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 Le Temps perdu

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Pierrot Lunaire
La bouche clownesque ensorcèle comme un singulier géranium
Pierrot Lunaire

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MessageSujet: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyJeu 8 Sep - 1:22

samedi 15 février, soirée

    L'Hôtel particulier de la duchesse de Lambresac est une imposante bâtisse située sur le faubourg Saint-Germain - quartier élégant entre tous. De la rue, on ne voit pas tout de suite sa belle devanture de pierre blanche, mais l'on s'arrête pour lire les armes de la famille gravées sur le porche à deux entrées où passent les calèches. A l'approche du soir, le lieu est hanté par les ombres d'un monde étrange – femmes dissimulant à peine la richesse de leurs toilettes sous des sorties de bal, hommes en frac et en costume. Les cannes résonnant contre le pavé, les sabots des chevaux tirant les voitures créent une musique particulière, dont les accents sont inconnus des braves gens.

    Lorsque vous arrivez en voiture, un valet vêtu à l'ancienne ouvre votre portière et vous invite à descendre. Puis l'on pousse pour vous les lourds battants de la porte d'honneur. Et si la cour chatoyait déjà des lumières projetées par les grandes fenêtres, l'intérieur même s'était illuminé pour recevoir les convives : combien de chandelles et de becs de gaz, dans ces pièces immenses, pour donner cette lumière éclatante ! Mais il est déjà tard et les conversations, au salon, vont déjà bon train. Il est temps de monter le grand escalier, supporté par des piliers sculptés, tapissé de rouge ... Puis de pousser lentement la porte de la salle de réception. Un souffle, juste le temps d'arranger une mèche de cheveux, la position du chapeau, de l'écharpe devant le miroir de l'antichambre ... Et l'on vous annonce.

    Comtes, ducs et marquis, docteurs, généraux, ambassadeurs ! C'est une longue succession de vieux titres ronflants et de distinctions officielles qui rythme la soirée. Ils sont tous là, ou presque, comme si quelque chose d'important se tramait. Cependant, chose inhabituelle : l'assemblée est moins bigarrée qu'autrefois. Point de ces robes d'un rouge incarnat, d'un vert émeraude, d'un jaune éclatant qui peuplaient encore la dernière réception chez Mme de ***. Les femmes avaient dissimulé leurs couleurs derrière de longues robes noires ou grises, ponctuées de broderies argent – les femmes ne sont-elles pas coquettes jusques en leur deuil ... ? Les jupons virevoltent en silence, et les paroles sont devenues des murmures. L'on semble s'entretenir de choses bien sombres en cette salle, et le haut salon semble presque trop lumineux pour les mines assombries.

    Cela fait deux semaines, et les deuils ne sont point finis.

    - Monsieur le Général de Plissieux !

    Quelques rares têtes se retournent à la mention de ce nom. Peut-être s'étonne-t-on de voir Monsieur sortir, après le drame ; peut-être se demande-t-on ce qu'il pense de la situation, lui qui a des opinions si bien faites ; peut-être encore cherche-t-on un spectacle, n'importe lequel, dans l'ennui morose qui a endormi tous ces vieux titres, réunis comme par habitude ...

    Axel de Plissieux, vous avez à présent votre chemin à faire. Près de l'entrée, un gros homme, la mine rubiconde, l'air ravi de vous voir, court déjà à vous. Il semble s'ennuyer, demeuré seul sur sa petite chaise, délaissé des invités … A peine plus loin, un verre à la main, est un homme entre deux âges, la mine digne, qui semble vous adresser un signe de tête. Point de trace, encore, de la Maîtresse de maison. A vous de choisir entre l'empressement désespéré et l'indifférence distinguée ... Ou de vous précipiter dans ce monde par trop figé selon le hasard de votre fantaisie.
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptySam 10 Sep - 3:25

Axel de Plissieux ne savait pas exactement pourquoi il se rendait ce soir à cette réception chez les Lambresac. Ce n’était ni par envie, ni par devoir, ni même par besoin de se montrer ; peut-être un automatisme ? Il faut dire que le décès de sa femme deux semaines plus tôt dans le tragique incendie de l’Opéra l’avait profondément bouleversé, plus que le vieux militaire n’en laissait paraître et l’avait vidé du concept d’émotion. Le plus dur avait sans doute été de l’expliquer aux enfants bien qu’ils soient relativement âgés : le général s’était retenu de fondre en larmes devant eux pour leur montrer qu’il fallait rester digne et fier quoiqu’il arrive.

