|
| Variations sur un conte d'Andersen | |
| Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Messages : 2896
| Sujet: Variations sur un conte d'Andersen Sam 29 Déc - 6:41 | |
| Variations sur un conte...En ces froids jours de décembre, il me souvient d'un petit conte d'Andersen, aussi poignant que beau, La Petite Marchande d'allumettes... L'enfant, assise dans un coin de la rue, craque des allumettes pour se réchauffer et voit apparaître des choses merveilleuses tant que la lueur dure... et après, tout disparaît... Et si votre personnage avait acheté le petit paquet d'allumettes de l'enfant, qu'aurait-il vu apparaître dans la clarté de leurs flammes ? C'est ce que nous vous proposons d'écrire... soit sous la forme du conte, soit sous celle d'un RP. Vous avez jusqu'au 21 janvier pour proposer votre texte. Les participations seront ensuite soumises au vote des membres, qui choisiront le texte qu'ils auront préféré. Le gagnant aura droit à un Joker à utiliser dans la Chasse au trésor (un bon moyen de décrocher le gros lot avant ses adversaires !) mais chaque participant recevra une récompense surprise. Alors, tous à vos plumes ! Et pour ceux qui ne le connaîtraient pas ou l'auraient oublié, voici une version du conte : - La Petite Fille aux allumettes:
La Petite Fille aux allumettesHans Christian Andersen, trad. Régis Boyer
Il faisait atrocement froid. Il neigeait, l'obscurité du soir venait. Il faut dire que c'était le dernier soir de l'année, la veille du Jour de l'An. Par ce froid, dans cette obscurité, une pauvre petite fille marchait dans la rue, tête nue, pieds nus. C'est-à-dire : elle avait bien mis des pantoufles en partant de chez elle, mais à quoi bon ! C'étaient des pantoufles très grandes, sa mère les portait dernièrement, tellement elles étaient grandes, et la petite les perdit quand elle se dépêcha de traverser la rue au moment où deux voitures passaient affreusement vite. Il n'y eut pas moyen de retrouver l'une des pantoufles, et l'autre, un gamin l'emporta : il disait qu'il pourrait en faire un berceau quand il aurait des enfants.
Et donc, la petite fille marchait, ses petits pieds nus tout rouges et bleus de froid. Dans un vieux tablier, elle tenait une quantité d'allumettes et elle en avait un paquet à la main. Personne, de toute la journée, ne lui en avait acheté. Personne ne lui avait donné le moindre skilling. Affamée, gelée, l'air lamentable, elle marchait, la pauvre petite ! Les flocons de neige tombaient sur ses longs cheveux blonds si joliment bouclés sur la nuque, mais assurément, elle ne pensait pas à cette parure. À toutes les fenêtres brillaient les lumières et cela sentait si bon l'oie rôtie dans la rue. C'était la veille du Jour de l'An, n'est-ce pas, et elle y pensait, oh oui !
Dans un coin, entre deux maisons dont l'une faisait un peu saillie, elle s'assit et se recroquevilla. Elle avait replié ses petites jambes sous elle, mais elle avait encore plus froid, et chez elle, elle n'osait pas aller, car elle n'avait pas vendu d'allumettes, pas reçu un seul skilling, son père la battrait et il faisait froid à la maison aussi, ils n'avaient que le toit au-dessus d'eux, le vent pénétrait en sifflant, bien qu'on eût bouché les plus grandes crevasses avec de la paille et des chiffons. Oh ! qu'une petite allumette pourrait faire du bien ! Si seulement elle osait en tirer une du paquet, la frotter contre le mur, se réchauffer les doigts ! Elle en tira une : ritsch ! comme le feu jaillit, comme elle brûla ! Ce fut une flamme chaude et claire, comme une petite chandelle qu'elle entoura de sa main. C'était une étrange lumière ! La petite fille eut l'impression d'être assise devant un grand pôele de fer aux boules et au tuyau de laiton étincelants. Le feu brûlait délicieusement, chauffait si bien ! Mais qu'est-ce qui se passe... ! la petite étendait déjà les pieds pour les réchauffer aussi... la flamme s'éteignit, le poêle disparut... elle restait, tenant à la main un petit bout de l'allumette brûlée.
