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 A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]

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Esprit Saint-Thelme
Où le noir et le blanc, l'ombre et la lumière, le mal et le bien s'entremêlent et se conjuguent
Esprit Saint-Thelme

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MessageSujet: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyLun 6 Mai - 9:34

Au cou du voyageur était arrimée une cordelette de cuir tressé, qui avait vécu. Aux extrémités de cette cordelette s'attachaient les coins d'un sac de toile pendant dans son dos. Et dans le sac, une tête de sanglier très laide, ou du moins était-ce le titre dont il décorait cette encombrante possession, brinquebalait au rythme de sa marche, et piquetait son dos de ses fines aspérités. C'était une sorte de pierre, une structure repoussante, noircie par les ans, qui semblait figée dans un rictus diabolique, et n'avait strictement aucun usage. Mais on lui avait indiqué une fabrique de chapeaux un peu plus loin, à la sortie de la ville ; et comme les boutiques d'antiquaires n'avaient pas voulu de sa relique, ni les enseignes de barbiers, ni même cette petite école dont on l'avait chassé en affirmant qu'il effrayait les jeunes filles, Esprit Saint-Thelme avait décidé de tenter sa chance du côté des chapeaux.

Lui-même voyait très bien l'image humoristique d'un sanglier mort en vitrine, en guise de mannequin dépareillé. Peut-être sous un joli bonnet de dame, ce serait du dernier chic. Mais il commençait à croire que les Parisiens faisaient tous grise mine cette année, et que son idée serait reçue à coups de haussements de sourcils, jusqu'à ce qu'il se débarrasse de son bien derrière le premier arbre d'un parc. C'est que c'était lourd, un tel engin, et s'il n'avait pas eu une formation faite d'effort physique et de patience, il se serait découragé depuis quelques heures déjà.

Le bâtiment qu'on lui indiqua était bien plus grand que ce qu'il avait imaginé. C'étaient des portes de hangar qui s'ouvraient sur l'entrepôt, prêtes à laisser passer un flot de productions aptes à garnir des voitures entières, et à irriguer la ville. A l'intérieur, au lieu de la brave vieille employée à la mine de brodeuse qu'il s'était figurée, penchée sur son méticuleux ouvrage, entourée d'accessoires délicats tels plumes, perles et fils de couleur, c'étaient des rangs de petites fourmis affairées qui s'alignaient, dans une concentration d'armée, davantage que d'artistes. C'est bien simple : personne ne faisait attention à lui. Ce qui était à la fois très plaisant et très déstabilisant, un peu comme lorsque la piquette que l'on croyait goûter se révèle être en réalité un alcool très appréciable et très fort à la fois.

Un électron libre, toutefois, échappait à cet environnement réglé comme un mécanisme d'horlogerie : c'était probablement une sorte de contremaître, et comme le voyageur débarquant dans une tribu inconnue, le mieux à faire était de s'adresser directement au chef. C'est donc avec un sentiment de malaise intimidé, mais en arborant la fierté décomplexée de celui qui sait exactement ce qu'il fait, attitude nécessaire à la négociation marchande, comme nul ne l'ignore, que le nouveau venu traversa l'allée centrale, au milieu d'une haie d'honneur dramatiquement indifférente de visages aux traits concentrés, et de petits doigts affairés. Au bout de son périple, il se sentait véritablement aux prises avec un monde inconnu. D'ailleurs, ces gens n'étaient pas du rang de ceux qu'il fréquentait dans le cadre de son travail ; il savait que leurs réactions pouvaient être beaucoup plus... frustes.

"Bonjour Monsieur. Esprit Saint-Thelme, pour vous servir. Pouvez-vous m'accorder un instant ? J'aurais une petite affaire à vous proposer, vous ne le regretterez pas."

