Evariste DelacroixMaître Hibou
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| Sujet: Oiseau de nuit Lun 27 Juin - 3:24 | |
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Tout esprit profond s'avance masqué
Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux ! Pareils aux mannequins; vaguement ridicules; Terribles, singuliers comme les somnambules; Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. "Mr Delacroix? Bah c'est un homme normal, hein, banal, on l'voit presque pas, toujours enfermé là-haut, ou au boulot. Grand et pas trop mal habillé, mais maigre comme un coucou. Il est toujours poli, très attaché aux convenances ça oui, mais pas causant. Et puis l'a d'drôles d'allures, voyez... un peu vouté, avec les pans de sa redingote noire qui lui battent les flancs, et tous ses papiers... un drôle d'oiseau, avec une drôle de vie. Et maladroit! Toujours tout qui lui tombe des doigts, c'est incroyable. Et la porte, combien de fois s'est-il écrasé dessus! Maniaque, aussi. Faut jamais rien déplacer, ça le rend fou. Surtout pas ses papiers. Après, c'pas un mauvais bougre, mais c'est un... un r'gardant, si vous voyez ce que j'veux dire. Un vrai pingre! Oh, il essaie pas d'raboter sur mon salaire, ça non alors, jamais. Mais sur les dépenses domestiques, ça... là, c'est un vieux grigou! Parait qu'il est audacieux en affaire, mais ça, ça m'surprend pas. Il ne met d'l'oseille que dans ce qu'est susceptible de lui en rapporter davantage, voyez. Il vous tondrait des œufs s'il pensait qu'ça peut rapporter. Après, c'est vrai qu'c'est un brave type, l'est rapiat mais plus gentil qu'son père. Il surveille toujours que nous ne manquions de rien, ma vieille et moi. Faut dire qu'on l'a vu petiot. Pauvre garçon, avec sa maladie... Comment, j'vous ai pas dit? Z'avez jamais vu ses yeux, à m'sieur Delacroix? Vrai qu'ils sont toujours fermés, mais... Bah s'il les ouvre, c'est assez affreux. Y sont laiteux, voyez, opaques et ils sont toujours vissés quelque part au dessus de votre tête... à vous ficher des frissons. Mais il veut pas qu'on l'dise, qu'il est aveugle ou presque. Lui en parler le met dans un état... Après, j'sais qu'avec ses grosses lunettes, il distingue assez les contrastes pour lire, si c'est écrit gros et en noir. Mais quand il met ça, c'est terrible: avec ses cheveux décoiffé, son nez tordu et ses gros verres qui lui font des yeux énormes, on dirait un vieil hibou acariâtre... Après, même s'il est bizarre, parait qu'il est rudement doué dans son boulot. Un génie d'la finance, à c'qui paraît! Mais moi j'dis, il vit pas dans not' monde. Il comprend pas les gens, c't'homme là. Il sait pas c'qu'est beau, lit jamais un roman, aime pas le théâtre. Trop rationnel, y comprend rien aux sentiments, et quand il en éprouve, il est tout perdu. Il est homme de calcul et pas de ressenti. On dit qu'il aime la musique, mais ça... Jamais il s'ra capable de nous ramener une jolie petite madame Delacroix, c'monsieur là, jamais. " Antoine Dubois, 67 ans, concierge. Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s'ils regardaient au loin, restent levés Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés Pencher rêveusement leur tête appesantie. Seules les pensées que l'on a en marchant valent quelque chose.
Ils traversent ainsi le noir illimité, Ce frère du silence éternel. Ô cité ! Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles...
C'est qu'il s'agissait, surtout, de faire bonne impression. Le spectacle n'avait nul intérêt, voilà fort longtemps que je ne sortais plus pour lui. La musique s'oubliait dans le brouhaha agaçant des conversations mondaines, ce qui ne me dérangeait pas: j'avais, depuis toujours, l'opéra en horreur. L'instrumental n'était pas nécessairement désagréable mais les chants suintant d'un tragique si exagéré qu'il frôlait le ridicule ne pouvaient pas m'arracher ne serait-ce qu'une seconde d'attention. Je doutais de toute façon que beaucoup de monde aille au Garnier pour sa musique. C'était avant tout un lieu privilégié pour conclure des affaires, se faire des appuis, lécher les bottes des puissants et s'exhiber un peu: car enfin, à quoi sert d'être au sommet si on ne peut pas le montrer? Il n'y avait nul plaisir à en retirer, sinon celui de plaire (ou de complaire, la frontière est si mince) et d'en arracher quelque profit, immédiat ou à venir.
Mes doigts sensibles arrangent tant bien que mal le foulard gris perle (c'est à dire que je suppose qu'il est gris perle) sur mon col. Il s'agissait de ne pas commettre d'impair quand on était invité par son influent patron à assister à la représentation de... de... oh, peu importe quoi, d'ailleurs. Par exemple, mettre un foulard rose et fleuri était vivement déconseillé. Antoine me dira, avant de partir, si ma mise est correcte... Un effleurement sur mes cheveux, histoire de vérifier l'absence de tout épi révolté, un tapotement pour la fleur à ma boutonnière (détail ridicule mais à l'odeur entêtante), un soupir avant de prendre les armes... C'est après tout dans une arène que je descends ce soir. Pas de lions, cela va de soi, mais un vol de rapaces. Qu'importe, j'ai mon rang dans les oiseaux de proie.