Elle en frotta une autre, qui brûla, qui éclaira, et là où la lueur tomba sur le mur, celui-ci devint transparent comme un voile. Elle voyait à l'intérieur d'une salle où la table était mise, couverte d'une nappe d'un blanc éclatant, de fine porcelaine, et l'oie rôtie, farcie de pruneaux et de pommes, exhalait un fumet délicieux ! Et, chose plus magnifique encore, l'oie sauta du plat, s'en vint, se dandinant, sur le plancher, une fourchette et un couteau dans le dos : elle alla jusqu'à la pauvre fille. Alors, l'allumette s'éteignit et il n'y eut plus que le gros mur glacé.
Elle en alluma encore une. Alors, elle se trouva sous le plus splendide arbre de Noël : il était encore plus grand et plus décoré que celui qu'elle avait vu, par la porte vitrée, ce Noël-là, chez le riche marchand. Mille bougies brûlaient sur les branches vertes et des images bariolées comme celles qui décorent les devantures des boutiques baissaient le regard sur elle. La petite tendit les deux mains... et l'allumette s'éteignit. Les nombreuses bougies de Noël montaient de plus en plus haut, elle vit que c'étaient maintenant les claires étoiles, l'une d'elles tomba en traçant une longue raie de feu dans le ciel.
"Voilà quelqu'un qui meurt !" dit la petite, car sa vieille grand-mère, la seule personne qui eût été bonne pour elle mais qui était morte maintenant, avait dit : "Quand une étoile tombe, c'est qu'une âme monte vers Dieu."
De nouveau, elle frotta une allumette contre le mur : elle éclaira à la ronde et dans cette lueur, il y avait la vieille grand-mère, bien claire, toute brillante, douce et bénie.
"Grand-mère, cria la petite, oh ! emmène-moi ! je sais que tu disparaîtras quand l'allumette s'éteindra. Disparaîtras, comme le poêle bien chaud, la délicieuse oie rôtie et le grand arbre de Noël béni... !" et elle frotta très vite tout le reste des allumettes du paquet, elle tenait à garder sa grand-mère. Et les allumettes brillèrent d'un tel éclat qu'il faisait plus clair qu'en plein jour. Jamais la grand-mère n'avait été si belle, si grande. Elle prit sa petite-fille sur son bras et elles s'envolèrent dans cette splendeur et cette joie, bien haut, bien haut, là où il n'y avait pas de froid, pas de faim, pas d'angoisse... elles étaient auprès de Dieu.
Et dans le recoin de la maison, à l'heure du matin glacé, la petite fille était assise, les joues rouges, un sourire à la bouche..., morte, morte de froid le dernier soir de l'année. Le matin du Nouvel An se leva sur le petit cadavre, assis avec ses allumettes dont un paquet était presque entièrement brûlé. "Elle a voulu se réchauffer !" dit quelqu'un. Personne ne sut les belles choses qu'elle avait vues, dans quelle splendeur elle et sa grand-mère étaient entrées dans la joie de la Nouvelle Année !
Ce concours est une idée d' Armide et a été concocté par elle. Je le poste pour des questions d'organisation.
Dernière édition par Pierrot Lunaire le Sam 29 Déc - 8:07, édité 1 fois |
| | | Lise ChampmézièresElle court, elle court, la cousette !
