Nom : Dumont, dit "de Talveran de Lunebourg-Nersac" Prénoms : Ferdinand, dit "Eustache Dominique Symphorien Elmonzar" Âge : indéfinissable... Quelque chose entre trente et quarante-cinq ans, en tout cas. D'aucuns affirment qu'il a 39 ans, d'ailleurs. Mais d'autres soutiennent que non. Origine sociale : inconnue. Mais sans doute pas aussi reluisante que son pseudonyme le laisse entendre... Vraiment pas aussi reluisante...

Profession : un peu de tout, beaucoup de rien... Parfois, on le voit étudier de vieilles cartes de marine ; d'autres fois, on le voit faire tourner des tables ; à d'autres moments, il est assis sur un banc ou à une table et feuillette quelque vieux bouquin avec attention ; à quelques occasions, on voit son nom officiel au bas d'un récit de voyage, tandis que son pseudonyme paraphe des écrits moins glorieux...

Ambitions du personnage : outre améliorer ses connaissances en tous genres - eh oui, il faut bien vivre ! -, entrer à l'Académie française. Ce qui n'est pas fondamentalement gagné.

Milieu fréquenté : cénacle de la Forestière et salon de la Présidente.

Jauge de mondanité : disons 260 ?

Jauge d'infamie : environ 50, parce qu'il fait peur - si, si ! - et qu'il est la "victime" du préjugé sur le spirite/illusioniste lambda : celui qui entre dans les salons, celui qui peut escamoter des choses, pourrait faire un cambrioleur valable... Malheureusement pour lui et pour la pègre, l'enseigne de vaisseau Dumont est un homme intègre. Mais ça, les gens n'ont pas besoin de le savoir.

" Dites-moi, qui est cet homme ? Celui qui passe, là, tout revêtu de noir, de la redingode aux bottes, en passant par son chapeau et par ses cheveux bouclés ? Quelle étrange allure il a... On lui dirait l'accoutrement d'un promeneur, en plein Paris... Et ce matériel qu'il traîne avec lui... Vraiment, curieux bonhomme que celui-là... - Ah ! lui... C'est le capitaine Dumont... Oui, oui, le fameux auteur de récits de voyage, celui qui a été jusqu'en Arctique... Il ne publie plus guère, ces derniers temps... La rumeur dit qu'il est récemment devenu fou... Qu'il se passionne pour le spiritisme... Qu'il est même medium, et ce, sous le nom de... Tiens, quel nom, déjà ?"

L'homme que vous venez d'apercevoir s'appelle Ferdinand Dumont, bien qu'il se fasse plus fréquemment appeler Eustache (ou Elmonzar) de Nersac, ce nom étant lui-même un diminutif de son pseudonyme complet : Eustache Dominique Symphorien Elmonzar de Talvedan de Lunebourg-Nersac. Titres de pacotille, bien entendu, comme le titre de sâr dont il pare parfois ses écrits occultes. Ne l'interrogez même pas sur l'origine de ces noms... Il vous dira d'un air pénétré qu'il les a entendus en rêve, qu'une voix impérieuse et transcendante l'a baptisé ainsi, qu'il faut obéir aux divinités telles que celle-là et vous n'en tirerez rien de plus.

Vous contemplerez alors l'homme d'un air à la fois navré et réprobateur : vous le connaissiez sans doute de réputation, ses livres se sont bien vendus. Cet homme-là a été officier de vaisseau, il a participé à plusieurs expéditions scientifiques en cette qualité et les a relatées dans des récits de voyage assez rares, en particulier dans des récits concernant les régions polaires. Et puis, il y a eu ce moment où l'homme sérieux et réfléchi qu'il était a comme... viré de bord, pour employer une expression maritime. Tout d'un coup, en rentrant de voyage, il s'est mis à lire des choses peu recommandables. À fréquenter des gens certes très recommandables, mais si peu raisonnables qu'ils s'intéressaient à l'occulte. Camille Flammarion, par exemple. On a dit plusieurs fois que l'officier Dumont avait eu un comportement un peu étrange depuis le passage du cap Tchélyouskine. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il passait ces lieux... quand bien même la navigation était difficile là-bas, dans le passage Nord-Est... Mais personne n'avait jamais su ce qui s'était passé exactement dans la tête de l'officier. Il avait juste paru étrange, c'est tout.

Depuis lors, l'officier Dumont n'avait pas repris la mer. Tout le monde s'étonnait qu'un homme tel que lui, pourtant du genre à ne pas trop supporter la terre ferme, y restât aussi longtemps. Il lisait, il se documentait. Sa vie se passait dans un livre. Il paraissait enfiévré, aussi, mais rabrouait tous ceux qui lui demandaient ce qui lui arrivait. Peu de monde, en gros, puisque l'officier n'était pas marié. Au vu de son métier, ça n'avait rien d'étonnant. Et il a commencé à changer... À faire des choses bizarres aux yeux de sa vieille gouvernante - mais celle-ci avait vite tendance à trouver les choses "bizarres" et "peu chrétiennes". Et puis, il a repris la mer pour une dernière traversée. Il en est revenu, a fait ses affaires et est parti pour Paris, ville dans laquelle il est arrivé en fin d'année 1895.