Donnant son képi, sa canne et son pardessus à l’un des nombreux domestiques de la maisonnée, le vieil homme se fit annoncer dans le salon, provoquant un petit remous chez quelques personnes au courant du drame ou le connaissant juste de nom. De Plissieux s’en alla quémander un verre auprès des valets sans même s’apercevoir qu’un petit homme rondouillet visiblement en train de mourir d’ennui se dirigeait vers lui à toute vitesse. Avant même d’avoir pu obtenir de quoi à boire, il se vit presque forcé d’engager la conversation avec ce monsieur qui l’avait littéralement intercepté, visage qui ne disait rien au militaire pourtant assez physionomiste.

Ce dernier se présenta sous le nom d’Alfred Athys, « dramaturge de talent », ce qui n’évoqua rien au Général, puis présenta ses condoléances pour le décès de Mme de Plissieux, qu’Axel reçu avec une forme d’indifférence polie. Alors qu’il allait se remettre en chemin, son interlocuteur persista à vouloir lui parler, le suivant tout en déblatérant des vagues de mots impossibles à suivre pour quelqu’un qui n’écoutait pas spécifiquement. Constatant le peu d’intérêt que lui portait le militaire, Alfred Athys s’apprêta à s’en aller, la mine basse ; ceci déclencha une réaction de culpabilité chez De Plissieux qui s’excusa de son inattention en prétextant des soucis personnels (ce qui était véridique).

Réjoui, l’homme se piqua de lui désigner au loin les convives en déambulant dans la pièce. Ceci était de peu d’utilité étant donné que le vieux militaire fréquentait ce salon depuis de nombreuses années même s’il n’y venait pas régulièrement et savait qui étaient les convives sans jamais leur avoir adressé la parole. La seule personne qui éveillait légèrement sa curiosité était cet homme assis, à l’allure extrêmement distinguée, jamais aperçu auparavant dans les parages. Sans aucun doute quelque dandy fortuné et marotte d’une dame de la haute société. Toutefois, dans un élan de spontanéité insoupçonné, il s’enquit de l’identité de ce monsieur auprès de son guide bedonnant.

Celui-ci, tout sourire d’être sollicité, le présenta comme Désiré Hasard, homme riche et de bon goût, grand mécène des arts. Encore un nom qui ne rencontrait aucun visage connu dans son esprit, ce qu’Axel s’empressa de corriger. Peut-être faudrait-il aller le voir, histoire de faire connaissance ? Le général aviserait plus tard. Par miracle, il parvint à arracher délicatement un verre de vin d’un des plateaux se pavanant dans le salon, orgueilleusement rempli de nourriture et boisson au risque d’en être totalement déséquilibré. Sirotant alors doucement le contenu de son verre, il continua son tour de salle talonné par le dramaturge qui peinait à le suivre.
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Pierrot Lunaire
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyDim 11 Sep - 6:27

    Le Temps perdu Alfred11
    Alfred Athys, dramaturge de talent, n'aimait pas à être pris pour ce qu'il n'était pas. S'étant investi de la mission sacrée d'énumérer à ce nouvel arrivant les invités du soir, il se sentait quelque peu vexé de voir qu'on ne l'appréciait pas à sa juste valeur. Car malgré son air dispersé, son essoufflement maladif et son défaut de bavardage, on ne pouvait nier que M. Athys connaissait son monde. Sa présence dans ce genre de salon, si elle semblait importune, en était la preuve. Ce n'est pas sans fierté, en tout cas, qu'il désigne M. Hasard, membre éminent du Jockey club, élégant en vue et mondain à la conduite toute irréprochable. Par un reste de fierté mal placée, cependant, Alfred continue son chemin – sa bouderie consistant à ne point présenter son interlocuteur au dandy fatigué. C'est que M. Athys est assez susceptible - et non dénué de mauvaise foi. Tandis qu'il continue son bavardage, les retardataires se laissent annoncer de bonne grâce :

    - Madame de Gondelaurier ! M. de Nevers et M. Delacroix ! Madame Ruisbroeck et sa fille. Messieurs de Fréneuse !