Sans attendre de réponse, ce qui l'aurait obligé à soutenir le regard du responsable, et sans doute à trahir en partie son angoisse grandissante, Saint-Thelme laissa glisser son baluchon de son épaule, se pencha, l'ouvrit fébrilement davantage que prestement, et en sortit la babiole incriminée. Le crâne était si expressif qu'il sembla faire un clin d'oeil en retrouvant la lumière du jour, ou du moins, de l'entrepôt. Comme un ressort, le visiteur inattendu se releva, le baluchon à ses pieds, le crâne de sanglier - ou quoi que ce soit, peu importe - entre ses mains, le visage impassible, mais si nerveux qu'il n'aurait pas cillé pour une mouche se promenant sur le rebord de sa paupière. Un peu de temps passé ainsi, et il aurait pu se fossiliser à son tour. Il n'avait pas conscience d'être incongru. Il cherchait surtout à sembler très professionnel. C'est sans doute une profession, quelque part dans le monde, démarcheur en crânes de sanglier fossilisés, et sans doute ses représentants l'accomplissent-ils avec une grande dignité.
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyMar 7 Mai - 4:37

C’est quand Alphonse ferme la porte de son bureau qu’il se calme, mais jamais avant. Parce qu’avant d’y arriver, il doit traverser toute la chapellerie… Et traverser toute la chapellerie signifie qu’il doit aussi passer près de trop d’ouvriers, trop de discussions, trop de machines qui ronronnent un peu trop fort et avec un peu trop d’insistance. C’est un peu comme un enfer insolemment bruyant… Et Dieu sait qu’il déteste la cacophonie… Heureusement que ça rapporte, tout ça. Heureusement que ça rapporte beaucoup.

Comme chaque jour de son existence, il essaie d’oublier le tumulte ambiant. Il n’y arrive pas, regarde le mur, se dit qu’il devrait déplacer son bureau dans un endroit plus tranquille, mais s’y résigne en se disant que ce serait beaucoup trop long, trop onéreux, trop inutile. Comme chaque jour de son existence, il finit par revenir à la réalité en empoignant vivement un coupe-papier. Il ouvre les enveloppes les unes après les autres, n’esquisse jamais un sourire, et encore moins la surprise. Il en jette la plupart, fait mine d’en conserver quelques-unes. « On répond à vos courriers », qu’on peut lire sur un écriteau près de la boîte aux lettres. « On répond à vos courriers… peut-être, si ça intéresse Alphonse Chapeau, qu’il se sent généreux et que ça lui permet de renflouer sa salle du trésor », devrait-on y lire à la place.

Et comme chaque jour de son existence, il s’arrête un moment pour constater le bilan de production de la veille. Il sourit toujours un peu en voyant toute la fortune qu’il a accumulée, et sourit encore un peu plus en constatant que ses ventes sont en continuelle ascension. Il se félicite intérieurement, pense qu’il pourrait aller couvrir ses ouvriers de fleurs, mais se souvient alors que c’est lui qui est à la tête de la chapellerie, et que lui seul est responsable de toute la gloire de celle-ci. Il se félicite donc encore un peu, question de bien caresser la magnificence de son orgueil.

Mais aujourd’hui n’est pas une journée comme les autres, non… À cette heure de la journée, il devrait être en train de rédiger des lettres à destination de firmes étrangères, mais pas aujourd’hui, semble-t-il. Quelque chose cloche dans sa routine. Ce contremaître, qui entre à l’instant, ne devrait pas être là. D’ailleurs, son air confus et tourmenté ne devrait pas être là non plus. Et, par Dieu, cette voix perturbée encore moins !

« Monsieur Chapeau… de commencer le contremaître d'une voix hésitante. Quelqu'un voudrait s'entretenir avec vous. Il dit s'appeler Esprit Saint-Thelme... Et il aurait un marché à vous proposer, une offre "que vous ne regretterez pas", monsieur. Il souhaite vous vendre un crâne d'animal, un drôle d'objet. Ce doit faire partie de ses coutumes de nègre... Je le fais entrer ? »

Un moment de silence, plus loquace que n'importe quel monologue.

