Je vous trouve bien sage d'essayer d'en savoir plus sur ceux qui ont, en notre fantaisie, ravagé notre bel Opéra ! Petit point historique sur l'anarchisme libertaire de la fin-de-siècle. Après avoir rapidement éclairci comment ses idées ont pu se diffuser, nous ferons un petit point sur les évènements qui précèdent notre période.
- Citation :
Cet article est dénué de toute position idéologique.
Nous ne condamnons ni ne soutenons le mouvement,
et l'abordons dans un seul souci de contextualisation historique.
• La petite introduction : l'anarchisme a presque pignon sur rue Il peut sembler étonnant de voir les idées anarchistes, la propagande par le fait, peupler librement certaines feuilles - le XIXe siècle nous apparaît au premier abord comme un siècle de rigueur et de censure. C'est sans compter sur la loi de juillet 1881 qui donne à la presse et à l'imprimerie une très grande liberté. A cette époque, la IIIe République ne se sent plus menacée et ouvre l'espace médiatique - cela ajouté au développement et perfectionnement des techniques d'impression institue un véritable âge d'or de la presse. La Commune
1 est un souvenir - ses exilés ont été amnistiés en 1880, et rentrent au pays. C'est dans ce contexte - parfois inquiet, il est vrai - que les idées contestataires sont diffusées.
En outre, il est toute une génération d'écrivains qui, à cette époque, ressentent cette "tentation de l'anarchisme". C'est le fait notamment d'une part du milieu symboliste, et deux grandes revues littéraires de l'époque,
La Revue Blanche et le
Mercure de France (sur lequel est calquée notre "Revue Mauve" !) en diffusent les idées. Par exemple, le Mercure publie en 1893 des extraits de Max Stirner. Il faut compter également l'existence d'un "intellectuel anarchiste", écrivain et pamphlétaire engagé, en la personne d'Octave Mirbeau (photographie), Han Ryner, George Darien, ou encore Élisée Reclus. C'est dans ce contexte que se développe l'action par le fait.
• La longue histoire : de réels attentats dans les années 1890 Cela fait déjà plusieurs années que les feuilles anarchistes prônent l'action directe. C'est en 1892 que commence la vague d'attentats qui, jusqu'en 1894 (vous me voyez venir, n'est-ce pas ?) visa à ébranler le pouvoir et à marquer les esprits. Trois hommes, dans ces années, réalisèrent des coups d'éclat, et furent guillotinés.
Le premier est
Ravachol, surnommé "
le Rocambole du crime". Après menus faits, incitation à la violence et petits assassinats (un homme d'ambition !), il s'attèle à la fabrication d'explosifs et gagne Paris sous couvert d'un pseudonyme. L'attentat arrive suite à une échauffourée avec la police qui à Clichy s'est emparée de l'emblême des manifestants - des coups de feu sont tirés, trois anarchistes sont arrêtés et passés à tabac. L'attentat se présente ainsi comme une vengeance. Elle commence par un coup : le vol de tout un attirail explosif dans une carrière
2. Un premier attentat vise personnellement un magistrat impliqué dans l'échauffourée de Clichy. Une marmite explosive est déposée le 11 mars : il n'y a qu'un blessé, mais les dégâts matériels sont considérables. Le deuxième attentat aura lieu le 27 mars au boulevard de Clichy : sept blessés et immeuble ravagé. Ravachol sera arrêté, non sans difficulté, trois jours plus tard, dans un café appelé le
Véry (première illustration) - il avait eu le malheur d'entretenir un garçon de ses opinions anarchistes et lui avait fait mention de l'attentat. Une bombe déposée en guise de représailles tuera le patron et un client du même café. Il y eut deux procès, le premier le condamne au bagne. Il est condamné à mort pour ses crimes passés, que l'on refuse d'associer à sa révolte sociale. Il accueille le verdict par un "
Vive l'Anarchie !" et meurt, guillotiné, le 11 juillet 1892.
Sa destinée rocambolesque, son évasion de prison, en font un personnage marquant de l'histoire de l'anarchisme, qu'on ne cessera de convoquer et de célébrer.
Auguste Vaillant n'est pas mal non plus dans son genre. Souhaitant venger la mort de Ravachol et dénoncer les abus du gouvernement (on est alors en plein scandale de Panama, et les personnalités politiques semblent bien corrompues), il lance une bombe dans l'hémicycle de la chambre des Députés le 9 décembre 1893. La bombe est chargée de clous et de morceaux de métal : elle blessera 50 députés et spectateurs, dont Vaillant lui-même. Le geste est destiné à blesser plutôt qu'à tuer, explique-t-il lors de son arrestation. Il est pourtant condamné à mort et, malgré les pétitions, est guillotiné le 5 février 1894. En effet, le président de la République refuse sa grâce - choix qu'il regrettera bientôt.
Nous terminons par
Geronimo Caserio qui poignarda le même président Carnot lors d'un défilé, le 24 juin 1894. Nous sommes à Lyon. Le jeune homme ne cherche pas à fuir : au contraire, il court autour de la voiture du président en criant "Vive l'anarchie !". Il est aussitôt arrêté, cela va sans dire, et guillotiné le 16 août 1894. Vous imaginerez bien (surtout que ce ne sont pas les seuls attentats commis en la période ...) que les politiques se sont dit qu'il était temps d'agir.
C'est suite à l'attentat d'Auguste Vaillant (la bombe dans la Chambre des députés) que sont promulguées trois lois, adoptées en l'urgence, visant à faire cesser la violence anarchiste. Elles mettent fin à la grande liberté de la presse : la loi sur la presse de 1881 ne punissait que la provocation directe, laissant l'expression libre à la propagande et les pamphlets contestataires. La première loi condamne à présent
. La deuxième rend possible
à la cause anarchiste. Elle
: un criminel ne sera pas poursuivi s'ils révèlent des complices. Enfin, la dernière d'entre elle, plus tardive, interdit officiellement aux anarchistes toute propagande.
S'ensuit une forte période de répression qui, dans l'Histoire, met fin à la propagande par le fait. De nombreux anarchistes et sympathisants se réfugient à Londres quelques temps (c'est le cas de George Darien) pour fuir les vagues d'arrestation. C'aurait dû être la fin des grandes vagues d'attentat.