Messages : 355
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Sam 29 Déc - 7:36 | |
| Génial ce jeu ! Par contre on a jusqu'au 21 décembre vraiment ? ^^ Et pour être sûre : on poste bien les participations ici (que ce soit conte ou RP) ? En "caché" et anonyme ou pas ? |
| | | ArmideCaméléon psychopathe - Incarnation de l'Efficacité
Messages : 791
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Sam 29 Déc - 8:41 | |
| Tu peux poster ici. Rien ne sert d'être anonyme : de toute façon, vu que c'est ton perso, on saura bien qui a écrit quoi... |
| | | Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Messages : 2896
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Dim 30 Déc - 4:43 | |
| Ah ah, et la date butoir est bien le 21 janvier, et non le 21 décembre. Toutes mes excuses pour ce lapsus ! |
| | | Augustin LepicUne belle écriture mène à tout.
Messages : 72
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Lun 31 Déc - 4:52 | |
| Cette "veille du Jour de l'An" me paraît appropriée pour une première participation J'ai fait dans la variation très classique, assez courte et un peu bateau On verra si j'ai de l'inspiration pour une version plus décalée avec Lise, éventuellement... - Spoiler:
Il ne sait pas bien pourquoi il a acheté des allumettes à cette petite vendeuse de rue. Il n’en a pas vraiment besoin, chez lui il en a à revendre, justement. C’est le sourire qu’elle lui a offert, sa petite voix flûtée (« M’sieur, c’pas cher hein ! »), il lui a donné quelques pièces et elle lui a tendu une boîte d’allumettes. Voilà. Maintenant, il faut bien les consommer. Alors, dans la pénombre de son appartement, il a sorti un chandelier et deux grandes bougies blanches. Il tire la boîte de sa poche et frotte une allumette. Il l’approche ensuite de sa bougie mais, au creux de la flamme, il lui semble distinguer une image, oh un peu floue mais… Il s’approche tout de même.
Une douce chaleur l’envahit et voilà qu’apparaît, dans la lumière très claire de la flamme, la silhouette d’une enfant qui court vers lui. Elle a sept ans, huit peut-être, elle tient un bouquet de pâquerettes dans la main et son petit chapeau de paille s’envole ; il est un peu terne sur les boucles dorées de la fillette. L’enfant court, elle a une robe blanche et les yeux de sa mère. Augustin ouvre grand les bras pour la recevoir contre son cœur… « Ô Jeanne, petite Jeanne, Jeannette ! »… mais entre ses doigts, l’allumette s’est consumée et sa fille s’évanouit dans la nuit.
Vite, vite, il fouille le paquet. Ses doigts pressés sont maladroits, il casse un bâtonnet, puis deux. Puis la petite flamme surgit, chaude, douce. A présent c’est Constance qui lui sourit, elle semble se moquer gentiment de lui. Elle a les cheveux gris et dans le regard plus de joie et de douleur qu’il n’y en a aujourd’hui. Elle a des rides au coin des yeux. Le cœur d’Augustin se serre de tendresse. Elle s’approche, un parfum de fleurs l’étourdit, il avance la main… Mais elle secoue la tête et lui fait signe : regarde ! Elle écarte doucement un rideau… Vite, Augustin frotte une allumette pour ne pas laisser les ténèbres recouvrir ce qu’elle veut lui montrer… Derrière la tenture, il voit une grande salle richement décorée. Une musique de fête envahit ses oreilles… Du bout du doigt, Constance désigne une jeune fille blonde vêtue d’une belle robe rose. Il la regarde, étonné, ému… « Ma fille, mon enfant… » murmure-t-il. Une allumette, vite. Voilà qu’un beau jeune homme s’approche, la prend dans ses bras, l’entraîne dans une valse qui l’éloigne d’Augustin. Jeanne renverse la tête en arrière, elle rit aux éclats.
Augustin est tellement bouleversé qu’il laisse l’allumette s’éteindre et c’est à nouveau le noir et le silence.