« Faites-le donc entrer, murmure Alphonse. Il égayera ma matinée. »

Et, en effet, sa matinée s'égaye lorsque la porte s'ouvre et que ledit personnage apparaît sur le seuil de son bureau. Se tenant droit, portant dans ses mains le crâne d'un sanglier et accoutré de tissus parfois trop colorés, cet Esprit Saint-Thelme apparait comme une fleur excentrique au milieu d'un trop-plein de conformités. En fait, devant la singularité d'une telle scène, on aurait l'impression d'avoir été trop longtemps embrumé par des vapeurs opiacées. À l'exception faite qu'Alphonse ne fume pas. Car un homme de sa renommée et de son élégance ne se mêle pas aux activités du bas-peuple

Ainsi, après avoir dévisagé le bonhomme en bonne et due forme, il décide de faire de même pour le crâne dépouillé. Il est tout d'abord dégoûté, répugné à un point qu'il détourne le regard. Mais quand il se penche de nouveau vers le fossile, il est alors enchanté, hypnotisé par le curieux rictus qu'arbore le sanglier, comme si cette bête, morte depuis belle-lurette, tentait de percer l'esprit d'Alphonse. Ce dernier, un peu décontenancé, se lève alors d'un bond et s'approche d'Esprit. Il lui aurait bien serré la main - après tout, ces nègres sont des ouvriers hors-pairs ! -, mais considérant la tête de sanglier, il n'esquisse qu'un mouvement de tête bien solennel. Cela fait, il entame la discussion comme un gentilhomme doit toujours le faire, en s'adressant à Esprit comme à un individu de la plus haute mondanité :

« Je suis enchanté de vous rencontrer, monsieur Saint-Thelme. Je suis Alphonse Chapeau, maître chapelier de cette grande manufacture, mais je suppose que vous le saviez déjà. On m'a dit que vous aviez une offre à me proposer, n'est-il pas ? Une drôle de proposition, de ce que je comprends. »

Alphonse laisse échapper quelques rires. On ne pourrait dire s'il s'agit de rires moqueurs, de rires nerveux, de rires désenchantés ou de rires joviaux, alors considérons seulement qu'il rit. Et, ponctuant cette fois-ci ses phrases de quelques soupirs amusés, il continue :

« Expliquez donc, monsieur, car je dois vous dire que je suis grandement perplexe, avoue-t-il en replaçant son chapeau. Mais alors, son air diverti s'obscurcit, se rigidifie, de même que son ton de voix qui prend une allure diablement sévère. J'espère que vous n'êtes pas ici pour me faire perdre un temps précieux, monsieur... Deux minutes. Je vous octroie deux minutes pour m'expliquer ce pourquoi vous êtes parvenu jusqu'à moi. »

Ah, Alphonse ! Toujours aussi aimable !
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyMar 7 Mai - 10:56

Pas de coups de pied ? Pas de noms d'oiseaux ? Bien mieux, voici qu'on le menait en direction du grand patron, retranché dans ses hauteurs raréfiées en oxygène, comme il se doit... La tension montait, en même temps que les degrés de la hiérarchie, mais c'était une tension vers le parfait ; quelques boniments bien placés, et l'affaire serait rondement menée. Adieu le crâne, adieu la bague qui l'avait achetée, et bonjour les sous bien sonnants et bien abstraits qui l'achèteraient, tout serait définitivement rentré dans l'ordre. Droit comme un piquet, en pleine possession de ses moyens de majordome, Saint-Thelme écouta le patron lui exposer ses vues sans broncher d'un sourcil, puis s'inclina en un bref salut, remettant ainsi les choses à leur place : ce monsieur s'était montré un peu trop poli pour son système de valeurs.

"Je n'ai pas besoin de deux minutes. Si je puis vous emprunter votre bureau, un instant suffira."

La tête de pierre avait eu amplement le temps de se dorer aux regards de son futur acquéreur. Elle s'en alla trôner au beau milieu de la surface de bois, à la manière d'un gigantesque presse-papier. Ce présentoir la mettait joliment en valeur, mais ce n'était pas suffisant. Il devait bien y avoir un portemanteau, quelque part... Et à son croc, un chapeau. C'est ce dernier qui ferait la démonstration. En sa qualité de proche du cerveau de son propriétaire, il saurait intercéder. Puis Saint-Thelme reprit la pose, mains croisées derrière son dos, visage levé - la posture du subalterne qui n'a pas été expressément autorisé à croiser le regard de son supérieur. Un militaire aurait pu l'avoir, un pratiquant des castes l'avait à coup sûr. Autant dire que ses deux parents l'avaient pratiquée avant lui, et en avaient transmis chacun ses bribes, fleurant bon la poudre à canon d'une part et la cire à parquets de l'autre. C'était une forme particulière de noblesse et de distinction, quand on y songe, mais il n'avait pas le cœur à en être fier, tant il était obsédé par l'efficacité nécessaire de la négociation présente.