    Et entrent, presque à la file, une dame de cinquante ans ruisselante de pierreries, un élégant homme d'affaires suivi d'un commis mal habillé et l’œil fade, une matrone et sa damoiselle à marier et deux jeunes hommes blonds avec un air de famille. Tous semblent chercher quelqu'un des yeux, sans le trouver. Monsieur Athys s'est arrêté, et pendant qu'il salue Madame de Gondelaurier d'un signe de tête, peut-être remarquez-vous de nouveau combien l'atmosphère est étrange. Les invités autour de vous murmurent, tournent la tête vers le vestibule, ou vers les alcôves de la salle de réception. Certains semblent même faire remarquer quelque détail honteux, à l'oreille de leurs voisins ...

    - Je ne sais pas pour vous, mon bon Monsieur, mais j'ai diablement faim.

    C'est toujours Monsieur Athys, qui semble s'être attaché à vos pas. Lui répondrez-vous, Monsieur de Plissieux ? Il ne semble pas s'en soucier véritablement et reprend aussitôt, d'une voix pénétrée d'intérêt :

    - N'avez-vous rien remarqué, depuis votre arrivée ? Madame la duchesse, d'habitude si empressée auprès de ses invités, a disparu dans ses appartements dès le début de la soirée. Point de mari pour donner le change, un maître d'hôtel qui a du mal à régler la marche des domestiques … Quelque chose ne va pas, vous ne croyez pas ?

    Un des hommes de maison se présente alors avec un plateau sur lequel trônent des petits fours. Alfred Athys en saisit un.

    - Qu'est-ce que je vous disais ? Il est déjà froid !

    Le domestique, sous son air affairé, semble préoccupé également … Mais vous n'avez pas encore le temps de vous poser de question : tandis que les ultimes retardataires se faisaient annoncer, on a vu s'ouvrir une petite porte dérobée. Dans un froissement de mousseline, Madame de Lambresac paraît … Et les mines se décomposent tout aussitôt. Elle est pâle, raide et triste dans sa longue robe noire et ses yeux paraissent traduire la plus grande terreur. Alfred Athys en lâche son petit four et déglutit difficilement :

    - L'air qu'elle a !

    Et il glisse à votre oreille :

    - Vous pensez que ce sont ses nerfs qui la reprennent … ?

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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyVen 16 Sep - 22:49

De Plissieux écoutait son guide courtaud énumérer les convives sans y prêter une réelle attention. Ce monsieur était sans doute un être charmant au naturel mais il avait pour le moment le don prodigieux d’être incroyablement pénible, un véritable moulin à parole qui avait dû avaler son remontoir pour ne pas être interrompu. En même temps que le général s’agaçait de cet Alfred au nom identique à celui de son domestique, il lui venait un léger mal de tête qui mettait insidieusement à mal ses facultés de concentration. Un effet de l’alcool ? Cela serait surprenant, Axel de Plissieux tenant extrêmement bien toute boisson forte. Une nouvelle maladie ? Peu de chance, le militaire avait une santé de fer. Mettant ceci sur le compte du brouhaha ambiant et de l’atmosphère lourde qui régnait dans le salon, le général se mit en quête d’un endroit où s’asseoir quelques instants.

Une voix retentit proche de l’entrée pour annoncer de nouveaux arrivants dont les noms n’éveillèrent aucun souvenir dans la mémoire du général. Il s’étonnait assez de ne pas avoir vu quelqu’un appartenant au cercle de ses connaissances mais en lieu et place de ceci, une marée de visages inconnus. Ce qui n’était pas en soi en bien grand mal, poussant le vieux militaire à adopter une attitude sociale malgré ses soucis personnels. Toutefois, son instinct susurra à De Plissieux qu’il se passait quelque chose d’étrange : effectivement, la salle bruissant de murmures et autres regards désobligeants. Ne parvenant à en localiser ni la source, ni la direction, le général fut rappelé à la réalité par le dramaturge visiblement affamé. Alors qu’Athys lui expliquait que quelque chose ne tournait pas rond dans cette soirée, il parvint à intercepter un laquais portant un plat de petits fours. Après l’avoir goûté, il s’exclama avec une lueur de triomphe dans les yeux que ce dernier était froid, signe évident d’un malaise planant sur la réception et confortant son analyse.