Augustin ne sent pas ses doigts brûlés, il fouille dans la petite boîte de carton et frotte les dernières allumettes, les unes après les autres. De hautes colonnes de pierre, une musique d’orgue… Il guide une jeune femme qui a un voile blanc sur la tête et une traîne longue, si longue… Elle s’accroche fièrement au bras d’Augustin. Le jeune homme brun est encore là, un peu plus loin, il est grand, plus grand qu’Augustin. Augustin qui ralentit le pas, encore, et encore... Au moment de le lâcher, la belle mariée se tourne un instant vers lui, glisse son regard dans le sien, l’appelle : « Papa ! »
Puis l’obscurité se fait.
Bonne et heureuse année à tous ! |
| | | Catharina de FréneuseL'enfant reconnaît sa mère à son sourire.
Messages : 401
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Mer 2 Jan - 14:22 | |
| J'ai également décidé de me lancer /ô/ C'est assez... Avouons-le, hasardeux comme truc, mais voila èé ! - Spoiler:
Elle avait passé la veille du jour de l’an appuyée contre une fenêtre, observant dans un lourd silence les flocons qui tombaient lentement du ciel. Si elle avait pu, répondait la jeune mère lorsqu’on lui demandait de rejoindre les festivités au salon, elle serait descendue. En cheveux et pieds nus, emmitoufflée dans un châle épais, Catharina demeurait à son poste, figée, avec le désir malsain d’être isolée. Deux mois à se faire choyer chez les Pentois, loin des dangers du monde, n’avaient su la convaincre de sortir à l'extérieur à nouveau.
Avec des tactiques très enfantines, on avait tenté de la délogée de sa chaise mais, obstinée, elle ne bougeait pas d’un poil. Le cadet de ses fils se faufila dans la chambre par la porte laissée entrouverte et fit quelques pas avant de tomber sur les genoux et continuer son chemin jusqu’à sa mère à quatre pattes. Quand des babillements résonnèrent à ses oreilles, Catharina daigna baisser des yeux tristes sur lui. Il tenait dans ses mains une petite boite qu’il vint lui tendre, sans doute peu soucieux du contenu de celle-ci. La mère jaugea son enfant avec un bref signe de tête avant d’attraper ce dernier pour le caler contre sa poitrine.
« Qu’as-tu là, meg hjetert ? »
Souffla-t-elle d’une voix rauque avant de poser, avec tendresse, ses lèvres sur le front dégarni qui lui était offert. Catharina ouvrit la boite et en voyant les allumettes alignées, fut parcourue d’un frisson. Elle appuya sa tête contre la fenêtre en produisant un bruit vitreux. Le bambin regarda sa mère, longuement et elle lui rappela les poupées de sa sœur, aux yeux inquiets et vides. Schlack ! Une vive lumière apparut et attira les prunelles rondes de l’enfant. Il tendit sa main vers le joli éclat doré mais il s’éloigna.
« Nei, n’y touche pas, tu vas te bruler. »
Avant qu’il ne pût braver les dires de sa mère, la lumière disparut, plongeant la chambre dans son obscurité initiale. Catharina jeta brusquement la tige carbonisée sur le sol et se précipita pour en rallumer une autre. Elle eut un soubresaut, un pincement au cœur et elle serra son fils un peu plus, comme si elle se rattachait à la vision éphémère que lui offrait la vive lueur de l’allumette.
« Elle aurait du être là… pour toi, pour eux… pour moi, mais elle est morte. »
Elle sursauta, l’enfant ne put l’entendre mais il sentit le corps frêle de sa mère se dresser. À garder le feu trop longtemps, on se brule. Elle avait prévenu son fils et pourtant… Un gloussement provenant du fond de la gorge résonna près des petites oreilles de Hansel et le petit soleil réapparut ! Il ignorait pour quelle raison sa mère sortait de sa léthargie, que la jolie lueur était beaucoup plus qu’il le croyait. Catharina voyait, au travers ses yeux fatigués et abimés, la femme qui l’avait appuyée depuis sa naissance, qui l’avait aidé à grandir durant son enfance et qui s’était éteinte à son adolescence.