Je dévale les escaliers, un doigt sur la rampe, les pensées toutes tournées vers la soirée et les projets fomentés pour la faire fructifier. Il est bon de connaître sa maison par coeur, ça évite de douloureuses déconvenues. Comme celle-ci, par exemple. - Bon sang de... ANTOINE! Je tente de conserver ma dignité, mais c'est difficile en sautant à cloche pied et tentant tout à la fois de conserver son chapeau et de se frotter le tibia. Notons tout de même que je fais de méritoires efforts. - Monsieur? Votre voiture est là.Voix familière. - Antoine, QUI a bougé cette FOUTUE table basse?!? - Monsieur, votre langage! Autre voix familière. L'épouse d'Antoine, et presque ma mère. - Pardon Sarah, je ne savais pas que vous étiez là. Sous le grommellement désapprobateur de la vieille femme, mon concierge et homme à tout faire se répand en excuses contrites, avant de m'assurer le plus sincèrement du monde que ma mise est correcte. Très bien! Espérons juste que la vue du vieux fou ne baisse pas avec l'âge.
oOo
Inspirez à fond. Nous ne sommes pas déjà entré que ça vous prend aux tripes, cette infâme odeur de foule. Remugles de sueurs et de fumée acre, comme toutes les foules, mais nous avons ici affaire à des oiseaux mondains: vapeurs d'alcool et d'urine s'effacent pour laisser place à une symphonie grasse et lourde de mille parfums qui se mélangent vulgairement et sans harmonie. Et les bruits! Brouhaha de mille conversations, froufrou de mille étoffes, tambour de mille pas. Rires sans beauté. Une femme me frôle: tissu lourd d'une robe. Odeur de cire, de résine, et aviaire: son chapeau est neuf et orné de faux fruits et de plumes. Peut être même d'un oiseau.
En pénétrant le hall, je reste un moment hébété dans la foule, seul et trop entouré, tous mes sens restants égarés. C'est toujours la même chose, dans ce genre d'endroit: trop de monde, trop de bruit, trop de relents et une vague lueur au dessus de ma tête perçant ma nuit: quel gaspillage de gaz a dû être fait, pour qu'il y a un tel flamboiement sur ma rétine agonisante. Agrippant ma canne, je profite un instant d'un de mes rares avantages: là où l'étiquette devrait m'obliger à aller saluer le beau monde, ma situation oblige ce dernier à venir à moi. Je ferais de mes défaillances des armes. Une main, forte, solide, attrape mon bras avec autorité. Une odeur persistante de cigare et de menthe identifie mon employeur. - Evariste, vous voilà! Ponctuel, comme de juste. Venez, il faut absolument que je vous présente... ... sans doute un monde fou. J'identifie Mme de Lambresac à son coûteux et délicat parfum de Chypre: je la salue comme il se doit, enchainant les pas d'une danse tellement répétée qu'elle confinait au réflexe. Salut, baisemain, échange de banalités et un pas en arrière. Le ballet des doléances. Parfois, les frémissements d'une robe m'informent de l'horreur que je fais à ces dames: il faut absolument que je trouve une solution pour masquer mon regard vide et laiteux. J'ai plusieurs fois pensé me bander les yeux, mais le mélodramatique de la situation me répugne. Grands oiseaux des parcs effarouchés par le vieil hibou aveugle: je me fais fort des les rassurer d'un sourire, l'animal n'est pas méchant et s'apprivoise fort bien. J'ai parfois le sentiment que monsieur mon patron, accoutumé à la chose et plus à l'aise que moi, garde la main sur mon épaule autant pour m'empêcher de fuir que pour éviter de fâcheux désagréments. La collision avec un mur vindicatif, par exemple.
Un brouhaha soudain et une pression sur mon bras: on entre. La voix familière de mon guide glisse à mon oreille: - Evariste, la prochaine fois, veillez à porter à votre boutonnière une fleur appropriée. On pourrait jaser et c'est une humiliation que je désirerais éviter autant que possible. Note pour moi-même: faire avaler à Antoine le récapitulatif des fleurs correctes à porter en boutonnière.
Guidé jusqu'à mon siège, je ne rencontre comme obstacle majeur qu'une marche d'escalier inégale et me rattrape presque sans ridicule. Une fois installé, je croise mes mains sous mon menton et me prépare à subir une infamie musicale et périr d'ennui. Le lendemain, l'Opéra brulait.
Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité, Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété, Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
Theatrum Mundi
Pour terminer ...
• Pseudonyme : Ereb, le plus souvent. • Âge : 19, à peu de choses près. • D'où nous venez-vous ? J'vous stalke depuis looongtemps B) j'envisageais de kidnapper la fondatrice pour lui arracher quelques recettes de cuisine par la torture, quand mon génie du crime m'a soufflé que ça serait une bonne idée de passer la harceler ici d'abord. /BIIIM/ • Quelque chose à nous dire ? La bourse ou la vie? Non, ça sonne anachronique, hein? *vocation déçue de bandit de grand chemin*
Dernière édition par Evariste Delacroix le Dim 17 Juil - 12:20, édité 1 fois |
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Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Re: Oiseau de nuit Dim 17 Juil - 8:26 | |
| Alors j'ai recopié les adresses que j'ai recollées. Il semblerait qu'un saut de ligne (automatique) ait rendu les adresses caduques, mais c'est à présent arrangé. Au demeurant, ta fiche est très bien comme ça, j'attends la petite modification que je t'ai demandée, et ce sera tout bon, tu pourras être officiellement validée (avant ouverture, si ça n'est pas la classe !) - Ah et on effacera subrepticement nos égarements imagiers, n'est-ce pas ? - Pamiedit : Fait !
Dernière édition par Pierrot Lunaire le Mar 6 Sep - 23:26, édité 1 fois |
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