C’est alors que Mme de Lambresac fit son apparition dans le salon. Si Athys ne put retenir une remarque, De Plissieux garda contenance en se demandant tout de même en son fort intérieur ce qui pouvait expliquer une si mauvaise mine. La salonnière semblait terriblement fatigué et amaigrie en plus d’avoir l’air terrifié. Avant d’avoir pu faire quoique ce soit, monsieur Athys lui glissa quelques mots à l’oreille à propos des nerfs de madame. Ne sachant que penser de la situation, le général mit en route sa réflexion stratégique et passa la pièce au crible pour trouver quelques personnes susceptibles de lui donner leur avis sur l’état de Madame de Lambresac. Avisant au loin la tête du gentilhomme distingué que le dramaturge avait désigné au militaire mais avait refusé de présenter, De Plissieux tenta avec difficulté de s’approcher de lui.
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Jean de Fréneuse
J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyDim 18 Sep - 12:09


Jean ne pensait pas avoir à se rendre à cette soirée organisée chez la duchesse. A vrai dire, depuis qu'il avait vu son air hagard, à la sortie d'un Opéra en flamme, la traîne de sa robe noire de boue et de suie, il l'avait consciencieusement évitée. Mais les pressions du monde sont ce qu'elles sont : M. de Nevers l'avait pris au piège* et il s'était vu contraint d'emmener un vague commis en finances, pour le présenter à Madame. Pire ! Passant à son ancienne garçonnière récupérer quelques affaires, il tomba sur son jeune frère, dix-neuf ans à tout prendre, revenu de pension, et qui voulut se greffer à la fête, en bon parasite. Et il arrivait donc, flanqué de deux jeunes hommes avides de se faire connaître, et avec tout sauf l'envie de les présenter à tout le monde.

A peine arrivé, il mesura du regard les présents, les absents – les fantômes des disparus qui eussent pu voyager là, entre les mines terreuses et les visages soucieux … Cependant, traînant ses devoirs de sourires factices en poignées de mains vagues, il ne remarqua pas tout de suite, Jean, que quelque chose allait mal. Son jeune frère non plus, qui lui tapotait la manche :

- Je sais bien ce que tu en penses, mais je crois qu'il serait plus judicieux de nous présenter à Madame la duchesse dès ce soir. Je me suis renseigné, tu sais – on dit qu'elle aime les sonates de Beethoven, peut-être que si je lui parle de ...

- Taisez-vous mon frère, vous vous couvrez de ridicule.

Et tandis qu'il avançait toujours, une main posée sur l'épaule d'Evariste, il jeta un regard noir à Gabriel de Fréneuse. Tenant ainsi ses deux protégés, jeunes brillants aux dents longues, il semblait un dresseur las tenant deux jeunes louveteaux rongeant leurs muselières. Son regard croisa alors celui de la duchesse ... Il eut un mouvement de recul. Mais le jeune frère revint à la charge :

- Qui est ce général, près du buffet ?

Jean poussa un soupir avant de répondre, d'une voix sourde.

- C'est M. de Plissieux. Je ne lui ai jamais parlé.

Et ignorant délibérément son importun de frère, sans comprendre que cet enthousiasme un peu fou, il l'avait ressenti également, quelques années plus tôt, il demanda à Evariste :

- A qui dois-je donc faire le mérite de vos talents ? Cherchez-vous une femme, des placements, une renommée quelconque ? Madame Ruysbroeck cherche à marier à sa fille ; on murmure que M. Athys a quelque fortune. Pour la renommée ...