Dans la sombre et froide pièce s’agitait avec grâce une femme du monde, extravertie et souriante. L’insouciance virevoltait autour d’elle et pourtant, personne ne douterait de l’intelligence de cette dame-là. Un deuil mal abouti se réveilla en Catharina qui serra les dents, toujours affligée par la perte de sa propre mère. Ne serait-elle pas devenue une digne et fière épouse, bien mondaine, si celle qui l’avait élevée n’était pas lentement décédée à cause d’une maladie ? Elle s’était recroquevillée, isolée, refermée sur elle-même, ne semblait toujours pas s’en être remise.
« On va faire d’autres lumières, Hansel, tu veux ? »
Puis Catharina fit briller une énième allumette, les fit défiler une après l’autre. Son souffle s’accélérait, ses yeux se mouillaient. Elle marmonna de douces paroles à son enfant, des mots brisés dans un souffle trop court. Que n’avait-elle pas fait, pour que sa mère lui revienne ? Si égoïste, prête à sauter sur le tabouret et à s’accrocher à la corde n’importe quand, mais incapable d’accepter qu’une vie à laquelle elle tient se fane. À l’écoute, elle entendait les murmures de sa mère, rassurants mais pas suffisamment vivants. Catharina ferma les yeux, une larme roula sur sa joue et la lumière s’éteignit à nouveau. Obscurité.
« Oh… Il n’en reste qu’une… C’est la dernière, ce sera la plus belle… »
L’enfant bougea un peu pour se mettre à l’aise dans les bras de sa mère qui le tint contre elle amoureusement. Elle frotta l’allumette puis étira un sourire qui se fana bien rapidement. Sa respiration se coupa et Catharina commença à sangloter. Sa vue s’embrouilla, devint floue, mais elle voyait toujours cette silhouette, petite et chétive. Une petite qui se tenait près d’elle et son fils, avec de grands yeux clairs et des cheveux blonds noués d’un ruban. Ses cils, son nez, ses joues, sa bouche. La jeune mère n’avait jamais vu cet enfant mais devinait, avec une infinie tristesse de qui il s’agissait. La peine l’attrapa violemment et elle jeta l’allumette sur le sol avant de l’écraser avec son pied et avorter cette petite fille.
« …C’était ta petite sœur, Hansel… Celle que ton père a tuée. Tu ne pourras jamais la revoir… »
Bon, quand est-ce que j'interne Catharina... |
| | | Jean de FréneuseJ'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
Messages : 305
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen Lun 14 Jan - 22:23 | |
| Et voilà, comme promis, ma proposition ! Et dans le genre hasardeux, c'est pas mal non plus, je crois. D'ailleurs, je pensait que ce serait plus léger, mais c'est pas si facile de faire une version décalée ! On verra si j'y arrive avec un autre personnage. x) - Spoiler:
Le départ avait été précipité, le voyage imprévu. Une lettre - quelques mots alignés à la hâte - par un ami noceur ... Cela avait suffi. Et tandis que la Ville frissonnait sous la neige, la douceur du climat méditerranéen avait exercé sur Fréneuse d'horribles séductions. La mine grave des arabes et la beauté particulière des putains du quartier des plaisirs flatteraient sa philosophie et seraient bien plus beaux à voir que les visages prémâchés des bourgeois de Paris... Alors il avait demandé à François de faire ses valises à la hâte, lui avait donné son congé, avait envoyé quelques petits bleus... - J'en ai soupé d'Paris en hiver !... - Et il était parti. Dans les poches de son pardessus, quelques cigarettes turques, un mouchoir et quelques louis. Puis il avait hélé un fiacre ... et terminait bientôt le trajet à pieds, parce que la voiture s'était embourbée dans la neige fondue... Il avait marché à grandes enjambées, sans daigner voir ce qui se passait autour de lui... Ses doigts avaient cherché ses cigarettes, il avait tenté d'en allumer une... pour se rendre compte qu'il n'avait pas de quoi faire du feu. - Fichtre ! Comme si j'avait le t...Mais tandis qu'il s'exclamait, il avait soudain aperçu une petite fille blonde, bien pauvrement vêtue, qui vendait des allumettes à deux pas. Ce devait être son jour de chance. - Hé, petite ! Il lui avait acheté un paquet et, oubliant sa cigarette parce que l'heure tournait vite, il courut prendre le train qui le mènerait à Marseille. Circonstances bien banales qu'il oublia bien vite. La route était longue, de Paris à Alger... ~ * ~