"Et voilà. Monsieur est servi. Je veux dire, n'est-ce pas d'un effet saisissant pour une vitrine ? Point de miasmes à craindre, ou de décomposition, c'est un de ces crânes de musée... c'est de la pierre. Je tiens à m'en débarrasser : quarante francs et il est à vous."

L'hérédité trouvait là ses limites : sa mère aurait emporté la partie d'un joli sourire mutin, son père d'un sourire plus gouailleur, celui des bateleurs insupportables d'assurance, mais quant à la mâchoire de leur rejeton, elle demeurait scellée. Faire la charité dans les commerces le rendait mal à l'aise, il savait pertinemment que cela ne lui suffirait pas pour se fixer, et il ne pouvait donc être tranquille, profiter de l'instant, de ses côtés amusants et saugrenus, jouer paisiblement sa petite partie. La vision générale du grand plan de survie ne cessait de se rappeler à sa conscience anxieuse. Quarante francs, cela paierait l'hôtel encore un moment, le temps de dénicher une famille en quête de domestique, et de se plier aux délais que réclameraient ces mêmes personnes, sans pour autant débarquer chez eux tout poisseux de la pluie infiltrée sous les ponts... C'était une question de vie ou de mort. En lieu et place du sourire commerçant attendu, dans son regard qu'il parvint enfin à diriger vers son interlocuteur, on lisait que c'était une question de vie ou de mort, ou pour être exact, de décence ; mais une décence vitale dans sa position.

"Sachant que je peux revenir les chercher demain, si vous ne les avez pas en poche," se hâta-t-il de corriger alors que la pensée lui venait en tête. Exiger un prix bien précis, voilà qui ne se faisait pas dans le monde où il était payé d'habitude, tout au plus réclamait-on avec une infinie déférence... Il surprenait déjà, inutile d'en plus choquer.
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyJeu 9 Mai - 9:48

C’est un drôle de spectacle que de chapeauter le crâne d’une misérable bête. Franchement, si on accompagnait la scène d’un peu de percussions, on aurait presque l’impression d’assister à l’une de ses solennités africaines dont on parle dans les fabuleux récits de voyage. Malgré tout, Alphonse demeure grandement perplexe face à cette offre. Il ne saurait dire si la tête de sanglier, maintenant coiffée d’un de ses magnifiques hauts-de-forme, en est plus effrayante, plus intrigante ou plus attrayante. Il l’observe donc un bon moment, sans la contempler, mais ne parvient pas à se décider. C’est un vestige peu banal qui se dresse devant lui, certes, mais en vaut-il vraiment la peine ?

Prenant un air penseur et en engouffrant son index dans la broussaille de sa barbe, Alphonse titube intérieurement. Et si cet objet valait beaucoup plus que les quarante francs que lui demande Esprit ? Et si était posée sur son bureau une relique mystique pouvant être revendue dans les grands musées parisiens pour des fortunes inimaginables ? Tant de questions, trop d’hypothèses, si peu de réponses…

« Tout cela m’intrigue, je dois l’avouer, commence-t-il en s’approchant du crâne. Mais je chancelle, monsieur Esprit, j’hésite beaucoup… Vous êtes peut-être un charlatan, qui sait ? Qu’est-ce qui m’assure que vous êtes un homme d’honnêteté ? »

D’un geste lent, Alphonse retire le chapeau de la tête du sanglier et le pose un peu plus loin. D’où il est, il se retourne en direction du quidam Saint-Thelme, reste silencieux quelques secondes avant de reprendre la parole de son ton de voix habituel, vacillant entre l’effronterie et une trop grande fierté :

« D’ailleurs, pourquoi détenez-vous un tel objet ? Parlez m’en un peu, parlez-moi de son histoire, des raisons pour lesquelles vous le possédez… Après tout, il serait très étonnant que vous l’ayez trouvé quelque part à Paris, n’est-ce pas ? »

Il est à noter qu’il ne s’intéresse pas à l’objet pour sa valeur culturelle ou pour tous les mythes qui se cachent derrière lui, mais plutôt afin de préparer une éventuelle revente.