Il attrapa au vol une coupe de champagne et haussa les épaules, l'air emprunt d'une mélancolie bizarre. Il n'avait qu'un désir, à présent : fuir de cet endroit malsain, où des ombres s'efforcent de plaire à d'autres ombres.

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Evariste Delacroix
Maître Hibou
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyMer 21 Sep - 4:11

L'humour des dieux et des circonstances est ainsi fait: il est tout simplement des jours où rien ne pourrait être pire. Je m'étais égaré dans un lieu incertain qui respirait un faux respect suranné, une odeur d'hypocrisie mondaine qui vous prenait à la gorge, si épaisse que vous pourriez la mordre. Encapuchonné de noir là où mes frères rapaces avaient encore l'œil vigilant, je m'égarais parfois et trébuchais souvent dans le labyrinthe des Conventions et du Savoir Être, que je ne pouvais pas toujours analyser avec justesse. Une grimace éloquente ne pouvait m'atteindre, un regard se perdait et ne parvenait jamais à ma conscience, tous les sourires s'oubliaient dans un brouillard plus épais qu'une muraille.

Et ce soir mon guide, l'homme du monde derrière lequel j'abritais ma carcasse discrète, avait jugé bon de me lancer, sous son œil certainement railleur et loin de sa protection, dans une arène de fauves trop raffinés. Mon appui, celui qui me présenterai, n'était qu'un jeune homme rencontré ce matin, qui certes semblait au fait des mœurs locales, mais qu'enfin je ne connaissais pas. J'avançais sous sa poigne, distinguant un pas plus léger -son jeune frère. Contrairement à moi, ce dernier frétillait d'enthousiasme, ravi de se retrouver là, impatient sans doute de se tailler sa place... Je n'avais pas cette chance.

Cependant, quelque chose n'allait pas. Observateur muet de la ronde des titres, j'avais souvent été témoin de l'ambiance particulière de ces soirées sans sel ni attrait, et savais reconnaître leur souffle. Les pas étaient ce soir, trop lents ou trop rapides. Les odeurs, comme couvertes, même la nourriture n'avait pas autant de fumet. Un parfum de Chypre, celui de la reine de soirée, n'errait point comme à l'accoutumée d'un invité à l'autre.
Je ressentais également, sur mon épaule, la main de Fréneuse se tendre et se distendre tour à tour. Je ne prêtais aucune attention aux querelles fraternelles, celles-ci ne me concernaient pas, mais notais au passage le nom de De Plissieux. Illustre tête qui se montrait ce soir.

- A qui dois-je donc faire le mérite de vos talents ? Cherchez-vous une femme, des placements, une renommée quelconque ? Madame Ruysbroeck cherche à marier à sa fille ; on murmure que M. Athys a quelque fortune. Pour la renommée ...

Je faillis m'étrangler à la mention de possibles épousailles. Seigneur, quelle femme mériterai, dans son foyer, le fardeau de ma présence! Le sexe faible ne me semblait être qu'une brume étrangère et lointaine. Des voix aiguës, des parfums, fleurs robes et froufrous, chapeaux et poudres. Terre mystérieuse rarement abordée et très certainement jamais comprise.
J'agitais la main, un peu au hasard -et remerciait le ciel de ne heurter personne!- avant de répondre:

- Oh, non, monsieur de Fréneuse, vous savez comme moi que de Nevers goûte la plaisanterie et que c'est pour le satisfaire que nous voilà engagés dans cette étrange farce. Je ne suis pas au fait de ce qui concerne les... hum, disons, les présentations en bonnes et dues formes, je suis dans l'obligation de m'en remettre à votre expérience... mais pitié, pas de demoiselle à marier.

A tâtons, je cherchais son bras, le pressais. Tentant d'invoquer sa discrétion par ce biais, moi qui ne possédait ni l'arme des expressions calculées ni l'atout des regards éloquents, je glissais alors, un ton plus bas:

- Vous qui avez possibilité de percevoir et analyser les masques de circonstances, et qui connaissez les lieux et les gens, dites moi plutôt ce qui se passe. Je ressens une étrange tension mais me vois dans l'incapacité de comprendre de quoi il en retourne. Est-ce pour cela que votre main se crispe sur mon épaule par intermittence?

