec une certaine raideur. La jeune femme reste songeuse … avant de descendre à son tour, un peu étourdie.

Il est midi. Le Paris fin-de-siècle s’offre à elle.

Contexte Gare1010
Claude Monet, La Gare Saint-Lazare

~ * ~

Mais dites-moi, lecteur, n’est-ce pas vous que j’aperçois à l’autre bout du quai ?
J’ai comme l’impression que vous avez vous aussi un rôle à jouer en cette histoire …
Qui êtes-vous donc, quels projets mènent vos pas ... ?
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