« Prenez place, de continuer Alphonse en désignant une chaise, et racontez-moi. Je suis toute ouïe. »

Ah, Alphonse ! Que ne ferait-il pas pour un peu d’argent ?
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyVen 10 Mai - 10:28

"Rien de vous assure de mon honnêteté, mais vous n'êtes pas juge, vous êtes commerçant, si vous me pardonnez cette remarque. Et ce n'est pas moi qu'il s'agit d'acheter, c'est l'objet ici présent. Tel quel, son intérêt esthétique est indiscutable. Je pourrais descendre à trente francs..."

On dit que les chiens aboient d'autant plus fort qu'ils ont peur. La démonstration de paisible assurance à laquelle se prêtait en cet instant l'insolite démarcheur était de cette espèce. Il n'arrivait pas encore à déceler si son interlocuteur prêtait attention à sa marchandise, et le fait qu'on l'observe, lui, humble véhicule de cette marchandise a priori bien plus intéressante, le mettait extrêmement mal à l'aise. Il crânait donc, comme un étudiant pris en faute par un vieux professeur sagace et mystérieux, et tâchant de montrer un masque de dignité offensée, sans savoir si la culpabilité qui tremblotait au fond de son âme était visible de ces yeux inquisiteurs, peut-être amusés, en tout cas diablement mystérieux.

D'ailleurs, la question elle-même avait quelque chose de gênant. Il ne pouvait décemment pas dire qu'il avait, en effet, trouvé la chose par hasard dans Paris. Pourquoi l'aurait-il achetée, pour la revendre immédiatement ? Et il suffisait que le vendeur de chapeau soit un passionné de telles reliques, pour qu'il exige de voir le site dont elle avait été exhumée, si Esprit prétendait l'avoir tirée du sol en pleine campagne, comme ce genre de chose se produit la plupart du temps - à en lire les articles spécialisés, du moins. Pourtant, une solution existait. La lumière se fit alors qu'il commençait à se dire que sa réponse sèche, presque celle d'un égal, risquait d'avoir vexé le marchand.

"Pardon, je puis bien vous le dire... mais c'est que je n'en suis pas fier. Je n'ai réussi à sauver que ce spécimen d'un chantier en ville, le reste du site a été pavé à l'heure qu'il est, irrémédiablement. Tous ces trésors perdus pour la science, et la curiosité des regards... C'est regrettable. Mais en acquérant ce survivant, si j'ose ainsi l'appeler, et en l'exposant, vous réparerez un peu cette injustice."

Plongé dans sa mise en scène, son rôle de Parisien navré cherchant à gagner la sympathie d'un autre Parisien - tâche herculéenne s'il en est -, il en oubliait l'étrangeté que pouvait distiller la scène en question vue de l'extérieur. C'est qu'il n'avait pas du tout la mine d'un amateur de squelettes anciens. Il était mal habillé, non pas à inspirer le dégoût ou la pitié, mais très modestement. Sa posture de subalterne au rapport n'évoquait pas ceux qui prennent la parole, qui s'élèvent pour défendre la science, qui tendent vers l'absolu. Son teint moiré faisait naître des images de piraterie au grand soleil, non de recherche en bibliothèque.

Le décalage toutefois lui échappait, et c'est uniquement en changeant sa position, pour tenter de se décontracter, et en montrant du doigt le crâne ainsi coiffé, qu'il aperçut sa propre main, se rappela sa condition, et perdit pied, conscient à présent du manque de crédibilité qu'il présentait. Ses paupières cillèrent, son menton s'abaissa, ses épaules se courbèrent. Certes, on allait le jeter dehors, avec son risible fardeau. L'homme qu'il avait en face de lui ne s'en laisserait pas conter par ce qui avait toutes les apparences d'un escroc de grand chemin. Allons, il fallait être honnête. Cela, peut-être, le sauverait in extremis.