Au fait, quel type d'homme voit-on passer ? Il serait bon de dire quelques mots de l'apparence de notre personnage... Eustache de Nersac est plutôt grand, musclé par une vie éprouvante, le teint cuit par la mer et le soleil, quand bien même ce tannage tend à disparaître (ou du moins à s'atténuer) depuis son arrivée à Paris. Il porte des vêtements peu à la mode (disons qu'il n'a pas encore trouvé le temps de renouveler sa garde-robe), souvent à peu près uniformément noirs, moins élégants que pratiques. Depuis son retour à Paris, Ferdinand Dumont a coupé sa belle barbe noire ne gardant qu'une barbiche taillée en double pointe, une ligne de barbe au ras de la mandibule et une moustache à la conquérante qui surplombe une bouche bien dessinée, mais un peu large et aux lèvres souvent gercées. À force de traîner dans les milieux marins... Enfin, ses cheveux aussi ont été recoupés, ce qui lui laisse de lourdes boucles sur le front et les oreilles. Passons rapidement sur le reste de son visage : Eustache a les pommettes hautes, le nez aquilin et le front large et bosselé. Mais le trait qui vous frappera le plus est sans doute son regard et ses yeux en général : fort grands pour un homme, d'un bleu si foncé qu'il en paraît noir, ils en paraissent écarquillés, donnant au regard l'air effaré. Si ces yeux peuvent fasciner lors d'une séance d'occultisme, ils sont généralement durs, quoique non dénués d'une certaine bienveillance si l'on y regarde à deux fois. Le regard d'un homme qui a beaucoup vécu seul, en somme.

Car si quelque chose a bien pu déterminer la personnalité d'Eustache de Nersac, c'est sans doute la solitude, l'obligation de ne compter que sur soi-même, lorsqu'il s'embarquait pour quelque expédition hasardeuse ou quelque longue traversée. Cette expérience de près de trente ans de débrouille a fait de lui un homme au rare sang-froid, mais l'a également doté de connaissances de base en bricolage, en premiers soins, etc. Malheureusement, cette expérience n'aura pas eu que de bons côtés : Eustache de Nersac est taiseux, ombrageux, facilement brusque, bien qu'il fasse des efforts pour se policer depuis son retour à Paris et son entrée dans les salons. C'est que l'homme sait à peine se conduire avec les femmes, et pour cause ! il en a si peu fréquenté... Celles qu'il a connues, les petites femmes des ports, n'étaient pas des plus recommandables... Si cette expérience lui est utile lorsqu'il s'agit d'écrire des romans pornographiques, elle lui est beaucoup plus préjudiciable en société... mais bon ! Il ne perd pas espoir. Après tout, il n'est à Paris que depuis moins d'un an et sa réputation d'auteur pourrait bien lui être utile...

Décembre 1895 Dans un humble wagon de troisième classe, un homme aux vêtements usés, à la barbe noire en pointe et aux cheveux longs, dont la mine ombrageuse n'engage guère à la conversation, regarde défiler le paysage par une fenêtre crasseuse. Le défilement des arbres, des champs et des villes ne semble pas attirer son attention plus que cela. Le voyage dure depuis longtemps, mais il ne se plaint pas. Il considère son passé et son avenir avec scepticisme comme avec intérêt.

Paris... Il n'y avait plus mis les pieds depuis si longtemps ! Et lorsqu'il y était venu, ce n'était que brièvement, entre deux voyages... Il avait tant voyagé, tant cherché, tant exploré le monde... Encore aujourd'hui, son corps entier réclamait l'aventure. Patience... Bientôt, il la trouverait... L'avenir n'était pas radieux, mais il avait son intérêt... Ca suffisait. Il trouverait bien une place plus respectable, il gagnerait des galons, il vivrait de sa plume : ça rapportait bien plus que son honnête paie de marin. Du moins, il l'espérait.

Le wagon tangue plus violemment qu'à l'ordinaire, ce qui est beaucoup dire. Les dizaines de passagers entassés sur les banquettes s'entrechoquent - la petite dame à côté d'Eustache marmonne une vague excuse à laquelle il répond par un grognement. L'ambiance est à la fois lourde et bonhomme. Des groupes s'entretiennent à voix haute, voire très haute. Des gens s'enferment dans un mutisme grognon. L'odeur, surtout, est forte, en dépit de l'air frais de décembre. Ce que ça doit être, en été !... Mieux vaut ne pas y penser.

Les stations se succèdent. Il y en a trop pour qu'il se souvienne de toutes. D'ailleurs, il n'a pas pu lire tous les panneaux portant les noms des gares. Tout ce qu'il voit, ce sont des mouvements de foule, des passagers qui montent et qui descendent, des accents qui varient un peu. Le train avance dans un sifflement de vapeur. Eustache se prend à penser au confort des classes supérieures. Il n'avait pas les moyens de s'offrir un trajet en seconde, voire en première classe. Pas encore. Une fois qu'il travaillerait à Paris, ses finances iraient mieux. Ou du moins, il l'espère.

Terminus, Paris. Sifflement du train. Cris dans la foule, un monde incroyable est massé sur le quai. Clameurs des retrouvailles, jurons des quidams pris dans le mouvement, odeurs de fumée, air irrespirable.

Alors, c'était ça, Paris...


Pseudonyme : Armide
Âge : la vingtaine en ligne de mire...
D'où nous venez-vous ? D'ici. C'est un début.
Quelque chose à ajouter ? Triple compte !