J'essayais de ne point trop montrer ma nervosité, mais j'avais l'impression de marcher au bord du gouffre, et le funambulisme ne réussit point aux aveugles.
Une chute sociale n'était pas dans mes ambitions immédiates, et je pressentais que c'était fort mauvais jour pour se faire connaître...


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Pierrot Lunaire
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyJeu 22 Sep - 13:28


Axel de Plissieux ~


    Le Temps perdu Bazill10
    Désiré Hasard est un homme de sang froid. Aussi, lorsqu'il voit Madame de Lambresac arriver plus morte que vive, se met-il à observer autour de lui. Les domestiques semblaient au courant – y en avait-il dont l'attitude était différente des autres ? La dame même embrassait la salle du regard, comme en proie au plus cruel des dilemmes. Il songe à aller la voir, rompant ainsi toute tradition de politesse, sachant qu'à lui, on pardonne bien des choses … Mais il aperçoit un homme, amplement décoré, s'avancer vers lui. Il l'avait déjà vu, voilà quelques instants, accaparé par le bavardage de M. Athys. Il se décide alors à sortir de sa réserve et le salue.

    - Bonjour, Monsieur. Je ne crois pas avoir eu le plaisir de vous être présenté ? Désiré Hasard, habitué du salon.

    Il vous tend une poignée de mains. Que lui dites-vous, mon général ? Tandis que vous vous présentez sans doute à votre tour (après tout, c'est l'usage!) et que vous engagez conversation, il vous jauge de son regard bleu et froid.

    Peut-être en êtes-vous déjà à penser que vous perdez votre temps, qu'on ne gagne rien de ces élégants à la carcasse froide et à l’œil creux mais …

    Gisèle de Lambresac s'avance.

    - Désiré.

    Chose étrange, elle l'a appelé de son prénom. Troublée, elle lui tend la main, et il penche son visage doucement vers celle-ci, sans l'effleurer des lèvres. Comme c'est l'usage, dans le monde. Cette même main, elle vous la tend également, muette, glacée.

    - M. de Plissieux, que … Que nous vaut l'honneur de votre visite ?

    Au loin, les jeunes hommes semblent chercher un invité de marque de l’œil. A vous, cher général, de décider de vos actes. Fuirez-vous cette dame, qui se jette presque dans les bras de votre voisin ? Suivrez-vous la marche qu'elle donne déjà à la conversation, lui répondant d'un même ton qui ne veut rien voir … Ou l'interrogerez-vous, à votre manière, sur ce qui a fait perdre toute couleur à son noble visage ? Devant cette faible créature, affligée par les heures, mais salonnière avant tout, il vous faudra bien parler, et choisir vos mots avec soin.



Le groupuscule de jeunes fumistes, là-bas, au loin ~

    Jean de Fréneuse ne disant rien, Gabriel et Evariste doivent apparemment chercher leur moyen de parvenir eux-mêmes. Mme de Lambresac semble avoir repris son office et discute avec deux invités, privilégiés entre tous – peut-être que l'on jasa un peu, parmi les dames, sur la prédilection que la duchesse avait donné à M. Hasard … Que faire à présent ? Où glaner les signes précieux laissant présager d'un avancement, d'un sourire ?

    C'est alors que la grand'porte grince. Paraît un inconnu un peu trapu, chapeau entre les mains, moustache d'un noir brillant. Il a l'air d'un homme qui rentre chez lui après une mauvaise noce – la même aisance à voir les objets, les visages autour de lui, et quelque chose d'emprunté dans l'idée d'être là de la mauvaise façon. La porte claque violemment derrière son dos, mais on ne l'annonce pas.

    Et soudain, M. Delacroix, auprès de vous passe une jeune femme en robe de taffetas, – tissu crissant doucement sous les pas – elle vous effleure. Vous voyez peut-être son aura blanche et vous entendez sûrement son rire qui pérore.

    Alors M. Delacroix, pendant que Jean rêvasse à quelque autre ennui, choisirez-vous un chemin de traverse ? Aurez-vous remarqué cette arrivée inopinée ou le bruit du taffetas aura-t-il retenu votre attention ? Votre curiosité leur parlera-t-elle pour vous ?
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptySam 22 Oct - 2:58

De Plissieux s'apprêtait à se présenter à ce monsieur distingué selon les civilités en usage lorsque ce dernier prit les devants. Surpris de voir ainsi les conventions bouleversées, le militaire ne se démonta pas le moins du monde et lui serra la main vigoureusement :

- Général de Brigade Axel de Plissieux, également habitué du salon. Je n'ai jamais eu le plaisir de vous rencontrer ici, Monsieur Hasard. Sans doute ai-je fais trop peu d'apparitions ! plaisanta sans succès Axel de Plissieux, sous le regard inquisiteur de son interlocuteur.

Alors que le vieux soldat allait amener le sujet de l'étrange atmosphère pesant sur la réception, voici que la maîtresse de maison se dirigeait droit vers eux. La voir s'adresser de manière aussi directe au dandy en utilisant son prénom intrigua le militaire au plus haut point mais il n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps ; la dame lui tendait déjà la main. S'en saisissant avec délicatesse pour lui faire le baise-main, De Plissieux réfléchit à toute vitesse pour répondre de manière correcte à Mme de Lambresac :

- Madame, votre réception m'offrait à point nommé une excellente occasion de me changer les idées après les troubles des semaines passées et de retrouver quelques connaissances perdues de vue depuis un certain temps. Vous avez toujours su offrir à vos convives des soirées de grande qualité.

Le militaire marqua une pause ; comment pouvait-il faire remarquer de manière subtile qu'un étrange atmosphère planait sur les lieux ? Comment souligner avec courtoisie que la maîtresse de maison qu'elle semblait ne pas être très en forme ? Le militaire, au risque de choquer, opta pour l'honnêteté car on le l'avait jamais traîné sur le chemin du mensonge.

- Cependant, permettez-moi de vous trouver bien pâle Madame. Seriez-vous souffrante ? Si je puis vous être d'une quelconque utilité, faites-le moi savoir.

Axel de Plissieux avait conscience de jouer sa place dans la bonne société en se montrant si ouvertement curieux mais il n'en avait cure. Un vrai soldat ne pouvait résolumment se réfugier derrière la fumée de la badinerie, fût-il général !
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MessageSujet: Re: Le Temps perdu   Le Temps perdu EmptyMar 1 Nov - 10:53


Le Temps perdu Sargen10
La badinerie, la politesse, l’élégance, tout ça n’était que du temps perdu ! Gisèle de Lambresac l’avait bien senti, ce matin-là, quand le cours de sa journée avait été bouleversée. Elle avait tenu, cependant, à conserver son rang et sa réputation et malgré tout, elle avait reçu, comme si de rien n’était. Un instant, sa détresse l’avait rattrapée, mais la présence du général de Plissieux lui rappela ses devoirs. Elle hocha lentement la tête tandis qu’il la saluait et, ponctuant d’un léger sourire ses paroles, elle répondit légèrement :

- Vous êtes bien aimable, mon cher général, et toujours aussi observateur !

Elle jeta un dernier coup d’œil – coup d’aile de l’oiseau blessé – en direction de M. Hasard, et, après une grande inspiration, reprit :
- Ce n’est rien, en vérité. Mon ancienne femme de chambre – vous savez les problèmes qu’elle a pu me causer – rôde autour de la maison. Je n’y vois rien de bon. Je me suis même demandée, vous pensez …

Elle eut un instant d’hésitation, jeta un regard au dernier homme qui s’était introduit dans la salle de réception et détourna aussitôt les yeux.

- Je me suis même demandée si elle n’avait pas eu des contacts avec … Ceux dont on parle tant, aujourd’hui. Imaginez ma peur, à la voir tourner par ici !

Elle sortit son éventail, et dissimula derrière ses blancs reflets la rougeur de ses joues.

- Mais ce n’est sans doute rien. Une femme de chambre, que pourrait-elle … !

Elle s’éventait, visiblement essoufflée, et semblait soudain désirer qu'on la rassurât.
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