"...Ainsi qu'une autre injustice... J'ai été remercié, après plusieurs années de bons et loyaux services, et me voilà sans objectif de carrière, réduit à revendre des antiquités pour loger décemment, me vêtir convenablement, et peut-être retrouver une place. Cette fois, je vous ai tout dit, et je vous laisse seul juge."

Oui, à la réflexion... qui était-il pour interdire à un grand monsieur de le juger ?
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptySam 11 Mai - 7:07

Devant de tels propos et devant une telle posture, Alphonse n’a d’autres choix que de se sentir en pleine possession de ses moyens, de sa supériorité. Si son interlocuteur est un homme plutôt grand, la probable confusion qui transperce sa façade le rend alors tout petit. Pour tout dire, dans les circonstances actuelles, Alphonse est là où il doit se trouver, sur un piédestal d’autorité. Peut-être est-ce un peu prétentieux de penser qu’on est au-dessus de tout – et il est prétentieux à souhait ! –, mais cette situation le réconforte dans son orgueil. Il a cette agréable impression d’avoir le haut de cette négociation, de pouvoir, en quelques mots et sans trop de maux d’esprit, baragouiner quelques inepties pour acheter cet artefact à une fraction du prix qu’on lui propose…

Car oui, après quelques courtes délibérations avec lui-même, Alphonse achètera le crâne. Il se rendra chez un spécialiste ou, mieux, chez ses hommes, fouillant la terre à la recherche de vestiges anciens, qui se proclament scientifiques. Et si ledit objet ne vaut pas un franc pour les antiquaires, peut-être vaudra-t-il quelques fortunes dans les musées. C’est une décision risquée, mais à vivre sans péril, on triomphe sans gloire, n’est-ce pas ? Et bon, il ne faut point négliger le fait que ce ne sont pas trente francs – ou moins ! – qui ruineront le très-grand chapelier…

Ainsi furète-t-il dans son costume à la recherche d’un peu d’argent, avant de dégainer avec une élégance marquée une simple pièce d’or. Il la contemple un moment, la dépose sur son bureau et la fait glisser lentement en direction d’Esprit Saint-Thelme. Cela fait, il replace son costume, tourmenté par tant de mouvement :

« Un louis d’or, et n’en parlons plus, lance-t-il si sèchement qu’on a l’impression qu’il est consterné. Ne soyons pas ridicules, cet objet vaut beaucoup moins que vingt francs. »

S’ensuit un silence qui dure une éternité (ou deux), alors que ni l’un, ni l’autre ne bouge. Mais alors qu’on pense avoir conclu un marché, ce n’est pas tout à fait la fin de cette insolite rencontre… Alphonse, dans sa lancée, s’approche d’Esprit Saint-Thelme avant même que ce dernier n’ait eu le temps de récupérer son dû, lui tend la main et dit d’une voix qui n’est non pas cavalièrement agressante, mais qui est teintée d’une certaine humanité… Une humanité que jamais on aurait cru pouvoir percevoir dans ses propos :

« Et puisque vous avez eu l’audace de faire tout ce chemin pour venir me proposer un marché et que les circonstances le veulent, je vous offre également du travail. Ce n’est guère dans mes habitudes, alors considérez-vous… béni des cieux. »

À l’écoute de ses propres dires, Alphonse a presque un haut-le-cœur. Il fait preuve d’un curieux désintérêt, quelque chose qu’il n’aurait jamais fait en temps normal. Pour le concilier dans ses habitudes, considérons alors qu’il a énoncé cette proposition dans des objectifs économiques, et seulement économiques ! Oui, une vague d’ouvriers trop vieux et trop lents ont été congédiés nouvellement et… la production est susceptible d’être grandement affectée par ce départ massif de travailleurs. Cela fait du sens ? Bien sûr que ç’en fait.