Il avait eu l'orgueil de se croire insensible au mal du pays, mais hélas !... L' ananké suprême - fatalité du cœur humain, si prompt à l'ennui - l'avait rattrapé. Dans la douceur du climat d'Alger, son esprit courrait en hiver - et il s'ensuivait des écarts de température bien désagréables pour sa pauvre tête, qui craignait les courants d'air... Au Grand Hôtel où il était descendu, l'on avait tout fait pour qu'il oublie Paris - cigarettes raffinées, cocktails américains, rien ne fut omis. Les filles des bordels n'avaient jamais été aussi empressées, flairant la richesse outrageuse du fils de bonne famille. Et après ?... Jean de Fréneuse avait eu la naïveté de son temps, croyant fuir ses démons en courant aux colonies et en s'étonnant de les retrouver là-bas, si semblables sous leur nouveau visage ... Le cœur des femmes n'est-il pas le même, sous les voiles ? C'est avec mélancolie et componction qu'il se railla lui-même, soigneusement, ce soir-là. Et pour nourrir son vague-à-l'âme, il sortit une cigarette. La pochette d'allumettes offerte par l'hôtel était vide mais, par chance, il se souvint de la petite boîte d'allumettes bon marché achetée en toute hâte devant la gare ... Il la sortit de la poche de son vieux manteau noir et craqua une allumette. Il ne perçut d'abord que la douce lueur de la flamme et son odeur douceâtre et il l'approchait déjà de sa cigarette, dans un geste machinal, rongé par l'habitude... mais, dans les replis de la flamme, il crut saisir l’œil noir d'une femme. Drapée dans des voiles rougeâtres, elle minaudait, heureuse et simple, dans un clair sourire. L'allumette s'éteignit bientôt et la cigarette était toujours éteinte. Fébrile, Jean prit une deuxième allumette et l'alluma d'un geste sec. La connaissait-il ? Avait-elle été différente de toutes les autres ? Son souvenir lui semblait flou derrière les fumées... Il entrevit la pièce autour d'elle : une petite chambre sous les combles - le comble du cliché ! -, avec un dessus de lit tricoté et des images d’Épinal clouées sur les murs. La fenêtre avait l’œil souligné de noir... Une autre allumette lui fit apercevoir sa jeunesse fringante et sincère, son abandon naïf mais sans illusions - le don de soi avec la certitude de l'éphémère. D'allumettes en allumettes se consuma devant lui l'image d'un bonheur sans ombre - toujours recherché, depuis, dans le transitoire et le précipité, jamais retrouvé peut-être ; le souvenir de l'élan qu'il avait eu, presque malgré lui, vers un cœur simple ... d'un regret de quelque chose - d'une innocence perdue, peut-être - resurgi depuis dix ans de vie de Bohème. Jean frissonna à la pensée de cette vie absurde qu'il avait menée et mènerait encore - toute une vie d'évitement de soi-même, où le sourire servirait à masquer quelque éternelle déchirure. La douceur du crépuscule, le vent chaud qui passait par la fenêtre ouverte, la lumière éclatante des lampes électriques : rien ne suffisait plus à réchauffer son cœur, figé dans les frimas de l'hiver. La dernière allumette craqua sur cette fatalité dernière : le regret des jours passés avec la certitude qu'il n'aurait pu en être autrement. L'allumette s'éteignit bientôt et la cigarette était toujours éteinte.
|
| | |
| Sujet: Re: Variations sur un conte d'Andersen | |
| |
| | | | Variations sur un conte d'Andersen | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |