Pierrot LunaireLa bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
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| Sujet: Religions Lun 28 Mar - 5:04 | |
| Tenez, vous arrivez encore au bon moment : les années 1890 sont une période de pleine crise des spiritualités ! Petit point synthétique sur les différentes religions en France au crépuscule du siècle, afin de mieux s'y retrouver.
Pablo Picasso, Première communion Le conflit : société laïque versus vie religieuse A première vue, la fin de XIXe siècle apparaît bien comme une période de déchristianisation massive. Les pratiques religieuses sont en déclin, notamment dans les régions en voie d'industrialisation : parmi les classes populaires, la classe ouvrière s'est largement détachée de la foi. De plus, dans certaines régions et villes, même les gestes saisonniers de culte se perdent. Par exemple, à Paris, les enterrements civils passent de 22,2 % à 29,6 % entre 1882 et 1913.
Plus généralement, la IIIe République a du mal avec la religion. La mode est à l'anticléricalisme : nombreux sont les discours des politiques, penseurs et écrivains fustigeant le clergé et les hiérarchies religieuses. L'État traduit cette tendance en multipliant les vexations à l'égard de l'Église : il change les noms de rue dès qu'elle peut, substituant le nom de laïcs liés à la République aux noms des saints, interdit certaines processions et tenta même de contrôler, à l'aide de fiches, la religion de ses fonctionnaires. L'école publique fait également concurrence à l'enseignement religieux qui se sent menacé : il manque de moyens, ses maîtres sont parfois moins diplômes que ceux du public, et il est souvent dénoncé avec violence par les anticléricaux qui fustigent son traditionalisme, son inadaptation au monde, voire le danger qu'il représente pour les enfants.
Parallèlement, l'Église a du mal face à la société moderne. Celle-ci refusera le débat avec la science en plein essor, décrétant que la seule science valable demeure la théologie. Dur, en période de grand optimisme scientifique ... Il convient cependant de ne pas imaginer une situation trop tranchée : les religieuses éduquent encore la moitié des petites files en 1878 et le siècle est plus religieux que notre époque. Visages du catholicisme en France Cependant, si les Églises ont perdu de leur influence, un renouveau spirituel est en marche. C'est l'époque des grands pèlerinages, à Lourdes, à Rome ou à Fatima. Le scientisme a également tendance à perdre du terrain : à la fin du siècle, il n'est plus si fréquent de croire aveuglément dans les progrès des sciences et techniques. Au naturalisme, vision scientifique de la littérature, s'est opposé le symbolisme, qui prône une spiritualité éthérée.
De plus, des écrivains et scientifiques du temps opèrent des conversions spectaculaires, trouvant par là une réponse parmi d'autres à la crise des valeurs du siècle. C'est le cas de Paul Claudel ou de Joris-Karl Huysmans, dont le livre A Rebours, avait fondé le mouvement décadent, quelques années auparavant. Plein d'un nihilisme désespéré, ce roman avait inspiré cette phrase de Barbey d'Aurevilly, qui se trouva donc vérifiée : « Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix. » En ces temps de perte des repères et de peur en l'avenir, la religion est ainsi devenue le recours d'esprits lettrés qui l'avait d'abord fuie. Autres religions : juifs, protestants, etc. à la fin-de-siècle Juifs & Antisémitisme - On dénombre 71 000 juifs en France en 1897. Le chiffre a baissé depuis que l'Alsace-Lorraine est détenue par l'Allemagne - et ce bien qu'une partie des juifs alsaciens-lorrains ait émigré en France. Les débuts de la IIIe République voient se poursuivre l'intégration des Juifs - qui se fait majoritairement par la laïcisation. Nombre de juifs célèbres avaient alors abandonné les rites de leur religion et avaient été assimilés : certains d'entre eux intègrent le corps de l'Etat, l'Etat-major, occupent des professions libérales, etc. Mais parallèlement se développe un antisémitisme de plus en plus violent - déjà existant ailleurs en Europe. Édouard Drumont publie La France juive en 1886 ; La Croix se proclame journal catholique et anti-juif en 1890. L'Affaire Dreyfus, qui commence en 1894 mais gagnera la sphère publique un peu plus tard, déchirera la société française pendant des années. L'antisémitisme est présent chez les hommes politisés à droite comme à gauche. - Citation :
- Note : Par souci de réalisme, il faut garder à l'esprit que l'antisémitisme est très répandu dans la France des années 1890. N'oublions pas que les persécutions subies au XXe siècle n'ont pas encore eu lieu et que les hommes de cette époque ne les avaient point prévues ni imaginées. Le sujet étant sensible, nous vous recommandons cependant de l'aborder avec prudence. Inutile de préciser que ce forum ne fait en aucun cas l'apologie de l'antisémitisme.
Protestantisme - La population protestante subit la même baisse que celle des juifs après la perte de l'Alsace-Lorraine. En 1870, les protestants sont estimés à 650 000 individus environ, soit 2 % de la population. C'est une communauté essentiellement rurale. Si celle-ci est divisée d'un point de vue théologique, il n'y a pas tant de disparités dans sa couleur politique : les protestants sont souvent de gauche. Acceptant bien la laïcisation de la société, ils s'intègrent sans difficulté aux places d'honneur de la République. |
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