Toujours la main tendue, Alphonse décide de l’engouffrer dans la manche de son habit et retourne près de son bureau. Il prend place, retourne à ses papiers, reprend son air sévère, presque austère, et rédige avec ferveur. Il se retourne, un peu plus tard, constatant que son invité est toujours là, et s’écrie d’un ton un peu sec :

« Vous commencez demain. Soyez là à sept heures. Un moment. Un soupir. Un instant d'hésitation. Et ne me donnez pas l’impression que j’ai pris une mauvaise décision. »

Ah, Alphonse ! Quelle éphémère sympathique !
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MessageSujet: Re: A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau]   A l'intention d'une vitrine moderne et intrépide [PV Alphonse Chapeau] EmptyDim 12 Mai - 9:24

L'éclat de la pièce captiva le regard du démarcheur inattendu, comme la couleur dorée du pain ou de la viande qui rôtit captive le regard de l'affamé. L'errance le rendait rapidement avare et avide, il n'était pas fait pour cette absence d'attaches et de sécurité. Un napoléon, pour un objet acquis presque gratuitement, en échange d'un bien volé... C'était un napoléon de gagné, et cela ne se refuse pas. La baisse du prix lui était indifférente, tout était bon à prendre, comme tout est bon à manger pour les loups en hiver.

Esprit allait se jeter sur cette petite lumière au bout du tunnel, quand la nouvelle proposition soudain énoncée le paralysa. Du travail ? Un mot plus magique encore que celui de paiement. Le napoléon, c'était un poisson, le travail, c'était une canne à pêche. D'abord incrédule, il attendit de bien comprendre ce qu'on lui demandait, hocha la tête fébrilement, eut un mouvement pour sortir puis, emporté par une bouffée d'honnêteté qui indiquait le report immédiat de sa loyauté vers ce nouvel employeur, se sentit obligé de préciser :

"Je ne sais pas faire des chapeaux, monsieur. Je n'ai jamais travaillé là-dedans. Je suis majordome - mais je peux aider au transport, mener une carriole, je trouverai un moyen de vous être utile."

Il s'était ravisé en cours de route, mais trop tard. Du moins, la formation de majordome avait ceci de pratique en pareil cas qu'elle était polyvalente, et qu'il pouvait toujours évoquer l'une ou l'autre expérience de son service, ici ou là, ayant trait à des activités semblables à ce qu'on lui demanderait. Rien ne viendrait certainement contredire ses prétentions ; les postes occupés en province, notamment, seraient difficiles à investiguer en détail. Aussi se sentait-il prêt à affronter les tâches qu'on lui demanderait le lendemain, dès l'aurore. La perspective d'une place stable, même pour quelques temps, suffisait à lui rendre de l'énergie.

Il s'approcha du bureau, les yeux rivés sur la pièce, tendit la main en essayant à grand-peine de refréner son impatience, et s'en empara avec un infini soulagement. Un sourire étira ses lèvres : un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Prêt à prendre congé, sans un remords pour la tête d'os abandonnée à son sort, il fit machinalement le signe de saluer du chapeau, une habitude qu'il avait, un petit geste de la main au niveau du front, même s'il était tête nue depuis un petit moment maintenant. Peut-être le nom de l'homme en face de lui, ce mot omniprésent dans l'ensemble du bâtiment, avait-il conditionné ce réflexe à se produire tôt ou tard.

"Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Demain, je vous montrerai de quoi je suis capable. Vous ne le regretterez pas, monsieur."

A vrai dire, il craignait de l'importuner d'une manière ou d'une autre, et de le voir soudainement changer d'avis. La bonne fortune est un oiseau fragile, à trop s'y cramponner, on l'étouffe. Et la brusquerie avec laquelle le directeur s'était décidé laissait craindre qu'il soit tout aussi brusque à renoncer ; tant qu'il ne le connaîtrait pas davantage, Esprit ne pourrait pas être totalement tranquille à cet égard. C'est pourquoi il ne le quittait pas des yeux, pareil à un titi tombé par hasard sur la grande vedette qu'il idolâtre depuis toujours, prêt à lire ses impressions, à décoder ses intentions avec la vitesse de l'éclair. Jusqu'au moment de passer le seuil, il demeura prisonnier de cette attitude quelque peu courtisane ; mais il referma la porte avec la régularité mécanique, et néanmoins harmonieuse, du véritable majordome qu'il avait annoncé être.
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